Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Elho Fruits a demandé au tribunal administratif de Montpellier de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos les 30 septembre 2010 à 2013.
Par un jugement n° 1600918 du 16 octobre 2017, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 21 novembre 2017, la société Elho Fruits, représentée par Me B…, demande à la Cour :
1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 16 octobre 2017 ;
2°) de prononcer la décharge des impositions en litige ;
3°) de saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle sur la contrariété de l’article 44 sexies du code général des impôts, en ce qu’il refuse l’exonération à une société française nouvellement créée, en raison de la détention indirecte de son capital par l’administrateur d’une société espagnole dont la création est très antérieure, avec le principe communautaire de libre circulation des capitaux posé par les articles 63 et 65 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et sur l’application de l’article 44 sexies du code général des impôts à une société de droit espagnol sans lien de détention directe dans une société de droit français ;
4°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 10 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– en commençant les opérations de contrôle de la société avant l’envoi d’un avis de vérification, l’administration a entaché d’irrégularité la procédure au regard des dispositions de l’article L. 47 du livre des procédures fiscales ;
– les propositions de rectification des 13 décembre 2013 et 28 juillet 2014 sont insuffisamment motivées, en méconnaissance des dispositions des articles L. 55 et L. 57 du livre des procédures fiscales ;
– l’administration a fait une inexacte application des dispositions de l’article 44 sexies du code général des impôts en estimant que la société ne remplissait pas les conditions auxquelles est subordonné le bénéfice de l’exonération d’impôt sur les sociétés prévue au profit des entreprises nouvelles ;
– son unique actionnaire, M. A…, n’exerçant plus de fonction d’encadrement au sein de la société Sofruce depuis le 16 janvier 2010 et ayant signé le protocole d’accord valant rupture conventionnelle de son contrat de travail le 10 décembre 2009, elle pouvait demander l’exonération prévue par l’article 44 sexies du code général des impôts dès le premier exercice clos le 31 décembre 2010 ;
– par ailleurs, la détention de parts par M. A… dans la société Sabor de Valencia, société espagnole, ne saurait être invoquée sans méconnaître les stipulations des articles 63 et 65 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ainsi que les dispositions du droit espagnol et les stipulations de la convention franco-espagnole.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 mars 2018, le ministre de l’action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société Elho Fruits ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
– le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;
– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus, au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme Carotenuto,
– et les conclusions de M. Ringeval, rapporteur public.
1. Considérant qu’à la suite d’un contrôle sur pièces et d’une vérification de comptabilité de la société Elho Fruits, dont M. A… est l’associé unique, l’administration a remis en cause le bénéfice du régime d’exonération institué par l’article 44 sexies du code général des impôts au profit de certaines entreprises nouvelles, sous lequel cette société s’était placée ; que la société Elho Fruits relève appel du jugement du 16 octobre 2017 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos les 30 septembre 2010 à 2013 ;
Sur la régularité de la procédure d’imposition :
2. Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article L. 47 du livre des procédures fiscales : » Un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle d’une personne physique au regard de l’impôt sur le revenu, une vérification de comptabilité ou un examen de comptabilité ne peut être engagé sans que le contribuable en ait été informé par l’envoi ou la remise d’un avis de vérification ou par l’envoi d’un avis d’examen de comptabilité. (…) » ;
