CAA de PARIS, 3ème chambre, 25/02/2022, 20PA00385, Inédit au recueil Lebon

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CAA de PARIS, 3ème chambre, 25/02/2022, 20PA00385, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête et quatre mémoires enregistrés les 3 février 2020, 14 mai 2020, 26 juin 2020, 4 juin 2021 et 24 août 2021, la société de télévision multilocale (STM) du Nord-Pas-de-Calais, représentée par Mes Pichon et Deschryver, SELARL Cornet-Vincent-Segurel, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d’annuler la décision n° 2019-LI-02 du 16 juillet 2019 du comité territorial de l’audiovisuel (CTA) de Lille autorisant le changement de dénomination de  » Grand Lille TV  » en  » BFM Grand Lille « , la décision implicite de rejet de son recours préalable exercé devant le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) le 4 octobre 2019, ainsi que la décision du 12 mars 2020 par laquelle le CSA a confirmé le rejet de son recours ;

2°) de mettre à la charge du CSA la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

– il n’appartenait pas au CTA de Lille d’examiner la demande de changement de dénomination formée par la société Grand Lille TV, dès lors qu’il ne s’agit pas d’une modification non substantielle des éléments de l’autorisation qui lui a été accordée ;

– la décision du CTA de Lille n’est pas motivée, et elle vise à tort les articles 28-3 et

42-3 de la loi du 30 septembre 1986, alors que ces dispositions sont sans rapport avec la décision prise ;

– cette décision a été prise au terme d’une procédure irrégulière, faute de procédure contradictoire, d’instruction suffisante de la demande et d’étude d’impact ;

– le changement de dénomination du service exploité par la société Grand Lille TV est une modification substantielle qui ne pouvait légalement être autorisée, dès lors qu’elle est de nature à bouleverser le marché existant et à porter atteinte à la convention conclue entre le CSA et la société Grand Lille TV, ainsi qu’aux principes garantis par le CSA ;

– la décision litigieuse est entachée d’erreur de droit en ce qu’elle emporte un changement de contrôle opérationnel du service, au profit du groupe Altice.

Par un mémoire enregistré le 18 mai 2020, le CSA conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

– les conclusions à fin d’annulation de la décision du comité territorial de l’audiovisuel de Lille du 16 juillet 2019 ainsi que de la décision implicite de rejet du recours préalable de la STM du Nord-Pas-de-Calais sont irrecevables ;

– les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

Par deux mémoires enregistrés les 4 mai 2021 et 23 juillet 2021, la société Grand Lille TV, représentée par la SCP Spinosi, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la société requérante sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

La clôture de l’instruction est intervenue le 30 août 2021.

Vu :

– le code de commerce ;

– la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;

– le décret n° 2011-732 du 24 juin 2011 ;

– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de Mme A…,

– les conclusions de Mme Jimenez, rapporteure publique,

– les observations de Me Pilorge, représentant la STM du Nord-Pas-de-Calais,

– et les observations de Me Fodil-Cherif, représentant la société Grand Lille TV.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 7 avril 2009, la société Grand Lille TV a été autorisée à utiliser une ressource radioélectrique pour l’exploitation d’un service privé de télévision à vocation locale nommé  » Grand Lille TV « , sur la zone de Lille, par voie hertzienne terrestre et en mode analogique. Par une décision du 15 janvier 2013, cette autorisation a été accordée pour dix ans à compter du 2 avril 2013, en mode numérique, puis par une décision du 23 mars 2016, en mode numérique et en haute définition. Par une décision du 16 juillet 2019 modifiant la décision du 15 janvier 2013, le CTA de Lille a autorisé le changement de dénomination du service, de  » Grand Lille TV  » en  » BFM Grand Lille « . La société de télévision multilocale (STM) du Nord-Pas-de-Calais, qui exploite dans la même zone un service de télévision à vocation locale nommé  » Wéo « , a demandé au CSA, par courrier du 4 octobre 2019, d’annuler la décision du 16 juillet 2019. Une décision implicite de rejet est née le 4 décembre 2019 du silence gardé par le CSA sur cette demande. Par une décision expresse du 4 mars 2020, le CSA a rejeté la demande de la société requérante. Cette dernière demande à la cour d’annuler la décision du CTA de Lille du 16 juillet 2019, la décision implicite de rejet de son recours et la décision du CSA du 4 mars 2020.

Sur les conclusions à fin d’annulation dirigées contre la décision du CTA de Lille du 16 juillet 2019 et contre la décision implicite du CSA née le 4 décembre 2019 :

2. Aux termes de l’article 20 du décret du 24 juin 2011 relatif aux comités techniques prévus à l’article 29-3 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté de communication :  » Préalablement à l’exercice d’un recours contentieux devant la juridiction administrative compétente, les décisions des comités territoriaux de l’audiovisuel font l’objet d’un recours devant l’assemblée plénière du Conseil supérieur de l’audiovisuel dans le délai de deux mois à compter de leur notification ou de leur publication. / La saisine du Conseil supérieur de l’audiovisuel conserve le délai du recours contentieux jusqu’à l’intervention de sa décision. / La procédure définie au présent article s’applique également aux tiers intéressés. « .

