Cour d’appel d’Angers, CT0074, du 9 mars 2006

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Cour d’appel d’Angers, CT0074, du 9 mars 2006

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL D’ANGERS Chambre Correctionnelle Arrêt correctionnel no 147 du 09 mars 2006 (No PG : 05/00585) LE MINISTÈRE PUBLIC X… Y… Z… A… épouse B… B… C… B… D… B… E… B… F… B… G… B… H… B… I… LE CHSCT PROVINCE DE J… SOCIETE THYSSEN KRUPP ASCE NSEURS LE SYNDICAT CGT THYSSEN ASCENSEURS K…/ L… M… Maurice Elie Société THYSSEN KRUPP ELEVATOR MANUFACTURING FRANCE Arrêt prononcé publiquement, le jeudi 09 mars 2006 en présence de Monsieur N…, substitut général, occupant le siège du Ministère Public et de Madame THEOLIER, greffier. Sur appel d’un jugement du TRIBUNAL CORRECTIONNEL DU MANS en date du 1er Avril 2005 COMPOSITION DE J… COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ Monsieur VERMORELLE, président de chambre, Monsieur MIDY, conseiller et Monsieur O…, vice président placé PARTIES EN CAUSE DEVANT J… COUR : PRÉVENU L… M… Maurice Elie, né le 28 Février 1945 à LYON 02 Fils de L… Raymond et de FLAMENT Joséphine, de nationalité française, marié, président Demeurant 23 rue du Colonel Driant – 94100 SAINT MAUR DES FOSSES LIBRE – APPELANT (6 Avril 2006) COMPARANT, assisté de Maître SULTAN, Avocat au Barreau d’ANGERS ; Dépôt de conclusions. Société THYSSEN KRUPP ELEVATOR MANUFACTURING FRANCE dont le siège sociale est sis Z.I. St Barthélémy – Rue de Champfleur – BP 126 – 49000 ANGERS CEDEX 01 prise en la personne de son représentant légal M… L…, LIBRE – APPELANT (6 Avril 2006) COMPARANT, assisté de Maître SULTAN, Avocat au Barreau d’ANGERS ; Dépôt de conclusions. PARTIES CIVILES X… Y…, … par Maître DUPUY, Avocat au Barreau du MANS, Dépôt de conclusions. Z… A… épouse B…, demeurant Les Quatorze – 72190 SARGE LES LE MANS APPELANTE, COMPARANTE assistée de Maître

procédure pénale,

– au CHSCT PROVINCE de la STE THYSSEN KRUPPASCENSEURS, et au SYNDICAT CGT THYSSEN ASCENSEURS, un euro à chacun à titre de dommages intérêts, et la somme de 450 euros, unis d’intérêts, sur le fondement des dispositions de l’article 475-1 du code de procédure pénale, – dit que les sommes allouées au titre des dommages intérêts produiront intérêts au taux légal à compter du jour du jugement, – a condamné solidairement M… L… et la Société THYSSEN KRUPP ELEVATOR MANUFACTURING FRANCE prise en la personne de son représentant légal M… L…, aux dépens de l’action civile;

Les appels

Appel a été interjeté par : -Monsieur L… M… et la Société THYSSEN KRUPP ELEVATOR MANUFACTURING FRANCE, le 6 Avril 2005 (pénal et civil), -M. le Procureur de la République, le 6 Avril 2005 contre Monsieur L… M…, Société THYSSEN KRUPP ELEVATOR MANUFACTURING FRANCE,- Madame X… Y…, le 7 Avril 2005 sur les dispositions civiles, – Madame B… H…, le 7 Avril 2005, sur les dispositions civiles – Monsieur B… F…, Madame Z… épouse B… A…, Monsieur B… I…, Monsieur B… E…, Monsieur B… D…, le 12 Avril 2005 sur les dispositions civiles (appel incident) – Madame B… G… et

Monsieur B… C…, le 13 Avril 2005 sur les dispositions civiles (appel incident)

J… COUR Demandes des parties devant la Cour.

