Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le préfet de la région d’Ile-de-France, préfet de Paris, a demandé au juge des référés du Tribunal administratif de Paris, sur le fondement de l’article L. 3132-1 du code général des collectivités territoriales et de l’article L. 554-1 du code de justice administrative de suspendre l’exécution du marché public de prestation de services d’exploitation de l’usine d’épuration Seine-Amont attribué par le Syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne (SIAAP) à la société Véolia Eau-Compagnie générale des eaux.
Par une intervention, la société Suez Services France a demandé que le tribunal fasse droit aux conclusions du déféré du préfet de la région d’Ile-de-France.
Par une ordonnance n° 1715915/9 du 15 novembre 2017, le juge des référés du Tribunal administratif de Paris, statuant dans les conditions prévues au dernier alinéa de l’article L. 511-2 du code de justice administrative, a refusé d’admettre l’intervention de la société Suez Services France et a décidé de suspendre l’exécution du marché à compter du 1er décembre 2017 si à cette date la signature du marché n’avait pas été régularisée par la société d’économie mixte à opération unique.
Procédure devant la Cour :
I. Par une requête n° 17PA03641, enregistrée le 30 novembre 2017, le préfet de la région d’Ile-de-France, préfet de Paris, demande à la Cour :
1°) d’annuler l’article 2 de cette ordonnance du juge des référés du Tribunal administratif de Paris du 15 novembre 2017, en ce qu’il n’a prononcé la suspension de l’exécution du marché public mentionné ci-dessus, qu’à compter du 1er décembre 2017 et seulement si à cette date la signature du marché n’avait pas été régularisée par la société d’économie mixte à opération unique ;
2°) de suspendre l’exécution de ce marché public.
Il soutient que :
– le SIAAP a, le 28 novembre 2017, télétransmis au contrôle de légalité une convention de régularisation de la signature du marché public déféré ;
– la requête en suspension sur laquelle l’ordonnance attaquée a statué ne se fondait que sur les articles L. 554-1 du code de justice administrative et L. 3132-1 du code général des collectivités territoriales ; il ne s’agissait pas d’un recours contestant la validité du contrat tel qu’ouvert par la décision du Conseil d’Etat du 4 avril 2014, Département du Tarn-et-Garonne ;
– l’ordonnance excède les pouvoirs du juge des référés qui ne peut en vertu des dispositions des articles L. 511-1, L. 521-1 et L. 554-1 du code de justice administrative, prendre que des mesures provisoires, en ce qu’elle admet le caractère régularisable de l’incompétence retenue ;
– à titre subsidiaire, cette ordonnance est entachée d’erreur de droit en ce qu’elle admet à tort le caractère régularisable de l’incompétence retenue ;
– elle est insuffisamment motivée en ce qu’elle écarte les autres moyens ;
– les dispositions de l’article 8.5 du règlement de la consultation qui doit être qualifié de » clause Molière « , et des articles 4.3 (« Dispositions applicables en cas d’intervenants étrangers ») et 15 (« Droit et Langue ») du cahier des clauses administratives particulières, méconnaissent les principes communautaires et nationaux de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats, de libre prestation des services et de libre circulation des travailleurs ; elles ne répondent à aucun motif d’intérêt général en rapport avec l’objet du marché ; ce vice d’une particulière gravité n’est pas régularisable ; il révèle en outre un détournement de pouvoir ;
– le document de préfiguration est imprécis au regard des dispositions du III de l’article L. 1541-2 du code général des collectivités territoriales ; les projets de statuts et de pactes d’actionnaires n’ont pas été fixés préalablement à la mise en concurrence par le pouvoir adjudicateur, leur contenu ayant été soumis aux propositions des candidats en méconnaissance des dispositions de l’article 30 de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 et de l’article 38 du décret n°2016-360 du 25 mars 2016 et des exigences communautaires ;
– les obligations de publicité et de mise en concurrence s’imposant au pouvoir adjudicateur et les dispositions de l’article 64 du décret du 25 mars 2016 ont également été gravement méconnues du fait des modifications substantielles apportées aux projets de pacte d’actionnaires et de statuts postérieurement à l’attribution du marché public ;
– ces mêmes obligations et les dispositions de l’article 10 du règlement de la consultation relatives au nombre maximal de visites ont été méconnues du fait des visites complémentaires de la société Véolia Eau-CGE ;
– l’offre de la société Véolia Eau-CGE prévoyant une période dite de » pré-tuilage » à partir de septembre 2017 était irrégulière au regard des dispositions du III de l’article L. 1541-2 du code général des collectivités territoriales et de l’article G de l’acte d’engagement exigeant la constitution de la SEMOP dans les deux mois de l’entrée en vigueur du contrat ;
– le conseil d’administration du SIAAP a méconnu l’étendue de sa compétence en ne se prononçant pas sur le montant exact du marché public en cause ;
– la clause de réexamen définie par l’article 5 du cahier des clauses administratives particulières applicable, qui autorise les parties à modifier le marché public litigieux dans des cas de changements substantiels des conditions d’exécution des prestations, méconnaît les dispositions de l’article L. 1541-1 du code général des collectivités territoriales et n’entre pas dans le champ d’application de l’article 139 I du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics.
