Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la Banque libano-française, dont le siège social est à Paris (8ème),
en cassation d’un arrêt rendu le 23 septembre 1987 par la cour d’appel de Paris (14ème chambre, section A), au profit du Crédit Anstalt Bakverein, dont le siège social est à Vienne (Autriche), Scholengasse 6-8, post Fach 72,
défendeur à la cassation ; La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ; LA COUR, en l’audience publique du 24 mai 1989, où étaient présents :
M. Francon, président ; M. Darbon, rapporteur ; MM. A…, C…, B…, Gautier, Peyre, Beauvois, conseillers ; MM. Garban, Chollet, conseillers référendaires ; M. Sodini, avocat général ; Mlle Bodey, greffier de chambre ; Sur le rapport de M. le conseiller Darbon, les observations de Me Ryziger, avocat de la Banque Libano française, de Me Vincent, avocat du Crédit Anstalt Bakverein, les conclusions de M. Sodini, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ; Sur le premier moyen :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 23 septembre 1987), statuant en référé, que la société Al Badr Z… Contracting (ABAC) a fourni à la société Elin dont elle était la sous-traitante pour la construction d’un centre commercial et résidentiel en Arabie Saoudite une garantie de bonne fin d’un montant de 9 690 000 ryals saoudiens sous forme d’une lettre de la Banque libano-française adressée au Crédit Anstalt Bank Verein, banque de la société Elin ; que cette garantie était valable jusqu’à l’achèvement satisfaisant et l’acceptation définitive de l’ouvrage et qu’elle devait jouer à première notification écrite par la Crédit Anstalt Bank Verein, selon son jugement absolu, d’un manquement dans l’exécution du contrat de construction ; que l’appel de la garantie étant demeuré infructueux, la Crédit Anstalt Bank Verein a demandé en référé le paiement d’une provision égale au montant de la somme garantie ;
Attendu que la Banque libano française fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir fait droit à cette demande, alors, selon le moyen, « 1°) que la Banque libano française ayant fait valoir que la société Al Badr Z… à laquelle elle avait donné une garantie et le représentant d’Elin Union sur le site, avaient, en novembre 1982, commencé à procéder à la réception de l’ouvrage, et que les clés du bloc B puis celles des escalators et ascenseurs avaient été remises au représentant d’Elin Union sur le site ; que les opérations de réception furent interrompues à la demande d’Elin Union en raison de nouvelles exigences du maître de l’ouvrage ; que le 29 novembre, Elin Union faisait tenir à Al Badr Z… une lettre du Prince Y… du 27 novembre 1982 donnant son accord sur la réception, provisoire, à la seule condition que les quelques réfections précédemment demandées et auxquelles Al Badr Z… s’était engagée par sa lettre du 23 novembre fussent effectuées, que ces réfections furent effectivement faites ; qu’en ne recherchant pas si, en présence de ces faits, on ne devait pas considérer qu’il y avait un achèvement satisfaisant du projet, et une réception définitive, résultant de l’acceptation de l’ouvrage, par l’effet de la lettre du Prince X… du 27 novembre 1983 transmise à Al Badr Z… par Elin Union, donnant son accord sur la réception sous la seule condition que quelques réfections demandées, et qui ont été effectivement faites, fussent effectuées ; qu’en ne procédant pas à cette recherche, la cour d’appel a privé son arrêt de base légale au vu des articles 1134 et 1793 du Code civil ; alors, 2°) que l’occupation et l’utilisation d’un ouvrage peuvent équivaloir à une réception, qu’en se contentant d’affirmer que le fait que le centre soit achevé et occupé ne démontrait pas que l’achèvement soit satisfaisant et que le projet ait fait l’objet d’une acceptation définitive, sans rechercher si ce fait ne démontrait pas que le centre était en état de servir à l’usage auquel il était destiné, ce qui aurait été équivalant à une réception ; qu’en se prononçant pas sur ce point, la cour d’appel a privé son arrêt de base légale ; que la cassation est donc encourue au regard de l’article 873 du nouveau Code de procédure civile ; alors, 3°) que l’article 18 des conditions générales du contrat autorise une retenue de garantie des 10 % jusqu’à la réception définitive, cependant que l’article 22, alinéa 1er, du contrat énonce que le paiement définitif de toutes les sommes restant entre les mains du maître de l’ouvrage et dues à l’entrepreneur, sera effectué dans les trente jours après l’acceptation définitive de l’ouvrage par l’architecte, à condition que l’entrepreneur ait satisfait à toutes les réclamations du maître de l’ouvrage et à toutes ses obligations envers le maître de l’ouvrage ou à toutes les obligations pour lesquelles il pourrait être responsable conjointement avec le maître de l’ouvrage ; que, si le deuxième alinéa du même article indique que les paiements effectués conformément au contrat par le maître de l’ouvrage ne seront pas réputés constituer une main-levée des fautes contractuelles commises par l’entrepreneur, cette clause concerne les
