Conseil d’État, 10ème / 9ème SSR, 21/09/2015, 380276, Inédit au recueil Lebon

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Conseil d’État, 10ème / 9ème SSR, 21/09/2015, 380276, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Mme C…B…a demandé au tribunal administratif de Nantes la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales, assorties des intérêts de retard, auxquelles elle a été assujettie au titre de l’année 2003. Par un jugement n° 0900824 du 29 novembre 2012, le tribunal a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 12NT03384 du 13 mars 2014, la cour administrative d’appel de Nantes a rejeté l’appel formé par Mme B…contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 13 mai et 13 août 2014 ainsi que les 15 juin et 7 août 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, Mme B…demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt du 13 mars 2014 de la cour administrative d’appel de Nantes ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Anne Iljic, auditeur,

– les conclusions de Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de Mme C…B…;

1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme C…B…détenait, dans le cadre d’une indivision familiale, 26 actions de la Banque des règlements internationaux (BRI) ; que, le 8 janvier 2001, l’assemblée générale extraordinaire de la BRI a décidé de modifier les statuts de cette institution afin, notamment, de réserver son actionnariat aux seules banques centrales et institutions financières internationales ; que la BRI a, en conséquence, procédé au rachat obligatoire de l’ensemble des actions qu’elle avait émises et qui étaient détenues par des personnes privées, au nombre desquelles celles détenues par l’indivisionB… ; qu’en contrepartie de ce rachat, Mme C…B…a reçu, au cours de l’année 2001, une première somme, correspondant à un prix de rachat fixé par la BRI à 16 000 francs suisses par titre ; que la procédure de rachat forcé ayant été contestée par certains actionnaires privés devant la Cour permanente d’arbitrage de La Haye, cette dernière a décidé, par une sentence partielle du 22 novembre 2002 complétée par une sentence définitive du 19 septembre 2003, que la correcte valorisation des titres ainsi rachetés devait conduire la BRI à verser aux cédants, dans les 90 jours suivant cette seconde sentence, une somme complémentaire d’environ 8 000 francs suisses par action, assortie d’intérêts moratoires ; que Mme B…a effectivement perçu à ce titre, au mois de novembre 2003, un versement complémentaire correspondant aux droits indivis qu’elle avait cédés ; qu’estimant que ces deux versements constituaient des indemnités réparant le préjudice né de la privation d’un élément de son patrimoine, Mme B…ne les a pas mentionnés dans ses déclarations de revenus ; qu’à l’issue d’un contrôle contradictoire de la situation personnelle de l’intéressée, l’administration fiscale a estimé, pour sa part, que le versement complémentaire perçu par la contribuable constituait un revenu imposable à l’impôt sur le revenu et aux contributions sociales au titre de l’année 2003 ; qu’appliquant, toutefois, à cette opération particulière de rachat la mesure fiscale de faveur mentionnée dans une réponse ministérielle faite le 18 juin 2001 à MmeA…, députée, et régulièrement publiée, le vérificateur a imposé la somme en cause, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, non pas au taux marginal mais au taux forfaitaire de 16 % alors applicable aux plus-values de cessions de valeurs mobilières ; que les impositions litigieuses procèdent, en droits et majorations, de cette rectification ;

Sur les moyens relatifs à la procédure d’imposition :

2. Considérant, en premier lieu, qu’il incombe à l’administration, quelle que soit la procédure d’imposition mise en oeuvre et au plus tard avant la mise en recouvrement, d’informer le contribuable dont elle envisage soit de rehausser, soit d’arrêter d’office les bases d’imposition, de l’origine et de la teneur des renseignements obtenus auprès de tiers, qu’elle a utilisés pour fonder les impositions, avec une précision suffisante pour permettre à l’intéressé de demander que les documents qui contiennent ces renseignements soient mis à sa disposition avant la mise en recouvrement des impositions qui en procèdent ; que, lorsque le contribuable lui en fait la demande, l’administration est tenue, sauf dans le cas d’informations librement accessibles au public, de lui communiquer les documents ou copies de documents contenant les renseignements obtenus auprès de tiers qui lui sont opposés, afin de lui permettre d’en vérifier l’authenticité ou d’en discuter la teneur ou la portée ;

3. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges d’appel que, pour contester la régularité de la procédure d’imposition dont elle avait fait l’objet, Mme B…a notamment soutenu qu’en se bornant à lui transmettre, par leur lettre datée du 29 août 2005, certains documents issus de l’exercice de leur droit de communication, à l’exclusion des sentences arbitrales des 22 novembre 2002 et 19 septembre 2003 mentionnées ci-dessus, les services fiscaux ont méconnu les obligations énoncées au point qui précède ;

