Protection du nom des webséries
Protection du nom des webséries
Ce point juridique est utile ?

Un salarié qui dépose à titre de marque ou de nom de domaine une expression créée pendant l’exécution de son contrat de travail s’expose à une sanction (faute) et l’employeur est en droit d’en obtenir la restitution.

Création du salarié ?

En l’espèce, le salarié a déposé l’expression « donne-moi du mou » et a invoqué sans succès qu’il s’agissait de sa création intellectuelle au sens de l’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle selon lesquelles :

‘L’auteur d’une oeuvre de l’esprit jouit sur cette oeuvre du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous …

L’existence ou la conclusion d’un contrat de louage d’ouvrage ou de service par l’auteur d’une oeuvre de l’esprit n’emporte pas dérogation à la jouissance du droit reconnu par le premier alinéa, sous réserve des exceptions prévues par le présent code. Sous les mêmes réserves, il n’est pas non plus dérogé à la jouissance de ce même droit lorsque l’auteur de l’oeuvre de l’esprit est un agent de l’Etat, d’une collectivité territoriale, d’un établissement public à caractère administratif, d’une autorité administrative indépendante dotée de la personnalité morale ou de la Banque de France.’

Salarié en charge d’une websérie  

Le salarié soutient qu’il a écrit, réalisé et monté les vidéos de la websérie ‘donne-moi du mou’, seul et sans aucune supervision. Il conteste le caractère d’oeuvre collective à cette création et soutient qu’il n’agissait nullement comme un simple exécutant mais bien en véritable ‘prestataire’ de service au service de l’entreprise.

Soutenant qu’il travaillait seul sur la série ‘donne-moi du mou’ avec son propre matériel et en dehors de son temps de travail, le salarié s’appuie sur :

— les termes d’un entretien individuel qui fait référence à la proposition par l’employeur de ‘missions annexes à tes missions purement escalade’,

— sur sa propre proposition datée du 11 mai 2017 de continuer la création de la websérie ‘donne-moi du mou’ par le biais d’un statut indépendant,

— la demande de la responsable des ressources humaines de faire à la société City Evasion une proposition commerciale et de contrat pour la suite de la saison.

Il résulte de ce qui précède qu’il n’a pas été donné suite à la proposition du salarié de partenariat pour la suite de la websérie ‘donne-moi du mou’, dans le cadre d’un statut indépendant du salarié.

Missions dans le cadre du contrat de travail

D’autre part, les missions annexes évoquées au cours de l’entretien sont les missions de marketing digital telles qu’elles sont définies par l’avenant contractuel, à savoir la création de contenus vidéos, les posts sur les réseaux sociaux, l’animation de la cible ‘grimpeurs’. Il ne s’agit donc nullement de missions hors du contrat de travail.

Ainsi, la création de la websérie ‘Donne-moi du mou’ s’inscrit résolument dans l’exercice des fonctions de moniteur/opérateur du salarié et dans la mise en oeuvre des directives de son employeur pour l’animation et la promotion de l’activité escalade de l’espace Azium.

Salarié formé spécifiquement pour ses nouvelles missions

Il apparaît encore que les compétences mises en oeuvre par le salarié pour la création de la websérie ‘Donne-moi du mou’ ont été au moins en partie acquises à l’occasion d’une formation de 35 heures dispensée au salarié et financée par la société City Evasion.

En effet, cette formation dont l’objet était la’ Formation au montage vidéo-Final Cut X’ est en lien direct avec les missions de marketing digital confiées au salarié, de sorte que ce dernier n’est pas fondé à soutenir qu’il aurait agi, pour la création de la websérie, comme un prestataire de service indépendant.

L’invention du nom ‘ Donne-moi du mou’

Il en résulte que l’invention du nom ‘ Donne-moi du mou’ par le salarié s’est faite dans l’exécution de son contrat de travail qui comportait expressément des missions de création de contenus vidéo; contrairement à ce qui est soutenu par le salarié, la société City Evasion lui a donné les moyens de cette création par le financement d’une formation spécifique au montage vidéo ainsi qu’en diffusant la websérie.

