Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 2 juillet 2014, 13-19.083, Inédit

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Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 2 juillet 2014, 13-19.083, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :

Donne acte à M. A… et à la SCP O…, A… et A…- M…, aux droits de laquelle vient la SCP Valérie N…, Claire K…, Emmanuel X… (la SCP) du désistement de leur pourvoi en ce qu’il est dirigé contre M. Y… et la société Océade ingéniérie ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses première et deuxième branches :

Vu l’article 1382 du code civil ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que par actes authentiques reçus entre le 21 décembre 2002 et le 4 avril 2003 par M. A…, notaire associé de la SCP, la SCI Bedoit, les époux Z…, M. B…, M. C…, Mme D…, les époux E…, Mme F… et M. G… (les acquéreurs) ont acquis, en l’état futur d’achèvement, de la SCI Résidence Gauguin, par l’intermédiaire de la société SOD, exploitant l’agence immobilière du Parvis, différents lots de copropriété, sous la condition suspensive d’obtention d’une garantie intrinsèque de livraison conformément à l’article R. 261-18 b du code de la construction et de l’habitation, dont la réalisation a été constatée ; que l’immeuble n’a pas été achevé par la SCI Résidence Gauguin, qui fut placée en liquidation judiciaire ; que la SCI L’épervier, constituée pour assurer l’achèvement des travaux, et les acquéreurs ont assigné en indemnisation M. H…, en sa qualité de liquidateur de la SCI Résidence Gauguin, la société SOD ainsi que M. A… et la SCP, lesquels ont appelé en garantie M. Y…, architecte, et son assureur la MAF, la société Océade ingéniérie, maître d’oeuvre d’exécution, et la société Axa, assureur de la société SOD ;

Attendu que pour retenir un manquement du notaire à son devoir de conseil et le condamner in solidum avec la SCP à indemniser les acquéreurs sur le fondement de la perte de chance, l’arrêt relève que, le vendeur étant une SCI familiale, dont le notaire pouvait douter des capacités financières, la reproduction, dans les actes de vente, des textes du code de la construction et de l’habitation relatifs à la garantie d’achèvement et la mention, dans certains d’entre eux, de la subordination de la validité du contrat à la constitution de cette garantie, étaient insuffisantes pour permettre aux acquéreurs d’accepter en connaissance de cause une garantie intrinsèque d’achèvement, moins efficace qu’une garantie extrinsèque ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors que la garantie intrinsèque est une option ouverte par la loi au vendeur, et que, si elle ne présente pas la même sûreté que la garantie extrinsèque, elle n’en est pas moins licite, la cour d’appel, qui a constaté que toutes les conditions d’application avaient été réunies et retenu qu’il n’était pas établi que le notaire avait connaissance des antécédents de M. I…, associé majoritaire de la SCI Résidence Gauguin, de sorte que rien ne pouvait laisser supposer que la garantie fournie, qui existait bien, ne pourrait être utilement mise en oeuvre, a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les troisième, quatrième et cinquième branches du premier moyen et sur le second moyen du pourvoi principal, ainsi que sur le moyen unique du pourvoi incident :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il dit que M. A… a failli à son devoir de conseil, le condamne in solidum avec la SCP O…, A… et A…- M… à payer diverses sommes aux acquéreurs, le condamne in solidum avec la société Axa, dans la limite des sommes fixées, l’arrêt rendu le 14 mars 2012, entre les parties, par la cour d’appel de Rouen ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Caen ;

Condamne la SCI Bedoit, les époux Z…, M. B…, M. C…, Mme D… et M. D…, les époux E…, Mme F…, M. G… et la SCI L’épervier aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux juillet deux mille quatorze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits au pourvoi principal par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils, pour la société Valérie N…, Claire K… et Emmanuel X… et M. A….