4. Considérant, toutefois, qu’il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que, pour écarter ce moyen, la cour a successivement relevé que la demande de communication formulée par Mme B…le 7 juillet 2005 et à laquelle la lettre du 20 août 2005 avait pour objet de répondre ne portait que sur les informations et documents obtenus par l’administration fiscale dans l’exercice de son droit de communication, que cette lettre indiquait par ailleurs l’origine et la teneur des renseignements obtenus dans un autre cadre, issus des sentences arbitrales en cause et utilisés pour fonder les redressements litigieux, qu’enfin la contribuable s’était abstenue de solliciter par la suite la communication de ces sentences ; qu’en statuant ainsi, la cour n’a pas, contrairement à ce que soutient la requérante, méconnu la portée des obligations d’information et de communication pesant sur l’administration fiscale ;

5. Considérant, en second lieu, qu’aux termes de l’article R. 57-1 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction alors applicable :  » La proposition de rectification prévue par l’article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée. L’administration invite, en même temps, le contribuable à faire parvenir son acceptation ou ses observations dans un délai de trente jours à compter de la réception de la proposition.  » ;

6. Considérant que Mme B…a également fait valoir, devant les juges d’appel, que la lettre du 29 août 2005 déjà mentionnée n’indiquait pas, en méconnaissance des dispositions réglementaires citées ci-dessus, qu’un délai de 30 jours lui était imparti pour présenter ses observations sur la rectification qui lui avait été notifiée ;

7. Considérant, toutefois, qu’il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que, pour écarter ce moyen, la cour a successivement relevé que la proposition de rectification datée du 16 juin 2005 et notifiée à Mme B…mentionnait le délai prévu à l’article R. 57-1 du livre des procédures fiscales, que la lettre du 29 août 2009 ne constituait pas une nouvelle proposition de rectification mais une simple réponse de l’administration à la demande de communication de pièces formulée, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, par la requérante, enfin qu’aucune disposition législative ou règlementaire n’imposait alors à l’administration d’indiquer à la contribuable, à l’occasion d’une telle réponse, que l’intéressée disposait d’un nouveau délai de trente jours pour présenter ses observations ; qu’en retenant ces motifs, la cour n’a pas, contrairement à ce que soutient la requérante, dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis ni violé les dispositions en cause du livre des procédures fiscales ; que Mme B…ne peut utilement soutenir, pour la première fois en cassation, qu’aurait en outre été méconnue l’obligation de loyauté pesant sur l’administration fiscale, alors au surplus qu’un délai supérieur à 30 jours s’est écoulé, dans les faits, entre la réception par la contribuable de la lettre du 29 août 2005 et celle de la réponse faite à ses observations par l’administration fiscale ;

Sur les moyens relatifs au bien-fondé de l’imposition :

8. Considérant qu’aux termes de l’article 120 du code général des impôts, dans sa rédaction alors applicable :  » Sont considérés comme revenus au sens du présent article : / 1° Les dividendes, intérêts, arrérages et tous autres produits des actions de toute nature et des parts de fondateur des sociétés, compagnies ou entreprises financières, industrielles, commerciales, civiles et généralement quelconques dont le siège social est situé à l’étranger quelle que soit l’époque de leur création ; / (…) 3° Les répartitions faites aux associés, aux actionnaires et aux porteurs de parts de fondateur des mêmes sociétés, à un titre autre que celui de remboursement d’apports ou de primes d’émission. Une répartition n’est réputée présenter le caractère d’un remboursement d’apport ou de prime que si tous les bénéfices ou réserves ont été auparavant répartis. Les dispositions prévues à la deuxième phrase ne s’appliquent pas lorsque la répartition est effectuée au titre du rachat par la société émettrice de ses propres titres. / Ne sont pas considérées comme des apports pour l’application de la présente disposition : / a. Les réserves incorporées au capital (…)  » ;

9. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges d’appel que, pour demander la décharge des impositions litigieuses, Mme B…a notamment soutenu que le versement complémentaire qu’elle avait perçu en 2003 en exécution de la seconde sentence arbitrale mentionnée ci-dessus avait exclusivement pour objet de compenser la perte d’un élément de son patrimoine et ne pouvait, dès lors, être légalement soumis à l’impôt sur le revenu et aux contributions sociales, notamment pas sur le fondement des dispositions législatives citées au point qui précède, que ce versement ne pouvait, en tout état de cause, être qualifié de répartition faite à un actionnaire de la BRI, au sens et pour l’application de ces dispositions, compte tenu tant de la nature juridique particulière de la BRI et des parts sociales émises par cette institution que du caractère forcé de la cession décidée en 2001 et de la circonstance que la contribuable n’était plus actionnaire de la BRI à la date du versement litigieux, enfin, à titre subsidiaire, qu’un tel versement ne pouvait être soumis à l’impôt sur le revenu au taux proportionnel de 16 % qu’au titre de l’exercice au cours duquel était intervenu le transfert de propriété dont il constituait la contrepartie soit, en l’espèce, au titre de la seule année 2001 ;

