Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
CIV. 1
NL4
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 16 juin 2021
Rejet
Mme BATUT, président
Arrêt n° 449 F-D
Pourvoi n° B 20-13.789
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 16 JUIN 2021
La société L’Atelier, entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° B 20-13.789 contre l’arrêt rendu le 20 juillet 2018 par la cour d’appel de Versailles (1re chambre, 1re section), dans le litige l’opposant à la société CMS Bureau Francis Lefebvre, société d’exercice libéral à forme anonyme, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Le Gall, conseiller référendaire, les observations de la SCP Ortscheidt, avocat de la société L’Atelier, de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société CMS Bureau Francis Lefebvre, et l’avis de M. Lavigne, avocat général, après débats en l’audience publique du 4 mai 2021 où étaient présentes Mme Batut, président, Mme Le Gall, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Versailles, 20 juillet 2018), la société L’Atelier (la société) a consulté son conseil, la société d’avocats CMS Bureau Francis Lefebvre (le cabinet Francis Lefebvre) assurant des prestations de conseil et d’assistance en matière fiscale, quant au régime fiscal applicable à une opération de revente d’un bien immobilier acquis en 1989 qui avait fait l’objet d’une première opération de travaux et pour lequel une seconde opération (de travaux) était envisagée. Le 20 septembre 2001, le cabinet Francis Lefebvre lui a adressé une consultation selon laquelle la revente des lots de l’immeuble devait être soumise au régime fiscal des droits d’enregistrement. La société a commercialisé les lots en 2002 et 2003 et les ventes ont été assujetties aux droits d’enregistrement à la charge des acquéreurs.
2. A la suite d’une vérification de comptabilité, l’administration fiscale a, le 13 décembre 2006, adressé à la société une proposition de rectification portant sur la période 2003-2004, consistant en un rappel de TVA pour les deux exercices 2003 et 2004 et en une annulation d’un crédit de TVA au 31 décembre 2004. A la demande de la société L’Atelier, le cabinet Francis Lefebvre a établi une réponse à cette proposition de rectification, transmise à l’administration fiscale le 29 janvier 2007. A partir de juin 2007, M. [J] a succédé au cabinet Francis Lefebvre.
3. La réclamation contentieuse a été partiellement rejetée par l’administration fiscale. Un jugement du tribunal administratif du 28 juin 2012 a déchargé la société des rappels de TVA au titre de l’année 2003. Appel ayant été interjeté de cette décision, l’administration a procédé à divers dégrèvements, de sorte que par arrêt du 13 février 2014, la cour administrative d’appel a dit n’y avoir lieu de statuer.
4. Le 31 mai 2013, la société a assigné le cabinet Francis Lefebvre en responsabilité civile professionnelle et indemnisation de ses préjudices.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. La société fait grief à l’arrêt de rejeter ses demandes tendant à voir juger que le cabinet Francis Lefebvre a commis une faute professionnelle en délivrant une consultation le 20 septembre 2001 concluant à la soumission aux droits d’enregistrement des ventes à intervenir, et de limiter la condamnation de celui-ci, alors :
« 1° / qu’en décidant que le cabinet Francis Lefebvre n’avait commis aucune faute dans sa consultation du 20 septembre 2001 en estimant que le gros oeuvre n’était pas modifié et que les travaux de second oeuvre induits par la modification de la façade seraient minimes, au motif inopérant que les travaux d’« installation d’un ascenseur et une avancée limitée de la façade interne de l’immeuble » étaient « non mentionnés dans la télécopie », cependant que la société d’avocats avait par ailleurs eu connaissance, dans la télécopie, de travaux de création de 80 mètres carrés supplémentaires et d’épaississement de la façade de la cour de l’immeuble, qui à eux seuls incitaient à conclure à l’existence d’une modification du gros oeuvre et d’une opération concourant à la production d’un immeuble neuf au sens de l’article 257 du Code général des impôts, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1147 du code civil devenu l’article 1231-1 du même code ;