1/ Parties civiles Madame X… Y…, partie civile appelante, LEMERCIER Avocat au Barreau d’Alençon, Dépôt de conclusions. B… C…, demeurant 3 Côte St Aubin – 27170 BEAUMONT LE ROGER et B… G…, demeurant 4 Cour de la PROVIDENCE – 61560 BAZOCHES SUR HOENE APPELANTS, COMPARANTS, assistés de Maître COHEN, Avocat au Barreau d’Argentan, Dépôt de conclusions. B… F…, demeurant Les Quatorze – 72190 SARGE LES LE MANS APPELANT, COMPARANT, assisté de Maître LEMERCIER, Avocat au Barreau d’Alençon, Dépôt de conclusions. B… H…,

demeurant 38 Bis Le Clos Tiger – 27170 BEAUMONTEL APPELANTE, COMPARANTE, assistée de Maître Thierry PAVET, Avocat au Barreau du MANS, Dépôt de conclusions. B… E…, … par Maître LEMERCIER, Avocat au Barreau d’Alençon, Dépôt de conclusions. B… I…, demeurant Les Quatorze – 72190 SARGE LES LE MANS APPELANT, COMPARANT, assisté de Maître LEMERCIER, Avocat au Barreau d’Alençon, Dépôt de conclusions. B… D…, … par Maître LEMERCIER Avocat au Barreau d’Alençon, Dépôt de conclusions. LE CHSCT PROVINCE DE J… SOCIETE THYSSEN KRUPP ASCE NSEURS, dont le siège social est sis Rue de Champfleur – ZI Saint Barthélémy – BP 126 – 49000 ANGERS et LE SYNDICAT CGT THYSSEN ASCENSEURS, dont le siège social est sis Rue de Champfleur – ZI Saint Barthélémy – 49000 ANGERS INTIMES, Représentés par Maître Jean-Michel DUDEFFANT, Avocat au Barreau de PARIS, Dépôt de conclusions. LE MINISTÈRE PUBLIC : APPELANT (6 Avril 2005)

DÉBATS Les débats ont eu lieu à l’audience publique du 31 janvier 2006, en présence de Monsieur N…, substitut général, occupant le siège du Ministère Public, et de Monsieur P…, greffier. Le président a vérifié l’identité des prévenus et a fait son rapport. Il

concubine de la victime:

– condamner THYSSEN KRUPP ELEVATOR MANUFACTURING, à lui verser 25.000 euros pour son préjudice moral,

– condamner solidairement Monsieur M… L… et TKME. à lui payer au titre de l’article 475-1 du Code de Procédure Pénale :

– 146,99 euros pour la première instance,

– 1.800 euros pour l’appel; Monsieur C… B…, partie civile appelante, fils de la victime et Mademoiselle G… B…, partie civile appelante, fille de la victime :

– condamner solidairement Monsieur M… L… et THYSSEN KRUPP ELEVATOR MANUFACTURING à payer à chacun:

– 18.000 euros pour les préjudices moraux,

– 3.000 euros pour les frais irrépétibles de première instance et d’appel. Madame A… Z… épouse B…, partie civile appelante, mère de la victime:

– confirmer les dommages intérêts pour préjudice moral,

– condamner solidairement Monsieur M… L… et THYSSEN KRUPP ELEVATOR MANUFACTURING à lui payer 1.000 euros pour frais irrépétibles d’appel; Monsieur F… B…, partie civile appelante, père de la victime:

a interrogé les prévenus. Les appelants ont sommairement indiqué les motifs de leur appel. Les conseils des parties civiles ont présenté leurs observations. Le Ministère Public a requis. Le conseil des prévenus a plaidé. Les prévenus ont eu la parole le dernier. A l’issue des débats, le Président a indiqué que l’affaire était mise en délibéré et que l’arrêt serait prononcé le 9 Mars 2006 à QUATORZE heures. A cette date, il a été procédé à la lecture de l’arrêt par l’un des magistrats ayant participé aux débats et au délibéré.

RAPPEL DE J… PROCÉDURE

J… prévention

L… M… est prévenu d’avoir, au MANS, le 19 Mai 2003, dans le cadre du travail, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements, en l’espèce en ne respectant pas les dispositions du Décret no2000-810 du 24 Août 2000, notamment l’article 3 et le point 2-2 de l’annexe I du Décret sus-visé, en le laissant intervenir sur des appareils ne répondant pas aux normes européennes de sécurité applicables à ce type d’appareil, involontairement causé la mort de Patrice B… Faits prévus et réprimés par les articles 221-6 al 1, 221-7, 221-8, 221-10, L. 121-3 du Code Pénal, L. 263-2-1, L.263-2 al2, al. 3 du Code du Travail, et par les dispositions du Décret no 2000-810 du 24 Août 2000, notamment l’article 3 et le point 2-2 de l’annexe I du Décret sus-visé.

