Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme A…W…, M. et Mme B…F…, M. et Mme C…J…, Mme O…L…, M. et Mme K…N…, Mme S…G…, M. U…G…, M. et Mme D…R…, M. T…I…et M. C…E…ont demandé au tribunal administratif d’Amiens, par une première demande enregistrée sous le n° 1501459, d’annuler l’arrêté du 6 novembre 2014 par lequel le préfet de la région Picardie a autorisé la société » Parc Eolien Nordex III » à exploiter un parc éolien sur le territoire des communes de Voharies, Saint-Gobert, Lugny et Houry, et, par une seconde demande enregistrée sous le n° 1600209, d’annuler l’arrêté du 22 mai 2015 par lequel le préfet de la région Picardie a modifié cet arrêté du 6 novembre 2014.
Par un jugement nos 1501459,1600209 du 7 novembre 2017, le tribunal administratif d’Amiens, après avoir joint ces deux demandes et donné acte du désistement de Mme V…J…, a annulé ces arrêtés des 6 novembre 2014 et 22 mai 2015.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée le 21 novembre 2017 sous le n° 17DA02173, et un mémoire, enregistré le 13 juin 2019, la société » Parc éolien Nordex III « , représentée par la société d’avocats LPA-CGR, demande à la cour :
1°) d’annuler ce jugement ;
2°) de rejeter les demandes présentées devant le tribunal administratif d’Amiens ;
3°) ou, à défaut, de prononcer un sursis à statuer dans l’attente de la régularisation par la délivrance d’une autorisation modificative ;
4°) de mettre à la charge de chacun des appelants la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– le jugement attaqué, entaché d’une insuffisance de motivation et d’une contradiction de motifs, est irrégulier ;
– c’est à tort que les premiers juges ont estimé irrégulier l’avis émis par le préfet de la région Picardie en sa qualité d’autorité environnementale, aucune disposition ne faisant obstacle à ce qu’une même autorité autorise un projet éolien et soit chargée de la consultation en matière environnementale ;
– l’éventuelle irrégularité de cet avis n’a pas, en l’espèce, été susceptible d’exercer une influence sur le sens des décisions prises, ni privé les intéressés d’une garantie ;
– si le moyen tiré de ce vice devait être confirmé, il y aurait lieu, en application des dispositions de l’article L. 181-18 du code de l’environnement, de surseoir à statuer dans l’attente de sa régularisation par la délivrance d’une autorisation modificative ;
– c’est à tort que les premiers juges ont estimé insuffisantes les indications relatives aux capacités techniques et financières contenues dans le dossier de demande ;
– l’éventuelle insuffisance de ces indications n’a pas, en l’espèce, été susceptible d’exercer une influence sur le sens des décisions prises, ni privé les intéressés d’une garantie ;
– le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article L. 515-44 du code de l’environnement n’est pas fondé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 avril 2019, et autre mémoire, enregistré le 18 juin 2019, ce dernier n’ayant pas été communiqué, M. et Mme A…W…, M. et Mme B…F…, Mme O…L…, M. U…G…, Mme S…G…, M. et Mme D…R…, M. T…I…et M. C…E…, représentés par Me P…H…, concluent au rejet de la requête et à la mise à la charge de l’Etat et de la société » Parc éolien Nordex III » de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
– les moyens de la requête ne sont pas fondés ;
– les arrêtés en litige méconnaissent les dispositions de l’article L. 515-44 du code de l’environnement.
