Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée le 4 août 2011, présentée pour la société anonyme AFP Participations, dont le siège est au 13 place de la Bourse à Paris (75002), par Me Auferil, de la SCP d’avocats Baker et McKenzie ;
la société AFP Participations demande à la Cour :
1°) d’annuler le jugement n°0818051 du 4 juillet 2011 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle à cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre de l’année 2002 et des pénalités correspondantes ;
2°) de prononcer la décharge de ces impositions et des pénalités correspondantes ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat le paiement de la somme de 5 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
……………………………………………………………………………………………………
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 23 novembre 2012:
– le rapport de M. Couvert-Castéra, président-assesseur,
– les conclusions de M. Blanc, rapporteur public,
– et les observations de Me Torlet, avocat de la société AFP Participations ;
1. Considérant que la société Fileas Holding, ancienne dénomination de la société AFP Participations, a fait l’objet d’une vérification de comptabilité à l’issue de laquelle elle a été assujettie, au titre de l’exercice clos en 2002, à des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle à cet impôt, assorties des intérêts de retard et de la majoration de 80 % prévue à l’article 1729 du code général des impôts ; qu’elle relève appel du jugement en date du 4 juillet 2011 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions et des majorations correspondantes ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant que la société requérante fait valoir que les premiers juges n’ont pas répondu à son moyen tiré de ce que le choix de procéder à une augmentation de capital » a permis de sécuriser la valorisation de la société Nolis via l’intervention du commissaire aux comptes » ;
3. Considérant toutefois que le tribunal, qui n’était pas tenu de répondre à tous les arguments présentés par la société AFP Participations à l’appui de son moyen tiré de ce que l’administration ne pouvait recourir à la procédure de répression des abus de droit dès lors que les opérations en cause ne poursuivaient pas un but exclusivement fiscal, a suffisamment répondu à ce moyen en indiquant que » les sociétés Nolis et Cogecom n’ont retiré aucun bénéfice économique des opérations en cause » et que » le service doit être regardé comme démontrant que la société Fileas Holding, en procédant à une vente d’actions sous couvert du rachat par sa société filiale de ses propres titres, n’a eu pour seul objectif que de soustraire la plus-value réalisée à raison de ladite cession à sa pleine taxation » ;
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
4. Considérant qu’il résulte de l’instruction que la société Nolis, dont la société Fileas Holding possédait 99,94 % du capital au 1er janvier 2002, soit 9 994 actions, a, par décision d’une première assemblée générale extraordinaire de ses actionnaires tenue le 7 novembre 2002 à 10 h 00, procédé à une augmentation de son capital, portant celui-ci de 160 000 euros à 5 331 000 euros, par émission de 9 994 actions nouvelles d’une valeur nominale de 16 euros, majorées d’une prime d’émission de 501,41 euros, soit un prix de souscription de 517, 41 euros par action ; que cette augmentation de capital a été intégralement souscrite par la société Cogecom ;
5. Considérant qu’une seconde assemblée générale extraordinaire des actionnaires de la société Nolis, réunie le 7 novembre 2002 à 14 h 00, a décidé de réduire son capital de 5 331 000 euros à 160 000 euros, par rachat de 9 994 actions au prix unitaire de 517,41 euros, offre à laquelle seule la société Fileas Holding a souscrit pour un montant total de 5 171 000 euros ; que cette dernière a considéré que le boni de cession résultant du rachat de ses actions dans le capital de la société Nolis, soit la somme de 3 417 943 euros, correspondant à la différence entre le prix de vente de ces actions et leur valeur comptable en 2002, devait être, en application du régime fiscal des sociétés mères prévu aux articles 145 et 216 du code général des impôts, retranché, après déduction d’une quote-part de frais et charges de 5%, de son bénéfice net total, réduisant ainsi ce bénéfice d’un montant net de 3 247 046 euros ; que le service a remis en cause, sur le fondement de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales, cette minoration du bénéfice ;
En ce qui concerne l’application de la loi fiscale :
6. Considérant qu’aux termes de l’article 112 du code général des impôts : » Ne sont pas considérés comme revenus distribués : 1° Les répartitions présentant pour les associés ou actionnaires le caractère de remboursements d’apports ou de primes d’émission (…) » ; qu’aux termes de l’article 145 du même code : » 1. Le régime fiscal des sociétés mères, tel qu’il est défini aux articles 146 et 216, est applicable aux sociétés et autres organismes soumis à l’impôt sur les sociétés au taux normal qui détiennent des participations satisfaisant aux conditions ci-après : a. Les titres de participations doivent revêtir la forme nominative ou être déposés dans un établissement désigné par l’administration ; b. les titres de participation doivent représenter au moins 5 % du capital de la société émettrice ; ce pourcentage s’apprécie à la date de mise en paiement des produits de la participation (…) » ; qu’aux termes de l’article 216 de ce code : » I. Les produits nets des participations, ouvrant droit à l’application du régime des sociétés mères et visées à l’article 145, touchés au cours d’un exercice par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci, défalcation faite d’une quote-part de frais et charges. / La quote-part de frais et charges visée au premier alinéa est fixée uniformément à 5 % du produit total des participations, crédit d’impôt compris (…) » ;