J… Société THYSSEN KRUPP ELEVATOR MANUFACTURING FRANCE est prévenue d’avoir, au MANS, le 19 Mai 2003, dans le cadre du travail, par maladresse, imprudence, inattention,

négligence ou manquement à une – confirmer les dommages intérêts pour préjudice moral,

– condamner solidairement Monsieur M… L… et THYSSEN KRUPP ELEVATOR MANUFACTURING à lui payer 1.000 euros pour frais irrépétibles d’appel; Mademoiselle H… B…, partie civile appelante, fille de la victime:

– condamner solidairement Monsieur M… L… et THYSSEN KRUPP ELEVATOR MANUFACTURING à lui payer:

– 18.000 euros à titre de dommages intérêts,

– 1.500 euros pour frais irrépétibles d’appel. Monsieur E… B…, partie civile appelante, frère de la victime:

– confirmer le jugement, Monsieur I… B…, partie civile appelante, frère de la victime:

– confirmer le jugement, Monsieur D… B…, partie civile appelante, frère de la victime:

– confirmer le jugement, Le Syndicat CGT de THYSSEN KRUPP ASCENSEURs, intimé:

– confirmer le jugement,

– condamner solidairement Monsieur M… L… et THYSSEN KRUPP ELEVATOR MANUFACTURING à lui payer 1.500 euros pour frais irrépétibles d’appel; Le CHSCT de THYSSEN KRUPP ASCENSEURS, intimé:

– confirmer le jugement,

– condamner solidairement Monsieur M… L… et THYSSEN KRUPP ELEVATOR MANUFACTURING à lui payer 1.500 euros pour frais irrépétibles d’appel; Le Ministère Public requiert confirmation des dispositions pénales;

Les conclusions des prévenus à l’issue de 53 pages de discussion

obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements, en l’espèce en ne respectant pas les dispositions du Décret no2000-810 du 24 Août 2000, notamment l’article 3 et le point 2-2 de l’annexe I du Décret sus-visé, en le laissant intervenir sur des appareils ne répondant pas aux normes européennes de sécurité applicables à ce type d’appareil, involontairement causé la mort de Patrice B… Faits prévus et réprimés par les articles 221-6 al 1, 221-7, 221-8, 221-10, L. 121-3 du Code Pénal, L. 263-2-1, L.263-2 al2, al. 3 du Code du Travail, et par les dispositions du Décret no 2000-810 du 24 Août 2000, notamment l’article 3 et le point 2-2 de l’annexe I du Décret sus-visé.

Le jugement

Le TRIBUNAL CORRECTIONNEL du MANS, par jugement du 1er Avril 2005:

SUR L’ACTION PUBLIQUE: – a déclaré L… M… coupable d’homicide involontaire dans le cadre du travail, et l’a condamné à une amende délictuelle de 10.000 euros; – a déclaré la Société THYSSEN KRUPP ELEVATOR MANUFACTURING FRANCE coupable d’homicide involontaire dans le cadre du travail, et l’a condamnée à une amende délictuelle de 50.000 euros; SUR L’ACTION CIVILE: – reçu Monsieur I… B…, Monsieur D… B…, Monsieur E… B…, Monsieur F… B…, Madame A… B…, Mademoiselle H…

B…, Madame X… Y…, Mademoiselle Murielle B…, Monsieur C… B…, le CHSCT PROVINCE de la STE THYSSEN KRUPP ASCENSEURS et le SYNDICAT CGT THYSSEN ASCENSEURS en leurs constitutions de partie civile, – déclaré M… L… et la Société THYSSEN KRUPP ELEVATOR MANUFACTURING FRANCE prise en la personne de son représentant légal M… L…, entièrement tenus d’indemniser les victimes du préjudice qu’elles ont subi; – condamné solidairement M… L… et

sont les suivantes:

– annuler le réquisitoire aux fins d’expertise, le rapport d’expertise, et l’ensemble de la procédure;