2°/ qu’en retenant « qu’il ressort des termes de la consultation que la société a précisé, téléphoniquement, les travaux projetés, l’intimé évoquant l’installation d’un ascenseur et une avancée limitée de la façade interne de l’immeuble soit des éléments non mentionnés dans la télécopie », après avoir constaté, d’une part, que dans sa note descriptive des travaux, la société « faisait état d’un permis de construire modificatif du 16 juillet 2001 comprenant 5 lots de copropriété et un épaississement de la façade de la cour de l’immeuble avec la création de 80 mètres carrés supplémentaires et d’une revente de l’immeuble à la découpe le 20 juillet du prix de 15 000 000 francs » et, d’autre part, qu’il ressort de la consultation du cabinet Francis Lefebvre que les indications de la société mentionnaient uniquement des travaux consistant à « avancer la façade interne de l’immeuble de façon à supprimer l’angle existant », ce qui démontrait que la société n’avait fait état d’aucune avancée « limitée de la façade » de l’immeuble et que ce caractère limité ou modeste de l’avancée de la façade procédait d’une interprétation erronée des travaux décrits par le cabinet Francis Lefebvre, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences qui s’inféraient de ses propres constatations et a violé l’article 1147 du code civil, devenu l’article 1231-1 du même code ;
3°/ que le juge ne peux dénaturer l’écrit qui lui est soumis ; qu’en considérant « qu’il ressort des termes de la consultation que la société a précisé, téléphoniquement, les travaux projetés, l’intimé évoquant l’installation d’un ascenseur et une avancée limitée de la façade interne de l’immeuble soit des éléments non mentionnés dans la télécopie », après avoir relevé qu’il ressort de la consultation du 20 septembre 2001 que la société avait seulement fait état de travaux consistant à « avancer la façade interne de l’immeuble de façon à supprimer l’angle existant », sans porter d’appréciation sur le caractère « limité » de l’avancement de la façade, la cour d’appel a dénaturé les termes clairs et précis de la consultation du 20 septembre 2001, en méconnaissance de l’obligation faite au juge de ne pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis ;
4°/ qu’il appartient à l’avocat de recueillir de sa propre initiative auprès de son client l’ensemble des éléments d’information et les documents propres à lui permettre d’assurer, au mieux, la défense de ses intérêts et de prouver qu’il a exécuté son obligation d’information et de conseil ; qu’en considérant que le cabinet Francis Lefebvre « n’a pas commis de faute compte tenu des indications fournies par son propre client, en n’inférant pas de l’avancée modeste de la façade interne de l’immeuble destinée à supprimer un angle et de l’installation d’un ascenseur, l’existence des travaux plus lourds constatés par l’administration et le tribunal », cependant qu’il appartenait en toute hypothèse à la société d’avocats de démontrer qu’elle avait sollicité auprès de la société toutes les informations utiles pour lui permettre d’apprécier l’étendue des travaux et ainsi d’exécuter au mieux son obligation de conseil relativement au régime fiscal applicable, la cour d’appel a violé l’article 1147 du code civil, devenu l’article 1231-1 du même code ;
5°/ que les éventuels manquements de l’avocat à ses obligations professionnelles s’apprécient au regard du droit positif existant à l’époque de son intervention ; qu’à la date à laquelle la société a sollicité la consultation du cabinet Francis Lefebvre, il résultait clairement de la jurisprudence administrative que les travaux consistant dans la modification du gros oeuvre et, en particulier, dans l’augmentation de la surface de l’immeuble, caractérisaient une reconstruction du bâtiment et constituaient une opération concourant à la production ou à la livraison d’immeubles au sens des dispositions précitées de l’article 257-7° du code général des impôts ; qu’en écartant toute faute du cabinet Francis Lefebvre dans la rédaction de la consultation, après avoir constaté que cette dernière avait été saisie d’une demande tendant à définir le régime fiscal applicable aux ventes des lots créés dans l’immeuble après la réalisation des travaux consistant notamment dans la création d’un épaississement de la façade de la cour de l’immeuble avec création de 80 mètres carrés supplémentaires, ce dont il s’inférait qu’elle aurait dû déduire, conformément à l’état de la jurisprudence administrative, l’existence d’une opération concourant à la production d’un immeuble et l’assujettissement des ventes au régime de l’article 257- 7° du code général des impôts, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences de ses propres constatations et a violé l’article 1147 du code civil, devenu l’article 1231-1 du même code ;