Dépôt de marque frauduleux

Dans ces conditions, la société City Evasion est en position de revendiquer la propriété intellectuelle ou la jouissance des droits attachés au nom ‘Donne-moi du mou’, de sorte qu’en procédant, au dépôt de la marque ‘Donne-moi du mou’ auprès de l’institut national de la propriété industrielle, le salarié a commis une faute relevant d’une exécution déloyale du contrat de travail.

Faute simple avec exécution du préavis

Ces faits ont un caractère fautif qui justifie le licenciement du salarié ; toutefois, ils ne rendent pas impossible le maintien du salarié dans l’entreprise pendant la durée limitée du préavis ; ils ne caractérisent donc pas la faute grave invoquée par la société City Evasion.

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
 
COUR D’APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE A
ARRÊT DU 21 SEPTEMBRE 2022
 
AFFAIRE PRUD’HOMALE
 
RAPPORTEUR
 
N° RG 19/07054 – N° Portalis DBVX-V-B7D-MUJE
 
[T]
 
C/
 
Société CITY EVASION
 
APPEL D’UNE DÉCISION DU :
 
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LYON
 
du 13 Septembre 2019
 
RG : 17/03740
 
APPELANT :
 
[I] [T]
 
né le 26 Septembre 1986 à [Localité 2]
 
[Adresse 1]
 
[Adresse 1]
 
représenté par Me Fanny CIONCO, avocat au barreau de LYON
 
INTIMÉE :
 
Société CITY EVASION
 
[Adresse 1]
 
[Adresse 1]
 
représentée par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Marie-charlotte DELANNOY, avocat au barreau de PARIS
 
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 13 Juin 2022
 
Présidée par Nathalie ROCCI, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Morgane GARCES, Greffière.
 
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
 
— Joëlle DOAT, présidente
 
— Nathalie ROCCI, conseiller
 
— Antoine MOLINAR-MIN, conseiller
 
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
 
Prononcé publiquement le 21 Septembre 2022 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
 
Signé par Joëlle DOAT, Présidente et par Morgane GARCES, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
 
********************
 
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
 
La société City Evasion exerce une activité spécialisée dans les activités récréatives et de loisirs. Elle exploite l’espace de loisirs dénommé Azium-Confluence à [Localité 2], qui regroupe une salle d’escalade, un restaurant, un Spa, un parcours aventure et une aire de jeux pour enfants.
 
M. [T] a été embauché par la société City Evasion, suivant contrat de travail à durée indéterminée, à temps partiel, à compter du 3 septembre 2015, en qualité de moniteur d’escalade-opérateur loisirs, statut employé de niveau II, échelon 2, coefficient 181 selon la classification de la convention collective nationale des espaces de loisirs, d’attractions et culturels.
 
Par un avenant en date du 1er février 2016, la durée hebdomadaire de travail de M. [T] est passée de 25 heures à 27 heures et une nouvelle mission de marketing digital consistant dans la création de contenus vidéos, posts sur les réseaux sociaux, animations ainsi que l’animation de la cible ‘grimpeurs’, a été ajoutée.
 
Par un avenant en date du 1er septembre, la durée de travail hebdomadaire de M. [T] est passée de 27 heures à 32 heures.
 
Au dernier état de la relation contractuelle, M. [T] percevait une rémunération mensuelle brute de 1 723, 30 euros pour 32 heures de travail hebdomadaires.
 
Reprochant à son salarié d’avoir procédé au dépôt frauduleux de la marque ‘Donne moi du mou’ le 30 mars 2017, la société City Evasion a convoqué M. [T] à un entretien préalable à un licenciement, par courrier en date du 21 juin 2017.
 
La société City Evasion a notifié à M. [T] son licenciement pour faute grave par lettre recommandée avec accusé de réception du 25 juillet 2017, dans les termes suivants :
 
‘ Monsieur,
 
Par lettre remise en main propre contre décharge du 21 juin 2017, nous vous avons convoqué à un entretien préalable en vue d’une éventuelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement pour faute afin de recueillir vos explications sur les griefs susceptibles d’être retenus à votre encontre.
 