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR dit que Monsieur Joël A… avait failli à son devoir de conseil et de l’AVOIR déclaré tenu in solidum avec la SCP O…, A… et A…- M… d’indemniser les victimes pour la perte de chance en résultant évaluée au tiers du préjudice imputable à cette faute, d’AVOIR déclaré Monsieur Joël A… et la SCP O…, A… et A…- M… tenus in solidum de verser, à la SCI L’ÉPERVIER la somme de 160. 375, 84 euros, à Madame F… la somme de 6. 800 euros, aux époux E… la somme de 7. 164, 66 euros, aux époux Z… la somme de 10. 259, 20 euros, à Monsieur B… la somme de 25. 939, 91 euros, à Monsieur G… la somme de 11. 277, 12 euros, à Madame D… la somme de 7. 800 euros, à la SCI BEDOIT la somme de 8. 120, 66 euros, à Monsieur C… la somme de 6. 129 euros, et d’AVOIR dit que la société AXA, Monsieur A… et la SCP notariale seraient condamnés in solidum à verser ces sommes, dans les limites définies pour chacun d’eux ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE même s’il y a également désistement à l’encontre de la SOCIÉTÉ SOD-en liquidation amiable-, il convient d’examiner les fautes qui lui sont reprochées dans la mesure où l’action est dirigée contre son assureur, la société AXA ; que la quatrième faute admise, avec des distinctions, par le tribunal, reprise par les appelants qui critiquent les conséquences qui en ont été tirées et contestée par le notaire porte sur le manquement de celui-ci à son devoir de conseil ; que ce grief tient au fait que les différents contrats conclus ont été assortis d’une garantie intrinsèque et non extrinsèque d’achèvement ; que la vente en l’état futur d’achèvement est une opération qui, par nature, fait courir des risques aux acheteurs ; que pour les prévenir, le législateur a organisé deux types de garantie : la garantie intrinsèque (article R 261-18 et suivants du Code de la construction et de l’habitation) et la garantie extrinsèque (article R 261 ¬ 21 et suivants du même code) ; qu’il est unanimement admis que la seconde est beaucoup plus protectrice que la première ; que la garantie extrinsèque est en effet constituée par l’engagement d’une banque ou d’un établissement équivalent d’assurer financièrement l’achèvement de l’immeuble en cas de défaillance du vendeur pour quelque cause que ce soit, tandis que la garantie intrinsèque résulte  » de l’existence de conditions propres à l’opération  » (article R 261-18 du Code de la construction et de l’habitation) ; que, dès lors, en dépit des conditions exigées par le Code de la construction et de l’habitation, il est parfaitement connu que la garantie intrinsèque est fragile et même qualifiée par certains d’illusoire, ce qui implique prudence et vigilance lorsqu’il y est recouru ; que le notaire, professionnel du droit, chargé d’un devoir de conseil tendant notamment à l’efficacité de l’acte qu’il reçoit ne peut, à l’évidence, ignorer les faiblesses de la garantie intrinsèque et doit donc se montrer particulièrement attentif aux circonstances et précis envers les parties lorsque la vente en l’état futur d’achèvement envisagée fait appel à ce mécanisme ; que Maître A… se trouvait dans cette situation et aurait dû faire preuve de circonspection au regard des capacités financières de la SCI venderesse ; que la consultation des statuts de cette dernière permettait de constater en effet qu’il s’agissait d’une structure purement familiale composée de Monsieur I… et de sa fille, créée uniquement pour la réalisation de ce projet ; que ce contexte et les inconvénients connus de la garantie intrinsèque devaient le conduire, contrairement à ce qu’il soutient, à ne pas se limiter, comme il l’a fait, à la reproduction des textes du Code de la construction et de l’habitation la concernant ; qu’il n’a pas mieux exécuté son devoir de conseil en procédant en outre, dans les actes reçus le 21 décembre 2002, à la reproduction de l’article L 261-11 d) de ce Code en précisant simplement que  » la validité du contrat de vente en l’état futur d’achèvement est subordonnée à la condition que soit garanti l’achèvement de l’immeuble vendu ou le remboursement des sommes versées par l’acquéreur en cas de résolution prononcée de la vente  » ; que Maître A… aurait dû, en des termes accessibles à tous, expliquer aux parties en quoi consistaient les deux garanties, faire bien apparaître qu’elles étaient informées que l’opération n’était pas protégée par la garantie la plus efficace mais qu’elles acceptaient néanmoins de donner leur consentement en toute connaissance de cause ; qu’il a incontestablement failli à son devoir de conseil qui, comme l’a décidé le tribunal, est à l’origine d’une perte de chance ; que toutefois, l’évaluation forfaitaire qui en a été faite en première instance à 10 000 ¿ ou 20 000 ¿ selon les acheteurs ne peut être approuvée ; qu’en effet, insuffisamment informés, les acheteurs ont été privés de la possibilité de renoncer à conclure une vente qu’ils auraient considérée comme étant trop risquée ou-moins probablement-de solliciter une garantie extrinsèque ; que cette perte de chance, compte tenu des probabilités raisonnables, doit être retenue à hauteur d’un tiers du préjudice subi, le jugement étant ainsi réformé sur ce point ; que compte tenu des pièces produites, le tribunal, en des motifs auxquels la Cour se réfère, a fait une exacte appréciation de l’indemnisation qui devait être accordée à chacun des sept acquéreurs qui en font la demande au titre des pertes de loyers ; que le préjudice de ce chef doit donc être évalué à : 15 500 ¿ pour la SCI BEDOIT, 17 200 ¿ pour les époux Z…, 16 800 ¿ pour Monsieur B…, 18 400 ¿ pour Madame D…, 13 900 ¿ pour les époux E…, 15 400 ¿ pour Madame F…, 13 900 ¿ pour Monsieur G… ; que les époux E…, les époux Z…, Monsieur B…, Monsieur G… et la SCI BEDOIT sollicitent l’indemnisation de la perte de l’avantage fiscal qui, selon eux, devait s’attacher à l’application de la loi dite loi Besson ; que si Monsieur B… ne fournit pas à cet égard de pièces faisant la démonstration suffisante de sa réclamation, il en va autrement pour les autres acheteurs qui produisent à cet effet, pour trois d’entre eux, un certificat de l’administration fiscale et, pour l’un d’eux (Monsieur G…), les éléments de calcul, accompagnés des justificatifs, de son expert-comptable ; que compte tenu de ces éléments de preuve, il convient de retenir une somme de :-3 944 ¿ au profit des époux E…,-4 689 ¿ au profit des époux Z…,-8 164 ¿ au profit de Monsieur G…, 4 132 ¿ au profit de la SCI BEDOIT ;