6°/ qu’en affirmant de façon péremptoire que l’administration se serait prononcée sur la base d’éléments différents de ceux communiqués au cabinet Francis Lefebvre, cependant que, comme l’avait souligné la société, il ressortait des termes du jugement du tribunal administratif de Melun du 28 juin 2012 que l’administration fiscale s’était fondée sur les mêmes éléments substantiels, et en particulier sur l’augmentation de la surface de 80 mètres carrés qui permettait à elle seule de conclure à l’existence d’une opération concourant à la production d’un immeuble, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard de l’article 1147 du code civil, devenu l’article 1231-1 du même code ;
7°/ que dans ses dernières conclusions, déposées et signifiées le 28 février 2018, la société faisait valoir que, contrairement à ce que le cabinet Francis Lefebvre avait retenu dans sa consultation du 20 septembre 2001, l’opération réhabilitation entreprise en 1992 et achevée en 1994, qui avait concouru à la production d’un immeuble neuf, n’avait donnée lieu à aucune déclaration d’achèvement et n’était dès lors pas présumée être sortie du cycle de la TVA immobilière, de sorte que la TVA immobilière devait s’appliquer sur l’opération de réhabilitation globale et s’étendre aux travaux effectués en 2001 ; qu’en se contentant de relever que la « prétendue faute serait sans incidence compte tenu du fondement du jugement », au motif inopérant que « l’analyse faite par le cabinet Francis Lefebvre de la première tranche de travaux ou de l’absence de caractère global de l’opération n’a donc pas été infirmée », sans répondre au moyen déterminant de la société, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences de l’article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
6. L’arrêt relève, d’une part, qu’après avoir rappelé, dans sa consultation du 20 septembre 2001, que les travaux envisagés par la société selon ses indications consistaient à installer un ascenseur et avancer la façade interne de l’immeuble dont il résulterait la création de 80 mètres carrés supplémentaires, le cabinet Francis Lefebvre a retenu que le gros oeuvre ne serait pas modifié et que les travaux de second oeuvre induits par la modification de la façade seraient minimes et que la société n’a pas contesté cette description des travaux.
7. Il énonce, d’autre part, que l’administration fiscale et le tribunal administratif ont retenu que les travaux entrepris ne pouvaient être analysés comme de simples travaux de rénovation en ce que cette seconde phase avait conduit, après démolition et travaux de gros oeuvre, à l’avancement de la façade arrière et la création de 83 mètres carrés de surface supplémentaire, avec une redistribution complète des locaux scindés en cinq lots, équipés de deux nouveaux escaliers privatifs, aboutissant à la transformation d’une maison unifamiliale en logement d’habitation collectif, ces travaux ayant nécessité notamment le percement et le montage de murs en parpaings, l’ouverture et l’empochement des planchers, le coulage d’une couverture d’ascenseur, des travaux de plomberie et d’électricité et des frais d’ingénierie.
8. De ces constatations et énonciations, la cour d’appel, qui n’a pas dénaturé la consultation réalisée et n’était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a justement déduit, d’abord, qu’il ne pouvait être fait grief au cabinet Francis Lefebvre de ne pas avoir vérifié les propres affirmations de son client sur l’importance des travaux envisagés et de ne pas lui avoir réclamé de documents de nature à corroborer ceux-ci, ensuite, qu’au regard des indications fournies par son client, le cabinet Francis Lefebvre n’avait pas commis de faute dans sa consultation en ne retenant pas l’existence des travaux plus lourds constatés par l’administration et le tribunal administratif.
