Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :
SOC.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 18 novembre 2020
Cassation partielle
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1055 F-D
Pourvoi n° P 19-17.016
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 18 NOVEMBRE 2020
La société […], société anonyme, dont le siège est […] , a formé le pourvoi n° P 19-17.016 contre l’ordonnance rendue en la forme des référés le 14 mai 2019 par le président du tribunal de grande instance de Rouen, dans le litige l’opposant :
1°/ au comité social et économique de l’établissement Dar Normandie Centre de la société […], dont le siège est […] , venant aux droits du CHSCT de l’établissement Dar Normandie Centre de la société […],
2°/ à M. X… B…, domicilié […] , en qualité de secrétaire du CHSCT Dar Normandie Centre de la société […],
3°/ à la société Addhoc Conseil, société par actions simplifiée, dont le siège est […] ,
défendeurs à la cassation.
Le comité social et économique de l’établissement Dar Normandie Centre de la société […] et M. B…, ès qualités, ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l’appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Les demandeurs au pourvoi incident invoquent, à l’appui de leur recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Pécaut-Rivolier, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société […], de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat du comité social et économique de l’établissement Dar Normandie Centre de la société […] et de M. B…, ès qualités, après débats en l’audience publique du 30 septembre 2020 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Pécaut-Rivolier, conseiller rapporteur, M. Le Masne de Chermont, conseiller référendaire ayant voix délibérative, Mme Laulom, avocat général, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l’article L. 431-3, alinéa 2, du code de l’organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Reprise d’instance
1. Il est donné acte au comité social et économique de l’établissement Dar Normandie Centre de la société […], venant aux droits du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail Dar Normandie Centre de la société […], de sa reprise d’instance.
Faits et procédure
2. Selon l’ordonnance attaquée (président du tribunal de grande instance de Rouen, 14 mai 2019), le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail Dar Normandie Centre de la société […] (le CHSCT) a décidé, lors d’une réunion le 12 février 2019, de désigner un expert en raison des risques graves concernant l’intervention des responsables d’essais finaux sur ascenseurs neufs.
3. La société […] a contesté cette décision devant le président du tribunal de grande instance, statuant en la forme des référés, le 22 février 2019.
Examen des moyens
Sur le moyen unique du pourvoi principal formé par l’employeur, ci-après annexé
4. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen unique du pourvoi incident, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
5. Le CHSCT fait grief à l’ordonnance d’écarter sa demande au titre des frais exposés au motif qu’elle n’était pas chiffrée, alors « qu’une demande non chiffrée n’est pas de ce seul chef irrecevable ; qu’il appartient au juge saisi d’une demande non chiffrée d’inviter les parties à chiffrer leur demande ; qu’en déclarant le CHSCT irrecevable en sa demande relative aux frais exposés dans le cadre de l’instance au seul motif que cette demande n’était pas chiffrée, le juge statuant en la forme des référés, auquel il appartenait d’inviter le CHSCT à chiffrer sa demande, a violé les articles 4 et 12 du code de procédure civile ensemble l’article L. 4614-13 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 4 et 12 du code de procédure civile :
6. Pour débouter le CHSCT de sa demande au titre des frais exposés en sus des dépens dans le cadre de la procédure, l’ordonnance se borne à énoncer que cette demande n’est pas chiffrée.
7. En statuant ainsi, alors qu’il ne pouvait, sans méconnaître son office, s’abstenir de statuer sur la demande dont il était saisi et qu’il lui appartenait d’inviter la partie à chiffrer sa demande, le président du tribunal de grande instance a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur la première branche du moyen unique du pourvoi incident, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il déboute le CHSCT de sa demande au titre des frais exposés en sus des dépens, l’ordonnance rendue en la forme des référés le 14 mai 2019, entre les parties, par le président du tribunal de grande instance de Rouen ;
Remet, sur ce point, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cette ordonnance et les renvoie devant le président du tribunal judiciaire de Caen, statuant en la forme des référés ;
Condamne la société […] aux dépens ;
En application de l’article L. 4614-13 du code du travail, condamne la société […] à payer à la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy la somme de 3 600 euros TTC ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’ordonnance partiellement cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit novembre deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société […].
