Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme G… C… a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner solidairement la commune de Villerville et la communauté de communes Coeur Côte Fleurie à lui verser la somme de 359 285 euros, majorée des intérêts légaux à compter du 29 décembre 2015, avec capitalisation des intérêts, en réparation des préjudices qu’elle estime avoir subis en raison de l’impossibilité pour la société dont elle était associée et gérante de réaliser un projet immobilier.
Par un jugement n° 1700371 du 16 avril 2018, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 15 juin 2018, le 13 septembre 2019 et le 25 septembre 2019, Mme C…, représentée par la SELARL LGP, demande à la cour :
1°) d’annuler le jugement du tribunal administratif de Caen du 16 avril 2018 ;
2°) de condamner solidairement la commune de Villerville et la communauté de communes Coeur Côte Fleurie à lui verser la somme de 359 285 euros, majorée des intérêts légaux à compter du 29 décembre 2015, avec capitalisation des intérêts ;
3°) de mettre à la charge solidaire de la commune de Villerville et de la communauté de communes Coeur Côte Fleurie une somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– le tribunal n’a pas sérieusement examiné la note en délibéré produite le 30 mars 2018 ;
– la SARL Arecim, dont elle était la gérante et l’associée majoritaire, induite en erreur par le zonage du plan d’occupation des sols et la note de renseignement délivrée le 11 février 2004, a procédé à l’acquisition d’un tènement immobilier qu’elle destinait à la réalisation d’un ensemble touristique ;
– cette opération n’ayant pu être réalisée, du fait de l’inconstructibilité des terrains qu’elle a acquis, la société a connu des difficultés telles que sa liquidation judiciaire a été prononcée ;
– il en a résulté des préjudices qu’elle a personnellement subis tenant à la perte de ses apports personnels, un manque à gagner en matière de rémunération ainsi qu’un préjudice moral ;
– c’est à tort que le tribunal a totalement exonéré la commune de Villerville et la communauté de communes Côte Coeur Fleurie aux motifs, d’une part, qu’elle aurait eu connaissance, lors de l’acquisition, du caractère non constructible des terrains qu’elle aurait d’ailleurs en réalité acquis au prix de parcelles inconstructibles et, d’autre part, de l’imprudence dont elle aurait fait preuve ;
– à supposer que la prescription ait commencé à compter du 1er janvier 2009, elle a été interrompue par le recours contentieux formé contre l’arrêté du 19 juin 2012 refusant la délivrance du permis de construire demandé par M. E….
Par des mémoires en défense, enregistrés le 31 juillet 2019 et le 19 septembre 2019, la commune de Villerville, représentée par Me A…, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête de Mme C… ;
2°) de rejeter sa demande comme irrecevable ou, à défaut, comme non fondée ;
3°) à titre subsidiaire, de condamner l’Etat à la garantir de toute condamnation susceptible d’être prononcée à son encontre ;
4°) de mettre à la charge de la requérante une somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
– la requérante ne justifie pas d’un intérêt à agir dès lors que la perte d’apport dont elle demande réparation n’est pas distinct des préjudices qu’aurait subis la société ;
– la créance, à la supposer établie, est prescrite ;
– la demande de première instance était excessivement tardive ;
– la SARL Arecim et la requérante, lesquelles doivent être regardées comme des professionnelles de l’immobilier, ont fait montre d’une imprudence fautive ;
– la seule circonstance qu’un projet ait été refusé sur le fondement de l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme ne démontre pas l’illégalité du classement du terrain d’assiette en zone NA ;
– la note de renseignement indique qu’était applicable aux terrains considérés le plan d’occupation des sols, lequel fait état de l’applicabilité de la loi Littoral ;
– le cas échéant, l’Etat devra la garantir des condamnations prononcées à son encontre dès lors que le classement en cause est intervenu avec l’accord du préfet.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 31 juillet 2019 et le 19 septembre 2019, la communauté de communes Coeur Côte Fleurie, représentée par Me A…, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête de Mme C… ;
2°) de rejeter sa demande comme irrecevable ou, à défaut, comme non fondée ;
3°) à titre subsidiaire, de condamner l’Etat à la garantir de toute condamnation susceptible d’être prononcée à son encontre ;
4°) de mettre à la charge de la requérante une somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
– la requérante ne justifie pas d’un intérêt à agir dès lors que la perte d’apport dont elle demande réparation n’est pas distinct des préjudices qu’aurait subis la société ;
– la créance, à la supposer établie, est prescrite ;
– la demande de première instance était excessivement tardive ;
– la SARL Arecim et la requérante, lesquelles doivent être regardées comme des professionnelles de l’immobilier, ont fait montre d’une imprudence fautive ;
– la seule circonstance qu’un projet ait été refusé sur le fondement de l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme ne démontre pas l’illégalité du classement du terrain d’assiette en zone NA ;
– la note de renseignement indique qu’était applicable aux terrains considérés le plan d’occupation des sols, lequel fait état de l’applicabilité de la loi Littoral ;
– le cas échéant, l’Etat devra la garantir des condamnations prononcées à son encontre dès lors que le classement en cause est intervenu avec l’accord du préfet.