paiements visés à l’article 18 qui doivent être distingués du paiement définitif et de la restitution de la retenue de garantie, de telle sorte que c’est par une dénaturation des termes du contrat, faute d’avoir recherché l’intention des parties que la cour d’appel a décidé que le paiement définitif ne pouvait entraîner la fin de la garantie ; qu’ainsi, la cour d’appel a violé l’article 1134 du Code civil » ; Mais attendu, d’une part, que la cour d’appel qui, répondant aux conclusions, a retenu que la remise des clefs d’un seul élément de la résidence, ne saurait être tenue pour une réception provisoire ou définitive de l’ensemble du centre commercial et résidentiel et que le fait que celui-ci soit achevé et occupé n’établissait pas qu’il avait fait l’objet d’une acceptation définitive, a légalement justifié sa décision de ce chef ; Attendu, d’autre part, que l’arrêt a pu retenir sans dénaturer les termes du contrat que le paiement définitif des sommes dues à l’entrepreneur ne constituait ni une renonciation pour le maître de l’ouvrage au droit d’invoquer la violation du contrat ni une acceptation de travaux défectueux ou non conformes aux termes et conditions de l’accord conclu ; D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ; Sur le second moyen :
Attendu que la Banque libano-française reproche encore à la cour d’appel d’avoir statué comme elle l’a fait alors, selon le moyen, « d’une part, qu’il résulte clairement de la garantie du 14 avril 1981 que la Banque libano-française avait accepté de garantir une certaine somme dès qu’elle recevrait « la première notification écrite selon le jugement absolu de la Crédit Anstalt » d’un manquement dans l’exécution des conditions du contrat passé entre la société saoudienne Al Badr Z… et la société Elin union » ; qu’une telle clause impliquait nécessairement la notification du manquement en vertu duquel la garantie était appelée ; qu’en décidant le contraire, la cour d’appel a dénaturé la lettre de garantie et par là-même, violé l’article 1134 du Code civil ; alors, d’autre part, que si la garantie à première demande est, en principe, autonome par rapport au contrat de base, il n’en est ainsi que pour autant que la garantie à première demande est appelée sans fraude ; que, lorsque le bénéficiaire d’une garantie à première demande, chargé d’apprécier s’il y a eu véritablement un manquement contractuel justifiant l’appel de la garantie et de chiffrer celle-ci, appelle la garantie en toute connaissance de cause en dehors des termes qu’il est chargé de faire respecter, il se rend coupable d’une fraude ; que, lorsque le garant à première demande rapporte la preuve de cette fraude, ou au moins une présomption sérieuse de fraude, le juge des référés ne peut lui enjoindre de satisfaire à la demande de garantie ; qu’en l’espèce actuelle, la société Banque libano française ayant fait valoir que le Crédit Anstalt Bank Verein s’était rendu coupable d’une fraude, en appelant en toute connaissance de cause la totalité de la garantie pour tenter de faire échec à la procédure arbitrale et
ayant, ainsi que le constate la cour d’appel dans le dernier état de la cause, fait état de la nature des créances alléguées par Elin Union devant la Chambre arbitrale internationale qui ne portaient que sur 2 634 905 ryals pour le coût des travaux, et visaient pour le surplus des intérêts à 12 % la cour d’appel ne pouvait affirmer que la créance du Crédit Anstalt contre la Banque libano-française n’était pas contestable pour le tout sans priver son arrêt de base légale au vu de l’article 873 du nouveau Code de procédure civile et du principe « fraus omnia corrumpit » en ne recherchant pas si le Crédit Anstalt n’avait pas commis une faute équivalant à une fraude » ; Mais attendu qu’ayant retenu sans dénaturer les termes de la lettre de garantie, que le Crédit Anstalt Bank Verein n’avait pas l’obligation de préciser dans sa réclamation la nature exacte du manquement allégué et que l’existence d’une procédure d’arbitrage entre les sociétés Abac et Elin n’était pas de nature à paralyser les engagements pris par la Banque libano-française, indépendants du contrat de base, la cour d’appel, répondant aux conclusions, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision de ce chef ; PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;