7. Considérant qu’il résulte de la combinaison de ces dispositions que le rachat par une société, au cours de son existence, à certains de ses associés ou actionnaires, des droits sociaux qu’ils détiennent, notamment sous forme d’actions, correspond, pour la fraction de la somme versée au cédant qui excède le remboursement de ses apports, à une distribution de revenus qui ouvre droit au bénéfice des dispositions précitées de l’article 216 du code général des impôts lorsque cette distribution est faite par une filiale à une société mère répondant aux conditions fixées par l’article 145 de ce code ;
8. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la somme de 3 417 943 euros représentant la différence entre la somme de 5 171 000 euros versée par la société Nolis à la société Fileas Holding et la somme de 1 753 057 euros égale à la valeur d’inscription comptable, en 2002, dans les écritures de la société Fileas Holding, des titres de la société Nolis, pouvait être regardée comme une distribution faite par une filiale à sa société mère relevant du régime prévu aux articles 145 et 216 du code général des impôts ;
9. Considérant cependant que le service a remis en cause, sur le fondement de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales, l’application de ce régime, au motif que les opérations en cause n’avaient eu d’autre but que de dissimuler une cession par la société Fileas Holding à la société Cogecom des actions qu’elle détenait dans le capital de la société Nolis, dont la plus-value aurait dû être imposée au taux de 19 % en vertu des dispositions du I de l’article 219 du code général des impôts, et d’atténuer ainsi la charge fiscale de la société Fileas Holding en limitant son imposition au titre de cette cession à la quote-part de frais et charges de 5 % prévue dans le cadre du régime des sociétés mères résultant des articles 145 et 216 du code général des impôts ;
10. Considérant qu’aux termes de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable à l’année d’imposition en litige : » Ne peuvent être opposés à l’administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d’un contrat ou d’une convention à l’aide de clauses : (…) b. qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus (…) L’administration est en droit de restituer son véritable caractère à l’opération litigieuse. En cas de désaccord sur les redressements notifiés sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l’avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit. L’administration peut également soumettre le litige à l’avis du comité dont les avis rendus feront l’objet d’un rapport annuel. /Si l’administration ne s’est pas conformée à l’avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé du redressement » ;
11. Considérant qu’il résulte de ces dispositions que, lorsque l’administration use de la faculté qu’elles lui confèrent dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors qu’elle établit que ces actes ont un caractère fictif, ou, que, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, s’il n’avait pas passé ces actes, auraient normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ;
12. Considérant, d’une part, que, ainsi qu’il a été dit au paragraphe 9 ci-dessus, l’administration a considéré que les opérations successives d’augmentation et de réduction de capital de la société Nolis décrites aux paragraphes 4 et 5 ne présentaient aucun intérêt économique ou financier pour la société Nolis et poursuivaient un but exclusivement fiscal ;
13. Considérant que l’administration fait valoir à cet égard que ces opérations, réalisées le même jour, n’ont pas eu d’incidence sur la situation économique et financière de la société Nolis, dès lors que le nombre de ses actions, le montant de son capital social et sa situation de trésorerie sont demeurés inchangés à l’issue de l’augmentation puis de la réduction symétrique de son capital, et que ces opérations ont eu pour seule conséquence de substituer la société Cogecom à la société Fileas Holding dans la détention des 9 994 actions d’une valeur nominale de 16 euros représentant 99, 94 % de son capital de 160 000 euros ;
14. Considérant que l’administration relève que cette substitution d’actionnaires est intervenue à la suite du versement par la société Cogecom à la société Nolis, d’une somme de 5 171 000 euros, identique à celle retirée par la société Fileas Holding du rachat de ses actions par la société Nolis, dans les mêmes conditions que si la société Fileas Holding avait cédé directement les actions qu’elle détenait à la société Cogecom, sans interposition de la société Nolis ;
15. Considérant que l’administration fait également valoir que la société Fileas Holding et la société Cogecom s’étaient entendues au préalable pour dissimuler cette cession dans les conditions susmentionnées, ainsi qu’en attestent la chronologie des opérations en cause et le fait que ces deux sociétés ont des liens capitalistiques, la première étant une filiale de la société FCR, qui est elle-même une filiale de la seconde, laquelle est la société holding détenant les participations du groupe France Telecom ;
16. Considérant que si la société requérante fait valoir que le rachat par la société Nolis de ses propres actions, détenues par la société Fileas Holding, a permis à cette dernière d’éviter d’avoir à accorder une garantie de passif à un tiers acquéreur qui aurait pu la lui demander, comme cela est en pratique très souvent le cas pour ce type d’opération, un tel motif ne peut être regardé comme justifiant les opérations en cause dès lors que la cession directe à la société Cogecom des actions détenues par la société Fileas Holding n’aurait pas davantage nécessité la constitution d’une garantie de passif par cette dernière, puisqu’une telle cession aurait été réalisée au sein du même groupe de sociétés et non avec une société tierce susceptible d’exiger d’elle une telle garantie ; que, pour cette même raison, la société requérante n’est pas davantage fondée à soutenir que le choix de procéder à une augmentation de capital a permis de garantir à la société Cogecom l’estimation de la valeur de la société Nolis, grâce à l’intervention d’un commissaire aux comptes ;