Par un mémoire, enregistré le 6 septembre 2019, le ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales conclut au rejet des conclusions à fin de garantie présentées par la commune de Villerville et la communauté de communes Coeur Côte Fleurie.
Vu :
– les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code de l’urbanisme ;
– la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme F…,
– les conclusions de M. Derlange, rapporteur public,
– les observations de Me B… représentant Mme C… et les observations de Me A… représentant la commune de Villerville et la communauté de communes Coeur Côte Fleurie.
Une note en délibéré présentée par Mme C… a été enregistrée le 3 octobre 2019.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C… relève appel du jugement du 16 avril 2018 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à la condamnation solidaire de la commune de Villerville et de la communauté de communes Coeur Côte Fleurie à l’indemniser des préjudices qu’elle estime avoir subis du fait des difficultés financières rencontrées par la société Arecim, dont elle était actionnaire majoritaire et gérante, résultant des fautes commises par l’administration dans le classement des parcelles que cette société a acquises le 30 avril 2004 et les informations fournies par la note de renseignement délivrée le 11 février 2004.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. D’une part, une note en délibéré produite après l’audience publique, mais avant la lecture du jugement, enregistrée au greffe de la juridiction et versée au dossier doit être présumée avoir été examinée. D’autre part, lorsqu’il est saisi, postérieurement à la clôture de l’instruction et au prononcé des conclusions du rapporteur public, d’une note en délibéré émanant d’une des parties à l’instance, il appartient dans tous les cas au juge administratif d’en prendre connaissance avant la séance au cours de laquelle sera rendue la décision. S’il a toujours la faculté, dans l’intérêt d’une bonne justice, de rouvrir l’instruction et de soumettre au débat contradictoire les éléments contenus dans la note en délibéré, il n’est tenu de le faire à peine d’irrégularité de sa décision que si cette note contient l’exposé soit d’une circonstance de fait dont la partie qui l’invoque n’était pas en mesure de faire état avant la clôture de l’instruction et que le juge ne pourrait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts soit d’une circonstance de droit nouvelle ou que le juge devrait relever d’office.
3. Il ressort du dossier de procédure, notamment des visas du jugement attaqué, que le 30 mars 2018, soit postérieurement à l’audience publique qui s’est tenue le 29 mars 2018, le greffe du tribunal administratif de Caen a enregistré une note en délibéré présentée par Mme C…. La circonstance que cette production avait pour objet d’apporter des observations sur des considérations exposées par le rapporteur public au cours de l’audience sans qu’elles n’aient préalablement été évoquées par les parties ne suffit pas à faire regarder cette note comme contenant l’exposé d’une circonstance de fait dont Mme C… n’était pas en mesure de faire état avant la clôture de l’instruction et que le tribunal ne pouvait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts ni, par suite, comme impliquant une réouverture de l’instruction à laquelle le tribunal se serait à tort abstenu de procéder. Par ailleurs, les précisions apportées dans la note en délibéré concernaient non pas la matérialité de certains faits mais l’appréciation portée sur eux par le rapporteur public s’agissant d’un prix d’acquisition des terrains correspondant à la valeur de terres non constructibles et de la connaissance qu’en avait la société Arecim. Dans ces conditions, le tribunal n’était pas tenu, après avoir pris connaissance de la note en délibéré, produite le 30 mars 2018, de rouvrir l’instruction.
Sur les conclusions indemnitaires :
4. Il résulte de l’instruction que, par acte authentique de vente du 30 avril 2004, auquel était annexée une note de renseignement délivrée le 11 février 2004 par le maire de Villerville, la société Arecim, en cours de constitution, a fait l’acquisition, moyennant un prix de 945 184 euros, d’un ensemble immobilier, d’une contenance de près de huit hectares, situé quartier du Grand Bec à Villerville (Calvados). Les terrains considérés étaient alors classés pour partie, en zone ND du plan d’occupation des sols de Trouville Deauville et du canton et, pour partie, en zone NA. La société a, entre 2004 et 2009, cédé deux portions de son ensemble immobilier et sollicité plusieurs permis de construire et certificats d’urbanisme. Le 4 novembre 2010, elle a signé une promesse de vente sous la condition suspensive de l’obtention par l’acquéreur, avant le 30 juillet 2011, d’un permis de construire une résidence de tourisme composée au minimum de 80 logements et au maximum de 100 logements pour une S.H.O.N comprise entre 4 000 et 5 000 mètres carrés. L’intéressé a, le 18 avril 2011 puis le 27 novembre 2011, formé deux demandes de permis de construire qui ont été rejetées par des arrêtés, respectivement, du 4 octobre 2011 et du 19 juin 2012, fondés sur la non-conformité du projet aux dispositions de l’article L. 146-4, alors en vigueur, du code de l’urbanisme. Le recours contentieux formé contre le second arrêté a été définitivement rejeté par un arrêt de la cour du 27 juin 2014. Par courriers signifiés le 30 décembre 2015 au maire de Villerville et au président de la communauté de communes Coeur Côte Fleurie, Mme C… a demandé à être indemnisée des préjudices qu’elle estime avoir subis du fait des difficultés financières rencontrées par la société, laquelle a fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire, résultant selon la requérante de l’impossibilité de réaliser le projet de promotion immobilière en vue duquel elle avait procédé à l’acquisition des terrains.