9. Le moyen n’est donc pas fondé.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
10. La société fait grief à l’arrêt de rejeter ses demandes tendant à voir juger que le cabinet Francis Lefebvre a commis une faute professionnelle en délivrant un projet de lettre d’observations à l’administration fiscale insuffisamment motivé et de limiter la condamnation de celui-ci, alors « qu’il appartient à l’avocat de recueillir de sa propre initiative auprès de son client l’ensemble des éléments d’information et les documents propres à lui permettre d’assurer, au mieux, la défense de ses intérêts et de prouver qu’il a exécuté son obligation d’information et de conseil ; que dans ses dernières conclusions déposées et signifiées le 28 février 2018, la société faisait notamment valoir, pour démontrer que la réponse préparée par le cabinet Francis Lefebvre à la proposition de rectification de l’administration fiscale n’avait pas été suffisamment étayée, que la société d’avocats avait manqué à son devoir de conseil en ne vérifiant pas et en ne produisant pas, à l’appui de son courrier d’observations, les documents susceptibles de démontrer la réalité des prestations de travaux effectuées, au besoin en en sollicitant la communication auprès de sa cliente ; qu’en se contentant de relever que « la production des factures était nécessaire pour étayer les observations de la société ; que le développement d’une argumentation de principe fondée sur les factures correspondantes et le rappel de la nécessité d’adresser ces factures ne caractérisent pas une motivation insuffisante » et que « la société ne rapporte la preuve ni des manquements allégués ni du caractère pertinent des moyens ou d’une exploitation différente des informations et pièces ; qu’elle ne justifie pas, notamment, que l’administration aurait, en considération de ceux-ci, procédé à des dégrèvements dès cette phase », cependant qu’il appartenait à la société d’avocats de démontrer qu’elle avait effectué toutes les diligences requises, notamment en sollicitant l’ensemble des éléments des documents propres à lui permettre d’assurer, au mieux, la défense des intérêts de sa cliente, la cour d’appel a inversé la charge de la preuve et violé l’article 1315 du code civil, devenu 1353 du même code ».
Réponse de la Cour
11. En relevant que le cabinet Francis Lefebvre avait adressé une argumentation à la société, avec la précision qu’il développait une argumentation de principe qui ne pouvait aboutir que si celle-ci produisait les factures correspondantes, et en déduisant que celle-ci, étayée par des pièces dont la nature était précisée, était suffisante et caractérisait une prestation conforme à ses obligations et que la société ne justifiait ni des manquements allégués ni du caractère pertinent des moyens ou d’une exploitation différente des informations et pièces, la cour d’appel n’a pas inversé la charge de la preuve.
12. Le moyen n’est donc pas fondé.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
13. La société fait grief à l’arrêt de limiter la condamnation du cabinet Francis Lefebvre, alors :
« 1°/ que la cassation d’un chef de dispositif entraîne, par voie de conséquence, l’annulation de plein droit des dispositions s’y rattachant par un lien de dépendance nécessaire ; que la censure à intervenir sur les premier et deuxième moyens de cassation, en ce qu’ils reprochent à l’arrêt d’avoir écarté les fautes commises par le cabinet Francis Lefebvre au stade de la consultation du 20 septembre 2001 et de la lettre d’observations à l’administration de janvier 2007, entraînera l’annulation par voie de conséquence du chef de dispositif de l’arrêt qui a condamné le cabinet Francis Lefebvre à ne payer à la société que la somme de 45 942,95 euros outre intérêts légaux à compter du 31 mai 2013, ainsi que les intérêts légaux sur la somme de 15 020 euros du 24 mai 2007 au 13 février 2014, en application de l’article 624 du code de procédure civile ;
2°/ que le préjudice consécutif à la faute commise par l’avocat consiste dans la perte de chance de n’avoir pas pu obtenir une décision plus favorable et que la chance perdue s’apprécie au regard de la pertinence et de l’efficacité des moyens qui auraient pu être invoqués si le client n’avait pas été privé de la possibilité d’agir par la faute de son avocat ; qu’en considérant, pour retenir que la société L’Atelier n’avait « subi aucun préjudice – ou aucune perte de chance », qu’elle ne démontrait pas que les « dégrèvements seraient intervenus plus tôt », que l’administration fiscale aurait « renoncé au bénéfice de la procédure si le moyen avait été invoqué dès la lettre d’observations » et que « les autres moyens tirés de l’irrégularité de la procédure auraient été accueillis dès cette phase », après avoir pourtant constaté que la société avait in fine obtenu gain de cause devant la cour administrative d’appel et avait été déchargée de tous les droits et pénalités réclamés, ce dont il résultait que les moyens que le cabinet Francis Lefebvre a omis de présenter dans la lettre d’observations du 29 janvier 2007 en réponse à la proposition de redressement de l’administration, étaient pertinents et de nature à permettre à la société d’obtenir, dès 2007, l’infléchissement de la position de l’administration fiscale et l’annulation du redressement de la TVA, de sorte qu’elle avait ainsi perdu la chance d’éviter, par la faute de son avocat, les pertes financières notamment consécutives à l’immobilisation du crédit de TVA et les dépenses engendrées par les frais d’avocats, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences qui s’inféraient de ses propres constatations et a violé l’article 1147 du Code civil, devenu l’article 1231-1 du même code ;