ET AUX MOTIFS ADOPTÉS QU’il peut être reproché à Joël A… de ne pas avoir précisé à ces acquéreurs que la garantie extrinsèque apporte, de manière générale, une sécurité plus grande que la garantie intrinsèque, dont le choix en l’espèce faisait courir un risque, dès lors que la société Gauguin, de faible taille, ne disposait pas de fonds propres importants, ni d’une large assise financière ; que ce renseignement aurait permis aux acquéreurs de mieux mesurer l’étendue de l’aléa lié à l’investissement ; qu’ainsi, Joël A… devait, pour assurer l’efficacité des actes de vente qu’il a reçus, fournir cette indication ; qu’il a commis une faute en ne l’ayant pas donnée, même s’il n’avait pas à exiger une garantie extrinsèque, devant la régularité de la garantie intrinsèque ; que les demandeurs réclament l’indemnisation des pertes de loyers qu’ils ont subies ; que, toutefois, il résulte des attestations produites aux débats qu’il convient de retenir un prix moyen de location au mètre carré de 9 ¿ par mois et non de 11, 55 ¿, comme le demandent à tort les acquéreurs ; que, par ailleurs, il n’est nullement établi que les logements auraient pu être loués immédiatement et de manière continue ; qu’ainsi, le préjudice en cause est constitué de la perte de la chance d’obtenir des loyers, dont il convient aussi de déduire les charges ; qu’il suit de là que le tribunal est en mesure de fixer ainsi qu’il suit le montant des indemnités qui répareront intégralement le préjudice résultant de la perte de loyer :- société Bedoit : 15 500 euros ;- époux Z… : 17 200 ¿ ;- Christian B… : 16 800 ¿ ;- Denise D… : 18 400 euros ;- époux E… 13 900 ¿ ;- Danièle F… : 15 400 ¿ ;- Antoine G… : 13 900 ¿ ;