3. Considérant qu’il ne résulte pas de l’instruction et notamment des mentions de la proposition de rectification du 13 décembre 2013 concernant les exercices clos les 30 septembre 2010, 2011 et 2012 adressée à la société Elho Fruits que les impositions mises à la charge de cette dernière procèderaient d’une vérification de comptabilité ; que l’administration, qui n’a pas procédé à un examen critique des documents comptables, s’est bornée à exploiter les informations publiées au registre du commerce concernant notamment la société Sabor de Valencia, recueillies en consultant la base de données Orbis où figure un extrait de ce registre paru le 8 mars 2010, portant la mention » mise à jour 11705 – 21/11/2013 « , faisant apparaître que M. A… était l’actionnaire unique de cette entreprise de droit espagnol ; que l’administration ne peut donc être regardée comme ayant commencé la vérification de comptabilité de la société Elho Fruits avant le 11 mars 2014, date à laquelle cette société s’est vue notifier un avis de vérification ; que la circonstance que les informations relatives à la société Sabor de Valencia n’auraient pas été soumises à un débat contradictoire lors des opérations de contrôle n’est pas de nature à entacher d’irrégularité la procédure d’imposition ; que par suite, la société requérante n’est pas fondée à soutenir qu’elle a été privée des garanties du contribuable liées à la mise en oeuvre d’une vérification de comptabilité prévues par l’article L. 47 du livre des procédures fiscales ;
4. Considérant, en second lieu, qu’aux termes de l’article L. 55 du livre des procédures fiscales : » (…) lorsque l’administration des impôts constate une insuffisance, une inexactitude, une omission ou une dissimulation dans les éléments servant de base au calcul des impôts, droits, taxes, redevances ou sommes quelconques dues en vertu du code général des impôts (…) les rectifications correspondantes sont effectuées suivant la procédure de rectification contradictoire définie aux articles L. 57 à L. 61 A. (…) » ; que selon l’article L. 57 du même livre : » L’administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation (…) » ; qu’il résulte de ces dispositions que, pour être régulière, une proposition de rectification doit comporter la désignation de l’impôt concerné, de l’année d’imposition et de la base d’imposition et énoncer les motifs sur lesquels l’administration entend se fonder pour justifier les rectifications envisagées, de façon à permettre au contribuable de formuler utilement ses observations ; qu’en revanche, sa régularité ne dépend pas du bien-fondé de ces motifs ;
5. Considérant que les propositions de rectification des 13 décembre 2013 et 28 juillet 2014 adressées à la société Elho Fruits mentionnent que les rectifications envisagées concernent l’impôt sur les sociétés au titre des exercices clos, respectivement, les 30 septembre 2010, 2011, 2012 et le 30 septembre 2013, et comprennent l’exposé des motifs de droit et de fait retenus par l’administration pour justifier ces rectifications et plus précisément qu’à la date de la création de la société requérante, M. A… exerçait des fonctions d’encadrement au sein de la SAS Sofruce, qu’il était également dirigeant de la société espagnole Sabor de Valencia dont il détenait 100 % des parts, que ces deux sociétés exercent la même activité que la société Elho Fruits et qu’ainsi, cette dernière ne remplissait pas les conditions posées par l’article 44 sexies du code général des impôts pour bénéficier de l’exonération des bénéfices des entreprises nouvelles ; qu’ainsi, les deux propositions de rectification contenaient tous les éléments d’information nécessaires pour permettre à la société requérante de formuler utilement ses observations, ce qu’elle a d’ailleurs fait ; que les circonstances que ces propositions de rectification comporteraient des imprécisions et auraient été établies en l’absence d’éléments de preuve suffisants, demeurent… ; qu’il s’ensuit que le moyen tiré de l’insuffisance de motivation des propositions de rectification doit être écarté ;
Sur le bien-fondé de l’imposition :
6. Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article 44 sexies du code général des impôts : » I. Les entreprises soumises de plein droit ou sur option à un régime réel d’imposition de leurs résultats et qui exercent une activité industrielle, commerciale ou artisanale au sens de l’article 34 sont exonérées d’impôt sur le revenu ou d’impôt sur les sociétés à raison des bénéfices réalisés, à l’exclusion des plus-values constatées lors de la réévaluation des éléments d’actif, jusqu’au terme du vingt-troisième mois suivant celui de leur création et déclarés selon les modalités prévues à l’article 53 A. (…). II. Le capital des sociétés nouvellement créées ne doit pas être détenu, directement ou indirectement, pour plus de 50 % par d’autres sociétés. Pour l’application du premier