3°/ que les conséquences de la faute d’un avocat qui a omis de soulever à l’appui d’une réclamation un moyen de nature à remettre en cause une décision de l’administration, ne peuvent s’apprécier qu’au moyen d’une reconstitution fictive de la discussion qui, sans la faute commise, aurait eu lieu devant l’administration saisie de cette réclamation, ainsi que devant les juridictions administratives, au regard des moyens et pièces produites ; qu’en se contentant d’affirmer que l’administration fiscale « a soutenu devant les juridictions que ce moyen, soulevé devant celles-ci, n’était pas fondé » et qu’elle « n’aurait pas, contrairement à ce que prétend la société, renoncé au bénéfice de la procédure si le moyen avait été invoqué dès la lettre d’observations » , sans procéder, comme elle le devait, à une reconstitution fictive de la discussion qui aurait pu s’instaurer avec l’administration fiscale dans la phase précontentieuse, puis devant les juridictions administratives, la cour d’appel a violé l’article 1147 du code civil, devenu l’article 1231-1 du même code ;
4°/ qu’en retenant que « l’administration n’aurait pas fait droit, dès la lettre d’observations, à la demande de restitution de la TVA collectée à tort » après avoir au préalable constaté, pour condamner le cabinet Francis Lefebvre à payer au titre de la TVA collectée à tort la somme de 45 942,95 euros, qu’en raison de la faute de cette dernière, la société « n’a[vait] pu (?) bénéficier de la restitution de la somme de 48 361 euros, le délai pour contester étant expiré au 31 décembre 2007 » et avait ainsi perdu une chance de voir annuler cette TVA évaluée à 95 %, ce dont il se déduisait que l’administration fiscale aurait au contraire été tenue de faire droit, dès la lettre d’observations, à la demande de restitution de la TVA collectée à tort et que la société était dès lors en droit de solliciter réparation du préjudice lié aux intérêts moratoires calculés sur cette somme, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences de ses propres constatations et a violé l’article 1147 du code civil, devenu l’article 1231-1 du même code ;
5°/ que lorsqu’il est certain que, sans la faute de l’avocat, le préjudice aurait été inexistant, la perte de chance est totale et le préjudice doit être intégralement réparé ; qu’en considérant, s’agissant du préjudice relatif à la TVA déductible, que la probabilité que l’administration ne procède à la rectification dès la lettre d’observations n’était que de 50 %, après avoir pourtant constaté, pour caractériser la faute du cabinet Francis Lefebvre, que « la TVA redressée ne pouvait excéder la somme de 21 547 euros » et que l’erreur de l’administration fiscale était décelable « en procédant à une comparaison avec les déclarations CA3 (?) adressées [par] la société », dont il résultait que l’administration fiscale aurait procédé à un dégrèvement immédiat de la totalité de la somme de 30 130 euros si le cabinet Francis Lefebvre avait, comme elle aurait dû le faire, sollicité une rectification des erreurs grossières entachant la proposition de rectification, de sorte que les intérêts moratoires devaient être calculés sur la totalité du préjudice consommé de 30 130 euros, la cour d’appel a violé l’article 1147 du code civil, revenu l’article 1231-1 du même code. »
Réponse de la Cour
14. C’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation et après avoir retenu l’existence de fautes commises par le cabinet Francis Lefebvre lors de la rédaction de la lettre d’observations adressée à l’administration en n’invoquant pas certains moyens que la cour d’appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise sur ce qu’aurait été l’attitude de celle-ci en l’absence de fautes, a estimé, en se fondant sur le fait que l’administration avait soutenu, devant le tribunal administratif, que la procédure qu’elle avait diligentée était régulière et maintenu ce moyen devant la cour administrative d’appel, au titre de l’année 2004, et qu’elle avait également contesté jusqu’à l’arrêt de la cour administrative d’appel les moyens relatifs à l’immobilisation du crédit de TVA, qu’elle n’aurait pas renoncé au bénéfice de la procédure, et qu’elle en a déduit que l’existence d’une perte de chance n’était pas établie.