– annuler la procédure en l’absence d’analyse toxicologique et alcoologique;

– annuler le jugement en ce qu’il a retenu à l’encontre des prévenus des faits non visés dans la citation, en violation des articles 388 et 389 du Code de Procédure Pénale, et 6 de la CEDH;

– prononcer la relaxe de Monsieur M… L… et de la société THYSSEN KRUPP ELEVATOR MANUFACTURING;

– déclarer irrecevable l’action civile du CHSCT PROVINCE,

– déclarer irrecevables les demandes des ayants-droit de la victime comme relevant de la compétence exclusive et d’ordre public du Tribunal des affaires de sécurité sociale de la SARTHE;

– débouter les parties civiles de l’intégralité de leurs demandes;

RAPPEL DES FAITS CONSTANTS:

Le 19 Mai 2003 en fin de journée, Monsieur B…, salarié de l’entreprise THYSSEN KRUPP ASCENSEURS, se rendait sur le chantier de la Cité Administrative au MANS. En sa qualité de responsable technique montage, il devait procéder à des travaux sur deux ascenseurs installés dans ce chantier. Ayant ouvert la trappe de toit de l’ascenseur, et s’étant positionné sur le toit de celui-ci pour procéder aux vérifications nécessaires, l’appareil est monté brutalement, coinçant Monsieur B… entre le toit, et le moteur, situé à la partie supérieure de la cage. Monsieur B… décédait dans cet accident.

MOTIFS: Sur les nullités soulevées:

la Société THYSSEN KRUPP ELEVATOR MANUFACTURING FRANCE prise en la personne de son représentant légal M… L…, à leur payer les sommes suivantes :

– à Madame X… Y…, 20.000 euros à titre de dommages intérêts en réparation de son préjudice moral et 146,99 euros sur le fondement des dispositions de l’article 475-1 du code de procédure pénale,

– à Mademoiselle H… B… , 10.000 euros à titre de dommages intérêts en réparation de son préjudice moral et 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 475-1 du code de procédure pénale,

– à Mademoiselle G… B… , 10.000 euros à titre de dommages intérêts en réparation de son préjudice moral,

– à Monsieur C… B…, 10.000 euros à titre de dommages intérêts en réparation de son préjudice moral et 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 475-1 du code de procédure pénale,

– à Monsieur F… B…, 15.000 euros à titre de dommages intérêts en réparation de son préjudice moral, et 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 475-1 du code de procédure pénale;

– à Madame A… Z… épouse

B…, 15.000 euros à titre de dommages intérêts en réparation de son préjudice moral, et 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 475-1 du code de procédure pénale,

– à Monsieur I… B…, 9.000 euros à titre de dommages intérêts en réparation de son préjudice moral,

– à Monsieur D… B…, 9.000 euros à titre de dommages intérêts en réparation de son préjudice moral,

– à Monsieur E… B…, 9.000 euros à titre de dommages intérêts en réparation de son préjudice moral, et 500 euros, unis d’intérêts, sur le fondement des dispositions de l’article 475-1 du code de

1) nullité de la réquisition aux fins d’expertise, de l’expertise elle-même et des poursuites subséquentes:

Les prévenus critiquent cet aspect du dossier, en déplorant que le ministère public n’ait pas cru devoir motiver son choix d’un expert non inscrit sur une liste et qu’il n’ait pas requis la prestation de serment dudit expert ; quant à la prestation de serment de Monsieur Q…, elle aurait dû être annexée au dossier de la procédure. Toute cela est donc nul, ainsi que les poursuites fondées sur ces pièces.

En réponse, la Cour observe que le Ministère Public dans ses réquisitions désignant Messieurs R… et Q…, a visé, notamment les articles 60, 74, 75 à 77-1 du Code de Procédure Pénale, concernant les constatations et examens techniques et scientifiques dans le cadre de l’enquête effectuée sous la direction du Ministère Public.

Il est donc abusif de vouloir appliquer à ces recherches les règles concernant l’expertise ordonnée par une juridiction et de prétendre que le choix d’un expert non inscrit n’est pas motivé, alors que l’article 74 du Code de Procédure Pénale , pour sa part, demande simplement que l’expert non inscrit prête serment, ce qui a bien été

le cas de Monsieur Q…

En effet, une prestation de serment de ce technicien, en date du 26 Mai 2003, figure bien au dossier. Sa date est antérieure aux recherches effectuées et au rapport consécutif. J… Cour ne peut faire que ce seul constat. Ainsi, en raison du cadre juridique dans lequel les recherches en cause ont été demandées et effectuées, aucune nullité tirée d’un non respect des règles concernant l’expertise, n’est susceptible de les affecter.

