Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
(2ème chambre B)
VU le recours, enregistré au greffe de la cour le 21 novembre 1997, présenté par le MINISTRE DE L’ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE ; le ministre demande à la cour :
1 ) à titre principal, d’annuler et, à titre subsidiaire, de réformer le jugement n 9300081/2 en date du 18 mars 1997 par lequel le tribunal administratif de Paris a accordé à Monsieur Yves X… la décharge du complément d’impôt sur le revenu auquel il a été assujetti au titre de l’année 1984, dans les rôles de la commune de Neuilly-sur-Seine, ainsi que des pénalités y afférentes, à concurrence de la somme de 794.167 F ;
2 ) à titre principal, de remettre à la charge de Monsieur Yves X… l’intégralité des impositions en droits et pénalités qui lui avaient été assignées au titre de l’année 1984 et de rejeter la requête de première instance, à titre subsidiaire, de rétablir celui-ci au rôle de l’impôt sur le revenu à concurrence des droits et pénalités s’élevant à 247.499 F et, à titre très subsidiaire, de limiter le dégrèvement accordé par le tribunal administratif de Paris à 726.852 F ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU le code général des impôts ;
VU le livre des procédures fiscales ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;
VU la loi n 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu à l’audience publique du 3 octobre 2000 :
– le rapport de M. HEU, premier conseiller,
– les observations de Me Y…, avocat, pour M. X…,
– et les conclusions de Mme KIMMERLIN, commissaire du Gouvernement ;
Considérant qu’à la suite de la vérification de comptabilité dont la société anonyme Diners Club de France Holding a fait l’objet en matière d’impôt sur les sociétés au titre des années 1984 à 1986 et du contrôle sur pièces du dossier de M. X…, son ancien président-directeur-général, le service a constaté que celui-ci n’avait pas déclaré la plus-value réalisée lors de la cession à cette société, pour un prix total de 1.421.483 F convenu par acte en date du 27 juillet 1984, de 39 des 40 parts, acquises au prix unitaire de 700 F en 1980 et 1982, qu’il détenait dans le capital de la société à responsabilité limitée Diners Assurance dont il assurait la gérance ; que l’administration a taxé entre les mains de M. X… sur le fondement, respectivement, des articles 160-I et 109-1-1 du code général des impôts, d’une part, la plus-value résultant de la différence entre le prix d’acquisition des titres cédés et leur valeur vénale, d’autre part, le supplément de prix excédant selon elle cette valeur qu’elle a regardé comme un revenu distribué à l’intéressé ; que le tribunal administratif de Paris a, par un jugement en date du 18 mars 1997, accordé à M. X… décharge à concurrence de 794.167 F du complément d’impôt sur le revenu et des pénalités y afférentes auxquels celui-ci avait été assujetti au titre de l’année 1984 ; que le MINISTRE DE L’ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE fait appel de ce jugement, en demandant, à titre principal, le rétablissement des impositions à raison de l’intégralité des droits et pénalités dont la décharge a été accordée par les premiers juges, à titre subsidiaire, leur rétablissement à concurrence de 247.499 F en droits et pénalités et, à titre encore plus subsidiaire, à concurrence seulement de 67.315 F ;
Sur les conclusions principales :
Considérant qu’aux termes de l’article 109 du code général des impôts : « 1.Sont considérés comme revenus distribués : 1 Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital … » ; qu’aux termes de l’article 110 du même code : « Pour l’application de l’article 109-1-1 , les bénéfices s’entendent de ceux qui ont été retenus pour l’assiette de l’impôt sur les sociétés … » ;
Considérant qu’il résulte de la combinaison de ces dispositions que lorsqu’une société ou autre personne morale passible de l’impôt sur les sociétés verse à des personnes, à un titre quelconque, des sommes prélevées sur les bénéfices sociaux, tels qu’ils doivent être retenus après réintégration de ces sommes pour la détermination de l’assiette de l’impôt sur les sociétés, lesdites sommes doivent être regardées comme des revenus distribués, assimilés à des produits des actions et parts sociales et entrant, par suite, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers ; qu’il en est ainsi, notamment, pour ce qui concerne les opérations de cession de titre, de la fraction de leur prix d’acquisition par une société correspondant à une surévaluation par rapport à leur valeur vénale ; que, par ailleurs, la valeur vénale de titres non cotés en bourse doit être appréciée compte tenu de tous les éléments dont l’ensemble permet d’obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu’aurait entraîné le jeu normal de l’offre et de la demande à la date où la cession est intervenue ; qu’à cet effet, le service peut, en l’absence de tout marché de référence, prendre en compte tous les éléments d’appréciation utiles sans être nécessairement lié par une méthode d’évaluation combinant avec la même pondération la valeur mathématique et la valeur de rendement ;
Considérant que la cession par M. X… à la société anonyme Diners Club de France Holding des 39 titres dont s’agit a été convenue entre eux, le 27 juillet 1984, pour la somme globale de 1.421.483 F, soit un prix unitaire de 36.448 F, alors que M. X…, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, les avait acquis au prix unitaire de 700 F en 1980 et 1982 ; que le service a quant à lui évalué à 13.563 F la valeur vénale unitaire de ces titres et, en conséquence, imposé la somme perçue par M. X…, à concurrence d’un montant de 501.657 F, correspondant à la plus-value de cession réalisée sur la base d’une valeur vénale du titre ainsi arrêtée, au taux proportionnel de l’impôt sur le revenu dans les conditions définies par le I de l’article 160 du code général des impôts ; qu’il a par ailleurs estimé qu’à concurrence des 892.526 F correspondant au supplément de prix excédant la valeur vénale des titres, la somme qu’avait perçue M. X… présentait le caractère d’un revenu distribué devant être taxé au taux progressif dans les conditions définies par l’article 109-1-1 précité du code général des impôts ;
