Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL D’ORLÉANS
CHAMBRE COMMERCIALE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE
GROSSES + EXPÉDITIONS
la SCP LAVAL-LUEGER
la SCP DESPLANQUES – DEVAUCHELLE
ARRÊT du : 11 DECEMBRE 2008
N° RG : 08/00531
DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : Tribunal de Grande Instance de BLOIS en date du 29 Janvier 2008
PARTIES EN CAUSE
APPELANTE :
Madame Simone X…, demeurant …
représentée par la SCP LAVAL-LUEGER, avoués à la Cour
ayant pour avocat la SCP GROGNARD-LEPAGE-BAUDRY-SIMONNEAU, du barreau de TOURS
D’UNE PART
INTIMÉE :
SARL LE MANOIR DE LA FORET prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège, Fort Giraud – 41160 LA VILLE AUX CLERCS
représentée par la SCP DESPLANQUES – DEVAUCHELLE, avoués à la Cour
ayant pour avocat Me Sandrine AUDEVAL, avocat au barreau de BLOIS
D’AUTRE PART
DÉCLARATION D’APPEL EN DATE DU 13 Février 2008
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats, affaire plaidée sans opposition des avocats à l’audience publique du 13 Novembre 2008, devant Monsieur Alain GARNIER, Conseiller Rapporteur, et Monsieur Thierry MONGE, Conseiller, par application de l’article 786 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Lors du délibéré :
Monsieur Jean-Pierre REMERY, Président de Chambre,
Monsieur Alain GARNIER, Conseiller, qui en a rendu compte à la collégialité,
Monsieur Thierry MONGE, Conseiller.
Greffier :
Madame Nadia FERNANDEZ, lors des débats,
PRONONCE publiquement le 11 Décembre 2008 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.
EXPOSÉ :
La Cour statue sur l’appel interjeté le 13 février 2008 par Simone X… contre le jugement du juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Blois du 29 janvier 2008 qui a fixé à 14 278 HT le montant annuel du loyer dû par sa locataire la SARL LE MANOIR DE LA FORÊT.
Pour l’exposé complet des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions des plaideurs, signifiées et déposées
– le 10 novembre 2008 par madame X…
– le 17 octobre 2008 par la société LE MANOIR DE LA FORÊT.
Dans le présent arrêt, il sera seulement rappelé que madame X… est aujourd’hui l’unique propriétaire d’un pavillon avec dépendances situé au lieudit « Fort Girard » à La Ville aux Clercs (Loir et Cher) donné à bail à madame Z… selon acte sous seing privé de renouvellement de bail commercial en date du 18 janvier 1995 pour un terme à échoir au 30 septembre 2003 et moyennant un loyer annuel alors fixé à 70 000 francs ; que le preneur exploite dans les lieux un fonds d’hôtel-restaurant ; que le 14 mai 2002, la bailleresse a fait délivrer congé à sa locataire pour le 30 septembre 2003, en lui offrant de renouveler le bail à la condition, notamment, que le prix du loyer soit porté à 36 000 par an ; que par acte du 25 juillet 2002, madame Z… a cédé son fonds à la SARL LE MANOIR DE LA FORÊT ; qu’en l’état du désaccord persistant entre les parties, y compris devant la commission départementale de conciliation, madame X… a saisi le juge des loyers commerciaux de Blois d’une demande en fixation du loyer à la somme annuelle de 36 000 ; que par jugement du 27 décembre 2007, ce magistrat a ordonné une expertise aux soins de monsieur A… et fixé provisoirement le prix annuel du loyer au montant de 18 500 proposé par la commission de conciliation ; et qu’au vu du rapport déposé le 24 juillet 2007, le juge des loyers commerciaux a rendu le jugement déféré en considérant qu’il n’y avait lieu de retenir ni la monovalence des locaux ni le déplafonnement des loyers et en fixant le prix du loyer au montant suggéré par l’expert judiciaire.
Madame X…, qui sollicite 3 000 d’indemnité de procédure, demande à la cour de réformer le jugement en fixant le montant annuel du loyer du bail renouvelé à 31 063 HT ou subsidiairement à 27 892 HT, toutes autres clauses et conditions par ailleurs inchangées.
