Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU
NOM DU PEUPLE FRANCAIS
VU la requête enregistrée au greffe de la Cour administrative d’appel le 15 février 1990 présentée par M. Dieter X…, demeurant … ;
M. X… demande à la Cour :
– de réformer le jugement du 22 décembre 1989 par lequel le tribunal administratif de STRASBOURG ne lui a accordé qu’une décharge partielle de l’impôt sur le revenu auquel il a été assujetti au titre des années 1978, 1979 et 1980 ;
– de lui accorder la décharge de l’imposition restant en litige ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU le code civil ;
VU le code général des impôts ;
VU la loi du 24 juillet 1966 ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;
VU la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été dûment averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 27 février 1992 :
– le rapport de M. LE CARPENTIER, Conseiller,
– et les conclusions de Mme FELMY, Commissaire du Gouvernement ;
Sur l’abus de droit :
Considérant que M. Dieter X… associé des S.A.R.L. A.I.F. et A.I.F.S. a exercé au cours des années 1978, 1979 et 1980 des fonctions de directeur commercial de la S.A.R.L. A.I.F. et de gérant statutaire de la S.A.R.L. A.I.F.S. ; que le capital de ces deux sociétés était détenu à 25 % par M. X…, 25 % par Mme X… son épouse et 50 % par Melle Y… ; que l’administration ayant considéré cette dernière comme un associé fictif a estimé que les parts sociales souscrites au nom de Mlle Y… dans les deux S.A.R.L. étaient en fait détenues par M. X… ; qu’en conséquence, M. X… a été assujetti à des cotisations supplémentaires à l’impôt sur le revenu résultant, d’une part, de la requalification des rémunérations servies en 1978, 1979 et 1980, conformément aux dispositions de l’article 62 du code général des impôts, d’autre part, de la taxation de plus-values de cession de parts sociales réalisées en 1980 et enfin de l’imposition des dividendes perçus ;
Considérant qu’aux termes de l’article L.64 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction alors applicable : « Ne peuvent être opposés à l’administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d’un contrat ou d’une convention à l’aide de clauses : a. qui donnent ouverture à des droits d’enregistrement ou à une taxe de publicité foncière moins élevés ; b. Ou qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus ; c. Ou qui permettent d’éviter, en totalité ou en partie, le paiement des taxes sur le chiffre d’affaires correspondant aux opérations effectuées en exécution d’un contrat ou d’une convention. L’administration est en droit de restituer son véritable caractère à l’opération litigieuse. Si elle s’est abstenue de prendre l’avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit ou ne s’est pas rangée à l’avis de ce comité, il lui appartient d’apporter la preuve du bien-fondé du redressement » ;
Considérant, que lorsque l’administration use des pouvoirs qu’elle tient de ce texte dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, comme en l’espèce, elle doit, pour pouvoir écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, établir que lesdits actes ont un caractère fictif, ou à défaut qu’ils n’ont été dictés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, s’il n’avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles ;
Considérant qu’il résulte de l’instruction que Mlle Y… a déclaré dans une déposition auprès des autorités fiscales allemandes qu’elle avait agi en tant que prête-nom lors de la constitution des deux sociétés et qu’elle s’était fait rembourser en espèces l’apport en capital qu’elle avait effectué ; que si ces déclarations ne constituent pas à elles seules la preuve opposable à M. X… du caractère fictif de la participation de Mlle Y…, elles sont corroborées par les faits, relevés par le service, que M. X… a appréhendé en 1980 les dividendes afférents aux parts sociales détenues par Mlle Y… et a perçu la même année le produit de la cession d’une partie desdites parts sociales à des tiers ;
Considérant qu’eu égard aux circonstances susmentionnées, l’administration doit être regardée comme établissant que la participation de Mlle Y… dans les S.A.R.L. A.I.F. et A.I.F.S présentait un caractère fictif et que M. X… détenait en fait la majorité du capital social des deux sociétés ;
Considérant qu’il est constant qu’outre M. X…, son épouse avait également la qualité d’associée des deux S.A.R.L. en cause ; qu’aux termes de l’article 34 de la loi du 24 juillet 1966 « la S.A.R.L. est constituée entre des associés qui ne supportent les pertes qu’à concurrence de leurs apports » et de l’article 1841 du code civil : « deux époux peuvent être simultanément au nombre des associés et participer ensemble ou séparément à la gestion … » ; que, dès lors, nonobstant le caractère fictif de la participation de Mlle Y… au capital social des S.A.R.L. A.I.F. et A.I.F.S., ces dernières ont été valablement constituées ; que M. X… n’est dès lors pas fondé à soutenir que les deux sociétés en cause étaient privées d’existence légale et que les redressements dont il a fait l’objet en raison de la détention effective des parts souscrites au nom de Mlle Y… seraient, par voie de conséquence, sans fondement ;
