CAA de VERSAILLES, 3ème chambre, 15/11/2016, 15VE01251, Inédit au recueil Lebon

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CAA de VERSAILLES, 3ème chambre, 15/11/2016, 15VE01251, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société VETOQUINOL SA a demandé au Tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des retenues à la source auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2009 et 2010, ainsi que des pénalités correspondantes.

Par un jugement n°1306783 du 17 février 2015, le Tribunal administratif de Montreuil, après avoir prononcé un non-lieu partiel à statuer, a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et deux mémoires, enregistrés le 17 avril 2015 et les 17 novembre 2015 et 1er juillet 2016, la société VETOQUINOL SA, représentée par Me A…et MeB…, avocats, demande à la Cour :

1° d’annuler ce jugement ;

2° de prononcer la restitution des retenues à la source en litige ;

3° de mettre à la charge de l’État une somme de 10 000 euros au titre de l’article

L. 761-1 du code de la justice administrative.

Elle soutient, à titre principal, que :

– la société Pharmazell en sa qualité de redevable des retenues à la source sur les redevances dont elle est bénéficiaire – alors qu’elle-même n’en est que l’établissement payeur – aurait dû se voir notifier une proposition de rectification dès lors qu’elle était recevable à en contester le bien-fondé, ce que confirme au point 80 la doctrine de l’administration référencée BOI-CTX-PREA-10-10-20120912 ; en s’abstenant d’y procéder, l’administration a entaché la procédure d’imposition d’irrégularité et, par suite, méconnu les articles L. 54 B et L. 57 du livre des procédures fiscales ;

– de plus, les retenues à la source concernées constituent un simple acompte de l’impôt dû ;

– l’absence de proposition de rectification adressée au redevable danois constitue une entrave à la liberté de circulation des capitaux garantie par le droit de l’Union européenne dès lors qu’en sa qualité de simple établissement payeur de la retenue à la source, elle n’était pas en mesure de présenter les éléments tendant à établir que la société Pharmazell pouvait bénéficier du régime des plus-values à long terme ; en ne bénéficiant pas des mêmes garanties procédurales qu’une société résidente, la société Pharmazell a été plus mal traitée que cette dernière en méconnaissance de ce principe de liberté, ainsi qu’en a jugé la Cour de l’Association européenne de libre échange (AELE) dans l’affaire Fokus Bank, dont il y a lieu de déduire que la Cour de justice de l’Union européenne aurait pris la même décision, les articles 3 et 4 du traité AELE étant rédigés dans les mêmes termes que les articles 4 et 63 du Traité sur l’Union européenne ; ce traitement différencié, défavorable, d’une société non résidente, alors qu’une société résidente aurait été directement informée de la procédure ouverte à son encontre, constitue indubitablement une discrimination injustifiée plaçant en particulier la société non résidente dans l’impossibilité de faire valoir le montant et la nature des charges afférentes aux retenues à la source litigieuses ; par ailleurs, la méconnaissance de garanties de procédure place le débiteur du prélèvement à la source dans l’impossibilité matérielle de défendre pleinement ses droits s’agissant d’évaluer l’assiette de la retenue à source de l’article 182 B du code général des impôts ;

et, à titre subsidiaire, que :

– ainsi qu’en a jugé la Cour de justice des communautés européennes, en matière de libre prestation de services, notamment dans les affaires Gerritse et Skorpio, les modalités de détermination de l’assiette de la retenue à la source sont discriminatoires dès lors que la société Pharmazell subit, en méconnaissance des articles 63 et 65 du Traité sur l’Union européenne, une imposition plus lourde que celle à laquelle elle aurait été assujettie si elle avait été résidente de France ; les redevances dont s’agit sont, en effet, imposées à la source sur un montant brut alors que celles d’une société résidente le sont à l’impôt sur les sociétés sur un montant net de frais professionnels ; de plus, il incombe à la société Pharmazell de justifier l’existence de tels frais, et non à elle-même en sa qualité de simple cliente de celle-ci, contrairement à ce qu’a jugé, à tort, le tribunal ;

