Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu, I, sous le n° 11PA00715, la requête, enregistrée le 10 février 2011, présentée pour la Société Kerguelan, dont le siège social est 183, avenue du Roule à Neuilly-sur-Seine (92200), par CMS Bureau Francis Lefebvre ; la société Kerguelan demande à la Cour :
1°) d’annuler le jugement n° 0601719 du 17 novembre 2010 du Tribunal administratif de Paris en tant qu’il n’a que partiellement fait droit à ses conclusions tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles auxquelles elle a été assujettie au titre des années 1999 et 2000 et des pénalités y afférentes ;
2°) de prononcer la décharge des cotisations et pénalités restant en litige ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 6 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu, II, sous le n° 11PA04250, la requête, enregistrée le 23 septembre 2011, par la société Kerguelan, dont le siège social est 183, avenue du Roule à Neuilly-sur-Seine (92200), par CMS Bureau Francis Lefebvre ; la société Kerguelan demande à la Cour d’ordonner, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l’exécution des décisions d’imposition contestées ainsi que du jugement dont il est fait appel ;
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 3 septembre 2014 :
– le rapport de M. Dalle, président,
– les conclusions de Mme Oriol, rapporteur public,
– et les observations de Me A…pour la socité Kerguelan ;
1. Considérant que les requêtes n° 11PA00715 et n° 11PA04250 présentées pour la société Kerguelan présentent à juger des questions semblables et ont fait l’objet d’une instruction commune ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt ;
Sur la requête n° 11PA00715 :
2. Considérant qu’il résulte de l’instruction que la société Kerguelan a acquis le 30 novembre 1999, auprès de la société de droit néerlandais Chinian NV, 2 998 des 3 000 titres de la société Sefi pour le prix de 21 000 000 F ; qu’elle a perçu de cette société, le 15 décembre 1999, des dividendes à hauteur de 20 700 000 F assortis de l’avoir fiscal prévu à l’article 158 bis alors en vigueur du code général des impôts ; qu’elle a constitué le 31 décembre 1999 une provision pour dépréciation des titres Sefi pour un montant de 19 627 134 F ; qu’elle a revendu les titres le 15 novembre 2000 à la société Scharn BV, appartenant au même groupe, pour la somme de 100 000 F réalisant ainsi une moins-value d’un montant de 20 900 000 F ; que l’administration, estimant que ces opérations étaient constitutives d’un abus de droit, a, au titre de l’exercice clos en 1999, rejeté l’imputation de l’avoir fiscal sur l’impôt sur les sociétés dû par la société Kerguelan et, au titre de l’exercice clos en 2000, remis en cause la moins-value constatée lors de la revente des titres ; qu’il en est résulté des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés qui ont été assorties des pénalités au taux de 80 % prévus à l’article 1729 du code général des impôts en cas d’application de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales ; que la société Kerguelan relève appel du jugement du 17 novembre 2010 par lequel le Tribunal administratif de Paris, après avoir fait droit à la demande de l’administration de substituer, au titre de l’année 1999, le fondement de la fraude à la loi à celui initialement retenu de l’abus de droit et substitué les pénalités de mauvaise foi aux pénalités pour abus de droit dont ont été assortis les compléments d’impôt sur les sociétés au titre dudit exercice, a rejeté le surplus des conclusions de sa demande ;
3. Considérant, qu’aux termes de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable aux années d’imposition en litige : » Ne peuvent être opposés à l’administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d’un contrat ou d’une convention à l’aide de clauses : (…)/ b) (…) qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus ; (…). / L’administration est en droit de restituer son véritable caractère à l’opération litigieuse. En cas de désaccord sur les redressements notifiés sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l’avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit. L’administration peut également soumettre le litige à l’avis du comité dont les avis rendus feront l’objet d’un rapport annuel. / Si l’administration ne s’est pas conformée à l’avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé du redressement » ; qu’il résulte de ces dispositions que lorsque l’administration use des pouvoirs que lui confère ce texte dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable dès lors qu’elle établit que ces actes ont un caractère fictif ou bien, à défaut, que, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, s’il n’avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation et à ses activités réelles ;
Sur l’existence d’une fraude à la loi au titre de l’année 1999 :
