Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu, I, les requêtes, enregistrées le 5 janvier 2005 sous les n°s 05PA00028 et 05PA00029, présentées pour la SOCIETE 2003 PRODUCTIONS, dont le siège social est situé 102 avenue des Champs-Elysées à Paris (75008), par la SCP DELAPORTE-BRIARD-TRICHET, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de Cassation ; la SOCIETE 2003 PRODUCTIONS demande à la Cour :
1°) d’ordonner le sursis à exécution puis d’annuler le jugement n° 0319703 et 0320429 en date du 10 novembre 2004, par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision du directeur du Centre national de la cinématographie du 23 octobre 2003 accordant à la SOCIETE 2003 PRODUCTIONS l’agrément des investissements pour le film de long métrage intitulé « Un long dimanche de fiançailles » ;
2°) de rejeter les demandes présentées par l’Association des Producteurs indépendants et le Syndicat des Producteurs indépendants ;
3°) de condamner l’Association des Producteurs indépendants et le Syndicat des Producteurs indépendants à lui verser chacun une somme de 6 000 euros en remboursement des frais irrépétibles ;
Vu, II, la requête, enregistrée le 7 janvier 2005 sous le n° 05PA00077, présentée pour le Centre national de la cinématographie, dont le siège est situé 12 rue de Lübeck à Paris (75116), par la SCP Piwnica-Molinie, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de Cassation ; le Centre national de la cinématographie demande à la Cour :
1°) d’annuler le jugement n°s 0319703 et 0320429 en date du 10 novembre 2004, par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision du directeur du Centre national de la cinématographie du 23 octobre 2003 accordant à la SOCIETE 2003 PRODUCTIONS l’agrément des investissements pour le film de long métrage intitulé « Un long dimanche de fiançailles » ;
2°) et de rejeter les demandes présentées par l’Association des Producteurs indépendants et le Syndicat des Producteurs indépendants ;
..
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention d’établissement franco-américaine du 25 novembre 1959 publiée par le décret n° 60-1330 du 7 décembre 1960 ;
Vu la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales ;
Vu le décret n° 99-130 du 24 février 1999 relatif au soutien financier à l’industrie cinématographique ;
Vu le code de commerce ;
Vu le code de l’industrie cinématographique ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 10 mai 2005:
– le rapport de M. Even, rapporteur,
– les observations de Me Briard, pour la SOCIETE 2003 PRODUCTIONS, Me Goutal, pour le Syndicat des Producteurs indépendants, Me Molinie pour le Centre national de la cinématographie et celles de Me Boutet, pour l’Association des Producteurs indépendants,
– et les conclusions de M. Trouilly, commissaire du gouvernement ;
Considérant que les requêtes susvisées sont dirigées contre le même jugement ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt ;
Sur les requêtes n°s 05PA00029 et 05PA00077 :
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant que, contrairement à ce que soutient la SOCIETE 2003 PRODUCTIONS, le jugement contesté comporte l’énoncé des dispositions juridiques applicables et l’exposé circonstancié des éléments de fait ; qu’il est ainsi suffisamment motivé ;
Sur la fin de non-recevoir opposée aux demandes de première instance :
Considérant que le Centre national de la cinématographie conteste la recevabilité des conclusions en annulation présentées devant les premiers juges par l’Association des Producteurs indépendants et le Syndicat des Producteurs indépendants, dirigées contre la décision du directeur du Centre national de la cinématographie du 23 octobre 2003 accordant à la SOCIETE 2003 PRODUCTIONS l’agrément des investissements pour le film de long métrage réalisé par Jean-Pierre Jeunet intitulé « Un long dimanche de fiançailles » ;
Considérant qu’il ressort des dispositions de ses statuts que l’Association des Producteurs indépendants a pour objet « de défendre, dans le cadre d’une organisation syndicale nationale, les intérêts moraux, économiques, industriels et commerciaux de la production de films cinématographiques et plus spécialement la défense des intérêts professionnels de ses membres » ; que le Syndicat des Producteurs indépendants a pour objet de « rassembler les entreprises de production audiovisuelle et cinématographique indépendantes en vue d’une meilleure connaissance, d’un meilleur développement, d’une meilleure représentation et d’une meilleure défense de la profession. Le Syndicat procède, en outre, à l’étude et à la défense des intérêts économiques, matériels et moraux de la profession de producteur audiovisuel ou cinématographique »; qu’eu égard à leur objet social, l’Association des Producteurs indépendants et le Syndicat des Producteurs indépendants étaient recevables à attaquer la décision d’agrément des investissements litigieuse, qui porte atteinte aux intérêts collectifs de leurs membres ; que, par suite, les fins de non-recevoir opposées par le Centre national de la cinématographie aux demandes de l’Association des Producteurs indépendants et du Syndicat des Producteurs indépendants doivent être rejetées ;