10. Considérant, toutefois, en premier lieu, qu’en jugeant implicitement mais nécessairement, pour écarter ce moyen, que les actions de la BRI étaient au nombre des  » actions de toute nature et des parts de fondateur des sociétés, compagnies ou entreprises financières, industrielles, commerciales, civiles et généralement quelconques dont le siège social est situé à l’étranger  » mentionnées à l’article 120 du code général des impôts cité ci-dessus, sans qu’y fît obstacle le statut juridique particulier, en droit international, de cette organisation, la cour n’a pas, contrairement à ce que soutient la requérante, inexactement qualifié les faits de l’espèce ; qu’en jugeant en outre, implicitement mais nécessairement, que le caractère forcé du rachat de ces actions ne faisait pas obstacle à ce que les dispositions du 3° de cet article soient appliquées, le cas échéant, aux sommes perçues par les actionnaires en contrepartie de ce rachat, la cour n’a pas davantage commis d’erreur de droit ;

11. Considérant, en deuxième lieu, qu’en tant qu’elles réservent le cas des répartitions faites  » au titre du remboursement d’apports ou de primes d’émission « , les dispositions du 3° de l’article 120 du code général des impôts exceptent nécessairement de l’imposition sur le revenu qu’elles organisent dans la catégorie des revenus mobiliers, toute somme qui serait versée à l’associé des personnes morales visées par ces dispositions dans le seul but de compenser une éventuelle perte, par l’intéressé, de l’élément de patrimoine constitué par ses droits sociaux ; qu’il appartient, dès lors, au juge de l’impôt, en cas de contestation d’une imposition fondée sur ces dispositions, de rechercher, notamment, si les sommes soumises à cette imposition n’ont été versées au contribuable que dans ce but ; que tel ne saurait être le cas de la partie des sommes versées excédant la valeur des apports consentis par l’associé ou le coût supporté par ce dernier pour acquérir les parts sociales en cause ;

12. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l’administration fiscale soutenait, sans être contredite sur ce point, que le premier versement intervenu au profit de la contribuable en 2001, à hauteur de 16 000 francs suisses par action et en franchise d’impôt, était  » de nature à représenter la valeur du remboursement d’apports ou le prix d’acquisition des titres  » ; que, par l’arrêt attaqué, la cour a expressément relevé qu’en l’espèce, le versement complémentaire perçu par Mme B…en 2003  » excédait le montant de son apport  » ; qu’en retenant ce motif, la cour a souverainement apprécié les éléments qui lui étaient soumis, sans les dénaturer ; qu’en déduisant de cette constatation et des motifs exposés au point 10 que le versement complémentaire de 2003 devait être regardé comme une répartition faite aux membres de l’indivisionB…, en leur qualité d’actionnaires de la BRI, en contrepartie du rachat de leurs actions et à un titre autre que celui de remboursement d’apports ou de primes d’émission, au sens et pour l’application du 3° de l’article 120 du code général des impôts, la cour n’a pas, contrairement à ce que soutient la requérante, donné aux faits de l’espèce une qualification juridique inexacte ;

13. Considérant, en troisième et dernier lieu, qu’en jugeant que ce versement constituait, par suite, un revenu imposable à l’impôt sur le revenu et aux contributions sociales au titre de l’année au cours de laquelle la contribuable en avait eu la disposition et non une plus-value de cession imposable à la date du transfert de propriété, la cour n’a pas commis d’erreur de droit ; que la requérante ne peut utilement se prévaloir sur ce point, pour la première fois en cassation, de ce que, conformément à la mesure de faveur prévue par la réponse ministérielle du 18 juin 2001 mentionnée au point 1, ce revenu a été soumis à l’imposition au taux proportionnel de 16 % prévue à l’article 150-0 A du code général des impôts, dès lors qu’en tout état de cause, cette mesure n’avait ni pour objet, ni pour effet de soumettre les sommes perçues en contrepartie du rachat forcé d’actions de la BRI au régime des plus-values de cession de valeurs mobilières mais seulement de prévoir l’application à ces sommes d’un taux d’imposition forfaitaire, en lieu et place du barème progressif de l’impôt sur le revenu ;

14. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que Mme B…n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque ; que, par suite, doivent être rejetées les conclusions qu’elle a présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

————–

Article 1er : Le pourvoi de Mme B…est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme C…B…et au ministre des finances et des comptes publics.

ECLI:FR:CESSR:2015:380276.20150921


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