En ce qui concerne la responsabilité :
5. D’une part, il résulte de l’instruction que, à l’exception du tènement cédé au département du Calvados en 2007, les parcelles appartenant à la SARL Arecim étaient classées en zone NA dont le règlement autorisait les » opérations de construction ou de lotissement à usage d’habitations comprenant ou non des commerces et services » alors pourtant que, ainsi que l’a relevé la cour, dans son arrêt du 27 juin 2014, les terrains considérés ne se situent pas en continuité avec les agglomération ou villages existants au sens des dispositions du I de l’article L. 146-4, alors en vigueur, du code de l’urbanisme, ni dans une zone destinée, par la règlementation d’urbanisme applicable à la commune, à accueillir un hameau nouveau. L’illégalité dont est entaché ce classement est constitutif d’une faute de nature à engager la responsabilité de l’administration.
6. D’autre part, la note de renseignement délivrée par le maire de Villerville le 11 février 2004 ne comporte aucune mention relative aux prescriptions particulières découlant des dispositions de la loi d’aménagement et d’urbanisme du 3 janvier 1986, dite » loi littoral « . La circonstance que la note faisait état du plan d’occupation des sols, lequel se référait à la loi mentionnée ci-dessus ne saurait suppléer la lacune dont sont entachés les renseignements fournis. Le caractère incomplet de la note délivrée le 11 février 2004, qui a été de nature à induire ses destinataires en erreur, caractérise ainsi une faute de l’administration.
En ce qui concerne les préjudices :
7. L’actionnaire d’une société à l’égard de laquelle une personne publique a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ne peut prétendre à une indemnisation que s’il justifie d’un préjudice personnel, distinct du préjudice dont la société pourrait obtenir réparation et directement imputable à la faute commise.
8. En premier lieu, en admettant même que les difficultés financières rencontrées par la société Arecim et qui ont conduit à la liquidation judiciaire de cette dernière soient exclusivement imputables aux fautes commises par l’administration, l’atteinte portée au capital social d’une société et, par suite, la perte des apports des actionnaires, ne constitue pas un préjudice qui leur est personnel.
9. En deuxième lieu, il résulte de l’instruction que, par un contrat de gestion conclu le 20 juillet 2004 entre la société Arecim et Mme C… en sa qualité de gérante, il a été convenu de verser à cette dernière, à titre de rémunération, une somme de 18 240 euros à verser en deux fois au cours de l’année 2004. Il résulte de l’attestation établie le 20 mars 2018 par M. D…, expert-comptable, que la rémunération prévue a été effectivement versée à Mme C…. Le préjudice résultant des rémunérations postérieures que la requérante aurait pu percevoir si la société n’avait pas rencontré de difficultés financières ne présente qu’un caractère éventuel. Il n’est ainsi pas indemnisable.
10. En troisième lieu, le préjudice moral allégué n’est pas établi.
11. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner les fins de non-recevoir et l’exception de prescription quadriennale soulevées par la commune de Villerville et la communauté de communes Coeur Côte Fleurie, que Mme C… n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’il soit mis à la charge de la commune de Villerville et de la communauté de communes Coeur Côte Fleurie, lesquelles ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, la somme que demande Mme C… au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la requérante le versement à la commune de Villerville, d’une part, et de la communauté de communes Coeur Côte Fleurie, d’autre part, de la somme de 1 000 euros chacune au titre des frais de même nature qu’elles ont supportés.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme C… est rejetée.
Article 2 : Mme C… versera à la commune de Villerville et à la communauté de communes Coeur Côte Fleurie la somme de 1 000 euros, pour chacune, sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme G… C…, la commune de Villerville, la communauté de communes Coeur Côte Fleurie et le ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Délibéré après l’audience du 1er octobre 2019, à laquelle siégeaient :
– Mme Brisson, président,
– M. Giraud, premier conseiller,
– Mme F…, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 21 octobre 2019.
Le rapporteur,
K. F…
Le président,
C. BRISSONLe greffier,
A. BRISSET
La République mande et ordonne au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.
2
N° 18NT02354