Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête enregistrée le 7 février 1992, présentée par le ministre du budget ;
Le ministre demande à la Cour :
1°) d’annuler le jugement en date du 8 octobre 1991 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a accordé à Mme Emile X… la décharge des cotisations supplémentaires à l’impôt sur le revenu auxquelles elle a été assujettie au titre des années 1980, 1981 et 1983 ;
2°) de décider que Mme Emile X… sera rétablie au rôle de l’impôt sur le revenu au titre des années susmentionnées pour les montants respectifs de 22 643 F, 40 597 F et 82 471 F au titre des années susmentionnées ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été dûment averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 23 septembre 1993 :
– le rapport de M. LE CARPENTIER, Conseiller,
– et les conclusions de Mme FELMY, Commissaire du Gouvernement ;
Considérant qu’à la suite d’une vérification sur pièces effectuée en 1984, l’administration a réintégré dans les résultats de la S.A. SIFE, venant aux droits de la S.A. Electroli, les sommes de 100 610 F, 287 820 F et 307 968 F au titre respectivement des exercices 1979/1980, 1980/1981 et 1982/1983 que ladite société avait déduites de son bénéfice imposable ; que corrélativement, l’administration a estimé que lesdites sommes constituaient des revenus distribués au profit de M. Emile X…, ancien président-directeur général de cette même société et l’a assujetti à des cotisations supplémentaires à l’impôt sur le revenu pour les montants de 22 643 F, 40 597 F et 82 471 F respectivement au titre des années 1980, 1981 et 1983 ; que par jugement en date du 8 octobre 1991, le tribunal administratif de Strasbourg a déchargé Mme veuve Emile X…, venant aux droits de M. Emile X… des impositions en cause ; que le ministre du budget relève appel dudit jugement en demandant que Mme veuve X… soit rétablie au rôle de l’impôt sur le revenu au titre des années concernées ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant que pour accorder à Mme veuve Emile X… la décharge de l’imposition contestée le tribunal administratif s’est référé à son jugement du même jour par lequel il avait également déchargé la S.A. SIFE des cotisations supplémentaires à l’impôt sur les sociétés auxquelles ladite S.A. avait été assujettie ; que compte tenu de la nature de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur les sociétés, et quels que fussent en l’espèce les liens de fait et de droit entre ces deux impositions, le tribunal ne pouvait se borner à motiver la décharge accordée à Mme X… en matière d’impôt sur le revenu par une simple référence à celle accordée à la société SIFE en matière d’impôt sur les sociétés ; qu’ainsi le jugement attaqué est insuffisamment motivé ; que, par suite, le ministre du budget est fondé à soutenir que le jugement attaqué est irrégulier et doit être annulé ;
Considérant qu’il y a lieu d’évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme veuve Emile X… devant le tribunal administratif ;
Sur l’acte anormal de gestion :
Considérant qu’aux termes de l’article 39 du code général des impôts applicable en matière d’impôt sur les sociétés en vertu de l’article 209 du même code : « 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment : 1° Les frais généraux de toute nature … » ;
Considérant que par contrat en date du 27 septembre 1979, M. Emile X…, président-directeur général de la S.A. Electroli, devenue la S.A. SIFE, a concédé à ladite société anonyme la licence exclusive sur le territoire français des marques Kity et Kity-Conseil dont il était l’inventeur et qu’il avait déposées, la première en 1960 et 1975 et la seconde en 1979 ; que l’administration a estimé que le paiement des redevances ainsi versées en exécution du contrat susmentionné par la S.A. SIFE à M. X…, constituait un acte anormal de gestion lui interdisant par voie de conséquence de porter lesdites redevances en charges déductibles de son bénéfice imposable ;
Considérant que pour apporter la preuve de l’absence d’intérêt pour la S.A. SIFE de la concession de licence des marques litigieuses, l’administration invoque la communauté d’intérêts existant entre ladite société anonyme et son président-directeur général alors que cette circonstance ne constitue pas par elle-même la preuve d’une libéralité déguisée ; qu’elle fait valoir, sans toutefois l’établir, que le directeur salarié de la S.A. Electroli n’aurait pas été en mesure de discuter avec M. Emile X…, les termes du contrat de concession litigieux dont les stipulations ont pourtant fixé le montant des redevances à 0,50 % du chiffre d’affaires, soit à niveau qui ne peut être considéré comme excessif ;
Considérant que l’administration soutient par ailleurs qu’en accordant seulement en 1979 la concession de licence de la marque Kity à la S.A. Electroli alors que cette dernière l’utilisait déjà depuis 1960, M. X… a assuré la promotion de ladite marque grâce à la commercialisation pendant plusieurs années des produits sur lesquels elle était apposée ;
Considérant que si la valeur d’une marque dépend étroitement de l’usage commercial qui en est fait, un tel usage comme le prévoit l’article 11 de la loi du 31 décembre 1964, s’impose au déposant pour préserver la garantie de ses droits ; que la décision de concéder une marque déposée à la société dont il est à la fois le dirigeant et le principal actionnaire relève pour l’inventeur de ladite marque, d’un choix qui lui appartient en propre ; qu’il en est de même en ce qui concerne le fait de différer pendant plusieurs années la concession de cette marque alors qu’il n’est pas démontré que la valeur de celle-ci qui ne résulte pas au demeurant de critères exclusivement commerciaux, aurait été supérieure lorsqu’elle a fait l’objet de la concession litigieuse ; que dès lors, nonobstant la circonstance que M. X… aurait en 1972 concédé à une société suisse pour un montant peu élevé l’exploitation à l’étranger de la marque Kity, l’administration n’établit pas, comme l’ont estimé les premiers juges, l’absence d’intérêt qu’a présenté pour la S.A. Electroli, la concession par son président-directeur général de la licence de ladite marque ; Sur le caractère d’élément incorporel de l’actif immobilisé :