II. Par une requête, enregistrée le 21 novembre 2017 sous le n° 17DA02174, la société » Parc éolien Nordex III « , représentée par la société d’avocats LPA-CGR, demande à la cour :
1°) de surseoir à l’exécution de ce jugement, sur le fondement soit de l’article R. 811-15 du code de justice administrative, soit de l’article R. 811-17 du même code ;
2°) de mettre à la charge des appelants la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– en ce qui concerne la demande de sursis fondée sur l’article R. 811-15 du code de justice administrative :
– le jugement, entaché d’une insuffisance de motivation, est irrégulier ;
– c’est à tort que les premiers juges ont estimé irrégulier l’avis émis par le préfet de la région Picardie en sa qualité d’autorité environnementale, aucune disposition ne faisant obstacle à ce qu’une même autorité autorise un projet éolien et soit chargée de la consultation en matière environnementale ;
– c’est à tort que les premiers juges ont estimé insuffisantes les indications relatives aux capacités techniques et financières contenues dans le dossier de demande ;
– en ce qui concerne la demande de sursis fondée sur l’article R. 811-17 du code de justice administrative :
– l’exécution du jugement risque d’entraîner des conséquences irréparables ;
– le jugement est irrégulier et mal-fondé, pour les mêmes raisons que celles invoquées à l’appui de la demande de sursis fondée sur l’article R. 811-15 du code de justice administrative.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 avril 2019, M. et Mme A…W…, M. et Mme B…F…, Mme O…L…, Mme S…G…, M. U…G…, M. et Mme D…R…, M. T…I…et M. C…E…, représentés par Me P…H…, concluent au rejet de la requête et à la mise à la charge de l’Etat et de la société » Parc éolien Nordex III » de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
III. Par une requête, enregistrée le 5 janvier 2018 sous le n° 18DA00041, le ministre de la transition écologique et solidaire demande à la cour :
1°) d’annuler ce jugement ;
2°) de rejeter les demandes présentées devant le tribunal administratif d’Amiens.
Le ministre soutient que :
– le jugement attaqué, entaché d’une insuffisance de motivation, est irrégulier ;
– c’est à tort que les premiers juges ont estimé irrégulier l’avis émis par le préfet de la région Picardie en sa qualité d’autorité environnementale, aucune disposition ne faisant obstacle à ce qu’une même autorité autorise un projet éolien et soit chargée de la consultation en matière environnementale ;
– c’est à tort que les premiers juges ont estimé insuffisantes les indications relatives aux capacités techniques et financières contenues dans le dossier de demande ;
– les autres moyens des demandeurs ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 avril 2019, M. et Mme A…W…, M. et Mme B…F…, Mme O…L…, Mme S…G…, M. U…G…, M. et Mme D…R…, M. T…I…et M. C…E…, représentés par Me P…H…, concluent au rejet de la requête et à la mise à la charge de l’Etat et de la société » Parc éolien Nordex III » de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par un mémoire en intervention, enregistré le 13 juin 2019, la société » Parc éolien Nordex III « , représentée par la société d’avocats LPA-CGR, demande à la cour :
1°) de faire droit aux conclusions de la requête du ministre de la transition écologique et solidaire ;
2°) de rejeter les demandes présentées devant le tribunal administratif d’Amiens ;
3°) ou, à défaut, de prononcer un sursis à statuer dans l’attente de la régularisation par la délivrance d’une autorisation modificative ;
4°) de mettre à la charge de chacun des intimés le versement de la somme de 1 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– le jugement attaqué, entaché d’une insuffisance de motivation et d’une contradiction de motifs, est irrégulier ;
– c’est à tort que les premiers juges ont estimé irrégulier l’avis émis par le préfet de la région Picardie en sa qualité d’autorité environnementale, aucune disposition ne faisant obstacle à ce qu’une même autorité autorise un projet éolien et soit chargée de la consultation en matière environnementale ;