1°) ALORS QUE le notaire qui instrumente une vente en l’état futur d’achèvement n’est pas tenu de dissuader l’acquéreur de conclure l’acte en l’informant des insuffisances théoriques de la garantie intrinsèque, prévue par une loi impérative d’ordre public de protection des acquéreurs, par rapport à une garantie extrinsèque que le législateur n’a pas souhaité rendre obligatoire ; qu’en jugeant néanmoins qu’il serait « parfaitement connu que la garantie intrinsèque est fragile et même qualifiée par certains d’illusoire » et que le notaire ne pourrait « à l’évidence, ignorer les faiblesses de la garantie intrinsèque » de sorte qu’il aurait été tenu d’« expliquer aux parties en quoi consistaient les deux garanties, faire bien apparaître qu’elles étaient informées que l’opération n’était pas protégée par la garantie la plus efficace mais qu’elles acceptaient néanmoins de donner leur consentement en toute connaissance de cause » (arrêt p. 16, § 2 et 5), la Cour d’appel a violé l’article 1382 du Code civil ;

2°) ALORS QUE soumis à une obligation d’impartialité, le notaire ne saurait être tenu de formuler des mises en garde, ne reposant sur aucune analyse économique objective, sur la fiabilité et la solidité économique de l’une des parties à la convention ; qu’en affirmant que le notaire « aurait dû faire preuve de circonspection au regard des capacités financières de la SCI venderesse » et que « la consultation des statuts de cette dernière permettait de constater en effet qu’il s’agissait d’une structure purement familiale composée de Monsieur I… et de sa fille, créée uniquement pour la réalisation de ce projet » (arrêt, p. 16, § 3), « ne disposa n t pas de fonds propres importants, ni d’une large assise financière » (jugement, p. 10, § 2) de sorte qu’il devait d’autant plus mettre en garde les acquéreurs contre les insuffisances de la garantie intrinsèque, la Cour d’appel, qui a contraint le notaire à délivrer ou prendre en compte une opinion sommaire, ne reposant sur aucune analyse objective de la solvabilité d’une des parties, a violé l’article 1382 du Code civil ;

3°) ALORS QU’en toute hypothèse, le manquement d’un professionnel à son devoir de conseil n’est en relation de causalité avec le préjudice invoqué par la victime que lorsque celle-ci, mieux informée, aurait pu se trouver dans une situation plus favorable ; qu’en jugeant qu’« insuffisamment informés, les acheteurs ont été privés de la possibilité de renoncer à conclure une vente qu’ils auraient considérée comme étant trop risquée ou-moins probablement-de solliciter une garantie extrinsèque » (arrêt, p. 16, in fine), quand seule importait la possibilité, non de solliciter une telle garantie, mais bien d’en obtenir une, la Cour d’appel a violé l’article 1382 du Code civil ;

4°) ALORS QU’en toute hypothèse, l’indemnisation de la victime doit être à l’exacte mesure du préjudice subi ; qu’en allouant tout à la fois aux acquéreurs une indemnité pour perte de loyers « sur la base d’un prix moyen de location au mètre carré de 9 ¿ par mois » (jugement confirmé, p. 13, § 6) et une indemnité au titre de la perte de l’avantage fiscal tirée de la non-application du dispositif Besson, sans répondre au moyen par lequel le notaire faisait valoir que, dans le cadre de ce dispositif, les loyers étaient plafonnés à 8, 30 euros le mètre carré en 2003 et à 8, 52 euros en 2004 (conclusions, p. 33, § 3), de sorte que les acquéreurs ne pouvaient à la fois prétendre être indemnisés d’une perte de loyers sur la base de 9 euros/ m ² et de celle d’un avantage fiscal sur le fondement d’une loi imposant impérativement une location à un prix moins élevé, la Cour d’appel a méconnu les exigences de l’article 455 du Code de procédure civile ;