4. Considérant qu’aux termes de l’article 158 bis du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux impositions en litige : » I. Les personnes qui perçoivent des dividendes distribués par des sociétés françaises disposent à ce titre d’un revenu constitué : / a) par les sommes qu’elles reçoivent de la société ; / b) par un avoir fiscal représenté par un crédit ouvert sur le Trésor. / Ce crédit d’impôt est égal à la moitié des sommes effectivement versées par la société. / Il ne peut être utilisé que dans la mesure où le revenu est compris dans la base de l’impôt sur le revenu dû par le bénéficiaire. Il est reçu en paiement de cet impôt. / Il est restitué aux personnes physiques dans la mesure où son montant excède celui de l’impôt dont elles sont redevables. / II. Par exception aux dispositions prévues au I, ce crédit d’impôt est égal à 45% des sommes effectivement versées par la société lorsque la personne susceptible d’utiliser ce crédit n’est pas une personne physique. (…) » ; qu’aux termes de l’article 209 bis du même code, dans sa rédaction applicable aux mêmes impositions : » 1. Les dispositions des articles 158 bis et 158 ter sont applicables aux personnes morales ayant leur siège social en France, dans la mesure où le revenu distribué est compris dans la base de l’impôt sur les sociétés dû par le bénéficiaire. Le crédit d’impôt est reçu en paiement de cet impôt. Il n’est pas restituable » ; qu’il ressort de l’ensemble des travaux préparatoires de l’article 1er de la loi du 12 juillet 1965 créant l’avoir fiscal, codifié à l’article 158 bis précité du code général des impôts, que le législateur a eu comme objectifs de favoriser l’actionnariat des entreprises ainsi que le développement de la place financière de Paris et d’éliminer à cet effet la double imposition qui frappait les dividendes ; qu’eu égard à l’objet de la loi, l’actionnaire, imposable à raison des dividendes qu’il perçoit, est en droit de prétendre à l’avoir fiscal qui leur est attaché, de sorte que ces dividendes ne soient pas soumis à une double imposition ; que le droit à l’avoir fiscal n’est nullement subordonné à une durée minimum de détention des titres avant ou après la mise en paiement des dividendes auxquels il est attaché ; que, par suite, dès lors qu’une société a effectivement la qualité d’actionnaire, les dividendes qu’elle perçoit à raison des titres qu’elle détient ouvrent droit à son profit au bénéfice de l’avoir fiscal qui y est attaché ;
5. Considérant, d’une part, que l’avoir fiscal, s’il constitue un élément du bénéfice de l’actionnaire, est essentiellement, aux termes mêmes des articles 158 bis et 209 bis du code général des impôts, un moyen de paiement de l’impôt dû par ce dernier au titre des résultats d’ensemble d’une année donnée ; que si ces articles excluent, s’agissant des personnes morales, qu’il puisse être restitué par l’administration, en particulier dans l’hypothèse où l’avoir fiscal excède l’impôt dû, ainsi qu’en présence de résultats déficitaires, ils ne font pas obstacle à ce que l’avoir fiscal s’impute intégralement sur une cotisation d’impôt sur les sociétés dont le montant aurait été minoré par l’intégration, dans les résultats de la personne morale, lesquels comprennent les dividendes qui ouvrent droit à l’avoir fiscal, de pertes pouvant d’ailleurs provenir, le cas échéant, d’une moins-value réalisée à l’occasion de la vente des titres de la société ayant versé les dividendes ; que le bénéfice de l’avoir fiscal n’est donc pas subordonné à une double imposition effective des dividendes auxquels cet avoir est attaché ; que, d’autre part, le fait qu’une prise de participation dans le capital d’une société présente un faible risque économique compte tenu du contexte ou des circonstances dans lesquelles cette opération intervient, n’a pas pour effet en lui-même de supprimer le risque inhérent à la qualité d’actionnaire quel qu’il soit ; que ce risque existe quand bien même la société en question est contrôlée ou dirigée par une personne physique ou morale qui contrôle et dirige par ailleurs plusieurs sociétés ;
6. Considérant que, pour les raisons ainsi exposées, l’administration fiscale ne pouvait considérer que les opérations d’acquisition puis de cession de titres réalisées par la société Kerguelan étaient constitutives d’une fraude à la loi, aux seuls motifs que les dividendes distribués par la société Sefi n’avaient subi aucune double imposition effective, du fait que cette société, qui détenait une participation dans une société Sin, s’était placée sous le régime d’exonération des dividendes prévu en faveur des sociétés mères par les articles 145 et 216 du code général des impôts et que la société Kerguelan avait déduit de son résultat de l’année 2000 une provision pour dépréciation de montant équivalent à celui des dividendes perçus, ou que la société Kerguelan, en tant qu’actionnaire, n’avait supporté qu’un faible risque économique, compte tenu des liens existant entre elle et les différentes sociétés ayant participé aux opérations successives d’acquisition et de cession des titres de la société Sefi, qui appartenaient toutes au même groupe informel de sociétés ; qu’il résulte de l’instruction et n’est pas contesté par l’administration que les opérations en litige n’ont été, ni dissimulées, ni réalisées en méconnaissance d’aucune des dispositions applicables aux achats et reventes de titres et aux distributions de dividendes ; que dans ces conditions, le ministre des