Sur le fond :
Considérant qu’aux termes de l’article 10 du décret n° 99-130 du 24 février 1999 relatif au soutien financier de l’industrie cinématographique : « Seules ouvrent droit au bénéfice du soutien financier à la production et à la préparation des oeuvres cinématographiques de longue durée celles de ces oeuvres qui, sauf dispositions contraires prévues au présent titre, remplissent les conditions prévues ci-après. I. – Les oeuvres cinématographiques doivent être produites par au moins une entreprise de production qui satisfait aux conditions prévues à l’article 7. II. – Les oeuvres cinématographiques doivent être réalisées avec le concours de studios de prises de vues et de laboratoires établis en France, sur le territoire d’un Etat membre de la Communauté européenne ou, lorsqu’elles sont réalisées dans le cadre d’une coproduction internationale admise au bénéfice d’un accord intergouvernemental de coproduction, sur le territoire du ou des Etats des coproducteurs. Des dérogations aux conditions précitées peuvent être accordées, sans préjudice de l’application des dispositions du III. III. – Les oeuvres cinématographiques doivent être réalisées, dans une proportion minimale fixée par l’arrêté pris pour l’application de l’article 6 du décret n° 90-66 du 17 janvier 1990 susvisé, avec le concours : 1° D’auteurs, d’acteurs principaux, de techniciens collaborateurs de création de nationalité française ou ressortissants d’un Etat membre de la Communauté européenne, d’un Etat partie à la Convention européenne sur la télévision transfrontière du Conseil de l’Europe, d’un Etat tiers européen avec lequel la Communauté européenne a conclu des accords ayant trait au secteur audiovisuel ou, lorsqu’elles sont réalisées dans le cadre d’une coproduction internationale admise au bénéfice d’un accord intergouvernemental de coproduction, du ou des Etats des coproducteurs. Les étrangers autres que les ressortissants des Etats européens précités ayant la qualité de résident sont assimilés aux citoyens français. Pour les oeuvres cinématographiques dites « d’initiative française », les acteurs étrangers non professionnels n’ayant pas la qualité de résident mais dont le concours est justifié par le récit et qui s’expriment dans leur langue maternelle peuvent, par dérogation, être pris en compte pour l’application du présent alinéa ; 2° D’industries techniques établies en France ou sur le territoire des Etats mentionnés au 1°. Lorsque ces industries techniques sont établies en France, elles doivent être titulaires de l’autorisation prévue à l’article 14 du code de l’industrie cinématographique. IV. – Les oeuvres cinématographiques doivent satisfaire à des conditions de réalisation, notamment artistiques et techniques, dans une proportion minimale fixée par l’arrêté prévu à l’article 19. Cet arrêté fixe également les conditions et limites dans lesquelles des dérogations à la proportion minimale précitée peuvent être accordées. Toutefois, cette proportion minimale n’est pas requise lorsque les oeuvres cinématographiques sont produites dans le cadre d’une coproduction internationale admise au bénéfice d’un accord intergouvernemental de coproduction, dans laquelle la participation française est minoritaire et ne comporte pas d’apport artistique ou technique. » ; qu’aux termes de l’article 7 du même décret : « I. – Sont seuls admis au bénéfice du soutien financier de l’industrie cinématographique les entreprises et organismes établis en France. Les entreprises appartenant à l’industrie cinématographique doivent être titulaires de l’autorisation prévue à l’article 14 du code de l’industrie cinématographique lorsque celle-ci est obligatoire. II. – Les entreprises de production doivent, en outre, satisfaire aux conditions suivantes : 1° Avoir des présidents, directeurs ou gérants, soit de nationalité française, soit ressortissants d’un Etat membre de la Communauté européenne, d’un Etat partie à la Convention européenne sur la télévision transfrontière du Conseil de l’Europe ou d’un Etat tiers européen avec lequel la Communauté européenne a conclu des accords ayant trait au secteur audiovisuel. Les étrangers autres que les ressortissants des Etats européens précités justifiant de la qualité de résident sont, pour l’application du présent alinéa, assimilés aux citoyens français ; 2° Ne pas être contrôlées, au sens de l’article 355-1 de la loi du 24 juillet 1966 susvisée, par une ou plusieurs personnes physiques ou morales ressortissantes d’Etats autres que les Etats européens mentionnés au 1°. » ;