5°) ALORS QU’en toute hypothèse, le préjudice subi par la victime doit être réparé intégralement, sans qu’il en résulte pour elle une perte ou un profit ; qu’en fixant l’intégralité des créances d’indemnisation des acquéreurs victimes au passif de la liquidation judiciaire de la SCI RÉSIDENCE GAUGUIN, tout en condamnant conjointement le notaire à les indemniser du tiers de ce préjudice au titre de la perte de chance, la Cour d’appel a créé au profit des acquéreurs deux créances d’indemnisation conjointes qui, cumulées, excèdent le montant de leur préjudice, violant ainsi le principe de la réparation intégrale.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR prononcé la condamnation in solidum, dans la limite des sommes ci-dessus déterminées, de la société AXA, Monsieur A… et la SCP O…, A… et A…- M…, ces sommes produisant intérêts au taux légal à compter du 12 novembre 2010 avec application des dispositions de l’article 1154 du Code civil, et d’AVOIR dit que, dans leurs rapports, la société AXA, d’une part, Monsieur A… et la SCP O…, A… et A…- M…, d’autre part, se garantiraient mutuellement à hauteur de moitié des condamnations prononcées à leur encontre ;

AUX MOTIFS QUE dans leurs rapports entre eux, les fautes respectivement commises par l’agent immobilier et le notaire doivent être considérées comme ayant, à parts égales, contribué à la réalisation du préjudice ; qu’il s’ensuit que, dans les limites des condamnations in solidum qui seront ci-après prononcées à l’encontre de la SOCIÉTÉ AXA, de Maître A… et de la SCP notariale, la première devra garantir les deux autres à hauteur de 50 % et inversement ;

1°) ALORS QUE la répartition de la charge finale de la dette entre plusieurs coobligés fautifs tenus in solidum s’effectue en considération de la gravité des fautes respectives ; qu’en jugeant que « dans leurs rapports entre eux, les fautes respectivement commises par l’agent immobilier et le notaire doivent être considérées comme ayant, à parts égales, contribué à la réalisation du préjudice » (arrêt, p. 16, in fine, nous soulignons), c’est-à-dire en fondant la répartition de la charge finale de la dette, non sur la gravité des fautes respectives, mais sur l’influence causale de chacune des fautes, la Cour d’appel a violé les articles 1251 et 1382 du Code civil ;

2°) ALORS QUE, le recours en contribution est ouvert uniquement au débiteur in solidum qui a versé au créancier des sommes excédant son obligation à la dette ; qu’en condamnant le notaire à garantir la société AXA à hauteur de la moitié des sommes par elle versées, quand, par application de son plafond de garantie, inférieur à 10 % du total du préjudice, limitant son obligation à la dette, il était impossible que l’assureur verse à la victime des sommes excédant la contribution de la dette de son assurée, fixée à la moitié du préjudice, la Cour d’appel a violé les articles 1251 et 1382 du Code civil ;

3°) ALORS QU’en toute hypothèse, dans ses conclusions d’appel, le notaire avait formé un appel en garantie contre la société SOD (v. conclusions, p. 28, § 6 à 8, et dispositif, p. 36, § 1er) ; qu’en refusant de statuer sur cette demande en jugeant qu’il y avait « désistement à l’encontre de la SOCIÉTÉ SOD-en liquidation amiable » (arrêt, p. 12, antépénult. §), la Cour d’appel a dénaturé les termes du litige et violé l’article 4 du Code de procédure civile. Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat aux Conseils pour MM. C…, B…, G…, D…, la société Bedoit, les époux Z…, les époux E…, Mmes D…, F… et la SCI L’Epervier.