Au cours de notre entretien, fixé au 28 juin 2017 à 14 heures, les explications que vous avez fournies n’ont pas été de nature à infirmer ou amoindrir la gravité des faits et des griefs qui vous ont été présentés.
 
En effet, nous ne pouvons que déplorer depuis un certain temps déjà un comportement insubordonné de votre part.
 
Malgré plusieurs avertissements concernant vos retards et absences injustifiés comme cela vous a été notifié lors de votre entretien disciplinaire du 17 janvier dernier vous persistez à ne pas appliquer les règles de l’entreprise.
 
Cette attitude défiante à l’égard de votre hiérarchie consistant à remettre en cause en permanence les directives qui vous sont données comme par exemple en novembre 2016 lorsque vous remettiez en question les choix de la direction quant à la tenue de votre cours en parallèle d’autres prestations commerciales, n’est pas compatible avec les règles de l’entreprise. Le caractère inapproprié de ce type de comportement vous a d’ailleurs été rappelé lors de votre entretien annuel en date du 25 janvier 2017 comme cela avait déjà été le cas lors de votre entretien annuel du 17 mars 2016.
 
Un comportement de cette nature n’est pas tolérable au sein de notre entreprise alors que nous avons toujours pris en compte vos souhaits personnels d’évolution (souhait de participer à la démarche de communication marketing à destination des « grimpeurs » et plus largement d’un public de clients potentiels en passant votre volume horaire de 25 h à 27h hebdomadaires ; augmentation à nouveau du volume horaire de votre contrat de travail pour finalement pouvoir consacrer en moyenne 10 h par semaine à votre mission de communication et de marketing digital’)
 
Par ailleurs et plus grave, il a été porté à notre connaissance que vous vous êtes indûment approprié le nom « donne-moi du mou » alors que dans le cadre de vos fonctions, consistant notamment à travailler sur des missions de marketing digital (création de contenu vidéos, posts réseaux sociaux, animation de la cible « grimpeurs »), vous êtes amenés à travailler sur la websérie du même nom (« donne-moi du mou » destinée à promouvoir notre activité.
 
Il apparaît que ce dépôt de marque (n°17 4 350 50, demande publiée le 21 avril 2017 au BOPI- Bulletin Officiel de Propriété Industrielle) intervenu le 30 mars 2017 est concomitant à votre souhait de quitter vos fonctions pour pouvoir pleinement vous épanouir dans la production de vidéos.
 
En effet, le 24 mars 2017, par courrier, vous avez indiqué que vous envisagiez de quitter vos fonctions pour vous consacrer à cette activité.
 
Etant précisé que vos compétences en matière de réalisation et de montage vidéo ont été acquises au cours de votre activité salariée au sein de la société. Il sera, en effet, rappelé que nous avons accédé à vos demandes de formations au montage vidéo que vous avez effectuées du 29 décembre 2016 au 26 janvier 2017 et que nous avons, par ailleurs, intégralement financées via notre OPCA.
 
Ce dépôt à votre nom de la marque « donne-moi du mou » auprès de l’INPI est frauduleux et déloyal et constitue un détournement d’un actif de notre société.
 
En effet, vous n’êtes pas sans savoir et ne pouvez ignorer que :
 
Cette marque désigne la websérie d’escalade créée à notre initiative et destinée à promouvoir notre activité et accroître notre visibilité sur les réseaux sociaux et pour laquelle vous avez été missionné dans le cadre de l’avenant à votre contrat de travail ;
 
Le nom, le logo ainsi que le «hashtag» #DMDM ont été créés par d’autres collaborateurs de l’entreprise ayant également travaillé sur le projet ;
 
La création de ces vidéos a été réalisée dans le cadre de l’exécution de votre contrat de travail.
 
Ainsi, vous n’avez pas la paternité du nom « donne-moi du mou » qui appartient à la société CITY EVASION, ce que vous n’ignorez pas. De la même manière que vous ne pouviez ignorer, au moment où vous avez procédé au dépôt de la marque, la volonté de la société de se servir de ce nom comme signe de ralliement de sa clientèle, et de son rayonnement sur les réseaux sociaux.
 
