Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 11 juillet 1994, 93-81.368, Inédit

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Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 11 juillet 1994, 93-81.368, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le onze juillet mil neuf cent quatre vingt quatorze, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller MILLEVILLE, les observations de la société civile professionnelle CELICE et BLANCPAIN, de la société civile PEIGNOT et GARREAU, de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général GALAND ;

Statuant sur les pourvois formés par :

– Y… Jean-Abel,

– La société POLYREY, civilement responsable, contre l’arrêt de la cour d’appel de LIMOGES, chambre correctionnelle, en date du 3 mars 1993, qui, pour délit de blessures involontaires et infraction à la réglementation relative à la sécurité des travailleurs, a condamné le premier à une amende de 3 000 francs, et a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu les mémoires produits en demande, en défense et en réplique ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Sur le moyen unique de cassation, proposé par Jean-Paul Y… et pris de la violation des articles L. 231-1 du Code du travail, L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, de l’arrêté du 30 juillet 1974, de son annexe, des articles 1, 25 et 40 du décret du 8 janvier 1965, de l’article 593 du Code de procédure pénale ;

« en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Jean-Abel Y… coupable de blessures involontaires – infraction au Code du travail, et, en répression, l’a condamné à une amende de 3 000 francs ;

« aux motifs que si l’enquête n’a pas permis d’établir de manière certaine le mécanisme ayant provoqué la chute du pont transporteur, il apparaît par contre évident que celui-ci n’aurait pu glisser s’il avait été amarré au chariot élévateur ; que s’il est certain que les dispositions du décret du 30 juillet 1974 régissant l’utilisation des chariots automoteurs à conducteurs portés, ne prévoient aucune obligation d’amarrer les charges, les règles d’hygiène et de sécurité applicables ne peuvent se limiter à ce seul décret, mais doivent être définies d’abord par rapport à la nature des travaux effectués, en y ajoutant, le cas échéant, les dispositions plus spécifiques liées à l’utilisation d’engins ou de matériels générant un risque particulier ; que le décret du 8 janvier 1965 sur lequel sont fondées les poursuites, dispose dans son article 1er :

« Indépendamment des mesures prescrites par le titre II du Livre II du Code du travail, ainsi que par les décrets et arrêtés relatifs à son exécution, les chefs des établissements visés par l’article 65 du Livre II du Code travail, et notamment ceux du bâtiment et des travaux publics dont le personnel effectue, même à titre occasionnel, des travaux de terrassement, de construction, d’installation, de démolition, d’entretien, de réfection, de nettoyage, toutes opérations annexes et tous autres travaux prévus par le présent décret, portant sur des immeubles par nature ou par destination, sont tenus de prendre les mesures spéciales de protection et de salubrité énoncées aux articles ci-après » ; qu’il ne peut être discuté que les établissements Polyrey fassent partie des entreprises visées par l’article 65 du Livre II du Code du travail (art. L. 231-1 du Code du travail) et que les travaux

effectués lors de l’accident étaient des travaux d’entretien de nettoyage ; que par ailleurs, le pont roulant sur lequel portaient ces travaux, lequel est une machine outil importante, constitue bien un immeuble par destination ; il s’ensuit que les dispositions du décret du 8 janvier 1965 et plus particulièrement celles de son article 40, lequel dispose que « des mesures efficaces doivent être prises pour empêcher la chute ou l’accrochage des matériaux, agrès ou toutes autres pièces soulevées » sont applicables en l’espèce ;

que le défaut d’amarrage du pont roulant sur le chariot élévateur, dans le cadre d’une opération qui, au surplus, présentait un caractère particulièrement difficile et tout à fait occasionnel, puisque le nettoyage de ce pont n’avait pas eu lieu depuis 15 ans, apparaît bien constituer une infraction à l’article 40 du décret du 8 janvier 1965 visé à la prévention des blessures subies par Eric X… ;

« alors que l’article 40 du décret du 8 janvier 1965 ne vise que les manoeuvres des appareils de levage autres que les ascenseurs et les monte-charges et ne saurait, en dépit de la généralité de ses termes, s’appliquer au cas d’un chariot automoteur de manutention à conducteur porté « servant à l’élévation, au gerbage ou au transport sur de courtes distances de produits de toute nature » qui était utilisé en l’espèce et qui, dès lors, entrait dans le champ d’application de l’arrêté du 30 juillet 1974, de sorte qu’en appliquant en la cause le premier texte et en écartant le second, la cour d’appel a violé par refus d’application l’arrêté du 30 juillet 1974, méconnu le principe contenu dans l’adage « specialia generalibus derogant », laissé dépourvu de réponse le moyen péremptoire des conclusions soulignant « qu’il existe un texte spécifique réglementant l’usage des chariots automoteurs, à savoir l’arrêté du 30 juillet 1974 » ;

Sur le premier moyen de cassation proposé par la société Polyrey et pris de la violation des dispositions du décret du 30 juillet 1984, L. 231-1, L. 231-2, L. 263-2 et 263-6 du Code du travail et 51, alinéa 2 du Code pénal, 485 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale, violation de la loi ;

« en ce que l’arrêt infirmatif attaqué a déclaré Y… coupable des faits qui lui étaient reprochés et a dit recevable l’action civile dirigée à son encontre ;

« aux motifs que « si l’enquête n’a pas permis d’établir de manière certaine le mécanisme ayant provoqué la chute du pont transporteur, il apparaît par contre évident que celui-ci n’aurait pu glisser s’il avait été amarré au chariot élévateur ;

« s’il est certain que les dispositions du décret du 30 juillet 1974 régissant l’utilisation des chariots automoteurs à conducteurs portés ne prévoient aucune obligation d’amarrer les charges, les règles d’hygiène et de sécurité applicables ne peuvent se limiter à ce seul décret mais doivent être définies d’abord par rapport à la nature des travaux effectués en y rajoutant le cas échéant les dispositions plus spécifique liées à l’utilisation d’engins ou de matériels générant un risque particulier ;