Par un mémoire en intervention, enregistré le 25 janvier 2018, la société Suez Services France, représentée par MeE…, demande que la Cour fasse droit aux conclusions du déféré du préfet de la région d’Ile-de-France.
Elle soutient que :
– elle est recevable à intervenir à l’appui de la requête d’appel du préfet ;
– l’ordonnance attaquée excède les pouvoirs du juge des référés qui ne peut en vertu des dispositions de l’article L. 511-1 du code de justice administrative, prendre que des mesures provisoires, en ce qu’elle admet le caractère régularisable de l’incompétence retenue ;
– elle admet à tort le caractère régularisable du vice retenu, alors qu’il s’agit d’un vice d’une particulière gravité ;
– l’article 8.5 du règlement de la consultation et l’article 15 du cahier des clauses administratives particulières, qui imposent l’emploi de la langue française dans le cadre de l’attribution et de l’exécution du contrat, restreignent les libertés fondamentales garanties par le droit de l’Union, ne poursuivent aucun objectif d’intérêt général et ne présentent aucun caractère de proportionnalité ; l’article 4.3 du même cahier qui impose aux sous-traitants étrangers la présentation de leurs demandes de paiement dans la monnaie de compte du marché et la rédaction de leurs correspondances en français constitue une discrimination directe non justifiée par une disposition dérogatoire expresse ainsi qu’une restriction à la libre prestation de services, n’est pas davantage justifié par un objectif d’intérêt général et ne présente pas non plus un caractère de proportionnalité ;
– ces dispositions méconnaissent celles des articles 51 et 38 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 ;
– l’ambigüité de ces dispositions était de nature à constituer un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence ;
– le document de préfiguration et le règlement de la consultation méconnaissent l’obligation générale de transparence et les dispositions de l’article L. 1541-2 du code général des collectivités territoriales, des articles 38, 58 et 67 du décret du 25 mars 2016 et de l’article 42 de l’ordonnance du 23 juillet 2015, en ce qu’ils invitent les candidats à préciser et à modifier les projets de statuts et de pacte d’actionnaires ; l’invitation à proposer des modifications, dès lors qu’elle n’était assortie d’aucune précision quant à l’étendue et au sens des modifications admises, porte atteinte à l’égalité de traitement des candidats et au principe de transparence ;
– les modifications des projets de statuts et du pacte d’actionnaires méconnaissent les dispositions de l’article 64 du décret du 25 mars 2016 ;
– les dispositions de l’article 10 du règlement de la consultation relatives au nombre maximal de visites ont été méconnues du fait des visites complémentaires de la société Véolia Eau-CGE ;
– ces visites complémentaires ont eu lieu dans la période d’un mois avant la date limite de remise des offres, pendant laquelle elles étaient interdites par les mêmes dispositions ;
– l’offre de la société Véolia Eau-CGE était irrégulière en ce qu’elle prévoyait une période dite de » pré-tuilage « , ce qui constituait une variante non autorisée, en ce qu’elle ne prévoyait la constitution de la SEMOP qu’en janvier 2018, en ce qu’elle proposait que le directeur et ses deux adjoints fassent partie intégrante du personnel de la SEMOP, et en ce qu’elle ne prévoyait pas le renouvellement des tambours des sécheurs ;
– les projets de statuts et de pacte d’actionnaires n’ont pas été fixés préalablement à la mise en concurrence ; leur contenu a été irrégulièrement soumis à la proposition des candidats ;
– les moyens que la société Suez fait ainsi valoir avaient été soulevés par le préfet ;
– les autres vices dont elle fait état ci-dessous, sont en rapport direct et certain avec l’intérêt lésé dont elle se prévaut ;
– l’article 7.1.2.3 du règlement de la consultation, en ce qu’il permet au SIAAP d’accepter ou de refuser librement les propositions de modifications des projets de statuts et de pacte d’actionnaires proposées par les candidats, est incompatible avec le principe d’intangibilité de l’offre, a été de nature à induire les candidats en erreur, et méconnaît le principe d’interdiction des marges d’appréciation discrétionnaires dans les modalités d’examen des offres par le pouvoir adjudicateur ainsi que les principes d’égalité de traitement des candidats et de transparence ; cette illégalité a certainement et directement lésé ses intérêts ;