– l’éventuelle irrégularité de cet avis n’a pas, en l’espèce, été susceptible d’exercer une influence sur le sens des décisions prises, ni privé les intéressés d’une garantie ;
– si le moyen tiré de ce vice devait être confirmé, il y aurait lieu, en application des dispositions de l’article L. 181-18 du code de l’environnement, de surseoir à statuer dans l’attente de sa régularisation par la délivrance d’une autorisation modificative ;
– c’est à tort que les premiers juges ont estimé insuffisantes les indications relatives aux capacités techniques et financières contenues dans le dossier de demande ;
– l’éventuelle insuffisance de ces indications n’a pas, en l’espèce, été susceptible d’exercer une influence sur le sens des décisions prises, ni privé les intéressés d’une garantie ;
– le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article L. 515-44 du code de l’environnement n’est pas fondé.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
– la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ;
– le code de l’aviation civile ;
– le code de l’environnement ;
– le code des transports ;
– le code de l’urbanisme ;
– la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 ;
– l’ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 ;
– le décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 ;
– le décret n° 2009-235 du 27 février 2009 ;
– le décret n° 2011-984 du 23 août 2011 ;
– le décret n° 2011-2019 du 29 décembre 2011 ;
– l’arrêté du 25 juillet 1990 relatif aux installations dont l’établissement à l’extérieur des zones grevées de servitudes aéronautiques de dégagement est soumis à autorisation ;
– l’arrêté du 26 août 2011 relatif à la remise en état et à la constitution des garanties financières pour les installations de production d’électricité utilisant l’énergie mécanique du vent ;
– l’arrêté du 26 août 2011 relatif aux installations de production d’électricité utilisant l’énergie mécanique du vent au sein d’une installation soumise à autorisation au titre de la rubrique 2980 de la législation des installations classées pour la protection de l’environnement ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. Jimmy Robbe, premier conseiller,
– les conclusions de Mme Amélie Fort-Besnard, rapporteur public,
– et les observations de Me Q…M…, représentant la société » Parc éolien Nordex III « , et de Me P…H…, représentant M. et Mme A…W…et autres.
Deux notes en délibéré présentées par la société » Parc éolien Nordex III » ont été enregistrées le 26 juin 2019, dans les requêtes n°17DA02173 et n° 18DA00041.
Considérant ce qui suit :
1. La société » Parc éolien Nordex III » a déposé le 4 janvier 2012, et complété le 18 février 2013, une demande d’autorisation d’exploitation au titre de la législation sur les installations classées pour la protection de l’environnement portant sur un parc éolien composé de six éoliennes et un poste de livraison sur le territoire des communes de Voharies, Saint-Gobert, Lugny et Houry. Le préfet de la région Picardie, qui, par un arrêté du 14 juin 2012, avait évoqué la compétence des préfets de départements en matière d’éoliens, a accordé cette autorisation par un arrêté du 6 novembre 2014, et l’a modifiée par un arrêté du 22 mai 2015. La société » Parc éolien Nordex III » sous le n° 17DA02173, et le ministre de la transition écologique et solidaire sous le n° 18DA00041, relèvent appel du jugement du 7 novembre 2017 par lequel le tribunal administratif d’Amiens a, à la demande de M. et Mme A…W…, de M. et Mme B…F…,de M. et Mme C…J…, de Mme O…L…, de M. et Mme K…N…, de Mme S…G…, de M. U…G…, de M. et Mme D…R…, de M. T…I…et de M. C…E…, annulé ces arrêtés. La société » Parc éolien Nordex III » demande également, par une requête distincte enregistrée sous le n° 17DA02174, qu’il soit sursis à l’exécution de ce jugement sur le fondement des dispositions de l’article R. 811-15 ou de celles de l’article R. 811-17 du code de justice administrative.
Sur la jonction :
2. Les requêtes visées ci-dessus sont dirigées contre le même jugement. Il y a donc lieu de les joindre pour qu’il y soit statué par un seul arrêt.
Sur la régularité du jugement :