En effectuant malgré cela ce dépôt vous avez nécessairement et délibérément eu la volonté de faire obstacle à l’utilisation de cette dénomination par la société, compte tenu du caractère privatif que constitue un dépôt de marque pour son titulaire.
 
Ce dépôt de marque est, au demeurant, intervenu en utilisant des ressources matérielles et humaines de la société puisque des salariés ont travaillés sur cette marque et son logo.
 
Vous avez ainsi délibérément manqué à votre obligation de loyauté à l’égard de l’entreprise et ce, pour préparer un projet d’activité futur en portant atteinte à la société CITY EVASION dont l’un de ses actifs a, ainsi, été détourné.
 
Nous comprenons mieux désormais les raisons pour lesquelles, depuis le mois de mars 2017, vous avez songé à quitter vos fonctions.
 
Les éléments de réponse que vous nous avez apportés à l’occasion de votre entretien préalable ne sont pas de nature à remettre en cause ces faits objectivement inacceptables et difficilement discutables.
 
Nous avons donc décidé de prononcer votre licenciement pour faute grave, privative de toutes indemnités de licenciement ainsi que d’indemnités compensatrice de préavis.
 
Vous percevrez toutefois votre indemnité compensatrice de congés payés qui vous sera versée à l’occasion de l’établissement de votre solde de tout compte.
 
Dans ce contexte, nous vous confirmons que vous êtes désormais libre de tout engagement à compter de la date de première présentation de la présente.
 
Nous vous rappelons qu’à compter de la cessation de votre contrat de travail, vous bénéficierez de la portabilité et du maintien de toutes les garanties prévoyance et frais de santé pendant une période qui ne saurait excéder 12 mois.
 
Nous vous précisons que, dans l’éventualité où votre contrat de travail ou l’un de ses avenants comporterait une clause de non-concurrence, nous y renonçons expressément par la présente. En conséquence, aucune contrepartie pécuniaire ne vous est due du fait de cette renonciation conservatoire.
 
Nous vous remercions de bien vouloir prendre rapidement attache avec nous pour convenir des modalités et date de restitution immédiate de l’ensemble des moyens de travail mis à votre disposition dans le cadre de vos fonctions ; de même nous vous demandons de restituer à cette occasion tous documents ou pièces appartenant à la société ou de procéder à leur destruction immédiate sans en conserver de copie.
 
Outre toutes actions pénale et en revendication de marque que la société CITY EVASION se réserve la possibilité d’engager, nous attirons vote attention sur le fait que dans un tel contexte, notre société sera particulièrement vigilante et n’hésitera pas à poursuivre tout acte de concurrence déloyale ou actes de dénigrement susceptible d’être commis de votre part’.
 
Par requête en date du 23 octobre 2017, M. [T] a saisi le conseil de prud’hommes de Lyon en lui demandant de dire que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse, et de condamner la société City Evasion à lui verser diverses sommes à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d’indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, et d’indemnité légale de licenciement.
 
Par un jugement en date du 13 septembre 2019, le conseil de prud’hommes, a :
 
— dit que le licenciement n’est pas fondé sur une faute grave mais qu’il est fondé sur une cause réelle et sérieuse.
 
— condamné la société City Evasion à verser à M. [T] les sommes suivantes :
 
1 723,30 euros au titre du préavis
 
172,33 euros au titre des congés payés afférents,
 
607,34 euros à titre d’indemnité de licenciement
 
1 400 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
 
— ordonné la rectification des documents de fin de contrat sous astreinte de 30 euros par jour de retard à partir du 15ème jour après la notification du présent jugement.
 
— dit n’y avoir lieu à exécution provisoire autre que celle de droit et fixé à 1 723,30 euros, la moyenne mensuelle des trois derniers mois de salaire,
 
— débouté les parties de leurs demandes plus amples et contraires.
 