3. Les conclusions de la société requérante dirigées contre la décision du CSA du 4 décembre 2019, qui est née du silence gardé par celui-ci sur le recours administratif préalable obligatoire dont elle l’a saisi contre la décision du 16 juillet 2019 du CTA de Lille, à laquelle elle s’est substituée, doivent être regardées comme dirigées contre la seule décision expresse du 4 mars 2020, qui s’est elle-même substituée, en cours d’instance, à cette décision tacite.

Sur la légalité de la décision du 4 mars 2020 :

4. En premier lieu, il résulte des dispositions énoncées au point 2 du présent arrêt et de ce qui a été dit au point 3 que les moyens dirigés contre les vices propres de la décision du 16 juillet 2019 du CTA de Lille, tirés de l’incompétence, du défaut de motivation et d’erreurs affectant les visas de ladite décision, ne peuvent qu’être écartés comme inopérants.

5. En deuxième lieu, aux termes de l’article 42-3 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, dans sa rédaction alors en vigueur :  » L’autorisation peut être retirée, sans mise en demeure préalable, en cas de modification substantielle des données au vu desquelles l’autorisation avait été délivrée, notamment des changements intervenus dans la composition du capital social ou des organes de direction et dans les modalités de financement. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel ne peut cependant agréer une modification du contrôle direct ou indirect, au sens de l’article L. 233-3 du code de commerce, de la société titulaire d’une autorisation délivrée en application de l’article 30-1 de la présente loi intervenant dans un délai de cinq ans à compter de cette délivrance, sauf en cas de difficultés économiques menaçant la viabilité de cette société. / Dans le respect des critères mentionnés à l’article 29, notamment le juste équilibre entre les réseaux nationaux et les services locaux, régionaux et thématiques indépendants, le Conseil supérieur de l’audiovisuel peut donner son agrément à un changement de titulaire d’autorisation pour la diffusion de services de radio lorsque ce changement bénéficie à la personne morale qui contrôle ou qui est contrôlée par le titulaire initial de l’autorisation au regard des critères figurant à l’article L. 233-3 du code de commerce. A l’occasion de ce changement de titulaire de l’autorisation, le conseil peut, dans les mêmes conditions, donner son agrément à un changement de la catégorie pour laquelle le service est autorisé. Ce changement ne peut être agréé hors appel aux candidatures par le Conseil supérieur de l’audiovisuel s’il est incompatible avec la préservation des équilibres des marchés publicitaires, notamment locaux. / Ce changement de titulaire de l’autorisation n’est pas ouvert aux services mentionnés à l’article 80 et aux services locaux, régionaux et thématiques indépendants. / Sous réserve du respect des articles 1er et 3-1, le Conseil supérieur de l’audiovisuel peut, par décision motivée, donner son agrément à une modification des modalités de financement lorsqu’elle porte sur le recours ou non à une rémunération de la part des usagers. Préalablement à sa décision, il procède à une étude d’impact, notamment économique, rendue publique dans le respect du secret des affaires. Il procède aussi à l’audition publique du titulaire et entend les tiers qui le demandent. Cette modification de l’autorisation peut être agréée si les équilibres du marché publicitaire des services de télévision hertzienne terrestre sont pris en compte. / Sans préjudice de l’application du premier alinéa, tout éditeur de services détenteur d’une autorisation délivrée en application des articles 29, 29-1, 30-1, 30-5 et 96 doit obtenir un agrément du Conseil supérieur de l’audiovisuel en cas de modification du contrôle direct ou indirect, au sens de l’article L. 233-3 du code de commerce, de la société titulaire de l’autorisation. Cet agrément fait l’objet d’une décision motivée et est délivré en tenant compte du respect par l’éditeur, lors des deux années précédant l’année de la demande d’agrément, de ses obligations conventionnelles relatives à la programmation du service. (…) « . Par ailleurs, aux termes de l’article L. 233-3 du code de commerce :  » I.- Toute personne, physique ou morale, est considérée, pour l’application des sections 2 et 4 du présent chapitre, comme en contrôlant une autre : / 1° Lorsqu’elle détient directement ou indirectement une fraction du capital lui conférant la majorité des droits de vote dans les assemblées générales de cette société ; / 2° Lorsqu’elle dispose seule de la majorité des droits de vote dans cette société en vertu d’un accord conclu avec d’autres associés ou actionnaires et qui n’est pas contraire à l’intérêt de la société ; / 3° Lorsqu’elle détermine en fait, par les droits de vote dont elle dispose, les décisions dans les assemblées générales de cette société ; / 4° Lorsqu’elle est associée ou actionnaire de cette société et dispose du pouvoir de nommer ou de révoquer la majorité des membres des organes d’administration, de direction ou de surveillance de cette société. / II.- Elle est présumée exercer ce contrôle lorsqu’elle dispose directement ou indirectement, d’une fraction des droits de vote supérieure à 40 % et qu’aucun autre associé ou actionnaire ne détient directement ou indirectement une fraction supérieure à la sienne. / III.- Pour l’application des mêmes sections du présent chapitre, deux ou plusieurs personnes agissant de concert sont considérées comme en contrôlant conjointement une autre lorsqu’elles déterminent en fait les décisions prises en assemblée générale. « . Enfin, aux termes de l’article 4 du décret du 24 juin 2011 relatif aux comités techniques prévus à l’article 29-3 de cette loi :  » I. – Dans des conditions fixées par délibération de l’assemblée plénière du Conseil supérieur de l’audiovisuel, les comités peuvent statuer dans les domaines suivants : / (…) 2° Les demandes de modification non substantielle des éléments de l’autorisation ou de la convention ; (…) « .