Elle soutient à titre principal, en substance, que le loyer doit être fixé conformément à l’article 23-8 du décret du 30 septembre 1953 en raison de la monovalence des locaux, écartée selon elle à tort par le premier juge, alors d’abord que les bâtiments ne sont conçus que pour être affectés à l’activité d’hôtel-restaurant, alors ensuite qu’il n’y a pas lieu de prendre en compte les choix de gestion du preneur privilégiant la restauration par rapport à l’hôtellerie d’autant qu’il s’agit de deux activités destinées à être interdépendantes tant du fait de la configuration de l’établissement, dont l’entrée est unique, que de sa localisation retirée en pleine forêt où une seule activité est inimaginable sans l’autre, et alors, enfin, que l’adaptation des lieux à une autre activité ne pourrait se faire sans une très onéreuse restructuration requérant de renforcer le plancher en touchant à un mur porteur, de détruire les dix-neuf salles d’eau équipant les chambres et de reprendre totalement les installations de desserte et d’évacuation des fluides puisqu’il n’existe aucun circuit indépendant de chauffage et de distribution d’eau froide et de traitement des effluents, de sorte que le loyer doit être fixé à la somme de 31 063 HT proposée par l’expert judiciaire.
Pour le cas où la monovalence des locaux ne serait pas retenue, l’appelante demande subsidiairement à la cour d’arrêter alors le prix du loyer à la somme de 27 892 HT proposée par l’expert au titre du déplafonnement du loyer, qui s’impose selon elle du fait de la modification notable des critères de détermination de la valeur locative, en premier lieu car les caractéristiques du local ont beaucoup changé du fait des importants travaux réalisés, sans qu’il importe qu’ils l’aient été aux frais du locataire, et en second lieu parce que les facteurs locaux de commercialité se sont améliorés, notamment en raison de l’implantation d’une gare TGV dans le Vendômois.
La SARL LE MANOIR DE LA FORÊT conclut à la confirmation pure et simple du jugement déféré et sollicite 1 524 pour appel téméraire ainsi que 2 000 à titre d’indemnité de procédure.
Elle nie que les locaux loués soient monovalents en soutenant, d’une part, que les activités d’hôtellerie et de restauration bénéficient d’une clientèle majoritairement distincte et s’exercent de façon autonome et non pas interdépendante ; d’autre part, que les lieux pourraient être transformés sans reconstruction ni modification majeure, notamment en maison de retraite ou de convalescence.
Elle conteste pareillement la prétention subsidiaire adverse en déplafonnement du loyer en objectant que les caractéristiques du local n’ont pas été modifiées puisqu’il s’agit d’un hôtel-restaurant depuis la conclusion du bail initial en 1956, et en relevant que l’expert judiciaire qualifie le marché local de très peu actif, ce qui relativise grandement l’incidence prétendue de l’implantation d’une gare TGV à Villiers-Vendôme.
L’instruction a été clôturée par une ordonnance du 10 novembre 2008, ainsi que les avoués des parties en ont été avisés.
A l’issue des débats, le président d’audience a indiqué aux parties que l’arrêt serait prononcé le 11 décembre 2008, par sa mise à disposition au greffe de la Cour.
MOTIFS DE L’ARRÊT :
Attendu qu’aux termes de l’article 23-8 du décret du 30 septembre 1953 devenu R. 145-10 du Code de commerce, le prix du bail des locaux construits en vue d’une seule utilisation peut, par dérogation aux articles R. 145-3 et suivants, être déterminé selon les usages observés dans la branche d’activité considérée ; qu’ainsi, lorsque cette monovalence des locaux est avérée, leur loyer n’est pas soumis à la règle du plafonnement et doit, en cas de désaccord, être fixé judiciairement en fonction des usages en vigueur dans la branche d’activité considérée ;
Attendu qu’il résulte des productions, et notamment des énonciations non contestées des expertises unilatérale et judiciaire, que les locaux pris à bail par la société LE MANOIR DE LA FORÊT ont été construits vers 1850 à usage de pavillon de chasse et transformés en hôtel-restaurant-pension de famille en 1956 lors de la conclusion du bail commercial initial ;
Qu’ils ont subi à l’occasion de cette transformation d’importants travaux d’adaptation en vue de cette utilisation, consistant notamment en l’aménagement de chambres, d’un bar et d’une salle de restaurant, avec tous leurs équipements et accessoires tels que cuisine adaptée et locaux techniques ; qu’ils ont ultérieurement été aussi dotés de salles de séminaire ;