Il est fait grief à l’ordonnance attaquée d’AVOIR débouté la société […] de sa demande d’annulation de la délibération du CHSCT DAR Normandie-
Centre du 12 février 2019 ayant voté le recours à l’expertise ;
AUX MOTIFS QUE « Sur le risque grave : qu’iI résulte de l’article L 4614-12 du code du travail que le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail peut faire appel à un expert agréé : 1° Lorsqu’un risque grave, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l’établissement ; 2° En cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, prévu à l’article L. 4612-8-1 ; Que le 12 février 2019, le Comité d’Hygiène de Sécurité et des Conditions de Travail de la société […], réuni dans le cadre de l’instruction du « danger grave imminent » déposé par le secrétaire du CHSCT a relevé un certain nombre de nouveaux risques » identifiés par le DGI », « identifiés lors de la réunion du jour: nouveaux risques et augmentation des risques existants, minimisation de risque comme simple risque du métier » ; qu’il a été décidé de faire appel à un expert agréé pour » nous éclairer sur les risques liés à la nouvelle organisation du travail concernant le contrôle avant le transfert des équipements IN à la maintenance » et « nous aider à formuler des propositions de prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail » ; qu’ il est précisé dans la délibération : « L’expert procèdera notamment à l’étude des situations de travail comportant un risque grave révélé ou non par un accident de travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel ainsi que de la politique de prévention des risques professionnels menée par l’entreprise » ; que le cabinet Addhoc Conseil a été désigné ; que la nouvelle organisation dont s’agit consiste en une modification des interventions lors des opérations de contrôle des appareils neufs avant leur mise en service : -auparavant le contrôle d’une durée de 7 à 8 heures était effectué par un responsable d’essais finaux (REF) accompagné d’un technicien spécialiste montage (TSM) lequel assumait la responsabilité de la levée des réserves qu’il avait signalées, -il est prévu que ce contrôle de 7 à 8 heures soit désormais effectué par le REF avec assistance d’un technicien de maintenance (TM) pendant les deux heures durant lesquelles la présence de deux agents est indispensable aux opérations de contrôle. Qu’il est donc constant que la modification de l’organisation va entraîner un alourdissement de la charge de travail du REF qui ne sera plus secondé que lorsque la présence d’un second technicien est indispensable soit 2H sur 7H ; que compte tenu de la spécificité de sa mission de contrôle d’un ascenseur neuf avant sa mise en fonction cela entraîne nécessairement isolement et enfermement pour le responsable d’essais travaux qui va désormais travailler sans l’assistance d’un collègue prompt à agir en cas de dysfonctionnement, étant en outre observé que la qualification de celui qui l’assistera pendant 2 heures est moindre que dans la précédente organisation, puisqu’il s’agira d’un technicien de maintenance et non plus d’un technicien spécialiste montage ; que lors de la réunion du CHSCT et dans ses conclusions la direction de la société […] fait valoir que les risques d’isolement et d’enfermement sont des risques inhérents au métier d’ascensoriste et qu’il n’y a pas de risque nouveau ou de risque grave ; que cependant si ces risques existent et semblent maîtrisés dans les procédures appliquées avant la modification, lesquelles ont eu précisément pour objet de garantir la sécurité aux salariés, il ne peut être contesté que l’importance et la gravité de ces risques sont toutes autres en cas d’isolement 5H sur 7H et qu’en l’état des éléments versés aux débats aucune procédure particulière concernant la sécurité n’a été mise en place concomitamment à l’annonce de cette modification ; qu’est ainsi caractérisé le risque grave prévu à l’article L 4614-12 du code du travail ; qu’il convient donc de débouter la société […] de l’ensemble de ses demandes, sans qu’il y ait lieu d’exiger, s’agissant d’un risque grave, que le CHSCT ait épuisé ses propres pouvoirs d’enquête» ;