– s’agissant, par ailleurs, du taux applicable, alors qu’une société résidente peut revendiquer le taux réduit de 15 % d’impôt sur les sociétés applicable aux produits issus de la concession d’inventions brevetables, sur le fondement de l’article 39 terdecies du code général des impôts, la société Pharmazell a été assujettie au taux normal de 33,1/3 % mentionné à l’article 182 B de ce code ; l’application, par l’administration, de sa propre interprétation de la loi fiscale référencée 14 B-2-10, point 20, intervenue à la suite de la dénonciation de la convention fiscale bilatérale franco-danoise est à l’origine d’une discrimination indirecte contraire au droit de l’Union européenne, ainsi qu’en juge également la Cour de justice dans les affaires Amurta et Gerritse ; à cet égard, la circonstance que la société Pharmazell aurait bénéficié d’un crédit d’impôt au Danemark ne dispensait pas la France de prévenir cette discrimination, soit directement en harmonisant ses règles de droit interne, soit par voie conventionnelle ;

– en outre, l’obligation doctrinale d’engager, pour l’obtention du taux réduit, une procédure de remboursement des retenues à la source occasionne des charges administratives et économiques supplémentaires, dont les surcoûts constituent également une entrave à la libre prestation de service ; enfin, l’administration n’a, à aucun moment, au cours de la procédure précontentieuse, contesté que les licences relatives à une invention brevetable entraient dans le champ d’application de l’article 39 terdecies du code général des impôts ; il est donc particulièrement surprenant, alors que ce point n’était pas contesté, que le tribunal juge qu’il  » ne résulte pas de l’instruction que la société Pharmazell remplit les conditions pour pouvoir bénéficier du régime fiscal applicable aux plus-values à long terme de cession de brevets ou d’inventions brevetables  » ; en tout état de cause, la documentation fournie à l’administration et au tribunal démontre que la spécialité pharmaceutique concédée portait sur une activité inventive ayant reçu une application industrielle dans le cadre de l’exploitation réalisée par ses laboratoires ;

– l’analyse du ministre selon laquelle une société résidente et une société non résidente ne seraient pas dans une situation comparable au regard du calcul de l’assiette de la retenue à la source est contestable dès lors que ces entités sont dans une situation comparable au regard de la déduction des frais professionnels, ainsi qu’en a jugé la Cour de justice dans l’affaire Gerritse, parfaitement transposable à l’espèce ; la société Pharmazell n’ayant reçu aucune proposition de rectification, elle n’a pas été en mesure de faire valoir de telles charges alors qu’elle-même, en sa qualité de simple débiteur des redevances, n’était pas en mesure d’en justifier ;

– s’agissant du taux de retenue à la source applicable, c’est à tort que le tribunal a remis en cause, d’office, la qualité d’invention brevetable au sens de l’article 611-10 du code de la propriété intellectuelle du procédé exploité par elle en l’absence de contestation par les parties sur ce point ; en conséquence de quoi, les redevances payées à ce titre ne pouvaient être passibles que du taux de 15 % sur leur montant net de charges déductibles ; enfin, la Cour de justice juge, dans l’affaire Skorpio, qu’un Etat membre ne saurait asseoir sur une base brute l’impôt dû par un prestataire de service non résident, alors qu’un prestataire de service résident y serait assujetti sur une base nette ; la section des finances du Conseil d’État a, dans son avis référencé

FIN/AG/CP-390671-09/11/2015, pris une position similaire et estimé que l’assiette de l’impôt devait être considérée nette des frais ayant un lien économique direct avec la perception des rémunérations versées à des sportifs.

…………………………………………………………………………………………….

Vu les autres pièces du dossier, notamment celles transmises par la société VETOQUINOL SA, le 7 octobre 2016.

Vu :

– la Constitution ;

– le traité instituant la Communauté européenne ;

– le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

– l’accord sur l’Espace économique européen ;

– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de M. Locatelli,

– les conclusions de M. Coudert, rapporteur public,

– et les observations de Me C…susbtituant Mes A…etB…, pour la société VETOQUINOL SA.