3. Aux termes de l’article L. 9 du code de justice administrative : » Les jugements sont motivés « .
4. Le jugement attaqué cite les dispositions, dans leur rédaction applicable, du III de l’article L. 122-1 du code de l’environnement, prévoyant la transmission pour avis à l’autorité environnementale du dossier présentant le projet, et notamment de l’étude d’impact, et du III de l’article R. 122-6 du même code, désignant comme autorité environnementale le préfet de région dans les cas ne relevant pas du I ou du II. Ce jugement mentionne également l’arrêté du 14 juin 2012, par lequel le préfet de la région Picardie a décidé, à compter du 30 juin 2012 et jusqu’au 31 décembre 2016 au plus tard, d’évoquer la compétence des préfets de départements, afin d’assurer » à l’échelle des trois départements de la région Picardie, l’harmonisation de l’instruction des dossiers et des décisions accordant ou refusant les permis de construire et les autorisations d’exploiter les éoliennes terrestres « . Les premiers juges ont ainsi déduit de l’application de ces dispositions du code de l’environnement et de cet arrêté du 14 juin 2012 que » le préfet de la région Picardie exerçait simultanément les fonctions d’autorité décisionnaire en ce qui concerne l’autorisation d’exploiter le parc éolien de Vilpion par la société « Parc éolien Nordex III » et d’autorité environnementale chargée d’émettre un avis sur la demande correspondante de cette société « . Pour accueillir le moyen tiré de l’irrégularité de l’avis émis le 27 mai 2013 par le préfet de la région Picardie en sa qualité d’autorité environnementale, ils ont estimé que » les requérants sont fondés à soutenir que cette réunion de la compétence décisionnaire et de la compétence environnementale dans une même autorité n’est pas de nature à garantir que la compétence consultative en matière environnementale serait exercée, par cette autorité, dans des conditions assurant que l’autorité environnementale disposait d’une autonomie effective « . Mais ils n’ont pas exposé les motifs de droit en vertu desquels cette autonomie effective devait être assurée, alors que les dispositions du code de l’environnement précédemment citées ne l’exigent pas, et qu’il leur appartenait ainsi, pour motiver en droit leur jugement, d’indiquer quelle est la règle, en l’espèce la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011, telle qu’interprétée par la Cour de justice de l’Union européenne, qui impose cette autonomie effective et avec laquelle, en conséquence, ces dispositions du droit national sont incompatibles. Le jugement attaqué est, ainsi, insuffisamment motivé et doit être annulé, sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen d’irrégularité soulevé.
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’évoquer et de statuer immédiatement sur les demandes présentées par M. et Mme W…et autres devant le tribunal administratif d’Amiens.
Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir des demandeurs :
6. Aux termes du I de l’article L. 514-6 du code de l’environnement relatif au contentieux des installations classées pour la protection de l’environnement, dans sa rédaction en vigueur à la date des décisions en litige : » Les décisions prises en application des articles L. 171-7, L. 171-8 et L. 171-10, L. 512-1, L. 512-3, L. 512-7-3 à L. 512-7-5, L. 512-8, L. 512-12, L. 512-13, L. 512-20, L. 513-1, L. 514-4, du I de l’article L. 515-13 et de l’article L. 516-1 sont soumises à un contentieux de pleine juridiction « . Selon les dispositions de l’article R. 514-3-1 du même code, dans leur version alors applicable : » Sans préjudice de l’application des articles L. 515-27 et L. 553-4, les décisions mentionnées au I de l’article L. 514-6 et aux articles L. 211-6, L. 214-10 et L. 216-2 peuvent être déférées à la juridiction administrative : / – par les tiers, personnes physiques ou morales, les communes intéressées ou leurs groupements, en raison des inconvénients ou des dangers que le fonctionnement de l’installation présente pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1 dans un délai d’un an à compter de la publication ou de l’affichage de ces décisions (…) « .
7. En application de ces dispositions, il appartient au juge administratif d’apprécier si les tiers personnes physiques qui contestent une décision prise au titre de la police des installations classées justifient d’un intérêt suffisamment direct leur donnant qualité pour en demander l’annulation, compte tenu des inconvénients et dangers que présente pour eux l’installation en cause, appréciés notamment en fonction de la situation des intéressés et de la configuration des lieux.
8. Il résulte de l’instruction que M. et Mme W…et autres sont propriétaires ou occupants de terrains situés à des distances variant de 600 à 2 150 mètres par rapport à un ou plusieurs des six aérogénérateurs, lesquels, d’une hauteur d’environ 150 mètres, seront visibles à partir de ces terrains ainsi qu’il ressort des photomontages versés au dossier. Si la société » Parc éolien Nordex III » fait valoir que ces photomontages dont la méthodologie ne serait pas indiquée seraient faussés par l’usage du contre-jour, une couleur grise pour les mâts et une focale trop importante, ces éléments, s’ils peuvent amplifier la prégnance des éoliennes dans le paysage en cause, n’exagèrent pas pour autant leur visibilité depuis les parcelles en cause, situation qui est d’ailleurs corroborée par le tableau de comparaison altimétrique produit par les requérants. Si cette même société fait également valoir que l’éolienne n° 6 ne serait pas visible depuis le point de vue adopté depuis le terrain de M.J…, à supposer cette allégation avérée, les éoliennes nos 4 et 5 sont également visibles depuis ce terrain. La modification substantielle de l’environnement visuel des intéressés leur donne ainsi intérêt pour agir contre les arrêtés attaqués des 6 novembre 2014 et 22 mai 2015. Par suite, les fins de non-recevoir opposées par la société » Parc éolien Nordex III » doivent être rejetées.