– le premier critère de jugement des offres, relatif à l’organisation, la gouvernance et la maîtrise du service, est illégal dès lors que ses sous-critères conduisent la personne publique à méconnaître sa compétence, ne sont pas pondérés, sont imprécis et subjectifs, en méconnaissance des dispositions de l’article 52 de l’ordonnance du 23 juillet 2015, et ne garantissent pas la possibilité d’une véritable concurrence ;
– le principe d’impartialité et d’égalité de traitement des candidats a été méconnu du fait de la participation à la procédure du président et du directeur général du SIAAP, qui ont exercé une influence sur le choix de l’attributaire alors que leur partialité ressort d’un courrier co-signé le 20 juin 2017 mettant en cause la société Suez ;
– la méthode de notation mise en oeuvre était inintelligible et a entrainé le choix de l’offre économiquement la moins avantageuse, en méconnaissance des principes fondamentaux d’égalité et de transparence, ainsi que de l’article 52 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 ;
– le SIAAP a dénaturé les offres des candidats et commis des erreurs manifestes dans l’appréciation de ces offres.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 9 février 2018, le Syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne (SIAAP), représenté par MeD…, conclut au rejet de la requête du préfet de la région d’Ile-de-France et de l’intervention de la société Suez Services France.
Il soutient que :
– la SEMOP (SIVAL) a été constituée ; une convention de régularisation du marché public déféré a été signée et transmise au contrôle de légalité ;
– les moyens de la requête du préfet de la région d’Ile-de-France ne sont pas fondés ;
– compte tenu de l’impossibilité de mener une nouvelle procédure de publicité et de mise en concurrence avant le 1er avril 2018, de l’impossibilité de prolonger le marché détenu actuellement par une filiale de Suez, qui a déjà été prolongé une première fois de dix mois et a déjà donné lieu à dix-neuf avenants, de l’impossibilité pratique de reprendre l’usine en régie et du classement » Seveso » de ses installations, une nouvelle suspension du marché porterait une atteinte excessive à l’intérêt général ;
– l’intervention de la société Suez Services France en première instance étant irrecevable, son intervention en appel est également irrecevable ; elle n’est en tout état de cause pas recevable à intervenir à l’appui de la requête du préfet.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 9 et le 16 février 2018, la société Veolia Eau-Compagnie générale des eaux, représentée par Me A…et MeB…, demande à la Cour :
1°) à titre principal, de rejeter la requête du préfet de la région d’Ile-de-France et l’intervention de la société Suez Services France ;
2°) à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la Cour annulerait l’ordonnance du juge des référés du Tribunal administratif de Paris, de rejeter la demande de suspension du marché formulée en première instance ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat le versement d’une somme de 10 000 euros et à la charge de la société Suez Services France le versement d’une somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– la SEMOP (SIVAL) a été constituée ; une convention de régularisation du marché public déféré a été signée et transmise au contrôle de légalité ; la période de » tuilage » entre l’ancien et le nouvel exploitant de l’usine d’épuration a commencé le 1er décembre 2017 ;
– les moyens de la requête ne sont pas fondés ;
– à titre subsidiaire, compte tenu des mesures prises par le nouvel exploitant au cours des trois premiers mois d’exécution du marché, et des difficultés pratiques que poserait une reprise de l’usine en régie par le SIAAP ou une prolongation du marché détenu actuellement par une filiale de Suez, qui a déjà été prolongé une première fois de dix mois et dont le montant est passé de 398,6 à 437,7 millions d’euros, ainsi que de la durée que prendrait une éventuelle nouvelle procédure de publicité et de mise en concurrence, la demande de suspension du marché doit être rejetée.
– l’intervention de la société Suez Services France en première instance étant irrecevable, son intervention en appel est également irrecevable ;
– les moyens qu’elle fait valoir à l’appui de cette intervention ne sont pas fondés.