2) Nullité de la procédure pour absence d’analyse toxicologique et alcoologique:

Selon les prévenus, l’absence d’analyse alors que des prélèvements avaient été effectués, devrait entraîner la nullité de la procédure. Le Tribunal a répondu de manière très brève à ce moyen. J… Cour fera de même. En effet, que des prélèvements aient été effectués à titre conservatoire, et n’aient pas fait l’objet d’analyse, n’affecte en rien la validité de la procédure, dès lors q’il n’est pas établi que les recherches en cause auraient été, sinon indispensables, du moins utiles à la manifestation de la vérité, et qu’aucun grief n’est d’ailleurs allégué.

3) Nullité du jugement:

Le jugement serait nul car le Tribunal aurait substitué des faits à d’autres, et un fondement juridique à un autre, sans l’acceptation des prévenus.

Or un examen attentif du jugement montre qu’il n’en est rien. En effet, si le Tribunal a considéré que le rapport de l’APAVE était de nature à dédouaner en quelque sorte les prévenus, qui avaient à ce moment là au moins, fait procéder à des vérifications et diligences préalables, il a évoqué d’autres éléments de nature à engager la responsabilité des prévenus, dans le cadre de la prévention qui n’a aucunement été modifiée, à savoir un homicide involontaire sur la personne de Monsieur B… J… référence, dans la discussion, à l’article L 230-2 du Code du Travail, ne constitue ni un changement de prévention, ni un changement de fondement juridique, puisqu’il ne s’agit pas d’un article d’incrimination définissant une infraction quelconque et sa répression mais d’un article rappelant les obligations générales de l’employeur à l’égard des salariés de l’entreprise ou y intervenant, et énonçant différents moyens pour protéger la santé physique et mentale de ceux-ci, ainsi que leur sécurité.

Il n’y a là ni requalification de fait, ni changement de prévention, et donc aucune nullité du jugement pour ce motif.

SUR LE FOND:

En ce qui concerne THYSSEN KRUPP MANUFACTURING ELEVATOR:

Cette société, personne morale, a été poursuivie elle aussi, pour homicide involontaire, infraction trouvant sa source dans le non respect des dispositions du Décret du 24 Août 2000, relatif à la mise sur le marché des ascenseurs : la nullité de la citation la concernant n’est plus soutenue devant la Cour, et des conclusions sont déposées en son nom.

Il est constant que l’ascenseur lors des vérifications duquel Monsieur B… a trouvé la mort, était situé dans la cité administrative du MANS, que son installation était en cours d’achèvement, et de ce fait, n’était pas mis sur le marché, puisque non encore à la disposition de l’acheteur. J… Société THYSSEN KRUPP ELEVATOR MANUFACTURING, personne morale, concepteur et constructeur de l’ascenseur litigieux, étant astreinte à un certain nombre d’obligations techniques, ne se confond pas avec la personne physique, chef d’entreprise, qui outre les obligations techniques qui peuvent peser sur elle, a, de par son statut des pouvoirs et des

obligations différents.

C’est donc dans le cadre des obligations techniques qui sont les mêmes, et résultant du Décret du 24 Août 2000, que la responsabilité de la personne morale peut s’apprécier.

Selon l’article 2 dudit décret, la mise sur le marché de l’ascenseur intervient lorsque l’installation met pour la première fois l’ascenseur à la disposition de l’acheteur.

Le même décret en son article 1 précise :

« Sont soumis aux dispositions du présent décret :

– les ascenseurs mis sur le marché ».

Or l’ascenseur litigieux n’étant pas mis sur le marché, puisque non terminé d’installer et non livré à l’acheteur, le Décret du 24 Août 2000 n’est pas applicable.

Il s’ensuit que le non respect de ces dispositions, lesquelles sont expressément visées dans l’acte de poursuite, ne peut valablement permettre de rechercher la responsabilité pénale de cette personne morale ; la société THYSSEN KRUPP ELEVATOR MANUFACTURING sera donc relaxée des fins de la poursuite.