1. ALORS QUE l’article L.4614-12 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, prévoit deux cas de recours par le CHSCT à un expert ; que chacun de ces deux cas, le risque grave ou le projet important, répond à des critères propres et à des situations qui doivent être précisément identifiées ; que le juge ne pouvait motiver sa décision en invoquant tour à tour et sans précision suffisante « la modification de l’organisation (qui) va entraîner un alourdissement de la charge de travail » et un risque grave « caractérisé » ; que faute d’avoir ainsi identifié de manière suffisamment claire et précise le cas de recours à l’expertise, parmi les deux cas légalement prévus – risque grave ou projet important tel que prévu à l’article L.4612-8-1-, le juge statuant en la forme des référés a violé l’article L.4614-12 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, ensemble l’article 12 du code de procédure civile ;
2. ALORS, AU SURPLUS, QUE le recours à une expertise tel qu’il est prévu par l’article L.4614-12 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige suppose une délibération motivée qui indique de manière précise l’objet et le contenu de la mission assignée à l’expert ; que, comme le soulignait la société […] dans ses conclusions, faute d’avoir précisé les fins et, surtout, le contenu de la mission assignée à l’expert par la délibération litigieuse, celle-ci était irrégulière ; qu’en s’abstenant d’examiner ce chef essentiel des conclusions de la société employeur, la juridiction des référés n’a pas mis la Cour de cassation en mesure d’exercer son contrôle et a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 4614-12 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige ;
3. ALORS, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QUE le risque grave doit être actuel et non éventuel, comme doit être précisément mesurée l’importance de la modification des conditions de travail et de sécurité des salariés portée par un projet tel que « prévu à l’article L. 4612-8-1 » ; qu’en se bornant à relever que le REF « ne sera plus secondé que lorsque la présence d’un second technicien est indispensable, soit 2 h sur 7h » et que « la qualification de celui qui l’assistera est moindre que dans la précédente organisation », sans rechercher, comme l’y invitaient les conclusions de la société […], quelle était la nature des fonctions exercées par le salarié seul durant cinq heures et s’il ne s’agissait pas de fonctions dépourvues de danger, si la répartition 2 h /5 h n’avait pas un caractère indicatif de telle sorte que le technicien de maintenance devait demeurer sur place aussi longtemps que l’exécution de manoeuvres présentant des risques étaient effectuées et, enfin, si la compétence du technicien de maintenance assistant le responsable d’essais n’était pas plus appropriée que celle d’un REF, la juridiction de référé n’a pas mis la Cour de cassation en mesure d’exercer son contrôle et a privé son ordonnance de base égale au regard de l’article L.4614-12 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige. Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour le comité social et économique de l’établissement Dar Normandie Centre de la société […] et M. B…, ès qualités.
Le moyen fait grief à l’ordonnance attaquée d’AVOIR déclaré le CHSCT irrecevable en sa demande relative aux frais exposés dans le cadre de l’instance.
AUX MOTIFS QUE le CHSCT sollicite que la société […] soit condamnée à supporter l’intégralité des frais exposés par lui dans le cadre de la présente instance mais ne forme aucune demande chiffrée, il convient donc de la déclarer irrecevable en sa demande.
1° ALORS QUE le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu’il ne peut fonder sa décision sur les moyens qu’il a relevés d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations; que pour déclarer le CHSCT irrecevable en sa demande relative aux frais exposés dans le cadre de l’instance le juge des référés a retenu que la demande présentée n’était pas chiffrée ; qu’un tel moyen n’avait pas été invoqué par les parties ; qu’en se fondant sur ce moyen relevé d’office sans avoir préalablement recueilli les observations des parties, le juge statuant en la forme des référés a violé l’article 16 du code de procédure civile.
2° ALORS QU’une demande non chiffrée n’est pas de ce seul chef irrecevable ; qu’il appartient au juge saisi d’une demande non chiffrée d’inviter les parties à chiffrer leur demande ; qu’en déclarant le CHSCT irrecevable en sa demande relative aux frais exposés dans le cadre de l’instance au seul motif que cette demande n’était pas chiffrée, le juge statuant en la forme des référés, auquel il appartenait d’inviter le CHSCT à chiffrer sa demande, a violé les articles 4 et 12 du code de procédure civile ensemble l’article L. 4614-13 du code du travail.
ECLI:FR:CCASS:2020:SO01055