Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée le 14 janvier 2011, présentée pour la Société Le Bodan, dont le siège est situé au lieudit Le Bodan à Plaudren (56420), représentée par son président directeur général en exercice, et la SCA Union Pigalys, dont le siège est situé rue Maurice de Trésiguidy à Pleyben (29190), représentée par ses représentants légaux, par Me Charles, avocat au barreau de Versailles ; les sociétés requérantes demandent à la cour :
1°) d’annuler le jugement n° 08-285 du 10 novembre 2010 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande tendant à ce que l’Etat soit condamné à leur verser respectivement les sommes de 431 854,70 euros et 60 971,33 euros du fait de l’annulation de l’arrêté du préfet du Morbihan du 9 juillet 2001 autorisant la Société Le Bodan à exploiter un élevage de porcs comprenant 428 reproducteurs, 1500 porcs à l’engrais et 1320 porcelets ;
2°) de condamner l’Etat à verser la somme de 575 806,27 euros à la Société Le Bodan et la somme de 81 295,11 euros à la SCA Union Pigalys en réparation des préjudices qu’elles ont subis du fait de l’annulation de l’arrêté du 9 juillet 2001 du préfet du Morbihan ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 000 euros à leur verser à chacune au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l’environnement ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 5 octobre 2012 :
– le rapport de M. Millet, président-assesseur ;
– et les conclusions de Mme Grenier, rapporteur public ;
1. Considérant que par un arrêté du 3 avril 1985, le préfet du Morbihan a autorisé la Société Le Bodan à exploiter une porcherie de 1 366 animaux sur le territoire de la commune de Plaudren ; qu’afin de régulariser cet élevage sur la base des effectifs présents au 1er janvier 1994, le préfet du Morbihan a accordé, par un arrêté du 9 juillet 2001, une nouvelle autorisation d’exploitation à la Société Le Bodan pour un élevage de 3 048 animaux-équivalents ainsi que la réalisation d’une unité de traitement biologique des lisiers ; que par un jugement devenu définitif du 9 septembre 2004, le tribunal administratif de Rennes a annulé cet arrêté ; que la Société Le Bodan et son actionnaire, la SCA Union Pigalys ont formé un recours indemnitaire préalable, le 5 octobre 2007, tendant à ce que l’Etat soit condamné à leur verser respectivement les sommes de 431 854,70 euros et de 60 971,33 euros en réparation des préjudices qu’elles auraient subis du fait de l’illégalité de l’arrêté du 9 juillet 2001 ; que les Sociétés Le Bodan et Union Pigalys relèvent appel du jugement du 10 novembre 2010 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande tendant à l’annulation de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par l’Etat sur leur demande indemnitaire ; qu’en appel, la Société Le Bodan porte sa demande indemnitaire à la somme de 575 806,27 euros et la SCA Union Pigalys à la somme de 81 295,11 euros ;
Sur la responsabilité :
2. Considérant que, par un jugement du 9 septembre 2004 devenu définitif, le tribunal administratif de Rennes a annulé l’arrêté du 9 juillet 2001 du préfet du Morbihan au double motif tiré, d’une part, de l’insuffisance de l’étude d’impact sur les conséquences pour l’environnement de l’épandage de phosphore et, d’autre part, sur l’erreur d’appréciation du préfet du Morbihan à avoir délivré cette autorisation, compte tenu des dangers pour la santé et la salubrité publiques résultant des risques de pollution des eaux ; que la délivrance d’une autorisation d’exploitation illégale, par l’arrêté du 9 juillet 2001, constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat ;
Sur les préjudices de la Société Le Bodan et de la SCA Union Pigalys :
3. Considérant que seuls les dommages résultant de manière directe et certaine de l’illégalité fautive de l’Etat à avoir délivré une autorisation d’exploitation illégale, par l’arrêté du préfet du Morbihan du 9 juillet 2001, sont de nature à ouvrir aux sociétés requérantes un droit à indemnisation ;
En ce qui concerne les préjudices de la Société Le Bodan :
4. Considérant, en premier lieu, que la Société Le Bodan allègue qu’elle a subi un préjudice à hauteur de 297 068,21 euros résultant du coût de la construction d’une station de traitement biologique des lisiers, qui serait devenue inutile, dès lors que la diminution de son cheptel résultant de l’annulation de l’arrêté du 9 juillet 2001 pour revenir aux niveaux autorisés par l’arrêté du 3 avril 1985, réduit la production d’azote de l’élevage, qui est ainsi redevenue inférieure au seuil de traitement de la zone en excédent structurel de Grandchamp ; qu’elle ajoute que de ce fait elle n’a plus l’obligation de traiter ces effluents azotés ; qu’il résulte toutefois de l’instruction, et notamment des extraits du rapport de l’inspecteur des installations classées du 26 juin 2009, cité par la société requérante dans ses écritures, qu’à la suite de l’annulation de l’arrêté du 9 juillet 2001, la Société Le Bodan a opté pour l’épandage sur des surfaces