En ce qui concerne Monsieur M… L… :

Monsieur M… L… est le PDG de Thyssen Krupp Ascenseurs, employeur de Monsieur B…, et PDG également de THYSSEN KRUPP ELEVATOR MANUFACTURING FRANCE ; sa qualité de personne physique a permis au Ministère Public de viser utilement dans son mandement de citation l’article 121-3 du Code pénal.

En ce qui concerne la finalité de l’intervention de Monsieur B…, les constatations de Messieurs R… et Q…, ont permis de déduire qu’il avait procédé à un limage des éclisses supérieures des guides cabine pour réduire un défaut d’alignement de celles-ci, après être monté sur le toit de la cabine, malgré l’interdiction visuelle (zébras sur la trappe), et que la vérification de l’efficacité de son intervention, par la mise en route de l’ascenseur avait entraîné

l’accident .

Les techniciens, dans leur rapport en page 10, font d’ailleurs le commentaire suivant:

« En tout état de cause, si les éclisses de guides présentaient un défaut d’alignement, il convenait bien d’y remédier et l’opération entreprise par Monsieur B… était nécessaire.

Après examen des notices (montage et essais), nous n’avons trouvé aucune procédure pour résoudre les problèmes nécessitant l’accès à cet endroit dangereux, car présentant un risque d’écrasement. »

Outre ce constat, d’autres anomalies ont été relevées lors des recherches effectuées par Messieurs R… et Q… C’est ainsi que lors d’essais en service normal du système de recalage, outre une vitesse qualifiée d’importante et un arrêt brusque en final, le seuil de la cabine s’est trouvé à 190 mm au dessus du seuil palier, et la distance entre le dessus de l’opérateur sur le toit de l’appareil et le moteur de

l’ascenseur s’est trouvée réduite à 325 mm. C’est en poursuivant leurs investigations que les « experts » ont constaté un réglage anormalement élevé de la vitesse moteur de 180 tours/minute, alors qu’il n’aurait pas dû dépasser 74. Il s’en déduit que la vitesse étant excessive, l’appareil ne peut pas s’arrêter normalement eu égard au « top » de ralentissement qui est réglé pour une vitesse maximale très inférieure. On comprend mieux, dans ces conditions, comment Monsieur B… bien que technicien averti, a pu être surpris par ces éléments et se soit retrouvé écrasé entre le toit de l’ascenseur et le moteur.

A la fin de leurs recherches, messieurs R… et Q…, ont proposé les conclusions suivantes :  » – l’accident est dû à une conjonction concomitante de plusieurs facteurs, à savoir, d’une part l’imprudence, le « shuntage » volontaire des sécurités par Monsieur B… , d’autre part un mauvais réglage a priori du programme de fonctionnement de l’ascenseur avant livraison

sur le chantier. – les mesures compensatoires prises par le constructeur pour supprimer le risque d’écrasement existant à l’endroit même où l’accident s’est produit, ne sont pas suffisantes. – apparemment, rien n’empêchait techniquement une implantation différente du moteur pour permettre une réserve supérieure compatible avec la Norme EN 81 (plus d’espace) ; – une intervention extérieure à celle de Monsieur B… est impossible, puisque pour avoir lieu, il faut que le commutateur de la boîte d’inspection soit positionné sur « normal », ce qui suffit à déclencher une recalage automatique. ( et ce vers le haut, dans les conditions que l’on sait) – pour ce type d’intervention, Monsieur B… n’aurait pas dû être seul. – la remise à niveau ou le « recalage » devrait – la remise à niveau ou le « recalage » devrait être impossible en montée au dernier niveau.

Ces éléments, assez clairs et compréhensibles par des non spécialistes de ce genre d’appareil, permettent de comprendre que plusieurs causes sont intervenues dans la réalisation de l’accident :

– une erreur de conception imputable au constructeur, (hors de cause

pour les raisons exposées plus haut) – une imprudence de Monsieur B… ; – une faute de l’employeur, en l’espèce, Monsieur M… L… ;

Le Tribunal s’est expliqué sur ces deux derniers points en page 13 à compter du paragraphe 6, et 14 du jugement.