1. Considérant qu’à la suite d’un contrôle sur pièces de ses déclarations, l’administration fiscale a estimé que la société VETOQUINOL SA, spécialisée dans la production et la distribution de produits vétérinaires, était redevable de la retenue à la source visée à l’article 182 B du code général des impôts, sur le montant brut des redevances qu’elle versait à la société de droit danois Pharmazell, par application de l’article 1671 A du même code ; que ces prélèvements à la source, assortis des intérêts de retard et de la majoration de

10 % mentionnée à l’article 1728 du code général des impôts, ont été mis en recouvrement pour les sommes respectives de 195 440 euros et 188 454 euros au titre des années 2009 et 2010 ; que la société VETOQUINOL SA a contesté ces impositions et pénalités, tant auprès de l’administration fiscale que devant le Tribunal administratif de Montreuil ; que ce dernier, par un jugement du 17 février 2015, dont la société VETOQUINOL SA relève appel, a, après avoir prononcé un non-lieu partiel à statuer au titre de l’année 2009, à concurrence des sommes de 45 453 euros en droits et 9 454 euros de pénalités, rejeté le surplus des conclusions de sa demande ;

Sur les conclusions principales, et la régularité de la procédure d’imposition :

2. Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article 182 B du code général des impôts :  » I. Donnent lieu à l’application d’une retenue à la source lorsqu’ils sont payés par un débiteur qui exerce une activité en France à des personnes ou des sociétés, relevant de l’impôt sur le revenu ou de l’impôt sur les sociétés, qui n’ont pas dans ce pays d’installation professionnelle permanente : (…) b. Les produits définis à l’article 92 et perçus par les inventeurs ou au titre de droits d’auteur, ceux perçus par les obtenteurs de nouvelles variétés végétales au sens des articles L623-1 à L623-35 du code de la propriété intellectuelle ainsi que tous produits tirés de la propriété industrielle ou commerciale et de droits assimilés  » et qu’aux termes de l’article 1671 A du même code, dans sa rédaction alors applicable :  » Les retenues prévues aux articles 182 A et 182 B sont opérées par le débiteur des sommes versées et remises au service des impôts accompagnées d’une déclaration conforme au modèle fixé par l’administration, au plus tard le 15 du mois suivant celui du paiement.  » ; que, pour l’application de ces dispositions, le redevable de la retenue à la source est, en principe, l’établissement qui assure le paiement des revenus y mentionnés ; qu’en sa qualité d’établissement payeur, il est chargé de prélever la retenue à la source et de procéder au remboursement d’un éventuel

trop-perçu, conformément à la procédure prévue par l’administration fiscale ;

3. Considérant qu’il résulte de l’instruction que la société VETOQUINOL SA est l’établissement payeur des retenues à la source prélevées sur les redevances versées à la société danoise Pharmazell au cours des années 2009 et 2010 ; qu’ainsi, elle en était le redevable légal et que c’est donc, à bon droit, que l’administration lui a adressé une proposition de rectification ; qu’en outre, cette dernière n’était tenue par aucune disposition législative ou réglementaire de droit interne à l’envoi concomitant d’une proposition de rectification à la société Pharmazell, même si elle conserve la faculté d’y procéder à titre facultatif ; que, dans ces conditions, la société VETOQUINOL SA n’est pas fondée à soutenir que la société Pharmazell a été indûment privée des garanties du contribuable et que, dès lors, les moyens tirés de ce que l’administration, en s’abstenant de lui adresser également une proposition de rectification, aurait entaché la procédure d’imposition d’irrégularité et méconnu, pour ce motif, les articles L. 54 B et L. 57 du livre des procédures fiscales, ne peuvent qu’être rejetés ; qu’au surplus, la société Pharmazell, en sa qualité de contribuable bénéficiaire de revenus amputés de la retenue à la source prélevée par le redevable de celle-ci, demeurait recevable, au même titre que ce dernier, à en contester le bien-fondé et à en demander la restitution dans le délai de réclamation, soit directement, soit par l’intermédiaire de l’établissement payeur, sur le fondement de l’article L. 190 du livre des procédures fiscales ;