voisines mises à disposition par des agriculteurs et volontairement » renoncé à l’utilisation de ses installations de traitement par voie biologique » ; qu’ainsi, la société requérante n’établit pas qu’elle serait dans l’impossibilité d’utiliser la station de traitement biologique dans le cadre de son exploitation restructurée ; que, par suite, le préjudice allégué ne présentant pas un caractère direct et certain avec l’illégalité fautive commise par l’Etat, la Société Le Bodan n’est pas fondée à demander à être indemnisée des frais résultant de la construction de cette installation qu’elle conserve ; que pour les mêmes motifs, sa demande tendant à être indemnisée des frais financiers du prêt bancaire qu’elle a dû effectuer pour financer la construction de cette installation doit être écartée ; que les coûts supplémentaires allégués par la société requérante liés à l’épandage de lisier brut en raison de l’impossibilité dans laquelle elle serait d’utiliser la station de traitement biologique en raison de la réduction de son cheptel ne sauraient être indemnisés, dès lors qu’ainsi qu’il a été dit, l’impossibilité de recourir au traitement biologique des effluents produits, n’est pas établie ;
5. Considérant, en second lieu, que s’agissant du préjudice résultant des pertes de revenus et des augmentations de charges subis par la Société Le Bodan et directement liées à l’illégalité fautive commise par l’Etat, il est constant qu’à la suite de l’annulation de l’arrêté du 9 juillet 2001, la société requérante a dû restructurer son élevage pour le ramener au niveau du cheptel autorisé par l’arrêté du 3 avril 1985, et notamment réduire le nombre de reproducteurs des 428 autorisés en 2001 aux 210 autorisés par l’arrêté de 1985 ; qu’il résulte toutefois de l’instruction, et notamment du rapport de la direction des services vétérinaires du 27 juin 2005, que si l’exploitation a diminué de 123 reproducteurs entre septembre et décembre 2004, la société requérante a cependant décidé, en janvier 2005, de vider complètement son élevage, sans se borner à le ramener au niveau de l’arrêté de 1985, afin de débuter un élevage de » multiplication génétique ligne femelle » avec l’introduction de 245 grandes parentales gravides ; qu’ainsi, ce choix de gestion, qui a entraîné des pertes de recettes importantes en 2005 et le recours à des travailleurs intérimaires, n’est pas directement imputable à l’illégalité fautive commise par l’Etat ; qu’il suit de là, que la demande de la société requérante tendant à l’indemnisation de la perte de marge brute résultant de la différence entre les résultats d’exploitation de 2005 et de 2004 et du surcoût de la masse salariale résultant du recours à des travailleurs intérimaires doit être rejetée ;
En ce qui concerne les préjudices de la SCA Union Pigalys :
6. Considérant, en premier lieu, que les frais engagés par la SCA Union Pigalys en vue de la délivrance de l’autorisation d’exploitation du 9 juillet 2001 ne peuvent trouver leur origine dans l’obtention de cette autorisation ;
7. Considérant, en deuxième lieu, que les frais d’étude et de réalisation de dossiers techniques en vue de la présentation d’une nouvelle demande au titre de la législation sur les installations classées, résultent, ainsi qu’il a été dit, du choix de la Société Le Bodan de débuter un élevage de multiplication génétique destiné à approvisionner des élevages traditionnels en animaux reproducteurs, qui est différent de l’élevage traditionnel autorisé par l’arrêté du 3 avril 1985 ; que, par suite, la charge de ces frais n’est pas directement imputable à l’illégalité fautive commise par l’Etat ;
8. Considérant, enfin, que la SCA Union Pigalys n’établit pas qu’elle aurait été contrainte de racheter l’ensemble des titres des actionnaires fondateurs à leur valeur nominale du fait de l’illégalité fautive de l’Etat et de la réduction consécutive de la taille de l’élevage de la Société Le Bodan ; qu’à cet égard, il ne résulte pas de l’instruction que les actionnaires fondateurs auraient demandé le rachat de l’ensemble de leurs titres et que la Société Le Bodan aurait été dans l’impossibilité de continuer à leur fournir des porcelets dans le cadre de la restructuration de son élevage ;
9. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de statuer sur la recevabilité des conclusions indemnitaires présentées par les sociétés requérantes, que la Société Le Bodan et la SCA Union Pigalys ne sont pas fondées à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’Etat, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la Société Le Bodan et la SCA Union Pigalys demandent à ce titre ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la Société Le Bodan et de la SCA Union Pigalys est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la Société Le Bodan, à la SCA Union Pigalys et au ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.
Copie en sera adressée pour information au préfet du Morbihan.
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N° 11NT00126