J… Cour reprend ces motifs qui sont parfaitement adaptés aux faits de la cause. J… faute de la victime n’est exonératoire que si elle est exclusive dans la réalisation du dommage. Elle ne dispense pas l’employeur, qui en fonction de ses pouvoirs d’organisation, de direction et de contrôle, est à même de prendre toutes mesures utiles pour la protection de la sécurité de ses salariés.

J… longue énumération de l’article L .230-2 du Code du Travail est là, au besoin, pour rappeler au chef d’établissement, ses obligations.

D’ailleurs, les problèmes posés par les nouveaux ascenseurs et leurs

conséquences possibles, étaient parfaitement connus par Monsieur M… L…, puisque celui-ci, dès avant l’accident dont Monsieur B… a été victime, écrivait au Secrétaire du CHSCT Province, pour faire part des difficultés et envisager les moyens de nature à y remédier. J… connaissance du problème ne fait aucun doute, et elle est concrétisée par une phrase, notamment, de ce courrier, sous la signature de Monsieur M… L…: « le dispositif de sécurité pour techniciens ascensoristes permettant d’éviter l’écrasement de celui-ci entre la cabine et le plafond de la cage, a été mis à l’ordre du jours du CHSCT de Juin 2002. »

Cela se situait environ un an avant l’accident du 19 Mai 2003.

Ainsi, en laissant Monsieur B… intervenir seul sur un ascenseur dont les problèmes de fonctionnement étaient connus, donc les risques, et en n’ayant pas pris les mesures qui s’imposaient, que ce soit au niveau technique, ou au niveau de

notices d’intervention, Monsieur M… L… a commis une faute caractérisée dans les termes de l’article 121-3 du Code pénal.

Dans ces conditions, la Cour confirmera sa culpabilité, ainsi que la peine, adaptée à la nature des faits et à la personnalité de l’auteur.

SUR L’ACTION CIVILE: En ce qui concerne X… Y…, concubine de Monsieur B… :

Depuis la loi du 21 Décembre 2001, la concubine est assimilée à l’épouse, et constitue un ayant droit de la victime, au sens du Code de la Sécurité Sociale. Elle est dont irrecevable à demander la réparation de son préjudice devant la juridiction de droit commun, contre l’employeur du concubin, décédé. Or, contrairement à ce qui est soutenu dans ses conclusions, par Madame X…, Monsieur M… L…, PDG de Thyssen Krupp Ascenseurs, était bien l’employeur de Monsieur

B…, nonobstant le fait que la personne morale (Thyssen Krupp Ascenseurs) n’ait pas été partie à la procédure.

En revanche, elle peut venir au soutien de l’action publique et réclamer des frais irrépétibles.

En conséquence, la somme fixée à ce titre en première instance sera confirmée (146,99 euros) et une somme de 300 euros sera équitablement fixée au même titre au cause d’appel. En ce qui concerne :

B… C…, né le 9 Octobre 1985,

B… G…, née le 25 Janvier 1978,

B… H…, née le 6 Décembre 1979 fils et filles de la victime ; l’âge de B… G… et B… H… ne leur permet pas de prétendre au bénéfice de l’article L.434 -10 du Code de la sécurité sociale, donc à la qualité d’ayants droit de la

victime. Pour C…, qui était âgé de 17 ans et 5 mois lors de l’accident, il ne peut prétendre non plus à la même qualité, dès lors qu’aucun élément n’est fourni pour appliquer à son bénéfice les dispositions de l’article R 434 -16 du Code de la Sécurité Sociale, concernant l’extension de la limite d’âge.

Ainsi, ces enfants n’ayant pas la qualité d’ayants-droit au sens du Code de la Sécurité Sociale, sont bien recevables devant la juridiction de droit commun pour obtenir réparation de leur préjudice.

Les sommes fixées à leur profit en première instance sont justifiées et méritent confirmation, tant sur les dommages intérêts que sur les frais irrépétibles.

En cause d’appel, l’article 475 -1 du Code de Procédure Pénale trouvera équitablement application pour ces parties civiles à hauteur de 300 euros pour chacune. En ce qui concerne :

A… Z… épouse B…

B… F… parents de la victime décédée, n’ayant pas la qualité d’ayants-droit de la victime au sens du Code de la Sécurité Sociale, dans la mesure où il n’apparaît pas du dossier qu’ils entrent dans les conditions prévues par l’article L 434-13 du Code de la Sécurité Sociale, ils sont également recevables devant la juridiction de droit commun. Les sommes fixées à leur profit en première instance tant à titre de dommages intérêts, que pour frais irrépétibles, sont justifiées et seront confirmées.