Sur l’imposition des dividendes perçus en 1980 et de la plus-value de cession des parts sociales en 1980 :
Considérant qu’aux termes de l’article 109 du code général des impôts : « – 1. Sont considérés comme revenus distribués : 1°/ Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital ; 2°/ Toutes les sommes ou valeurs mises à la disposition des associés, actionnaires ou porteurs de parts et non prélevées sur les bénéfices … » ; qu’aux termes de l’article 160 du code général des impôts ; « – 1. Lorsqu’un associé, actionnaire, commanditaire ou porteur de parts bénéficiaires cède à un tiers, pendant la durée de la société, tout ou partie de ses droits sociaux, l’excédent du prix de cession sur le prix d’acquisition – ou la valeur au 1er janvier 1949, si elle est supérieure – de ces droits est taxé exclusivement à l’impôt sur le revenu au taux de 15 %. L’imposition de la plus-value ainsi réalisée est subordonnée à la seule condition que les droits détenus directement ou indirectement dans les bénéfices sociaux par le cédant ou son conjoint, leurs ascendants et leurs descendants, aient dépassé ensemble, 25 % de ces bénéfices à un moment quelconque au cours des cinq dernières années » ;
Considérant qu’il résulte de l’instruction, qu’en 1980, M. X… a encaissé, d’une part, des sommes de 138 000 F et de 309 000 F représentant les dividendes produits par les parts sociales souscrites au nom de Mlle Y… dans les sociétés A.I.F. et A.I.F.S. et, d’autre part, la somme de 340 000 F représentant la plus-value de cession de 396 parts dans la société A.I.F. et de 40 parts dans la société A.I.F.S., souscrites également au nom de Mlle Y… ; que compte tenu de la détention effective par M. X… des participations de Mlle Y… dans lesdites sociétés, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, c’est à bon droit que les revenus précités ont été imposés conformément aux dispositions susmentionnées des articles 109 et 160 du code général des impôts ;
Sur l’imposition des revenus de M. et Mme X… au titre de l’article 62 du code général des impôts :
Considérant qu’aux termes de l’article 62 du code général des impôts : « Les traitements, remboursements forfaitaires de frais et toutes autres rémunérations allouées, d’une part, aux gérants majoritaires des sociétés à responsabilité limitée n’ayant pas opté pour le régime fiscal des sociétés de personnes dans les conditions prévues à l’article 3-IV du décret n° 55-594 du 20 mai 1955 modifié, aux gérants des sociétés en commandite par actions et, d’autre part, aux associés en nom des sociétés de personnes et aux membres des sociétés en participation, lorsque ces sociétés ont opté pour le régime fiscal des sociétés de capitaux, sont soumis à l’impôt sur le revenu au nom de leurs bénéficiaires s’ils sont admis en déduction des bénéfices soumis à l’impôt sur les sociétés par application de l’article 211, même si les résultats de l’exercice social sont déficitaires. Le montant imposable des rémunérations visées à l’alinéa précédent est déterminé sous déduction des frais inhérents à l’exploitation sociale et effectivement supportés par les bénéficiaires dans l’exercice de leur fonction » ; qu’en application de l’article 211 du même code : « I. Dans les sociétés à responsabilité limitée n’ayant pas opté pour le régime fiscal des sociétés de personnes dans les conditions prévues à l’article 3-IV du décret n° 55-594 du 20 mai 1955 modifié et dont les gérants sont majoritaires, dans les sociétés en commandite par actions, de même que dans les sociétés en commandite simple, les sociétés en nom collectif et les sociétés en participation ayant exercé l’option prévue à l’article 206-3, les traitements, remboursements forfaitaires de frais et toutes autres rémunérations sont, sous réserve des dispositions des article 39-3 et 211 bis, admis en déduction du bénéfice de la société pour l’établissement de l’impôt, à la condition que ces rémunérations correspondent à un travail effectif. Les sommes retranchées du bénéfice de la société en vertu de l’alinéa précédent sont soumises à l’impôt sur le revenu au nom des bénéficiaires dans les conditions prévues à l’article 62. Pour l’application du présent article, les gérants qui n’ont pas personnellement la propriété de parts sociales sont considérés comme associés si leur conjoint ou leurs enfants non émancipés ont la qualité d’associé. Dans ce cas, comme dans celui où le gérant est associé, les parts appartenant en toute propriété ou en usufruit au conjoint et aux enfants non émancipés du gérant sont considérées comme possédées par ce dernier » … ;
Considérant qu’il est constant que si M. X… détenait, au cours des années en litige, la qualité de gérant statutaire de la S.A.R.L. A.I.F.S. et doit compte tenu de ce qui précède, être réputé gérant majoritaire de ladite SARL, il exerçait par contre les fonctions de directeur commercial au sein de la S.A.R.L. A.I.F. dont son épouse était statutairement la gérante ; que si l’administration se borne à affirmer que M. X… assurait la gérance de fait de ladite S.A.R.L. A.I.F., elle n’en apporte pas la preuve, qui lui incombe ; que dès lors, M. X… est fondé à soutenir qu’il ne peut être regardé comme ayant eu la gérance majoritaire de la S.A.R.L. A.I.F. et doit par conséquent être déchargé en droits et pénalités des impositions dont il a fait l’objet sur le fondement des dispositions précitées de l’article 62 pour les rémunérations qui lui ont été servies par ladite S.A.R.L. A.I.F. ;