Par un mémoire, enregistré le 15 février 2018, la société Suez Services France, représentée par MeE…, conclut aux mêmes fins que son mémoire en intervention.
Elle soutient en outre que :
– si elle n’était pas recevable à contester l’article 2 de l’ordonnance dans le cadre de sa requête d’appel n° 17PA03657, faute de se voire reconnaitre la qualité de partie en première instance, elle serait recevable à intervenir au soutien de la requête du préfet ;
– la suspension du marché ne porterait atteinte ni aux intérêts des usagers, ni aux intérêts du SIAAP puisque l’exploitation de l’usine de Seine-Amont par la SEMOP n’a vocation à commencer que le 1er avril 2018, puisque le marché actuel peut être prolongé pour une durée de six ou huit mois, et puisqu’un nouveau marché pourrait être conclu pour la durée strictement nécessaire au lancement d’une nouvelle procédure de passation et de sélection d’un nouvel opérateur.
II. Par une requête n° 17PA03657, enregistrée le 30 novembre 2017, et par un mémoire complémentaire enregistré le 24 janvier 2018, la société Suez Services France, représentée par MeE…, demande à la Cour :
1°) à titre principal, d’annuler l’ordonnance du juge des référés du Tribunal administratif de Paris du 15 novembre 2017 ;
2°) à titre subsidiaire, de faire droit aux conclusions de la requête n° 17PA03641 du préfet de la région d’Ile-de-France.
Elle fait valoir les mêmes moyens que dans son mémoire en intervention enregistré sous le n° 17PA03641 et soutient en outre que :
– à titre principal, elle est recevable à faire appel de l’intégralité de l’ordonnance ; à titre subsidiaire, elle est recevable à la contester en ce qu’elle n’a pas admis son intervention en première instance ; à titre plus subsidiaire, elle est recevable à intervenir à l’appui de la requête d’appel du préfet ;
– cette ordonnance a irrégulièrement refusé d’admettre son intervention, alors qu’elle justifiait en tant que concurrent évincé, d’un intérêt à agir contre le marché et, a fortiori, d’un intérêt à intervenir à l’appui d’une demande tendant à la suspension de son exécution ; les autres voies de droit dont elle disposait ne faisaient pas obstacle à la recevabilité de cette intervention ;
– l’ordonnance n’a pas répondu aux moyens qu’elle faisait valoir, alors qu’il existait pour ceux de ses moyens qui n’avaient pas été soulevés également par le préfet, un lien direct entre le vice invoqué et son intérêt lésé ;
– elle n’a, contrairement aux dispositions de l’article L. 9 du code de justice administrative, pas répondu de façon circonstanciée à tous les moyens invoqués par le préfet ;
– les vices dont la société Suez et le préfet font état sont d’une particulière gravité.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 février 2018, le Syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne (SIAAP), représenté par MeD…, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de la société Suez Services France le versement d’une somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
– la SEMOP (SIVAL) a été constituée ; une convention de régularisation du marché public déféré a été signée et transmise au contrôle de légalité ;
– la requête de la société Suez Services France est irrecevable en ce qu’elle interjette appel de l’ordonnance dans sa totalité ;
– l’ordonnance a, à bon droit, refusé d’admettre l’intervention de la société Suez Services France ;
– les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 13 et le 16 février 2018, la société Veolia Eau – Compagnie générale des eaux, représentée par Me A…et MeB…, demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête de la société Suez Services France ;
2°) de mettre à la charge de la société Suez Services France le versement d’une somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– la société Suez Services France n’est recevable à contester que l’article 1er de l’ordonnance du juge des référés, refusant d’admettre son intervention ; son appel contre cet article n’est pas fondé ;
– dans la mesure où elle n’avait pas qualité pour introduire la demande de première instance et où elle ne peut faire état d’un droit propre auquel l’ordonnance aurait porté préjudice, elle n’est pas recevable à faire appel de l’article 2 de l’ordonnance ;
– les moyens qu’elle fait valoir à l’appui de sa requête ne sont pas fondés.
Par un mémoire en réplique, enregistré le 16 février 2018, la société Suez Services France, représentée par MeE…, conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
– le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;
– la directive 92/57/CEE du Conseil du 24 juin 1992 ;
– la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 ;
– la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 ;
– le code du travail ;
– le code général des collectivités territoriales ;
– la loi n°94-665 du 4 août 1994 ;
– la loi n° 2014-790 du 10 juillet 2014 ;
– l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 ;
– le décret n°2016-360 du 25 mars 2016 ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. Niollet,
– les conclusions de M. Baffray, rapporteur public,
– les observations de M. C…pour le préfet de la région d’Ile-de-France, préfet de Paris,
– les observations de Me E…pour la société Suez Services France,
– les observations de Me D…pour le Syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne,
– et les observations de Me A…pour la société Veolia Eau – Compagnie générale des eaux.