15. Et sous le couvert d’un grief non fondé de violation de la loi, le moyen, en sa cinquième branche, ne tend qu’à remettre en discussion, devant la Cour de cassation, l’appréciation souveraine, par les juges du fond, de l’étendue de la perte de chance, fixée à 50%, que l’administration rectifie les erreurs qui auraient dû être invoquées quant à la TVA déductible .
16. Sans portée en sa première branche qui invoque une cassation par voie de conséquence, il n’est donc pas fondé pour le surplus.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société L’Atelier aux dépens ;
En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société L’Atelier et la condamne à payer à la société CMS Bureau Francis Lefebvre la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize juin deux mille vingt et un.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Ortscheidt, avocat aux Conseils, pour la société L’Atelier
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué d’avoir rejeté les demandes de la société L’Atelier tendant à voir juger que la société Bureau Francis Lefebvre avait commis une faute professionnelle en délivrant une consultation le 20 septembre 2001 concluant à la soumission aux droits d’enregistrement des ventes à intervenir et, en conséquence, de n’avoir condamné la société Bureau Francis Lefebvre à payer à la société L’Atelier que la somme de 45.942,95 euros outre intérêts légaux à compter du 31 mai 2013 et capitalisation de ceuxci dans les conditions de l’article 1154 du Code civil dans sa rédaction ancienne, outre les intérêts légaux sur la somme de 15.020 euros du 24 mai 2007 au 13 février 2014, ces intérêts étant capitalisés dans les conditions de l’article 1154 du code civil dans sa rédaction applicable à la cause ;
AUX MOTIFS QUE sur les obligations de la société CMS Bureau Francis Lefebvre que, d’une manière générale, l’avocat, en qualité de professionnel du droit, a un devoir de diligence à l’égard de son client qui lui impose d’accomplir les actes et les formalités pour lesquelles il est mandaté ; qu’il a également envers son client une obligation de conseil ; que la société intimée a la qualité d’avocat et est intervenue à ce titre ; qu’elle est donc soumise à ces obligations ; que sur la consultation, la société L’Atelier a acquis l’immeuble litigieux en 1992 et a fait réaliser une première phase de travaux jusqu’au mois d’avril 1994 ; que la société L’Atelier a envisagé de transformer l’immeuble en lots de copropriété et de vendre ceux-ci après avoir effectué des travaux ; que, par télécopie du 16 juillet 2001, la société L’Atelier a saisi la société Cms Bureau Francis Lefebvre d’une consultation portant sur deux points soit le régime fiscal à appliquer aux reventes (droits d’enregistrement à la charge de l’acquéreur, TVA immobilière ou TVA marchand de biens sur la marge) et l’opportunité, au regard de la TVA, de procéder à une vente clefs en mains en décembre 2001 ou immédiatement à une vente en état futur d’achèvement ; que la seconde question précisait que les travaux sur le modificatif étaient d’un coût total de 1 700 000 francs, 400 000 francs pour la création de 80 m2 supplémentaires et 1 300 000 francs « pour les modifications de second oeuvre dans l’existant » ; qu’était annexée à cette demande une note dans laquelle la société a rappelé l’acquisition en 1992 de cet immeuble R+2 sous le régime de marchand de biens, la délivrance en 1992 d’un arrêté de permis de construire avec surélévation (R+5) et redistribution intérieure pour une maison individuelle, l’obtention d’un permis de démolir et la fin des travaux en avril 1994 mais sans que soit envoyée une déclaration d’achèvement des
travaux et, donc, sans qu’un certificat de conformité ait été établi ; que cette note faisait état d’un permis de construire modificatif du 16 juillet 2001 comprenant 5 lots de copropriété et un épaississement de la façade de la cour de l’immeuble avec la création de 80 m2 supplémentaires et d’une revente de l’immeuble à la découpe le 20 juillet au prix de 15 000 000 francs ; que la société Bureau Francis Lefebvre a établi une consultation le 20 septembre 2001 faisant référence à cette télécopie et à un entretien téléphonique ; qu’il y relate les indications données par la société ; qu’il expose que si, « comme convenu, on part du principe que la première opération de réhabilitation entreprise en 1992 et achevée