Une somme de 300 euros sera équitablement fixée au titre de l’article 475-1 du Code de Procédure Pénale en cause d’appel pour chacune de ces parties civiles. En ce qui concerne:

B… I…,

B… D…

B… E… frères de la victime décédée, et n’ayant pas la qualité d’ayants-droit, ils sont recevables devant la juridiction de droit

commun.

Les sommes fixées à leur profit en première instance sont justifiées et seront confirmées (dommages intérêts et article 475-1 du Code de Procédure Pénale )

Une somme de 300 euros au titre de l’article 475-1 du Code de Procédure Pénale sera équitablement fixée pour chacune de ces parties civiles en cause d’appel.

En ce qui concerne le Syndicat CGT de Thyssen Krupp Ascenseurs, et le CHSCT Province de Thyssen Krupp Ascenseurs :

Seule est discutée par le prévenu la recevabilité de la constitution de partie civile du CHSCT. Sur ce point, la Cour déclare adopter les motifs retenus par le Tribunal en pages 16 et 17 de son jugement.

En effet, cet organisme qui a en charge la défense des intérêts collectifs des salariés en matière de sécurité du travail, est bien fondé à intervenir quand ces intérêts sont méconnus, sans qu’il soit besoin pour lui de justifier d’un préjudice personnel particulier.

Dès lors, la cour confirmera les dispositions concernant ces deux parties civiles et fixera à 300 euros l’indemnité à revenir à chacune

d’elles au titre de l’article 475-1 du Code de Procédure Pénale en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement à l’égard de toutes les parties;

Déclare les appels recevables en la forme.

Sur l’Action Publique:

Relaxe la Société THYSSEN KRUPP ELEVATOR MANUFACTURING France, personne morale, des fins de la poursuite.

Confirme en toutes ses dispositions pénales le jugement pour ce qui concerne Monsieur M… L…

J… Cour vous informe que, après avoir demandé un RELEVÉ DE CONDAMNATION PÉNALE au Greffe de la Cour d’Appel d’ANGERS, si vous effectuez le paiement de l’amende dans le délai d’UN MOIS à compter de la présente décision, conformément aux dispositions de l’article 707-2 du Code de Procédure Pénale, vous pouvez bénéficier d’une diminution légale de 20%, dans la limite de

1.500 ç.

Sur l’Action civile:

Déclare la constitution de partie civile de Madame Y… X… irrecevable devant la juridiction de droit commun, pour obtenir réparation de son préjudice.

J… déclare recevable pour venir au soutien de l’action publique.

ondamne Monsieur M… L… à lui payer au titre de l’article 475-1 du Code de Procédure Pénale:

– CENT QUARANTE SIX EUROS ET QUATRE VINGT-DIX NEUF CENTIMES (146,99 euros) pour frais de première instance,

– TROIS CENTS EUROS (300 euros) pour frais d’appel.

Confirme pour le surplus et intégralement les autres dispositions civiles du jugement, sauf à préciser que Monsieur M… L… en est le seul débiteur.

Condamne Monsieur M… L… à payer, au titre des frais irrépétibles d’appel, à :

B… C…, TROIS CENTS EUROS (300 euros)

B… G…, TROIS CENTS EUROS (300 euros)

B… H…, TROIS CENTS EUROS (300 euros)

Z… épouse B… A…, TROIS CENTS EUROS (300 euros)

B… F…, TROIS CENTS EUROS (300 euros)

Syndicat CGT, TROIS CENTS EUROS (300 euros)

CHSCT Province, TROIS CENTS EUROS (300 euros)

J… présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d’un montant de 120 euros dont est redevable

le condamné, conformément aux dispositions de l’article 1018-A du Code Général des Impôts.

Ainsi jugé et prononcé par application des articles 221-6 al 1, 221-7, 221-8, 221-10, L. 121-3 du Code Pénal, L. 263-2-1, L.263-2 al2, AL. 3 du Code du Travail. LE GREFFIER,

LE PRÉSIDENT, rédigé par J. VERMORELLE


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