— rappelé que les intérêts courent de plein droit au taux légal à compter de la mise en demeure de la partie défenderesse devant le bureau de conciliation en ce qui concerne les créances de nature salariale et à compter du prononcé de la présente décision pour les autres sommes allouées.
 
M. [T] a interjeté appel de ce jugement, le 11 octobre 2019.
 
M. [T] demande à la cour de :
 
— déclarer son appel recevable et bien fondé ;
 
Y faisant droit,
 
— infirmer le jugement déféré des chefs critiqués et statuant à nouveau :
 
— dire et juger son licenciement comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse
 
— condamner la société City Evasion à lui payer les sommes suivantes :
 
dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 10 339,8 euros
 
— confirmer le jugement déféré pour le surplus en ce qu’il a condamné la société City Evasion à lui payer les sommes suivantes :
 
indemnité de licenciement : 607,34 euros
 
indemnité compensatrice de préavis : 1 723,30 euros
 
indemnité compensatrice de congés payés afférents : 172,33 euros
 
article 700 du code de procédure civile : 1 400,00 euros
 
En conséquence,
 
— débouter la société City Evasion de son appel incident et de toutes ses demandes fins et prétentions ;
 
— condamner la société City Evasion au paiement d’une somme d’un montant de 3 000,00 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel;
 
— condamner la société City Evasion aux entiers dépens de première instance et d’appel
 
La société City Evasion demande à la cour de :
 
— réformer le jugement en date du 13 septembre 2019 rendu par le conseil de prud’hommes de Lyon en ce qu’il :
 
a dit que le licenciement n’est pas une faute grave mais qu’il est fondé sur une cause réelle et sérieuse,
 
l’a condamnée à verser à M. [T] les sommes suivantes :
 
1 723,30 euros au titre du préavis ;
 
172,33 euros au titre des congés payés afférents ;
 
607,34 euros à titre d’inde1nnité de licenciement ;
 
1 400 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
 
a ordonné la rectification des documents de fin de contrat sous astreinte de 30 euros par jour de retard à partir du 15ème jour après notification du présent jugement.
 
a dit n’y avoir lieu à exécution provisoire autre que celle de droit et fixé à 1 723,30 euros la moyenne mensuelle des trois derniers mois de salaire,
 
a débouté les parties de leurs demandes plus amples et contraires,
 
a rappelé que les intérêts courent de plein droit au taux légal à compter de la mise en demeure de la partie défenderesse devant le bureau de conciliation en ce qui concerne les créances de nature salariale et à compter du prononcé de la présente décision pour les autres sommes allouées,
 
Et statuant à nouveau :
 
— dire et juger que le licenciement pour faute grave prononcé à l’encontre de M. [T] est bien fondé ;
 
— condamner M. [T] à lui rembourser les sommes versées, au titre de l’exécution provisoire, dans un délai de 15 jours à compter de la signification de l’arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
 
En tout état de cause :
 
— débouter M. [T] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
 
— condamner M. [T] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.
 
L’ordonnance de clôture a été rendue le 12 mai 2022.
 
SUR CE :
 
— Sur le licenciement :
 
Il résulte des dispositions de l’article L.1231-1 du code du travail que le contrat à durée indéterminée peut être rompu à l’initiative de l’employeur ou du salarié; aux termes de l’article L.1232-1 du code du travail, le licenciement par l’employeur pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.
 
Il résulte des dispositions combinées des articles L.1232-1, L.1232-6, L.1234-1 et L.1235-1 du code du travail que devant le juge, saisi d’un litige dont la lettre de licenciement fixe les limites, il incombe à l’employeur qui a licencié un salarié pour faute grave, d’une part d’établir l’exactitude des faits imputés à celui-ci dans la lettre, d’autre part de démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien de ce salarié dans l’entreprise pendant la durée limitée du préavis.
 
En l’espèce, il ressort de la lettre de licenciement dont les termes ont été restitués ci-dessus que la société City Evasion a licencié M. [T] pour faute grave en invoquant :
 
— une attitude insubordonnée caractérisée par un problème d’assiduité et d’absentéisme et par une remise en cause systématique des directives données au salarié ;
 
— le détournement d’un actif de la société par le dépôt à son nom de la marque ‘donne-moi du mou’.
 