Considérant, d’une part, que comme l’ont relevé les premiers juges, les perspectives de développement et de rentabilité de la société à responsabilité limitée Diners Assurance, dont il n’est pas contesté par l’administration qu’elle offrait un service, alors particulièrement innovant et attractif, combinant cartes de paiement et produits d’assurances, étaient, à la date de cession des titres, très favorables ; que, dans les circonstances de l’espèce, l’évaluation des titres de cette société cédés par M. X… pouvait valablement prendre en compte les résultats prévisionnels des exercices 1985 et 1986, lesquels devaient recueillir les fruits, en cette phase de développement de l’entreprise, d’un effort très notable d’investissements en frais de publicité et de recherche ; que, cependant, l’administration s’en est tenue aux résultats des deux derniers exercices écoulés 1983 et 1984, en se bornant à retenir la moyenne de la valeur mathématique et de la valeur de rendement des parts ; qu’elle ne peut ainsi être regardée comme ayant correctement appréhendé les données propres à l’entreprise et les circonstances d’espèce de la cession et, donc, comme établissant que la valeur vénale des titres litigieux, à la date de la cession, devait être fixée comme elle l’a fait à 13.563 F seulement ;
Considérant, d’autre part, que s’il n’est pas contesté devant la cour par M. X… que le prix acquitté par la société anonyme Diners Club de France Holding incluait cependant, même une fois pris en compte les éléments sus-indiqués, un surcoût, de l’ordre de 25 %, de la valeur de la part sociale, il résulte de l’instruction et, notamment, de l’étude établie par un expert auprès de la cour d’appel de Paris que le paiement de ce surcoût répondait à l’intérêt qui s’attachait pour la société anonyme cessionnaire, alors qu’elle venait elle-même d’être rachetée par la société Citicorp, dans une phase de développement accéléré de la SARL, au départ immédiat de l’ancien dirigeant de cette dernière, lui permettant de s’assurer de sa maîtrise complète et de l’inclure dans les nouveaux choix stratégiques du groupe Diners Club, et qu’ainsi une « valeur de convenance » pouvait, dans les circonstances particulières de l’espèce, être prise en compte pour la détermination de la valeur vénale des titres ; que, dans ces conditions, l’administration n’établit pas que le prix de cession des titres, tel que fixé d’un commun accord par le cédant et le cessionnaire, aurait présenté un caractère anormal ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Paris a considéré que la somme versée à M. X… par la société anonyme Diners Club de France Holding, pour l’acquisition de 39 des parts sociales détenues par celui-ci dans le capital de la société à responsabilité limitée Diners Assurance, ne comportait pas de surévaluation anormale du prix par rapport à la valeur vénale des parts et qu’ainsi le vérificateur n’avait pu regarder une fraction de cette somme comme constitutive de revenus distribués imposables entre les mains de M. X… dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers ;
Sur la demande de substitution de base légale :
Considérant qu’aux termes du I de l’article 160 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à l’année d’imposition : « Lorsqu’un associé, actionnaire, commanditaire ou porteur de parts bénéficiaires cède, pendant la durée de la société, tout ou partie de ses droits sociaux, l’excédent du prix de cession sur le prix d’acquisition … de ces droits est taxé exclusivement à l’impôt sur le revenu au taux de 16 % … L’imposition de la plus-value ainsi réalisée est subordonnée à la seule condition que les droits détenus directement ou indirectement dans les bénéfices sociaux par le cédant … aient dépassé ensemble 25 % de ces bénéfices à un moment quelconque au cours des cinq dernières années … » ;
Considérant que le MINISTRE DE L’ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE demande, comme il lui est loisible de le faire à tout moment de la procédure contentieuse pour justifier l’imposition en litige, que, par substitution de base légale, la cotisation litigieuse soit rétablie par la cour, dans la limite de 202.040 F en droits et 45.459 F en pénalités, par application des dispositions précitées du I de l’article 160 du code général des impôts ; que dès lors qu’il n’est pas contesté que le contribuable détenait directement ou indirectement plus de 25 % du capital de la société à responsabilité limitée Diners Assurance, il y a effectivement lieu que la plus-value réalisée par M. X… soit imposée dans sa totalité entre les mains de celui-ci dans les conditions définies par lesdites dispositions ; qu’en conséquence, M. X… doit être rétabli à l’impôt sur le revenu au titre de l’année 1984 à concurrence des sommes précitées de 202.040 F en droits et de 45.459 F en pénalités ;
Sur les conclusions de M. X… tendant à l’application de l’article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel :
Considérant que M. X… succombe dans la présente instance ; que la demande qu’il a présentée en appel tendant à ce que l’Etat soit condamné, en application des dispositions de l’article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, à lui verser la somme de 15.000 F au titre des frais qu’il a exposés doit, en conséquence, être rejetée ;
Article 1er : Le complément d’impôt sur le revenu auquel M. X… a été assujetti au titre de l’année 1984 est remis à sa charge à concurrence de 202.040 F en droits et 45.459 F en pénalités.
Article 2 : Le jugement n 9300081/2 du tribunal administratif de Paris en date du 18 mars 1997 est réformé en ce qu’il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête d’appel du MINISTRE DE L’ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE et les conclusions de M. X… sont rejetées.