alinéa, le capital d’une société nouvellement créée est détenu indirectement par d’autres sociétés lorsque l’une au moins des conditions suivantes est remplie : a – un associé exerce en droit ou en fait une fonction de direction ou d’encadrement dans une autre entreprise, lorsque l’activité de celle-ci est similaire à celle de l’entreprise nouvellement créée ou lui est complémentaire ; b – un associé détient avec les membres de son foyer fiscal 25 % au moins des droits sociaux dans une autre entreprise dont l’activité est similaire à celle de l’entreprise nouvellement créée ou lui est complémentaire. (…) » ; qu’il résulte de ces dispositions que la condition prévue au II de l’article 44 sexies du code général des impôts doit être remplie dès la création de l’entreprise nouvelle, laquelle s’entend de celle à laquelle elle a effectivement commencé à exercer son activité, et à tout moment de son existence, aussi longtemps que l’intéressée entend bénéficier de l’allègement fiscal prévu au I du même article ;
7. Considérant que, sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve au contribuable, il appartient au juge de l’impôt d’apprécier, au vu de l’instruction, si la situation du contribuable entre dans le champ de l’assujettissement à l’impôt ou, le cas échéant, s’il remplit les conditions légales d’une exonération ;
8. Considérant qu’il résulte de l’instruction que M. A… est l’actionnaire unique de la société Elho Fruits, créée le 1er décembre 1999 sous forme de société par actions simplifiée unipersonnelle ; que M. A… est également dirigeant de la société espagnole Sabor de Valencia, créée le 31 décembre 1996, dont il détient 100 % des parts et qui exerce la même activité de commerce de gros de fruits et légumes que la société Elho Fruits ; qu’ainsi, dès la date de sa création, la société Elho Fruits doit être regardée comme détenue indirectement, pour plus de 50 %, par une autre société ; que la circonstance que la société Sabor de Valencia est de droit espagnol est sans incidence sur l’appréciation de la condition relative à la détention de droits sociaux fixée par les dispositions du II de l’article 44 sexies ; que l’administration était donc fondée, pour ce seul motif, à refuser à la société requérante le bénéfice de l’exonération prévue par les dispositions citées de l’article 44 sexies ;
9. Considérant, en deuxième lieu, qu’aux termes de l’article 63 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne : » 1. Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites. / (…) » ; qu’aux termes de son article 65 : » 1. L’article 63 ne porte pas atteinte au droit qu’ont les Etats membres : / a) d’appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis; / (…) 3. Les mesures et procédures visées aux paragraphes 1 et 2 ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements telle que définie à l’article 63. (…) » ; que la mise en oeuvre des dispositions de l’article 44 sexies du code général des impôts n’a ni pour objet, ni pour effet d’introduire une différence de traitement entre contribuables selon leur Etat de résidence, ni, par conséquent de constituer, même indirectement, une restriction à la libre circulation des capitaux prohibée, en principe, par les stipulations communautaires précitées ; que, par suite, la société Elho Fruits n’est pas fondée à soutenir que le principe communautaire de libre circulation des capitaux a été méconnu ;
10. Considérant, en dernier lieu, qu’en se bornant à invoquer la méconnaissance des » dispositions de droit espagnol » et la » convention franco-espagnole « , dont elle ne précise d’ailleurs pas le contenu, la société requérante ne permet pas à la Cour d’apprécier le bien-fondé de ce moyen ;
11. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède, et sans qu’il y ait lieu de saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle, que la société Elho Fruits n’est pas fondée à se plaindre de ce que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l’Etat qui n’a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à la société Elho Fruits la somme qu’elle réclame au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société Elho Fruits est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Elho Fruits et au ministre de l’action et des comptes publics.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal sud-est.
Délibéré après l’audience du 22 mai 2018, où siégeaient :
– M. Antonetti, président,
– Mme Chevalier-Aubert, président assesseur,
– Mme Carotenuto, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 5 juin 2018.
6
N° 17MA04550
mtr