La société City Evasion soutient qu’elle s’est rapidement heurtée à un problème d’assiduité et d’absentéisme avec M. [T] qui avait déjà fait l’objet de plusieurs avertissements et rappels à l’ordre concernant des retards et absences injustifiés notamment en février 2016 et janvier 2017 ; que le comportement de M. [T], ne s’est pas amélioré et s’est poursuivi jusqu’au mois de mai 2017, ce qui lui permet d’invoquer les faits anciens à l’appui du licenciement.
 
La société City Evasion expose que M. [T] ne saurait prétendre qu’il agissait en qualité de prestataire pour l’élaboration de la série ‘donne moi du mou’ dés lors que cette tâche relevait de sa mission contractuelle; que c’est dans le cadre de ses fonctions et avec le matériel qu’elle lui a fourni qu’il a été amené à travailler sur cette web-serie destinée à promouvoir l’activité de la société ; qu’il était placé sous la subordination de son employeur pour l’élaboration d’une oeuvre collective; que le salarié ne peut, dans ces conditions, jouir d’un droit de propriété incorporel exclusif.
 
M. [T] fait valoir que :
 
— quand bien même le grief tiré d’une prétendue insubordination serait avéré, il est prescrit dés lors que les faits invoqués, qui remonterait au mois de novembre 2016, ne peuvent plus sous-tendre un licenciement disciplinaire ;
 
— les prétendus retards et absences injustifiés ne sont illustrés par aucun exemple et la pièce n°26 intitulée ‘écarts entre le planning de M. [T] et le logiciel de saisies des heures travaillées’ doit être écartée des débats d’une part car elle est illisible, d’autre part car la société City Evasion ne rapporte pas la preuve que les dits plannings auraient été portés à sa connaissance.
 
— l’idée du nom ‘donne-moi du mou’ lui appartient, ses supérieurs hiérarchiques ayant simplement validé sa proposition, de sorte qu’il est titulaire de droits sur ce titre et que le dépôt de la marque ‘donne-moi du mou’ n’est pas frauduleux,
 
— la société City Evasion n’a initié aucune action en contestation de ce nom
 
— il n’a pas déposé le logo ainsi que le hashstag #DMDM à l’INPI et n’a protégé que le nom ‘donne moi du mou’ qu’il a inventé
 
— si la société City Evasion lui a bien proposé une mission annexe de création de websérie par le biais d’un avenant à son contrat de travail, il n’en demeure pas moins que c’est lui seul qui a écrit, réalisé et monté les vidéos sans aucune supervision et avec son propre matériel, et qu’il ressort de l’entretien annuel de 2016, que dans le cadre de sa mission de communication, il n’agissait pas du tout comme un simple exécutant mais bien en véritable « prestataire » au service de l’entreprise City Evasion
 
— le fait que la société City Evasion ait accédé à une demande de formation au montage vidéo au mois de décembre 2016 ne lui permet aucunement de s’approprier les biens immatériels de son ancien salarié.
 
****
 
Il ressort des éléments factuels du dossier que :
 
— le grief tenant à une attitude défiante et à la remise en cause des directives de la hiérarchie se réfère à un fait survenu en novembre 2016 qui n’est ni circonstancié, ni documenté par les pièces versées aux débats. En outre, la lettre de licenciement indique que le caractère inapproprié du comportement a été rappelé à M. [T] lors de l’entretien annuel du 25 janvier 2017, comme cela avait déjà été le cas lors de l’entretien annuel du 17 mars 2016, mais la société City Evasion ne produit pas l’entretien du 25 janvier 2017, et s’agissant de l’entretien du 17 mars 2016, les évaluateurs ont conclu l’entretien par les termes suivants :
 
‘(…) Concernant ton comportement au sein de l’entreprise, nous avons déjà fait un point avec [Z] à ce sujet, tu sembles avoir intégré nos remarques.
 