Considérant toutefois, qu’eu égard aux dispositions précitées du dernier alinéa de l’article 211 et à sa qualité de gérante statutaire de la S.A.R.L. A.I.F., Mme X… doit être regardée comme ayant eu la gérance majoritaire de ladite société ; que dès lors les rémunérations qu’elle a perçues à ce titre doivent être imposées, conformément aux dispositions précitées de l’article 62 ;
Sur les frais de déplacement :
Considérant qu’en vertu des dispositions de l’article 39-1-1° du code général des impôts les rémunérations et remboursements de frais ne sont admis que s’ils correspondent à un travail effectif et sont justifiés ; qu’aux termes de l’article 111 dudit code : « Sont notamment considérés comme revenus distribués …d) la fraction de rémunérations qui n’est pas déductible en vertu de l’article 39-1-1° » ;
Considérant que si M. X… soutient que ses frais de déplacements à MUNICH pour le compte de la S.A.R.L. A.I.F.S. étaient justifiés, il n’a apporté aucun commencement de preuve à l’appui de ses allégations ;
Sur la taxation d’office de sommes d’origine indéterminée :
Considérant que si M. X… soutient qu’il a apporté la justification de certaines sommes taxées d’office sur le fondement des articles L.16 et L.69 du livre des procédures fiscales, il n’apporte aucune précision à l’appui de ses allégations ;
Sur les pénalités :
Considérant qu’aux termes de l’article 1729 du code général des impôts dans sa rédaction alors applicable : « 1. Sous réserve des dispositions des articles 1730, 1731, 1827 et 1829, lorsque la mauvaise foi du redevable est établie, les droits correspondant aux infractions définies à l’article 1728 sont majorés de : 30 % si le montant des droits n’excède pas la moitié du montant des droits réellement dûs ; 50 % si le montant des droits est supérieur à la moitié des droits réellement dûs ; 150 % quelle que soit l’importance de ces droits, si le redevable s’est rendu coupable de manoeuvres frauduleuses. 3. Les majorations prévues au présent article sont applicables aux droits correspondant aux insuffisances, inexactitudes ou omissions afférentes aux déclarations même souscrites tardivement » ; qu’en application de l’article 1731 du même code dans sa rédaction alors applicable : « – En ce qui concerne les taxes sur le chiffre d’affaires et taxes assimilées, les droits d’enregistrement, de timbre, la taxe de publicité foncière et les taxes assimilées à ces droits et taxe, la taxe sur les salaires, la taxe d’apprentissage, la participation des employeurs au développement de la formation professionnelle continue, ainsi que les retenues opérées au titre de l’impôt sur le revenu, les insuffisances, les inexactitudes ou omissions mentionnées à l’article 1728 donnent lieu, lorsque la mauvaise foi du redevable est établie, à l’application d’une amende fiscale égale au double des majorations prévues à l’article 1729 et déterminée, dans les mêmes conditions que ces majorations, en fonction du montant des droits éludés. Le montant de ces droits est apprécié, en matière de taxes sur le chiffre d’affaires et de taxes assimilées, en considérant d’une façon distincte chacune des périodes retenues pour l’assiette des impôts sur le revenu et, le cas échéant, la partie vérifiée de l’exercice en cours » ;
Considérant qu’à l’occasion de la V.A.S.F.E. dont il a fait l’objet, M. X… n’a pu apporter de justifications sur l’origine de sommes perçues par lui pour un montant de 134 354 F en 1978 et de 40 000 F en 1979 ; qu’il a par ailleurs reçu de la S.A.R.L. A.I.F. une indemnité de 25 504 F en 1979 et de la S.A.R.L. A.I.F.S. une indemnité de 14 389 F en 1980 ne correspondant pas à un usage effectif et professionnel de son véhicule personnel ; que dans ces conditions, le caractère répété des omissions de déclaration d’une fraction importante de ses revenus et l’absence de contrepartie des remboursements dont il a bénéficié suffisent à établir que la bonne foi du contribuable ne peut être admise ; que dès lors M. X… n’est pas fondé à demander la décharge des pénalités de mauvaise foi appliquées aux deux chefs de redressement susmentionnés ;
Article 1 : Les sommes perçues par M. X… en rémunération de son activité dans la société A.I.F. sont imposables dans la catégorie des traitements et salaires pour les années 1978, 1979 et 1980.
Article 2 : Il est accordé décharge à M. X… de la différence entre les impositions mises à sa charge et celles résultant de l’application de l’article 1er.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. X… est rejeté.
Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de STRASBOURG en date du 22 décembre 1989 est réformé en ce qu’il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. Dieter X… et au ministre délégué au Budget.