6. La STM du Nord-Pas-de-Calais soutient que le changement de dénomination du service exploité par la société Grand Lille TV, de  » Grand Lille TV  » en  » BFM Grand Lille « , constitue une modification substantielle des éléments de l’autorisation accordée à cette dernière, dès lors que ce changement est de nature à bouleverser le marché existant dans la zone concernée et à porter ainsi atteinte à la convention conclue entre le CSA et la société Grand Lille TV, ainsi qu’aux principes garantis par le CSA. La société requérante fait en outre valoir que le changement litigieux emporte nécessairement un changement de contrôle opérationnel du service au profit du groupe Altice, propriétaire de la société dont relève la chaîne BFM TV. Aucun des éléments produits au dossier ne permet toutefois de tenir pour établies les conséquences alléguées de la décision attaquée sur l’équilibre du marché publicitaire local, purement éventuelles, ou sur les perspectives d’exploitation du service de télévision concurrent exploité par la STM du Nord-Pas-de-Calais. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que le changement de nom de la chaîne exploitée par la société Grand Lille TV serait de nature à remettre en cause sa vocation locale, le contenu de ses programmes n’étant pas modifié. Par ailleurs, il est constant que le changement de dénomination contesté n’emporte pas, par lui-même, d’effets sur le capital de la société Grand Lille TV à la date de la décision contestée, au regard des critères fixés par les dispositions précitées de l’article L. 233-3 du code de commerce, auxquelles renvoie l’article 42-3 de la loi du 30 septembre 1986. Un courrier du 12 mars 2020 du groupe Altice indique à cet égard que la société Grand Lille TV reste détenue à 55 % par le groupe Secom. La circonstance que la chaîne BFM Grand Lille a diffusé, durant la période de confinement sanitaire de mars et avril 2020, des programmes produits par la chaîne nationale BFM TV est sans incidence sur le contrôle capitalistique de la chaîne, alors au demeurant qu’elle est postérieure à la décision attaquée. Il en va de même en ce qui concerne les éléments figurant à l’article 7 de la convention de licence de marques conclue entre la société Grand Lille TV et le Groupe News Participations, propriétaire de BFM TV, qui est également sans effet sur le contrôle capitalistique de la chaîne à la date de la décision du CSA. Il résulte de ce qui précède que la société requérante n’est pas fondée à soutenir que le changement de nom du service de télévision locale exploité par la société Grand Lille TV constituerait une modification substantielle, au sens des dispositions précitées l’article 42-3 de la loi du 30 septembre 1986, des éléments de l’autorisation accordée à cette dernière. La décision litigieuse entrait par suite, contrairement à ce que soutient la STM du Nord-Pas-de-Calais, dans le champ des demandes susceptibles d’être examinées par le CTA de Lille en application des dispositions précitées de l’article 4 du décret du 24 juin 2011.

7. En dernier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 6 du présent arrêt que la STM du Nord-Pas-de-Calais ne peut utilement soutenir que la décision du CSA du 4 mars 2020 aurait été prise au terme d’une procédure irrégulière en ce qu’elle n’a pas été précédée d’une procédure contradictoire impliquant le recueil de l’avis des tiers qui le demandent, d’une instruction prolongée ainsi que d’une étude d’impact, comme le prévoient les dispositions de l’article 42-3 de la loi du 30 septembre 1986 s’agissant des seules modifications substantielles.

8. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d’annulation de la STM du Nord-Pas-de-Calais doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

9. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du CSA, qui n’est pas partie perdante dans la présente instance, le versement d’une somme au titre des frais exposés par la STM du Nord-Pas-de-Calais et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche, sur le fondement des mêmes dispositions, de mettre à la charge de la société requérante la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société Grand Lille TV et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la STM du Nord-Pas-de-Calais est rejetée.

Article 2 : La STM du Nord-Pas-de-Calais versera la somme de 1 500 euros à la société Grand Lille TV sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société de télévision multilocale du Nord-Pas-de-Calais, à la société Grand Lille TV et à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique.

Délibéré après l’audience du 25 janvier 2022, à laquelle siégeaient :

– M. Ivan Luben, président de chambre,

– Mme Marianne Julliard, présidente-assesseure,

– Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 février 2022.

La rapporteure,

G. A…Le président,

I. LUBEN

Le greffier,

É. MOULIN

La République mande et ordonne à la ministre de la culture, en ce qui la concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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N° 20PA00385


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