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir dit que Maître Joël A…, notaire, a failli à son devoir de conseil au titre de l’absence de constitution de garantie intrinsèque, rejeté la responsabilité du notaire pour ne pas avoir procédé à un certain nombre de vérifications concernant la moralité du vendeur M. I… et partant limité la condamnation de Me Joël A…, in solidum avec la SCP O… A… et A…- M… à indemniser les exposants aux sommes de : 160. 375, 84 ¿ pour la SCI L’ÉPERVIER, 6. 800 ¿ pour Mme F…, 7. 164, 66 ¿ pour les époux E…, 10. 259, 20 ¿ pour les époux Z…, 25. 939, 91 ¿ pour M. B…, 11. 277, 12 ¿ pour M. G…, 7. 800 ¿ pour Mme D…, 8. 120, 66 ¿ pour la SCI BEDOIT et 6. 129 ¿ pour M. C…,

AUX MOTIFS QUE « (¿) l’agent immobilier a eu un comportement fautif envers les acquéreurs en acceptant de commercialiser une opération en connaissant son contexte qu’il savait éminemment périlleux pour ces derniers ; qu’une attitude loyale envers eux aurait dû le conduire à ne pas accepter de le faire ;

que le courrier du 12 juin 2007 de l’adjointe au maire de LOUVIERS, chargée de l’urbanisme et du logement, est, à cet égard, particulièrement révélateur puisqu’elle fait état de sa rencontre à la mairie, le 7 juin 2002, avec les responsables de l’AGENCE DU PARVIS (enseigne de la société SOD) afin de les mettre en garde sur les dangers de l’opération à une époque où le chantier n’avait pas encore débuté ; qu’elle relate les avoir informés  » des doutes qu’elle nourrissait à l’encontre de M. Jean-Pierre I…  » (associé majoritaire de la SCI RESIDENCE GAUGUIN)  » quant à sa réelle aspiration à mener cette opération à son terme  » et avoir expliqué que son inquiétude était fondée sur une affaire similaire  » dans laquelle M. I…,  » parti sans laisser d’adresse « , a laissé associés, architecte, entreprises et acquéreurs au beau milieu du chantier, avec la charge d’en supporter les factures ¿ et les démêlés avec la justice  » ;

que la société AXA ne peut utilement se retrancher derrière le fait que la condamnation pénale de M. Jean-Pierre I… en sa qualité de gérant de la SCI LA LONDE à LOUVIERS n’est intervenue que par arrêt de la cour d’appel de ROUEN du 14 octobre 2003 ; que certes, c’est à cette date que M. I… ¿ dont le pourvoi a été rejeté le 30 juin 2004 ¿ a été condamné pénalement pour infractions fiscales commises en 1995 et 1996 ; que cependant, les problèmes financiers de M. I… étaient connus antérieurement ¿ ce qui correspond aux événements évoqués par l’adjointe au maire ¿ dans la mesure où il résulte des énonciations de cet arrêt que la SCI dont il était le gérant et qui avait pour objet la destruction d’un bâtiment ancien suivi de la construction d’un immeuble avec appartements, bureaux et commerces, avait fait l’objet d’une liquidation judiciaire le 11 septembre 1998 ; que ces faits étaient antérieurs à l’opération qui est l’objet du présent litige et la société SOD, pour autant qu’elle les ignorait, s’en est donc trouvée dûment avertie par l’adjointe au maire ;

que les responsables de la société SOD avaient au demeurant parfaitement conscience des risques que présentait l’opération mise en place par la SCI RESIDENCE GAUGUIN, puisqu’il est établi que le 3 octobre 2002, à la suite d’une assemblée générale extraordinaire de cette SCI, c’est M. Gérard L… qui en est devenu le gérant ; qu’or, celui-ci était salarié de la société SOD et est le frère de M. Gilles L…, gérant de cette dernière ; que tant dans un courrier du 8 février 2005 signé de Messieurs Gérard et Gilles L… et adressé à l’un des acquéreurs, M. B…, que dans les conclusions de première instance de la SARL SOD, il est expliqué que cette gérance temporaire de la SCI RESIDENCE GAUGUIN avait été décidée pour  » éviter tout détournement de fonds « , ce qui démontre combien les responsables de l’agence immobilière savaient qu’il existait des risques financiers réels ; que, comme l’a justement constaté le tribunal, le relevé du compte bancaire de la SCI RESIDENCE GAUGUIN le démontre d’ailleurs en faisant apparaître que des fonds versés par les acquéreurs ont été effectivement utilisés au profit d’une autre SCI (résidence SARAH) ;

que la société SOD s’est ainsi, au minimum par son silence envers les acquéreurs, et même par certains actes positifs, associée à une opération qu’elle savait dangereuse pour eux, ce qui s’est trouvé concrétisé par l’impossibilité, pour la SCI RESIDENCE GAUGUIN, de régler les entrepreneurs et l’abandon du chantier

¿

Sur les fautes reprochées au notaire, que celles-ci doivent être examinées dans le cadre de la responsabilité délictuelle qui est applicable au notaire chargé d’authentifier un acte et qui se trouve tenu d’un devoir de conseil destiné à assurer la validité et l’efficacité de l’acte auquel il apporte son concours.