4. Considérant, en deuxième lieu, qu’en supposant même que la retenue à la source prélevée sur les redevances versées à une société d’un autre Etat membre, non passible de l’impôt sur les sociétés en France, faute d’y avoir aucun établissement stable, puisse être regardée comme un simple acompte sur le paiement de l’impôt, une telle circonstance demeure sans incidence sur la régularité de la procédure d’imposition, et la faculté, pour l’établissement payeur du prélèvement ainsi appréhendé, de procéder au remboursement d’un éventuel

trop-perçu d’impôt ainsi qu’il a été rappelé au point 2. ;

5. Considérant, en troisième lieu, qu’aux termes de l’article 49 du traité instituant la Communauté européenne (TCE) devenu, à compter du 1er décembre 2009, l’article 56 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) :  » (…) les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de l’Union sont interdites à l’égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation (…)  » ; qu’aux termes de l’article 50 TCE, devenu, à compter de la même date, l’article 57 TFUE :  » Au sens des traités, sont considérées comme services les prestations fournies normalement contre rémunération, dans la mesure où elles ne sont pas régies par les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes  » ;

6. Considérant que la société VETOQUINOL SA soutient que le prélèvement à la source auquel elle est tenue, constitue – en l’absence de proposition de rectification notifiée à la société Pharmazell, bénéficiaire des redevances qu’elle lui verse en contrepartie du droit d’utiliser certains de ses droits incorporels – une entrave à la liberté de circulation des capitaux et à la libre prestation de services ; que, toutefois, la concession de licences d’exploitation de brevets ou d’inventions brevetables à une entreprise française, par une société d’un autre Etat membre, en contrepartie du versement de redevances, constitue une prestation de service tombant dans le champ des articles 49 et 50 TCE, devenus les articles 56 et 57 TFUE visant la libre prestation de service, plutôt que dans celui des articles relatifs la libre circulation des capitaux ;

7. Considérant que la législation française établit un régime fiscal différent, selon que le prestataire de service est établi en France ou dans un autre Etat-membre ; que l’obligation imposée, en vertu de la législation française, au destinataire de services de procéder à la retenue à la source de l’impôt sur les rémunérations versées aux prestataires de services établis dans un autre État membre, tandis qu’une telle obligation n’existe pas en ce qui concerne les rémunérations versées aux prestataires de services établis en France, constitue une restriction à la libre prestation de services, au sens de l’article 56 TFUE, en ce qu’elle implique une charge administrative supplémentaire ainsi que les risques y afférents en matière de responsabilité ;

8. Considérant, toutefois, et ainsi qu’en a jugé la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt C-498/10 du 18 octobre 2012, que pour autant que la restriction à la libre prestation de services découlant de la législation française résulte de l’obligation de procéder à la retenue à la source en ce qu’elle implique une charge administrative supplémentaire ainsi que les risques y afférents en matière de responsabilité, cette restriction est justifiée par la nécessité d’assurer le recouvrement efficace de l’impôt et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif, même compte tenu des possibilités d’assistance mutuelle en matière de recouvrement actuellement offertes par la réglementation européenne, cette dernière n’ayant pas pour objet de remplacer la retenue à la source en tant que technique de perception de l’impôt ; qu’il s’ensuit que la société VETOQUINOL SA n’est pas fondée à soutenir que l’instauration à l’article 182 B du code général des impôts d’un prélèvement à la source sur les redevances versées par un bénéficiaire de services résident, seul destinataire d’une proposition de rectification, à un prestataire, non résident, recevable à le contester dans le délai de réclamation, méconnaît le principe de la libre prestation de services garanti par le droit de l’Union européenne ;

9. Considérant, en quatrième lieu, qu’aux termes de l’article 108 de l’accord sur l’espace économique européen :  » les Etats de l’AELE instituent une Cour de justice, ci-après dénommée  » Cour AELE « . Conformément à un accord séparé conclu entre les Etats de l’AELE, la Cour AELE est compétente, en ce qui concerne l’application du présent accord, notamment pour : a) les actions concernant la procédure de surveillance à l’égard des Etats de l’AELE ; b) les recours contre les décisions prises par l’Autorité de surveillance AELE dans le domaine de la concurrence ; c) le règlement des différends entre deux ou plusieurs Etats de l’AELE  » ;

