Conseil d’État, 9ème – 10ème chambres réunies, 30/09/2019, 418080

·

·

Conseil d’État, 9ème – 10ème chambres réunies, 30/09/2019, 418080

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La société Findim Investments a demandé au tribunal administratif de Montreuil d’ordonner la restitution des retenues à la source prélevées, au titre des années 2003, 2004, 2005 et 2007, sur les dividendes de source française qu’elle a perçus. Par un jugement n° 0902669 du 19 mai 2015, le tribunal administratif de Montreuil, après avoir déclaré irrecevable la demande de restitution des retenues à la source prélevées au titre des années 2004 et 2005, a ordonné la restitution de celles dont la société Findim Investments s’était acquittée au titre des années 2006 et 2007 et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Par un arrêt n° 15VE02634 du 12 décembre 2017, la cour administrative d’appel de Versailles a, d’une part, rejeté l’appel du ministre de l’action et des comptes publics contre ce jugement et d’autre part, rejeté le surplus des conclusions de l’appel incident de la société Findim Investments.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 février et 7 août 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le ministre de l’action et des comptes publics demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler les articles 1er et 2 de cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son appel.

Il soutient que la cour administrative d’appel de Versailles :

– a insuffisamment motivé son arrêt, commis une erreur de droit et une erreur de qualification juridique en jugeant que la clause de gel prévue à l’article 64 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne n’était pas applicable au présent litige ;

– a insuffisamment motivé son arrêt et commis une erreur de droit en refusant de limiter le quantum de la restitution de retenue à la source à 95 % du montant des dividendes perçus.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

– le traité instituant la Communauté européenne et le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

– la convention conclue le 9 septembre 1966 entre la France et la Suisse en vue d’éliminer les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune ;

– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

– la loi n°65-566 du 12 juillet 1965 :

– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Cécile Viton, maître des requêtes en service extraordinaire,

– les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la société Findim investments ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Findim Investments, société de droit suisse, a perçu, au cours des années 2003 à 2007, des dividendes de la part de la société française Cogifrance dont elle détenait durant ces années environ 8 % du capital. Ces dividendes ont été soumis, en application du 2 de l’article 119 bis du code général des impôts, à une retenue à la source au taux de 15 % prévu au paragraphe 2 de l’article 11 de la convention fiscale franco-suisse du 9 septembre 1966. Par un jugement du 19 mai 2015, le tribunal administratif de Montreuil a déclaré irrecevables les conclusions présentées par la société tendant à la restitution des retenues prélevées au titre des années 2004 et 2005 et ordonné la restitution de celles prélevées au titre des années 2006 et 2007. Le ministre de l’action et des comptes publics se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 12 décembre 2017 par lequel la cour administrative d’appel de Versailles a rejeté son appel contre ce jugement en tant qu’il lui faisait grief.

2. D’une part, aux termes du 2 de l’article 119 bis du code général des impôts, issu de l’article 4 de la loi du 12 juillet 1965 modifiant l’imposition des entreprises et des revenus de capitaux mobiliers :  » Les produits visés aux articles 108 à 117 bis donnent lieu à l’application d’une retenue à la source dont le taux est fixé par l’article 187-1 lorsqu’ils bénéficient à des personnes qui n’ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France « . Aux termes du 1 de l’article 187 du même code, dans sa rédaction applicable aux années en litige :  » Le taux de la retenue à la source prévue à l’article 119 bis est fixé à : (…) – 25 % pour tous les autres revenus.  » Aux termes de l’article 145 du même code :  » 1. Le régime fiscal des sociétés mères, tel qu’il est défini à l’article 216, est applicable aux sociétés et autres organismes soumis à l’impôt sur les sociétés au taux normal qui détiennent des participations satisfaisant aux conditions ci-après : (…) b. les titres de participation doivent représenter au moins 5 % du capital de la société émettrice (…) « . Aux termes du I de l’article 216 de ce code :  » Les produits nets des participations, ouvrant droit à l’application du régime des sociétés mères et visées à l’article 145, touchés au cours d’un exercice par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci, défalcation faite d’une quote-part de frais et charges. / La quote part de frais et charges visée au premier alinéa est fixée uniformément à 5 % du produit total des participations, crédit d’impôt compris (…) « .

3. D’autre part, aux termes du paragraphe 1 de l’article 56 du traité instituant la Communauté européenne applicable au litige, devenu l’article 63 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne :  » Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites.  » En vertu du 1 de l’article 57 du traité instituant la Communauté européenne, devenu article 64 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,  » l’article 56 ne porte pas atteinte à l’application, aux pays tiers, des restrictions existant le 31 décembre 1993 en vertu du droit national ou du droit de l’Union en ce qui concerne les mouvements de capitaux à destination ou en provenance de pays tiers lorsqu’ils impliquent des investissements directs (…) « . En vertu de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, les investissements directs visés par les stipulations de cet article 57 sont ceux qui créent ou maintiennent des relations durables et directes entre le bailleur de fonds et l’entreprise, c’est-à-dire qui permettent à l’actionnaire de participer effectivement à la gestion ou au contrôle de cette société.

4. Après avoir relevé que la société Findim Investments était redevable de la retenue à la source prévue par le 2 de l’article 119 bis du code général des impôts sur les dividendes versés par sa filiale établie en France alors que les sociétés françaises ayant opté pour le régime prévu aux articles 145 et 216 du code général des impôts étaient exonérées, en quasi-totalité, de l’impôt sur les sociétés dû à raison des dividendes versés par leurs filiales françaises, la cour a jugé que cette différence de traitement constituait une atteinte à la liberté de circulation des capitaux incompatible avec les stipulations de l’article 56 du traité instituant la communauté européenne, sans que le ministre puisse se prévaloir de la possibilité, prévue par l’article 57 du même traité, de maintenir des restrictions aux mouvements de capitaux à destination ou en provenance des pays tiers existant au 31 décembre 1993. En statuant ainsi, alors que, d’une part, il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la participation de 8 % de la société Findim Investments dans la société Cogifrance lui permettait de participer de manière effective à la gestion de sa filiale et dès lors, pouvait être qualifiée d’investissement direct au sens des stipulations de l’article 57 du traité et d’autre part, que les dispositions du 2 de l’article 119 bis du même code sont antérieures au 31 décembre 1993, la cour a commis une erreur de droit. Par suite, et sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens du pourvoi, le ministre de l’action et des comptes publics est fondé à demander l’annulation de l’arrêt qu’il attaque.

5. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de l’Etat qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

————–

Article 1er : Les articles 1er et 2 de l’arrêt du 12 décembre 2017 de la cour administrative d’appel de Versailles sont annulés.

Article 2 : L’affaire est renvoyée dans cette mesure à la cour administrative d’appel de Versailles.

Article 3 : Les conclusions de la société Findim Investments présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l’action et des comptes publics ainsi qu’à la société Findim Investments.

ECLI:FR:CECHR:2019:418080.20190930


0 0 votes
Je supporte LegalPlanet avec 5 étoiles
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x