Attendu que, devant la Cour, quatre reproches lui sont adressés ;

Attendu que trois d’entre eux, invoqués par Monsieur C…, ont été justement écartés par le tribunal ;

Qu’il s’agit en premier lieu de la  » précipitation  » prétendue en ce que Maître A… a adressé le 13 décembre 2002 à Monsieur C… le projet d’acte et lui a proposé un rendez-vous aux fins de signature de l’acte de vente le 21 décembre 2002, ne respectant pas ainsi le délai d’un mois édicté par l’article R 261-30 du code de la construction et de l’habitation.

Mais attendu que, dans ce même courrier du 13 décembre 2002, le notaire avait pris soin de préciser à Monsieur C… qu’il disposait d’un délai de réflexion de trente jours à compter de la réception des pièces et qu’un autre rendez-vous pouvait en conséquence lui être fixé ; que les premiers juges ont justement rappelé que ce délai n’est pas prescrit à peine de nullité et que l’acheteur peut y renoncer, ce qu’a fait Monsieur C… en concluant la vente en l’état futur d’achèvement le 21 décembre 2002, de sorte que ce grief a été justement écarté ;

Attendu qu’en second lieu, il ne peut, par simple présomption, être considéré que Maître A… avait connaissance des antécédents de Monsieur Jean-Pierre I… ; que pas plus qu’en première instance, la preuve d’une information donnée sur ce point à l’officier public n’est rapportée et le tribunal a, à juste titre, estimé qu’aucune faute ne pouvait être retenue de ce chef ;

Attendu qu’un troisième grief porte sur les éléments devant être pris en considération, en vertu de l’article R 261-18, 2° b) du code de la construction et de l’habitation, en cas, comme en l’espèce, de garantie intrinsèque pour vérifier que le financement de l’immeuble est assuré à hauteur de 75 % du prix des ventes prévues ; que Monsieur C… reproche en effet à Maître A… d’avoir inclus à hauteur de 65. 500 ¿ la valeur du terrain en se fondant sur sa propre estimation alors que, selon l’appelant, les justifications relatives aux fonds propres doivent, en vertu de l’article R 261-20 du même code, résulter d’une attestation délivrée par une banque ou un établissement financier habilité à faire des opérations de crédit immobilier ;

Mais attendu que Maître A… et la SCP notariale font justement observer que les fonds propres devant donner lieu à l’attestation visée à l’article R 261-20 sont constitués par les emprunts et liquidités mais que la valeur du terrain n’en relève pas ; que, comme l’a estimé le tribunal, Maître A… pouvait procéder lui-même à l’évaluation du terrain ; que, par ailleurs, il n’est nullement démontré qu’en la fixant à 65. 500 ¿, le notaire aurait procédé à une surestimation qui aurait eu pour effet de fausser le calcul des éléments figurant à l’article R 261-18 susvisé, de sorte que, sur ce point encore, aucune faute ne peut être retenue ;

Attendu que la quatrième admise, avec des distinctions, par le tribunal, reprise par les appelants qui critiquent les conséquences qui en ont été tirées et contestée par le notaire, porte sur le manquement de celui-ci à son devoir de conseil ;

Attendu que ce grief tient au fait que les différents contrats conclus ont été assortis d’une garantie intrinsèque et non extrinsèque d’achèvement ;

Attendu que la vente en l’état futur d’achèvement est une opération qui, par nature, fait courir des risques aux acheteurs ; que pour les prévenir, le législateur a organisé deux types de garantie : la garantie intrinsèque (article R. 361-18 et suivants du code de la construction et de l’habitation) et la garantie extrinsèque (article R. 261-21 et suivants du même code) ;