1. Considérant qu’il résulte de l’instruction que, par une délibération du 22 juin 2016, le conseil d’administration du Syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne (SIAAP) a décidé de créer, sur le fondement des dispositions de l’article L. 1541-1 du code général des collectivités territoriales, une société d’économie mixte à opération unique pour l’exploitation de l’usine d’épuration de Seine-Amont, et de lancer une procédure d’appel d’offres pour sélectionner l’actionnaire opérateur économique de cette société ; que, par une délibération du 6 juillet 2017, le conseil d’administration du SIAAP a approuvé l’attribution du » marché » à la société Véolia Eau – Compagnie générale des eaux pour un montant de 397 253 586 euros HT sur une période de douze ans et autorisé son président à le signer ; que, le 7 septembre 2017, le président du SIAAP a signé l’acte d’engagement du marché d’exploitation de l’usine Seine-Amont ; que le préfet de la région d’Ile-de-France, préfet de Paris, a saisi le Tribunal administratif de Paris d’un déféré tendant à l’annulation de ce contrat, puis le juge des référés de ce tribunal d’une demande tendant à la suspension du même contrat sur le fondement des dispositions du quatrième alinéa de l’article L. 3132-1 du code général des collectivités territoriales, auquel renvoie l’article L. 554-1 du code de justice administrative ; que, par une ordonnance du 15 novembre 2017, le juge des référés a refusé d’admettre l’intervention de la société Suez Services France, concurrent évincé, a décidé de suspendre l’exécution du contrat à compter du 1er décembre 2017 si à cette date la signature n’avait pas été régularisée par la société d’économie mixte à opération unique, et a estimé qu’aucun des autres vices invoqués par le préfet n’apparaissait de nature, en l’état de l’instruction, à faire naître un doute quant à la validité du contrat en litige ; que le préfet de la région d’Ile-de-France et la société Suez Services France font appel de cette ordonnance ;
2. Considérant que les requêtes du préfet de la région d’Ile-de-France, et de la société Suez Services France, sont dirigées contre la même ordonnance et ont fait l’objet d’une instruction commune ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt ;
3. Considérant qu’aux termes de l’article L. 554-1 du code de justice administrative : » (…) Les demandes de suspension assortissant les requêtes du représentant de l’Etat dirigées contre les actes d’autres collectivités ou établissements suivent, de même, les règles fixées par les articles (…) L. 3132-1, (…) L. 5421-2 (…) du code général des collectivités territoriales (…) » ; qu’aux termes de l’article L. 3132-1 du code général des collectivités territoriales : » (…) Le représentant de l’Etat peut assortir son recours d’une demande de suspension. Il est fait droit à cette demande si l’un des moyens invoqués paraît, en l’état de l’instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’acte attaqué. Il est statué dans un délai d’un mois (…) L’appel des jugements du tribunal administratif ainsi que des décisions relatives aux demandes de suspension prévues aux alinéas précédents, rendus sur recours du représentant de l’Etat, est présenté par celui-ci. » ; et qu’aux termes de l’article L. 5421-2 de ce même code : » Les dispositions du titre III du livre Ier de la troisième partie relatives au contrôle de légalité et au caractère exécutoire des actes des autorités départementales sont applicables aux établissements publics interdépartementaux. » ;
4. Considérant qu’indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l’excès de pouvoir contre les clauses règlementaires d’un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles ; que cette action devant le juge du contrat est également ouverte au représentant de l’Etat dans le département dans l’exercice du contrôle de légalité ; que, si les autres requérants peuvent éventuellement assortir leur recours d’une demande tendant, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, à la suspension de l’exécution du contrat, le représentant de l’Etat dans le département peut assortir son recours d’une demande de suspension sur le fondement des dispositions citées ci-dessus du quatrième alinéa de l’article L. 3132-1 du code général des collectivités territoriales, auquel renvoie l’article L. 554-1 du code de justice administrative ; qu’eu égard à son objet, un tel recours formé à l’encontre d’un contrat relève du contentieux de pleine juridiction ; que la légalité du choix du cocontractant, de la délibération autorisant la conclusion du contrat et de la décision de le signer, ne peut être contestée qu’à l’occasion du recours ainsi défini ; que, toutefois, dans le cadre du contrôle de légalité, le représentant de l’Etat dans le département est recevable à contester la légalité de ces actes devant le juge de l’excès de pouvoir jusqu’à la conclusion du contrat, date à laquelle les recours déjà engagés et non encore jugés perdent leur objet;