Qu’au regard du critère matériel d’affectation des locaux requis par l’article R. 145-10 susvisé, il est indifférent que ces travaux aient été décidés et financés par le preneur ; qu’il suffit qu’il s’agisse d’aménagements structurels réalisés pour les adapter à la destination contractuelle d’hôtellerie-restauration, ce qui est le cas ;
Attendu ensuite que les lieux sont conçus et utilisés pour l’accueil de résidents temporaires ; que certes, l’expert judiciaire A… note que la distribution intérieure des locaux permet, grâce à un hall d’accueil de 21 m², de scinder les activités de restauration et d’hôtellerie ; que pour autant, l’exercice de ces deux branches d’activité requiert concurremment l’utilisation de la totalité du bâtiment, puisque l’entrée de l’hôtel et celle du restaurant est d’abord commune avant cette distribution de part et d’autre du hall commun (cf rapport p. 12 et 14), que le sous-sol abrite à la fois la cuisine du restaurant et la lingerie de l’hôtel, et qu’au-delà de la part majoritaire – de l’ordre de 68 % contre 32 % – prise par la restauration par rapport à l’hôtellerie dans le chiffre d’affaires du commerce, il n’en demeure pas moins que l’une et l’autre sont passablement homogènes et en tout cas interdépendantes puisque l’établissement, situé en pleine forêt à l’écart des agglomérations et des axes importants de communication, a vocation à offrir un hébergement à la clientèle du restaurant et à celle des salles de séminaires, et une restauration aux résidents et pensionnaires ; qu’à ce titre, le local peut donc être regardé comme aménagé de manière à constituer une exploitation unique concernant une même clientèle ;
Attendu enfin qu’au vu des caractéristiques du bâtiment, de la configuration des lieux et de leur aménagement en hôtel-restaurant, les locaux litigieux ne pourraient être affectés à une autre utilisation qu’au prix de travaux importants et de transformations coûteuses et profondes, notamment du fait de la division des deux étages en chambres avec salles d’eau, de l’importance des baies dans l’espace restaurant et de l’unicité du système de chauffage, de distribution d’eau froide et de fosse septique ; que de plus, leur taille, leur disposition et leur situation isolée voue les locaux, hormis leur affectation actuelle d’hôtel-restaurant, à des utilisations limitées du type de celles que cite seules l’intimée, à savoir maison de retraite ou de convalescence, pour l’exploitation desquelles manquent actuellement des aménagements tels ascenseurs, rampes, larges espaces de circulation, qui ne pourraient être obtenus qu’au prix d’investissement très onéreux ; qu’il en irait de même d’une transformation en résidence d’habitation, au demeurant non évoquée par les parties, et qui, à la tenir pour économiquement envisageable, requerrait une restructuration totale des espaces intérieurs ;
Attendu dans ces conditions que les locaux doivent être considérés comme monovalents ;
Que comme tels, la valeur locative doit en être fixée conformément aux usages observés dans la branche d’activité de l’hôtellerie-restauration ;
Et attendu que l’expert judiciaire n’est ni réfuté ni critiqué lorsqu’il affirme (cf p. 12 de son rapport) que les usages observés dans cette branche d’activité retiennent la méthode hôtelière pour déterminer la valeur locative des locaux même s’il existe un restaurant, dès lors qu’il n’existe qu’un fonds de commerce comme en l’espèce, et lorsqu’il indique (cf p. 12 à 16) que selon cette méthode, le chiffe d’affaires théorique dégagé par les données comptables mises à sa disposition détermine une valeur locative de 31 063 HT ;
Attendu qu’il y a donc lieu d’infirmer la décision du premier juge et de fixer à ladite somme de 31 063 HT le prix du loyer du bail renouvelé ;
PAR CES MOTIFS
la Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort :
INFIRME le jugement entrepris, et statuant à nouveau :
FIXE à la somme de 31 063 HT (TRENTE ET UN MILLE SOIXANTE TROIS EUROS) le prix annuel du loyer du bail renouvelé le 1er octobre 2003 des locaux sis lieudit « Fort Girard » à La Ville aux Clercs (Loir et Cher) donnés à bail commercial à la société LE MANOIR DE LA FORÊT par Simone X…
CONDAMNE la société LE MANOIR DE LA FORÊT aux dépens de première instance et d’appel et à payer à madame X… une somme de 2 000 (DEUX MILLE EUROS) en application de l’article 700 du Code de procédure civile
ACCORDE à la SCP LAVAL & LUEGER, titulaire d’un office d’avoué, le droit à recouvrement direct reconnu par l’article 699 du Code de Procédure Civile.
Arrêt signé par Monsieur Jean Pierre REMERY, Président de Chambre et Madame Nadia FERNANDEZ, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.