en 1994 a concouru à la production d’un immeuble neuf, ce dernier est présumé être sorti de la TVA immobilière, cinq ans après son achèvement, soit en 1999 » ; qu’il poursuit qu’il est alors nécessaire d’étudier si les travaux entrepris en 2001 sur la partie existante sont en eux-mêmes de nature à concourir à la production d’un immeuble neuf au sens de l’article 257-7 du code général des impôts auquel cas les reventes devraient être soumises à la TVA immobilière ; qu’il relate les critères retenus par l’administration fiscale, le Conseil d’Etat et la Cour de cassation ; qu’il indique : «Au cas particulier, d’après vos indications, les travaux entrepris en 2001, dont le coût ne représente d’ailleurs qu’à peine 10 % du prix de revente de l’immeuble, porteront sur l’installation d’un ascenseur et consisteront à avancer la façade interne de l’ immeuble de façon à supprimer l’angle existant. Il en résultera la création de 80 m2 de surface habitable supplémentaire (20 m2 par étage) sur une superficie totale de 680 m2. Le gros oeuvre ne sera pas modifié et les travaux de second oeuvre induits par la modification de la façade sont minimes » ; qu’il conclut qu’il « résulte, à notre avis, de ces divers éléments de droit et de fait que les travaux entrepris en 2001 n’ont pas concouru à la production d’un immeuble neuf au sens de l’article 257-7 du code général des impôts et que la revente des différents lots devrait donc être soumise aux droits d ‘enregistrement » ; que la société a procédé aux travaux puis aux ventes, du 14 novembre 2002 au 14 avril 2003, sous le régime fiscal des droits d’enregistrement ; que quatre des cinq actes de vente ont contenu une clause précisant que le vendeur avait réalisé des travaux d’aménagement justifiant que la vente soit soumise aux droits d’enregistrement, ferait son affaire personnelle des conséquences fiscales de la vente dont il reconnaît être parfaitement informé et que « dans le cas où il s’avérerait qu’en définitive la vente doive être soumise à la TVA immobilière, il est convenu entre les parties que le vendeur supportera toute somme complémentaire à payer au titre de la TVA » ; qu’aux termes de sa proposition de rectification du 13 décembre 2006, l’administration fiscale a retenu que l’opération avait concouru à la production d’un immeuble neuf ; qu’elle a considéré qu’en raison de leur ampleur (modification du gros oeuvre et agencements intérieurs conséquents) et de leur nature (accroissement de la surface), les travaux entrepris ne pouvaient être analysés comme de simples travaux de rénovation ; que le tribunal administratif de Melun a, dans son jugement du 28 juin 2012, relevé que la seconde phase de travaux avait conduit, après
travaux de démolition et gros oeuvre, « à l’avancement de la façade arrière et à la création de 83 m2 de surface hors oeuvre nette supplémentaire, avec une redistribution complète des locaux scindés en cinq lots, équipés de deux nouveaux escaliers privatifs, aboutissant à la transformation d’une maison unifamiliale en logement d’habitation collectif» ; qu’il a également relevé que ces travaux avaient nécessité notamment le percement et le montage de murs en parpaings, l’ouverture et l’empochement de planchers, le coulage d’une couverture d’ascenseur, des travaux de plomberie et électricité ainsi que des frais d’ingénierie ; qu’il a conclu que, compte tenu de l’importance de la modification apportée au gros oeuvre et des aménagements internes réalisés et nonobstant la première tranche de travaux « distincte », la seconde tranche de travaux avait entraîné la reconstruction de l’immeuble ; que ces motifs vont donc à l’encontre des éléments retenus par la société Bureau Francis Lefebvre qui a estimé que le gros oeuvre ne serait pas modifié et que les travaux de second oeuvre induits par la modification de la façade seraient minimes ; que sur l’erreur d’appréciation invoquée de la seconde tranche de travaux ; que les motifs du redressement et du jugement vont à l’encontre de l’appréciation du Bureau Francis Lefebvre ; que la société a interrogé la société Bureau Francis Lefebvre sur les conséquences fiscales de la réalisation de travaux qu’elle a décrit dans sa demande ; qu’il ressort des termes de la consultation que la société a précisé, téléphoniquement, les travaux projetés, l’intimé évoquant l’installation d’un ascenseur et une avancée limitée de la façade