Considérant qu’aux termes de l’article 355-1 de la loi du 24 juillet 1966, codifié à l’article L. 233-3 du code de commerce : « I. – Une société est considérée, pour l’application des sections 2 et 4 du présent chapitre, comme en contrôlant une autre : 1º Lorsqu’elle détient directement ou indirectement une fraction du capital lui conférant la majorité des droits de vote dans les assemblées générales de cette société ; 2º Lorsqu’elle dispose seule de la majorité des droits de vote dans cette société en vertu d’un accord conclu avec d’autres associés ou actionnaires et qui n’est pas contraire à l’intérêt de la société ; 3º Lorsqu’elle détermine en fait, par les droits de vote dont elle dispose, les décisions dans les assemblées générales de cette société. II. – Elle est présumée exercer ce contrôle lorsqu’elle dispose directement ou indirectement, d’une fraction des droits de vote supérieure à 40 % et qu’aucun autre associé ou actionnaire ne détient directement ou indirectement une fraction supérieure à la sienne. III. – Pour l’application des mêmes sections du présent chapitre, deux ou plusieurs personnes agissant de concert sont considérées comme en contrôlant conjointement une autre lorsqu’elles déterminent en fait les décisions prises en assemblée générale. » ; qu’aux termes de l’article L. 233-10 du même code issu de la loi du 15 mai 2001 sur les nouvelles régulations économiques : « Sont considérées comme agissant de concert, les personnes qui ont conclu un accord en vue d’acquérir ou de céder des droits de vote ou en vue d’exercer les droits de vote, pour mettre en oeuvre une politique vis-à-vis de la société. Un tel accord est présumé exister : entre une société, le président de son conseil d’administration et ses directeurs généraux ou les membres de son directoire ou ses gérants ( ) » ; que le contrôle conjoint défini par le III de l’article L. 233-3 du code de commerce est caractérisé dès lors que deux ou plusieurs personnes déterminent en commun les décisions des assemblées générales d’une société, dans le cadre d’un accord relatif à l’exercice de leurs droits de vote et tendant à la mise en oeuvre d’une politique commune à l’égard de cette société ; qu’il en va de même lorsque l’une d’entre elles dispose de droits de vote qui, en l’absence d’un tel accord, lui auraient permis de déterminer seule lesdites décisions ;
Considérant, en premier lieu, que les dispositions susmentionnées du décret du 24 février 1999 exclusivement relatives au soutien financier de l’Etat à l’industrie du cinéma, n’ont pas pour effet d’interdire aux sociétés américaines d’exercer des activités de production cinématographiques en France, ni de leur imposer des conditions d’exercice différentes de celles qui s’appliquent aux sociétés françaises ; que, par suite, ces dispositions ne portent pas atteinte au principe de la liberté d’établissement consacré par la Convention franco-américaine signée le 25 novembre 1959, ratifiée par la France en application de la loi n° 60-753 du 28 juillet 1960, et publiée par le décret n° 60-1330 du 7 décembre 1960 ;
Considérant, en second lieu, qu’il ressort des pièces du dossier, que le capital de la société par action simplifiée SOCIETE 2003 PRODUCTIONS d’un montant de 46 360 euros, est divisé en actions nominales d’une valeur de 10 euros, réparti en 3 060 actions de catégorie A détenues par des personnes physiques salariées de la société Warner Bros France, soit 66 % du capital, et, d’autre part, en 1 576 actions dites de catégorie B détenues par la personne morale Warner Bros France, soit 34 % du capital ; que les actionnaires personnes physiques sont M. Francis X, lequel est présenté comme Directeur général de la société Warner Bros France par les organigrammes publiés par le groupe Warner, trois autres salariés de la société Warner Bros France, par ailleurs administrateurs respectivement de cette même société ou de la société-mère américaine Warner Bros, le directeur financier de la Warner Home Vidéo, division de la société Warner Bros France, enfin