Sur la légalité des arrêtés des 6 novembre 2014 et 22 mai 2015 :
En ce qui concerne la compétence du préfet de région :
9. Aux termes de l’article 2 du décret du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l’organisation et à l’action des services de l’Etat dans les régions et départements : » (…) le préfet de région peut également évoquer, par arrêté et pour une durée limitée, tout ou partie d’une compétence à des fins de coordination régionale. Dans ce cas il prend les décisions correspondantes en lieu et place des préfets de département « .
10. Par un arrêté du 14 juin 2012, le préfet de la région Picardie, préfet de la Somme, a décidé d’évoquer les compétences des préfets de département à compter du 30 juin 2012 jusqu’au 31 décembre 2016 au plus tard, afin d’assurer » à l’échelle des trois départements de la région Picardie, l’harmonisation de l’instruction des dossiers et des décisions accordant ou refusant les permis de construire et les autorisations d’exploiter les éoliennes terrestres « . Cet arrêté permet ainsi, conformément aux dispositions de l’article 2 du décret du 29 avril 2004 ci-dessus reproduites, de coordonner, pour une durée limitée, l’instruction et la délivrance des autorisations d’exploiter susceptibles de favoriser le développement de l’énergie éolienne et de respecter ainsi les objectifs internationaux de la France relatifs à la réduction des gaz à effet de serre visés dans l’arrêté préfectoral d’évocation. La circonstance alléguée que la procédure d’élaboration du schéma régional du climat, de l’air et de l’énergie de Picardie comprenant le schéma régional éolien n’avait pas encore été engagée à la date de cet arrêté du 14 juin 2012 est sans incidence sur la légalité de celui-ci dès lors que le préfet de région a entendu maintenir un cadre d’implantation cohérent des éoliennes en Picardie.
11. Par suite, M. et Mme A…W…et autres ne sont pas fondés à soutenir que le préfet de région n’avait pas régulièrement évoqué sa compétence relative à la délivrance des autorisations d’exploiter les éoliennes et que, par conséquent, les arrêtés préfectoraux en litige auraient été signés par une autorité incompétente.
En ce qui concerne l’insuffisante indication des capacités techniques et financières dans le dossier de demande d’autorisation :
12. Il appartient au juge du plein contentieux des installations classées pour la protection de l’environnement d’apprécier le respect des règles de procédure régissant la demande d’autorisation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date de délivrance de l’autorisation et celui des règles de fond régissant l’installation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date à laquelle il se prononce. Les obligations relatives à la composition du dossier de demande d’autorisation d’une installation classée relèvent des règles de procédure. Les inexactitudes, omissions ou insuffisances affectant ce dossier ne sont susceptibles de vicier la procédure et ainsi d’entacher d’irrégularité l’autorisation que si elles ont eu pour effet de nuire à l’information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative. En outre, eu égard à son office, le juge du plein contentieux des installations classées peut prendre en compte la circonstance, appréciée à la date à laquelle il statue, que de telles irrégularités ont été régularisées, sous réserve qu’elles n’aient pas eu pour effet de nuire à l’information complète de la population.
13. Aux termes de l’article R. 512-3 du code de l’environnement, dans sa rédaction en vigueur à la date des arrêtés en litige : » La demande prévue à l’article R. 512-2, remise en sept exemplaires, mentionne : / (…) 5° Les capacités techniques et financières de l’exploitant (…) « .
14. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d’une autorisation d’exploiter une installation classée pour la protection de l’environnement est tenu de fournir, à l’appui de son dossier, des indications précises et étayées sur ses capacités techniques et financières. Le pétitionnaire doit notamment justifier disposer de capacités techniques et financières propres ou fournies par des tiers de manière suffisamment certaine, le mettant à même de mener à bien son projet et d’assumer l’ensemble des exigences susceptibles de découler du fonctionnement, de la cessation éventuelle de l’exploitation et de la remise en état du site au regard des intérêts mentionnés à l’article L. 511-1 du code de l’environnement, ainsi que les garanties de toute nature qu’il peut être appelé à constituer à cette fin en application des articles L. 516-1 et L. 516-2 du même code.
15. Il résulte de l’instruction que la demande d’autorisation d’exploitation présentée par la société » Parc éolien Nordex III » expose que celle-ci est une société de projet, sous-filiale à 100 % du groupe Nordex SE, spécialisé dans la construction et l’exploitation de parcs éoliens. Elle indique que l’investissement nécessaire au projet doit être financé à hauteur de 80 % par un emprunt bancaire qui ne pourra être conclu qu’au moment de l’obtention de l’autorisation, de sorte que la pétitionnaire n’est pas en mesure de justifier, au moment du dépôt de sa demande, de l’engagement financier d’un établissement bancaire. Il résulte des dispositions citées au point 13 et des principes rappelés au point précédent que si le demandeur entend se prévaloir de capacités financières qui lui sont fournies par des tiers, celles-ci doivent être suffisamment certaines. Dans la mesure où l’investissement nécessaire à la réalisation de l’opération nécessite, en l’espèce, le recours à un emprunt bancaire représentant 80 % du montant total de cet investissement, et malgré les indications données par la pétitionnaire selon lesquelles l’octroi de ce prêt présente un caractère suffisamment certain, cette condition ne saurait être regardée comme remplie en l’espèce. Dès lors, la demande d’autorisation d’exploitation présentée par la société » Parc éolien Nordex III » ne satisfaisait pas à l’exigence prévue par le 5° de l’article R. 512-3 du code de l’environnement.
16. Toutefois, il résulte de l’instruction que la demande d’autorisation d’exploitation de la pétitionnaire rappelle que, s’agissant d’un projet de construction et d’exploitation d’un parc éolien, la totalité de l’investissement requis est réalisée avant la mise en service de l’installation, les charges d’exploitation du parc étant très faibles par rapport au montant de cet investissement initial et très prévisibles dans leur montant. Elle expose, de façon précise, que la construction de parcs éoliens donne lieu, de manière habituelle, à des prêts sans recours de la part d’établissements bancaires, ceux-ci considérant que les flux de trésorerie futurs sont suffisamment sûrs, compte tenu des études de vent réalisées au préalable et de l’obligation d’achat de l’électricité produite par EDF à un tarif garanti, pour rembourser l’emprunt en dehors de toute garantie fournie par les actionnaires du parc. Par ailleurs, la demande indique que l’investissement sera financé, à hauteur des 20 % restants, par un apport en capital des actionnaires de la société » Parc éolien Nordex III « , et donne des précisions sur les activités du groupe Nordex SE dans le secteur de l’énergie éolienne et sur les principaux éléments financiers et comptables de celui-ci. Enfin, la société » Parc éolien Nordex III » s’engageait à constituer les garanties financières qui sont imposées par la loi en vue du démantèlement du parc éolien à l’issue de son exploitation. Cette demande d’autorisation d’exploitation expose ainsi, de façon complète, les modalités selon lesquelles la pétitionnaire entend financer l’investissement requis pour la réalisation de son projet et les raisons pour lesquelles ce type de financement est communément pratiqué dans le secteur de l’énergie éolienne. Dès lors, dans les circonstances de l’espèce, l’absence, dans ce dossier, d’engagement ferme d’un établissement bancaire d’octroyer à la société » Parc éolien Nordex III » le prêt requis pour son projet n’a pas eu pour effet de nuire à l’information complète de la population. Il ne résulte pas non plus de l’instruction que cette lacune du dossier a été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative. Par conséquent, et compte tenu des principes rappelés au point 12, cette lacune ne saurait être regardée comme constituant un vice de procédure de nature à entacher d’illégalité l’autorisation d’exploitation délivrée par le préfet de la région Picardie.