10. Considérant que si la France est partie à l’accord sur l’Espace économique européen (EEE), elle n’est pas membre de l’Association européenne de libre échange (AELE) établie par la convention de Stockholm du 4 janvier 1960 ; qu’en conséquence, pour établir que l’irrégularité de la procédure d’imposition résulte de l’absence d’envoi d’une proposition de rectification à la société Pharmazell, la société VETOQUINOL SA ne peut utilement se prévaloir de la décision Fokus Bank ASA du 24 novembre 2004 (aff. E-01/04), par laquelle la Cour de l’AELE a jugé incompatible avec l’article 40 de l’accord sur l’EEE, le fait qu’un Etat suive la procédure de rectification avec la seule société distributrice des dividendes, sans en avertir les actionnaires non-résidents ; qu’en effet, ni l’article 108 précité, ni aucune autre disposition de droit interne ou stipulation conventionnelle ne prévoient que l’interprétation donnée par la Cour de l’AELE du droit de l’accord sur l’EEE ou de celui de l’Union européenne, s’impose à un Etat non membre de cette association pour l’exercice, par un Etat non membre, de sa compétence fiscale alors qu’au surplus, cette décision a été rendue dans des circonstances de fait différentes de celles en cause au principal ;

11. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la procédure d’imposition suivie à l’égard de la société VETOQUINOL SA n’est entachée d’aucune des irrégularités dont il lui est fait grief ; que, par suite, la société requérante n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande présentée à titre principal ;

Sur les conclusions subsidaires, et le bien-fondé des retenues à la source :

12. Considérant que la société VETOQUINOL SA soutient que le fait de soumettre les redevances versées à un prestataire résidant dans un autre Etat-membre à un impôt définitif au taux de 33,1/3 %, retenu à la source, sur un montant brut sans possibilité de déduire les frais directement liés à l’activité ayant contribué à la création de ces revenus imposables, alors que les mêmes redevances versées à un prestataire résident seraient imposées au taux réduit de 15 % sur un montant net, après déduction des frais professionnels, constitue une double restriction aux libertés de circulation des capitaux et de prestation de services protégées par le droit de l’Union européenne ;

13. Considérant qu’ainsi que l’a relevé la Cour de justice des communautés européennes, notamment par son arrêt n° 234/01 du 12 juin 2003 rendu en matière de libre prestation de services, les articles 59 et 60 TCE, devenus les articles 56 et 57 TFUE s’opposent à une législation nationale telle que celle en discussion qui, en règle générale, prend en compte, lors de l’imposition des non résidents, les revenus bruts, sans déduction des frais professionnels, alors que les résidents sont imposés sur leurs revenus nets, après déduction de ces frais, mais qu’en revanche, ces articles ne s’opposent pas à cette même législation, en ce qu’elle soumet les revenus des non résidents à un impôt définitif à un taux uniforme, retenu à la source, pour autant, toutefois, que ce taux uniforme ne soit pas supérieur à celui qui aurait été effectivement appliqué aux revenus de ces non résidents, s’ils avaient été imposés selon la technique d’imposition, différente, en fonction de laquelle les revenus des résidents sont taxés ; qu’il s’en déduit que la société VETOQUINOL SA est fondée à soutenir, en principe, que l’article 182 B du code général des impôts, en ce qu’il impose les redevances versées à son prestataire de droit danois à un taux uniforme de 33,1/3 % sur leur montant brut, alors que ces mêmes revenus le seraient, s’agissant d’un prestataire résident, à un taux inférieur de 15 % prévu à l’article 39 terdecies du code général des impôts, sur un montant net de frais directement liés à l’activité créatrice des revenus imposables méconnaît le principe de libre prestation de services protégé aux articles 56 et 57 TFUE ; qu’à cet égard, est sans incidence sur la contrariété de la législation française au droit de l’Union européenne, la circonstance que l’instruction fiscale, référencée BOI n°14-B-2, du 2 août 2010 relative à la dénonciation de la convention fiscale franco-danoise prévoit, en son paragraphe 20, que :  » (…) lorsqu’un contribuable résident du Danemark est imposé au titre des dispositions de l’article 182 B et apporte la preuve : (…) qu’il a subi en France une imposition plus lourde que celle à laquelle il aurait été soumis s’il avait été résident de France et soumis à ce titre à une obligation fiscale illimitée, (y compris, le cas échéant, les contributions et prélèvements sociaux), il peut demander par voie contentieuse le reversement de la fraction de l’impôt payé en France qui excède celui auquel il aurait été soumis s’il avait été résident de France (…) « , dès lors que l’engagement d’une procédure contentieuse entraîne des charges administratives et économiques supplémentaires qui, s’imposant au prestataire non résident, constitue une entrave à la libre prestation des services prohibée par les articles 56 et 57 TFUE, ainsi qu’en a également jugé la Cour de justice dans son arrêt C- 290/04 du 3 octobre 2006 ;