5. Considérant, en outre, que si le représentant de l’Etat dans le département, compte tenu des intérêts dont il a la charge, peut invoquer tout moyen à l’appui du recours ainsi défini, les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l’intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d’une gravité telle que le juge devrait les relever d’office ; que le tiers agissant en qualité de concurrent évincé de la conclusion d’un contrat administratif ne peut ainsi, à l’appui d’un recours contestant la validité de ce contrat, utilement invoquer, outre les vices d’ordre public, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction ;
Sur la requête de la société Suez Services France :
6. Considérant que la société Suez Services France qui n’avait pas qualité pour demander la suspension du marché sur le fondement des dispositions de l’article L. 3132-1 du code général des collectivités territoriales et de l’article L. 554-1 du code de justice administrative, n’est recevable à faire appel de l’ordonnance attaquée du juge des référés du Tribunal administratif de Paris, qu’en ce qu’elle a, en son article 1er, refusé d’admettre son intervention ;
7. Considérant que, contrairement à ce qu’a estimé le juge des référés du Tribunal administratif de Paris, l’existence de voies de recours ouvertes à la société Suez Services France pour faire valoir que ses intérêts seraient lésés de façon directe et certaine par les manquements éventuels aux règles applicables à la passation du contrat, n’était pas de nature à faire obstacle à la recevabilité de son intervention en première instance, à l’appui de la demande en suspension du marché litigieux dont le préfet avait assorti son déféré préfectoral, tendant à l’annulation de ce marché ; que la société Suez Services France qui a, en sa qualité de concurrent évincé, intérêt à l’annulation du marché, a, intérêt à la suspension de l’exécution de ce contrat ; que c’est donc à tort que par l’ordonnance attaquée, le juge des référés a refusé d’admettre son intervention ;
Sur l’intervention de la société Suez Services France devant la Cour :
8. Considérant que, compte tenu de ce qui a été aux points 6 et 7, la société Suez Services France est recevable à intervenir à l’appui de la requête d’appel du préfet de la région d’Ile-de-France ;
Sur les conclusions à fin de suspension :
9. Considérant que, saisi par le représentant de l’Etat dans le département, dans les conditions définies ci-dessus, de conclusions contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses, il appartient au juge du contrat, lorsqu’il constate l’existence de vices entachant la validité du contrat, d’en apprécier l’importance et les conséquences ; qu’ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l’exécution du contrat est possible, soit d’inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu’il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat ; qu’en présence d’irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l’exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s’il se trouve affecté d’un vice de consentement ou de tout autre vice d’une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d’office, l’annulation totale ou partielle de celui-ci ; qu’il lui appartient également, le cas échéant, de prendre en considération la nature des vices qu’il a relevés, pour se prononcer sur les conclusions à fin de suspension de l’exécution du contrat sur le fondement de l’article L. 3132-1 du code général des collectivités territoriales ;
10. Considérant que le moyen tiré de la contrariété des dispositions de l’article 8.5 du règlement de la consultation, intitulé : « Langue et rédaction de propositions et d’exécution des prestations », selon lesquelles : « La langue de travail pour les opérations préalables à l’attribution du marché et pour son exécution est le français exclusivement », avec les libertés fondamentales garanties par le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, est de nature, en l’état de l’instruction, à créer un doute sérieux sur la validité du contrat ; que le préfet de la région d’Ile-de-France est donc fondé à demander la suspension de l’exécution du marché, laquelle ne peut, compte tenu des possibilités, non sérieusement contestées, de prolongation du contrat de l’exploitant actuel qui arrive à échéance le 31 mars2018, être regardée comme portant une atteinte excessive à l’intérêt général ;
Sur les conclusions du SIAAP et de la société Veolia Eau – Compagnie générale des eaux tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l’Etat et de la société Suez Services France qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, le versement des sommes que le SIAAP et la société Veolia Eau – Compagnie générale des eaux demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : L’article 1er de l’ordonnance n° 1715915/9 du juge des référés du Tribunal administratif de Paris du 15 novembre 2017 est annulé.