17. Il résulte de ce qui a été dit aux points 12 à 16 que le moyen tiré de l’insuffisante indication des capacités techniques et financières dans le dossier de demande d’autorisation doit être écarté.
En ce qui concerne la régularité de l’avis émis par l’autorité environnementale :
18. La directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement vise à ce que l’autorisation de réaliser de tels projets ne soit accordée qu’après une évaluation des incidences notables sur l’environnement, réalisée sur la base d’informations appropriées. À cette fin, elle prévoit notamment, à son article 6 paragraphe 1, que : » Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour que les autorités susceptibles d’être concernées par le projet, en raison de leurs responsabilités spécifiques en matière d’environnement, aient la possibilité de donner leur avis sur les informations fournies par le maître d’ouvrage et sur la demande d’autorisation. À cet effet, les États membres désignent les autorités à consulter, d’une manière générale ou cas par cas. Celles-ci reçoivent les informations recueillies en vertu de l’article 5. Les modalités de cette consultation sont fixées par les Etats membres « .
19. L’article L. 122-1 du code de l’environnement, pris pour la transposition des articles 2 et 6 de cette directive, dispose, dans sa rédaction applicable en l’espèce, que : » I. – Les projets de travaux, d’ouvrages ou d’aménagements publics et privés qui, par leur nature, leurs dimensions ou leur localisation sont susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement ou la santé humaine sont précédés d’une étude d’impact. (…) / III. – Dans le cas d’un projet relevant des catégories d’opérations soumises à étude d’impact, le dossier présentant le projet, comprenant l’étude d’impact et la demande d’autorisation, est transmis pour avis à l’autorité administrative de l’État compétente en matière d’environnement. (…). / IV.- La décision de l’autorité compétente qui autorise le pétitionnaire ou le maître d’ouvrage à réaliser le projet prend en considération l’étude d’impact, l’avis de l’autorité administrative de l’État compétente en matière d’environnement et le résultat de la consultation du public (…) « . L’article R. 122-6 de ce code, dans sa rédaction applicable à la date à laquelle a été émis l’avis de l’autorité environnementale au vu duquel le préfet de la région Picardie a pris l’arrêté du 6 novembre 2014, prévoit que : » (…) III.- Dans les cas ne relevant pas du I ou du II, l’autorité administrative de l’État compétente en matière d’environnement mentionnée à l’article L. 122-1 est le préfet de la région sur le territoire de laquelle le projet de travaux, d’ouvrage ou d’aménagement doit être réalisé (…) « .
20. La directive 2001/42/CE du 27 juin 2001 relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement comme la directive 2011/92/UE du 13 décembre 2011 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement ont pour finalité commune de garantir qu’une autorité compétente et objective en matière d’environnement soit en mesure de rendre un avis sur l’évaluation environnementale des plans et programmes ou sur l’étude d’impact des projets, publics ou privés, susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement, avant leur approbation ou leur autorisation, afin de permettre la prise en compte de ces incidences. Eu égard à l’interprétation des dispositions de l’article 6 de la directive du 27 juin 2001 donnée par la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt rendu le 20 octobre 2011 dans l’affaire C-474/10, et à la finalité identique des dispositions des deux directives relatives au rôle » des autorités susceptibles d’être concernées par le projet, en raison de leurs responsabilités spécifiques en matière d’environnement « , il résulte clairement des dispositions de l’article 6 de la directive du 13 décembre 2011 que, si elles ne font pas obstacle à ce que l’autorité publique compétente pour autoriser un projet ou en assurer la maîtrise d’ouvrage soit en même temps chargée de la consultation en matière environnementale, elles imposent cependant que, dans une telle situation, une séparation fonctionnelle soit organisée au sein de cette autorité, de manière à ce qu’une entité administrative, interne à celle-ci, dispose d’une autonomie rée