finances et des comptes publics n’apporte pas suffisamment d’éléments de nature à établir que ces opérations auraient présenté un caractère artificiel et que la société Kerguelan n’aurait pas été réellement le bénéficiaire de la distribution des dividendes versés par la société Sefi ; que, dès lors, le ministre n’établit pas que ces opérations auraient procédé de la recherche par la contribuable du bénéfice d’une application littérale des dispositions de l’article 158 bis du code général des impôts relatives à l’avoir fiscal, à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs ; que par suite, la société Kerguelan est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande de décharge du supplément d’impôt sur les sociétés auquel elle a été assujettie au titre de l’exercice 1999, résultant de la remise en cause de l’imputation de l’avoir fiscal en cause ;
Sur l’existence d’un abus de droit au titre de l’année 2000 :
7. Considérant qu’aux termes de l’article 38 du code général des impôts : » 1. Sous réserve des dispositions des articles 33 ter, 40 à 43 bis et 151 sexies, le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé d’après les résultats d’ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises, y compris notamment les cessions d’éléments quelconques de l’actif, soit en cours, soit en fin d’exploitation. / 2. Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l’actif net à la clôture et à l’ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l’impôt diminuée des suppléments d’apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l’exploitant ou par les associés. L’actif net s’entend de l’excédent des valeurs d’actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés. (…) » ; qu’aux termes de l’article 39 duodecies du même code : » 1. Par dérogation aux dispositions de l’article 38, les plus-values provenant de la cession d’éléments de l’actif immobilisé sont soumises à des régimes distincts suivant qu’elles sont réalisées à court ou à long terme. / 2. Le régime des plus-values à court terme est applicable : / a. Aux plus-values provenant de la cession d’éléments acquis ou créés depuis moins de deux ans. Le cas échéant, ces plus-values sont majorées du montant des amortissements expressément exclus des charges déductibles ainsi que de ceux qui ont été différés en méconnaissance des dispositions de l’article 39 B ; (…) » ; que l’objectif du législateur en instaurant ces dispositions combinées était, en application des principes généraux de détermination du résultat imposable, de permettre, notamment, l’imputation sur ce dernier de la perte résultant de la cession de titres ;
8. Considérant que l’administration a refusé la déduction des résultats de la société Kerguelan de l’année 2000 de la moins-value à court terme générée, pour un montant de 20 700 000F, par la cession à la société Scharn BV, au prix de 100 000F, des actions de la société Sefi, en se prévalant des dispositions de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales ; que, toutefois, l’administration n’a pas établi, ainsi qu’il a été dit, que l’acquisition en 1999 par la société Kerguelan des titres de la société Sefi et l’appréhension corrélative de dividendes auxquels étaient attachés des avoirs fiscaux, étaient constitutives d’une fraude à la loi ; que la moins-value de cession des titres Sefi constatée en 2000 par la société Kerguelan, qui n’est que la conséquence de la perte de valeur de la société Sefi consécutive à la distribution de dividendes opérée le 15 décembre 1999, ne peut en conséquence être regardée comme résultant d’une application littérale des dispositions combinées des articles 38 et 39 duodecies précités du code général des impôts, contraire à l’objectif poursuivi par leurs auteurs, et ayant été inspirée à la société requérante par l’unique motif d’obtenir un résultat négatif et donc d’éluder la charge fiscale ; que, par suite, l’administration n’établit pas que la perte constatée à l’occasion de la cession des actions de la société a été constitutive d’un abus de droit ;
9. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la société Kerguelan est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal a rejeté sa demande de décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés et de contribution sur cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 1999 et 2000 et des pénalités y afférentes ;
Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Sur la requête n° 11PA04250 :
11. Considérant que la Cour se prononçant, par le présent arrêt, sur la requête au fond n° 11PA00715, les conclusions de la requête susvisée sont devenues sans objet ;
D E C I D E :
Article 1er : Il n’y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 11PA04250 de la société Kerguelan.
Article 2 : L’article 3 du jugement n° 0601719 du 17 novembre 2010 du Tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 3 : La société Kerguelan est déchargée des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 1999 et 2000, restant en litige, et des pénalités y afférentes.
Article 4 : L’Etat versera à la société Kerguelan la somme de 1 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Nos 11PA00715, 11PA04250