14. Considérant, toutefois, qu’il appartient toujours au contribuable – ou au redevable de l’impôt, s’il est différent – de justifier du caractère déductible des charges qu’il entend déduire des revenus imposables et, par ailleurs, de fournir les éléments de fait qu’il est seul à détenir prouvant que ces revenus peuvent effectivement bénéficier d’un régime fiscal dérogatoire, tel que celui applicable au résultat net de la concession de licences d’exploitation de brevets et d’inventions brevetables, imposable au taux réduit conformément aux dispositions de l’article 39 terdecies du code général des impôts, dont la société VETOQUINOL SA sollicite présentement l’application sur le montant, net de frais professionnels, des redevances versées à la société Pharmazell ;

15. Considérant qu’à la suite d’une mesure d’instruction ordonnée par la Cour, la société VETOQUINOL SA établit que l’entité de droit danois dénommée  » GEA Ltd Pharmaceurtical Manufacturing Company  » avec laquelle elle a conclu, le 1er janvier 1990, un accord d’approvisionnement relatif à des inventions brevetables dans le domaine des spécialités pharmaceutiques à usage vétérinaire – ce dont elle justifie au terme des stipulations même de ce contrat – est, après avoir été acquise au cours de l’année 2007, devenue  » société Pharmazell  » l’année suivante ; qu’elle justifie ainsi que les sommes reçues par la société Pharmazell auraient été soumises à une imposition au taux de 15 % en application de l’article 39 terdecies du code général des impôts si elle avait été une société résidente ; qu’en revanche, la société requérante ne justifie pas de l’existence de frais professionnels directement liés à l’exercice de l’activité de prestation de services imposable en France, que lui auraient communiqués la société Phazmazell ; que, par suite, la société VETOQUINOL SA est seulement fondée à obtenir que le montant des retenues à la source dont elle s’est acquittée soit réduit à concurrence de la différence entre le taux de 33,1/3 % prévu à l’article 182 B, qui lui a été appliqué, et celui de

15 %, applicable aux inventions brevetables prévu à l’article 39 terdecies, qui lui aurait été appliqué si elle avait été résidente de France ;

16. Considérant qu’il résulte de l’ensemble de ce qui précède que la société VETOQUINOL SA est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande subsidiaire tendant à la restitution partielle des retenues à la source à hauteur d’un montant égal à 18,1/3 % des bases imposées au prélèvement à la source, représentant 55 % des droits mis en recouvrement, ainsi que des pénalités y afférentes ;

Sur l’application de l’article L.761-1 du code de justice administrative :

17. Considérant qu’aux termes de l’article L.761-1 du code de justice administrative :  » Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation  » ;

18. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l’État le versement, à la société VETOQUINOL SA, d’une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : La VETOQUINOL SA est déchargée de 55 % du montant des retenues à la source mises en recouvrement au titre des années 2009 et 2010, ainsi que des pénalités correspondantes.

Article 2 : L’État versera à la société VETOQUINOL SA la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le jugement n° 1306783 du Tribunal administratif de Montreuil du 17 février 2015 est réformé en ce qu’il a de contraire.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la société VETOQUINOL SA est rejeté.

7

N° 15VE01251


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