17. Considérant que l’administration doit, dans ces conditions, être regardée comme apportant la preuve qui lui incombe que les opérations successives d’augmentation et de réduction du capital de la société Nolis n’ont pu être inspirées par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que la société Fileas Holding aurait normalement supportées en cas de cession directe à la société Cogecom des actions qu’elle détenait dans le capital de la société Nolis ;
18. Considérant, d’autre part, que, dans les circonstances dans lesquelles elle a été réalisée, la minoration de son bénéfice imposable pratiquée par la société Fileas Holding a méconnu l’objectif poursuivi par les auteurs de l’article 216 du code général des impôts, consistant à éviter une seconde imposition entre les mains de la société mère des sommes qui lui ont été distribuées par sa filiale après imposition de son propre bénéfice ; qu’en effet, ainsi que le fait valoir l’administration, le produit tiré par la société Fileas Holding du rachat de ses participations dans le capital de la société Nolis provient non pas d’excédents de trésorerie de cette dernière société, mais des apports effectués le jour même de ce rachat par la société Cogecom lorsqu’elle a souscrit à l’augmentation de capital de la société Nolis ; que la contribuable doit, dans ces conditions, être regardée comme ayant recherché le bénéfice d’une application littérale de l’article 216 du code général des impôts à l’encontre des objectifs poursuivis par ses auteurs ;
19. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que l’administration établit que les opérations en cause étaient constitutives d’un abus de droit ;
En ce qui concerne le bénéfice d’une interprétation administrative de la loi fiscale :
20. Considérant qu’aux termes de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales dans sa rédaction applicable à l’année d’imposition en litige : » Il ne sera procédé à aucun rehaussement d’impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l’administration est un différend sur l’interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s’il est démontré que l’interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l’époque, formellement admise par l’administration. / Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l’interprétation que l’administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu’elle n’avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente » ;
21. Considérant qu’il résulte de ces dispositions qu’elles instituent un mécanisme de garantie au profit du contribuable qui, s’il l’invoque, est fondé à se prévaloir de l’interprétation contraire à la loi que l’administration a donnée de celle-ci dans ses instructions ou circulaires dont il a respecté les termes ;
22. Considérant que, dans l’hypothèse où le contribuable n’a pas appliqué les dispositions mêmes de la loi fiscale mais a seulement entendu se conformer à l’interprétation contraire à celle-ci qu’en avait donnée l’administration dans une instruction ou une circulaire, l’administration ne peut faire échec à la garantie que le contribuable tient de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales et recourir à la procédure de répression des abus de droit en se fondant sur ce que ce contribuable, tout en se conformant aux termes mêmes de cette instruction ou circulaire, aurait outrepassé la portée que l’administration entendait en réalité conférer à la dérogation aux dispositions de la loi fiscale que l’instruction ou la circulaire autorisait ; qu’elle peut seulement, le cas échéant, contester que le contribuable remplissait les conditions auxquelles l’instruction ou la circulaire subordonne le bénéfice de l’interprétation qu’elle donne ;
23. Considérant que la société requérante entend se prévaloir, sur le fondement des dispositions précitées de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales, de la définition de la notion de produit de participation éligible au régime des sociétés mères donnée par l’administration dans sa documentation administrative de base n°4 H 2114 du 1er mars 1995 et dans son instruction référencée 4 J-1-00 du 4 juillet 2000 ;
24. Considérant toutefois qu’il résulte de ce qui a été dit au paragraphe 7 ci-dessus que, contrairement à ce que soutient la société requérante, la documentation administrative de base et l’instruction susmentionnées n’ont pas ajouté à la loi fiscale en indiquant que le régime des sociétés mères était applicable à tous les produits que la société mère reçoit de sa filiale en qualité d’actionnaire ou de porteur de parts, et notamment aux sommes allouées à titre de rachat de droits sociaux lorsqu’elles sont considérées comme des revenus distribués en application des dispositions du 1° de l’article 112 du code général des impôts, c’est-à-dire à hauteur de la différence entre le prix de rachat et le montant des apports ; qu’il s’ensuit que l’administration ne s’est livrée dans ces textes à aucune interprétation contraire de la loi fiscale, susceptible d’être invoquée par la contribuable sur le fondement de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales ;
25. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la société AFP Participations n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
26. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’Etat, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société AFP Participations demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société AFP Participations est rejetée.
»
»
»
»
2
N° 11PA03625