Considérant que pour justifier le bien-fondé des impositions contestées, l’administration invoque en appel, par la voie d’une substitution de base légale, le fait que les droits acquis par la S.A. Electroli pour l’exploitation des marques Kity et Kity-Conseil, constitueraient en fait un élément incorporel de l’actif immobilisé de l’entreprise interdisant à celle-ci de porter en charges déductibles de ses résultats les redevances ainsi versées à M. X… ;
Considérant qu’aux termes de l’article 38 du code général des impôts : « 1. Sous réserve des dispositions des articles 33 ter, 40 à 43 bis et 151 sexies, le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé d’après les résultats d’ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises, y compris notamment les cessions d’éléments quelconques de l’actif, soit en cours, soit en fin d’exploitation … »
Considérant que l’actif immobilisé d’une entreprise se compose des biens de toute nature qui ont été acquis par celle-ci non pas pour être vendus mais pour être utilisés d’une manière durable comme instrument ou moyen d’exploitation dans le cadre de l’activité professionnelle de ladite entreprise ; que doit être considéré comme un élément incorporel de l’actif immobilisé de l’entreprise, un droit constituant une source régulière de profits, dotée d’une pérennité suffisante ;
Considérant qu’il résulte de l’instruction qu’en exécution de la convention susmentionnée du 27 septembre 1979, M. Emile X… a concédé à la S.A. Electroli pour une durée de dix ans et de façon exclusive sur toute l’étendue du territoire français la licence des marques Kity et Kity-Conseil ; que ladite convention renouvelable par tacite reconduction ne pouvait être dénoncée par le concédant que dans deux cas strictement déterminés ; que si toutefois la société concessionnaire n’était autorisée à concéder à tiers des sous-licences qu’en ce qui concerne uniquement la marque Kity-Conseil, il résulte néanmoins des clauses de la convention précitée que la durée pour laquelle elle était conclue et l’étendue de son application territoriale assuraient à la S.A. Electroli des revenus garantis sur une période suffisamment longue pour l’exploitation des deux marques Kity et Kity-Conseil ; qu’ainsi il en résulte que la S.A. Electroli était tenue de faire figurer les droits acquis à raison de la concession litigieuse parmi les éléments incorporels de son actif immobilisé ; que dès lors c’est à bon droit que l’administration estime que le montant des redevances de concession de licence des marques Kity et Kity-Conseil devait être exclu des charges déductibles de son bénéfice imposable au titre de l’impôt sur les sociétés pour les exercices 1979/1980, 1980/1981 et 1982/1983 ;
Sur les revenus de capitaux mobiliers :
Considérant qu’aux termes de l’article 109 du code général des impôts : « 1. Sont considérés comme revenus distribués : 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital … ; et de l’article 110 du même code : « Pour l’application de l’article 109-1-1°, les bénéfices s’entendent de ceux qui ont été retenus pour l’assiette de l’impôt sur les sociétés … » ;
Considérant que dans le cas où une société a porté, à tort, en charges déductibles, le prix d’acquisition d’un élément d’actif immobilisé et a ainsi ouvert à l’administration le droit de redresser les bases d’imposition de cette société à l’impôt sur les sociétés, ni les dispositions précitées des articles 109-1-1° et 110 du code, ni aucune autre disposition législative, n’ont pour effet de permettre de regarder, de plein droit, les redevances versées par le concessionnaire au concédant, propriétaire d’une marque, comme un revenu distribué, imposable entre les mains de celui-ci dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers ; qu’en l’espèce, les versements faits par la S.A. Electroli à M. Emile X… avaient pour contrepartie l’acquisition par ladite S.A. de l’exploitation des marques Kity et Kity-Conseil, qui constituait un élément incorporel de son actif immobilisé ; qu’il résulte de ce qui a été dit ci-dessus qu’alors même que la société a passé à tort en charges les redevances d’exploitation des marques précitées et que l’administration a, à bon droit, redressé ses bases d’imposition à l’impôt sur les sociétés, le prix perçu par M. X… pour la concession des marques Kity et Kity-Conseil ne peut être regardé, pour autant, comme un revenu distribué ; que par ailleurs, l’administration n’établit pas, comme elle le soutient ainsi qu’il a été indiqué plus haut, que le montant des redevances versées par la société concessionnaire serait anormalement élevé et constituerait ainsi une distribution imposable entre les mains de celui-ci ; que dès lors Mme veuve Emile X…, venant aux droits de M. Emile X…, est fondée à demander la décharge des cotisations supplémentaires à l’impôt sur le revenu auxquelles M. X… a été assujetti pour les années 1980, 1981 et 1983 ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg en date du 8 octobre 1991 est annulé.
Article 2 : Mme veuve Emile X… est déchargée des cotisations supplémentaires à l’impôt sur le revenu auxquelles M. Emile X… a été assujetti pour les montants de 22 643 F, 40 597 F, 82 471 F respectivement au titre des années 1980, 1981 et 1983 ;
Article 3 : Les conclusions du ministre du budget sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre du budget et à Mme veuve Emile X….