Attendu qu’il est unanimement admis que la seconde est beaucoup plus protectrice que la première ; que la garantie extrinsèque est en effet constituée par l’engagement d’une banque ou d’un établissement équivalent d’assurer financièrement l’achèvement de l’immeuble en cas de défaillance du vendeur pour quelque cause que ce soit, tandis que la garantie intrinsèque résulte  » de l’existence de conditions propres à l’opération  » (article R. 261-18 du code de la construction et de l’habitation) ;

Que dès lors, en dépit des conditions exigées par le code de la construction et de l’habitation, il est parfaitement connu que la garantie intrinsèque est fragile et même qualifiée par certains d’illusoire, ce qui implique prudence et vigilance lorsqu’il y est recouru ;

que le notaire, professionnel du droit, chargé d’un devoir de conseil tendant notamment à l’efficacité de l’acte qu’il reçoit ne peut, à l’évidence, ignorer les faiblesses de la garantie intrinsèque et doit donc se montrer particulièrement attentif aux circonstances et précis envers les parties lorsque la vente en l’état futur d’achèvement envisagée fait appel à ce mécanisme ;

Attendu, comme le font valoir les appelants, que Maître A… se trouvait dans cette situation et aurait dû faire preuve de circonspection au regard des capacités financières de la SCI venderesse ; que la consultation des statuts de cette dernière permettait de constater en effet qu’il s’agissait d’une structure purement familiale composée de M. I… et de sa fille, créée uniquement pour la réalisation de ce projet ;

que ce contexte et les inconvénients connus de la garantie intrinsèque devaient le conduire, contrairement à ce qu’il soutient, à ne pas se limiter, comme il l’a fait, à la reproduction des textes du code de la construction et de l’habitation la concernant ; qu’il n’a pas mieux exécuté son devoir de conseil en procédant en outre, dans les actes reçus le 21 décembre 2002, à la reproduction de l’article L. 261-11 d) de ce code en précisant simplement que  » la validité du contrat de vente en l’état futur d’achèvement est subordonnée à la condition que soit garanti l’achèvement de l’immeuble vendu ou le remboursement des sommes versées par l’acquéreur en cas de résolution prononcée de la vente  » ;

que Maître A… aurait dû, en des termes accessibles à tous, expliquer aux parties en quoi consistaient les deux garanties, faire bien apparaître qu’elles étaient informées que l’opération n’était pas protégée par la garantie la plus efficace, mais qu’elles acceptaient néanmoins de donner leur consentement en toute connaissance de cause ;

qu’il a incontestablement failli à son devoir de conseil qui, comme l’a décidé le tribunal, est à l’origine d’une perte de chance ; que toutefois, l’évaluation forfaitaire qui en a été faite en première instance à 10. 000 ¿ ou 20. 000 ¿ selon les acheteurs ne peut être approuvée ;

qu’en effet, insuffisamment informés, les acheteurs ont été privés de la possibilité de renoncer à conclure une vente qu’ils auraient considérée comme étant trop risquée ou ¿ moins probablement ¿ de solliciter une garantie extrinsèque ;

que cette perte de chance, compte tenu des probabilités raisonnables, doit être retenue à hauteur d’un tiers du préjudice subi, le jugement étant ainsi réformé sur ce point ;

Attendu que, dans leurs rapports entre eux, les fautes respectivement commises par l’agent immobilier et le notaire doivent être considérées comme ayant, à parts égales, contribué à la réalisation du préjudice ; qu’il s’ensuit que, dans les limites des condamnations in solidum qui seront ci-après prononcées à l’encontre de la société AXA, de Maître A… et de la SCP notariale, la première devra garantir les deux autres à hauteur de 50 % et inversement ;

Sur l’évaluation des préjudices.

1. En ce qui concerne la SCI L’EPERVIER

qu’il est constant que les acquéreurs ont constitué, suivant protocole du 20 mai 2006, une société civile immobilière d’attribution dont les statuts ont été établis par acte


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