« le décret du 8 janvier 1965 sur lequel sont fondées les poursuites dispose dans son article 1er :

indépendamment des mesures prescrites par le titre II du livre II du Code du travail, ainsi que par les décrets et arrêtés relatifs à son exécution, les chefs des établissements visés par l’article 65 du livre II du Code du travail, et notamment ceux du bâtiment et des travaux publics dont le personnel effectue, même à titre occasionnel, des travaux de terrassement, de construction, d’installation, de démolition, d’entretien, de réfection, de nettoyage, toutes opérations annexes et tous autres travaux prévus par le présent décret, portant sur les immeubles par nature ou par destination, sont tenus de prendre les mesures spéciales de protection et de salubrité énoncées aux articles ci-après » ;

« or, il ne peut être discuté que les établissements Polyrey fassent partie des entreprises visées par l’article 65 du livre II du Code du travail (article L. 231-1 du Code du travail) et que les travaux effectués lors de l’accident étaient des travaux d’entretien et de nettoyage ;

« par ailleurs, le pont roulant sur lequel portaient ces travaux, lequel est une machine outil importante constitue bien un immeuble par destination ;

il s’ensuit que les dispositions du décret du 8 janvier 1965 et plus particulièrement celles de son article 40, lequel dispose que des mesures efficaces doivent être prises pour empêcher la chute ou l’accrochage des matériaux, agrès ou toutes autres pièces soulevées » sont applicables en l’espèce ;

« le défaut d’amarrage du pont roulant sur le chariot élévateur dans le cadre d’une opération qui au surplus présentait un caractère particulièrement difficile et tout à fait occasionnel puisque le nettoyage de ce pont n’avait pas eu lieu depuis 15 ans, apparaît bien constituer une infraction à l’article 40 du décret du 8 janvier 1965 visé à la prévention des blessures subies par Eric X… ;

« alors que les textes particuliers dérogent aux règles générales de sorte que, les dispositions spéciales du décret du 30 juillet 1974 régissant les chariots automoteurs à conducteur porté, ne comportant aucune obligation réglementaire d’amarrer les charges, la cour d’appel qui est entrée en voie de condamnation contre Y… sur le fondement de l’obligation générale de prudence édictée par le décret antérieur du 8 janvier 1965, concernant les travaux d’entretien et de nettoyage, a méconnu le principe susvisé et violé les dispositions du décret du 30 juillet 1974 par refus d’application et celles du décret du 8 janvier 1965 par fausse application » ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et du procès-verbal de l’inspection du travail, base de la poursuite, qu’un salarié de l’entreprise Polyrey a été blessé par la chute d’une pièce métallique soulevée par un appareil élévateur sans avoir été amarrée ; que Jean-Abel Y…, responsable de l’usine et spécialement chargé de l’organisation des travaux d’entretien, a été poursuivi pour délit de blessures involontaires et infraction à l’article 40 du décret du 8 janvier 1965, relatif aux mesures de sécurité à prendre lors des manoeuvres des appareils de levage ;

Attendu que, pour retenir la culpabilité du prévenu, la cour d’appel, après avoir rappelé qu’aux termes de l’article 40 susvisé « des mesures efficaces doivent être prises pour empêcher la chute ou l’accrochage des matériaux ou toutes autres pièces soulevées », énonce que le défaut d’amarrage de la pièce sur le chariot élévateur, dans le cadre d’une opération particulièrement difficile, caractérise l’infraction poursuivie ;

Attendu qu’en prononçant ainsi les juges ont fait l’exacte application de l’article 40 du décret du 8 janvier 1965 ; qu’il ne saurait leur être reproché de n’avoir pas appliqué l’arrêté, et non le « décret », du 30 juillet 1974, dont les dispositions sont étrangères aux faits poursuivis ;

D’où il suit que les moyens ne peuvent être admis ;

Sur le second moyen de cassation proposé par la société Polyrey et pris de la violation des articles 5, 319 et 320 du Code pénal et L. 263-2 du Code du travail, 485 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de base légale, défaut de motifs et violation de la loi ;

« en ce que l’arrêt attaqué a condamné Y… à une amende de 3 000 francs ;

« alors que les peines prononcées pour blessures involontaires et pour infractions correctionnelles aux règles protectrices de la sécurité des travailleurs, ne se cumulent pas, la peine la plus forte étant seule prononcée en cas de conviction de plusieurs crimes ou délits de sorte que la cour d’appel qui, tout en déclarant Y… coupable de blessures involontaires et d’infractions au Code du travail, a prononcé une condamnation globale de 3 000 francs sans autre indication sur la cause de cette condamnation, n’a pas mis la Cour de Cassation en mesure d’exercer son contrôle sur le respect de la règle de droit précitée, privant ainsi sa décision de base légale au regard des textes visés au moyen » ;

Attendu qu’en prononçant une seule peine pour sanctionner le délit de blessures involontaires et l’infraction aux règles de la sécurité, la cour d’appel, loin de méconnaître les dispositions du dernier alinéa de l’article L. 263-2 du Code du travail, en a, au contraire, fait l’exacte application ;

D’où il suit que le moyen ne peut être qu’écarté ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Où étaient présents : M. Le Gunehec président, M. Milleville conseiller rapporteur, MM. Fontaine, Guilloux, Guerder, Fabre, Joly conseillers de la chambre, M. Nivôse, Mmes Batut, Fossaert-Sabatier, M. de Larosière de Champfeu conseillers référendaires, M. Galand avocat général, Mme Mazard greffier de chambre ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


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