une personne chargée de superviser la production des films allemands, italiens et espagnols réalisés pour la Warner ; qu’il ressort de l’article 22 des statuts de la SOCIETE 2003 PRODUCTIONS, que « dans l’hypothèse où interviendrait une offre d’acquisition de 100 % des actions composant le capital de la société, et où la société Warner Bros France souhaiterait accepter cette offre, les autres associés s’engagent à céder leurs propres actions à l’acquéreur » ; qu’en vertu de ces mêmes statuts, les bénéfices de la SOCIETE 2003 PRODUCTIONS sont distribués à hauteur de 15 % aux titulaires des actions de catégorie A, et à hauteur de 85 % au titulaire des actions de catégorie B ; qu’aucune décision de son conseil d’administration ne peut être prise sans qu’un membre représentant la société Warner Bros France soit présent ; que les décisions des assemblées générales extraordinaires ne pouvant être prises qu’à la majorité qualifiée de 70 %, l’actionnaire minoritaire titulaire des actions de catégorie B dispose ainsi d’une minorité de blocage ; que certaines décisions ne peuvent être prises qu’à la majorité qualifiée de 75 % des droits de vote, notamment celles visant à autoriser le Président et/ou le Directeur général à négocier, conclure, modifier ou résilier des conventions et/ou opérations sortant du cadre des affaires normales de la société et/ou portant sur des sommes de 250 000 euros ; qu’il en va ainsi des décisions portant sur la production de films de long métrage, qui constituent l’objet même de l’activité de la SOCIETE 2003 PRODUCTIONS ;
Considérant qu’il résulte de tous ces éléments, et alors même que le lien de subordination induit par une relation salariale ne saurait s’étendre au-delà de l’exécution du contrat de travail, et qu’un contrat de travail ne saurait par lui-même concrétiser un pacte d’actionnaires, que les actionnaires personnes physiques de la SOCIETE 2003 PRODUCTIONS, tous cadres dirigeants de la société Warner Bros France, doivent être regardés comme agissant de concert avec cette société pour déterminer les décisions prises au sein du conseil d’administration ou des assemblées générales de la SOCIETE 2003 PRODUCTIONS ; qu’ainsi, la société Warner Bros France, filiale à 97 % de la société américaine Warner Bros, doit être elle-même regardée comme contrôlant la SOCIETE 2003 PRODUCTIONS au sens du III de l’article L. 233-3 du code de commerce et du II 2° de l’article 7 du décret du 24 février 1999 relatif au soutien financier à l’industrie cinématographique ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède, que le Centre national de la cinématographie et la SOCIETE 2003 PRODUCTIONS ne sont pas fondées à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision du directeur du Centre national de la cinématographie du 23 octobre 2003 accordant l’agrément des investissements pour le film de long métrage réalisé par Jean-Pierre Jeunet intitulé « Un long dimanche de fiançailles » ;
Sur l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l’Association des Producteurs indépendants et le Syndicat des Producteurs indépendants, qui ne sont pas, dans la présente instance, des parties perdantes, soient condamnées à verser à la SOCIETE 2003 PRODUCTIONS la somme qu’elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu’il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l’espèce, par application des mêmes dispositions, de condamner le Centre national de la cinématographie et la SOCIETE 2003 PRODUCTIONS à verser chacun une somme de 2 000 euros à l’Association des Producteurs indépendants et au Syndicat des Producteurs indépendants, au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
Sur la requête n° 05PA00029 :
Considérant que, par le présent arrêt, la Cour rejette la requête de la SOCIETE 2003 PRODUCTIONS et du Centre national de la cinématographie ; que la requête susvisée tendant au sursis à exécution du jugement attaqué est, dès lors, devenue sans objet ;
DECIDE :
Article 1er : Il n’y a pas lieu de statuer sur la requête à fin de sursis à exécution n° 05PA00029.
Article 2 : Les requêtes n°s 05PA00028 et 05PA00077 introduites par le Centre national de la cinématographie et la SOCIETE 2003 PRODUCTIONS sont rejetées.
Article 3 : Le Centre national de la cinématographie et la SOCIETE 2003 PRODUCTIONS sont condamnés à verser chacun une somme de 2 000 euros à l’Association des Producteurs indépendants et au Syndicat des Producteurs indépendants au titre des frais irrépétibles.
5
N° 04PA01159
M. PAUSE
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N°s 05PA00028, 05PA00029, 05PA00077