Attention aux retards, c’est la base de tout emploi et c’est la base du respect que nous devons avoir pour nos clients.’
 
— En ce qui concerne les retards, il est constant que M. [T] a été rappelé à l’ordre à ce sujet au cours de la relation contractuelle, mais les éléments produits par la société City Evasion ne permettent pas d’établir des faits de retards injustifiés dans les deux mois précédant la notification du licenciement. En effet, le document objet de la pièce n°26 de l’employeur destiné à démontrer l’existence d’écarts entre les plannings de M. [T] et le logiciel de saisie des heures travaillées et donc, le renouvellement du manque d’assiduité, est en partie illisible (caractères trop petits) et ne présente aucun caractère contradictoire, faute pour la société City Evasion de justifier de la diffusion des-dits plannings au salarié.
 
Il en résulte que la société City Evasion ne justifie d’aucun fait d’insubordination ni de retards injustifiés qui ne seraient pas couverts par la prescription de deux mois applicable en matière disciplinaire.
 
— Sur le dépôt frauduleux du nom ‘donne-moi du mou’, M. [T] invoque les dispositions de l’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle selon lesquelles :
 
‘L’auteur d’une oeuvre de l’esprit jouit sur cette oeuvre du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous(…).
 
L’existence ou la conclusion d’un contrat de louage d’ouvrage ou de service par l’auteur d’une oeuvre de l’esprit n’emporte pas dérogation à la jouissance du droit reconnu par le premier alinéa, sous réserve des exceptions prévues par le présent code. Sous les mêmes réserves, il n’est pas non plus dérogé à la jouissance de ce même droit lorsque l’auteur de l’oeuvre de l’esprit est un agent de l’Etat, d’une collectivité territoriale, d’un établissement public à caractère administratif, d’une autorité administrative indépendante dotée de la personnalité morale ou de la Banque de France.’
 
Le salarié soutient qu’il a écrit, réalisé et monté les vidéos de la websérie ‘donne-moi du mou’, seul et sans aucune supervision. Il conteste le caractère d’oeuvre collective à cette création et soutient qu’il n’agissait nullement comme un simple exécutant mais bien en véritable ‘prestataire’ de service au service de l’entreprise City Evasion.
 
Soutenant qu’il travaillait seul sur la série ‘donne-moi du mou’ avec son propre matériel et en dehors de son temps de travail, M. [T] s’appuie sur :
 
— les termes de l’entretien individuel du 17 mars 2016 qui fait référence à la proposition par l’employeur de ‘missions annexes à tes missions purement escalade’,
 
— sur sa propre proposition datée du 11 mai 2017 de continuer la création de la websérie ‘donne-moi du mou’ par le biais d’un statut indépendant,
 
— la demande de Mme [G], responsable des ressources humaines, par mail du 22 mai 2017, de faire à la société City Evasion une proposition commerciale et de contrat pour la suite de la saison.
 
Il résulte de ce qui précède qu’il n’a pas été donné suite à la proposition du salarié de partenariat pour la suite de la websérie ‘donne-moi du mou’, dans le cadre d’un statut indépendant de M. [T].
 
D’autre part, les missions annexes évoquées au cours de l’entretien du 17 mars 2016 sont les missions de marketing digital telles qu’elles sont définies par l’avenant contractuel du 1er février 2016, à savoir la création de contenus vidéos, les posts sur les réseaux sociaux, l’animation de la cible ‘grimpeurs’. Il ne s’agit donc nullement de missions hors du contrat de travail.
 
Ainsi, la création de la websérie ‘Donne-moi du mou’ s’inscrit résolument dans l’exercice des fonctions de moniteur/opérateur de M. [T] et dans la mise en oeuvre des directives de son employeur pour l’animation et la promotion de l’activité escalade de l’espace Azium.
 
Il apparaît encore que les compétences mises en oeuvre par M. [T] pour la création de la websérie ‘Donne-moi du mou’ ont été au moins en partie acquises à l’occasion d’une formation de 35 heures dispensée au salarié du 29 décembre 2016 au 26 janvier 2017 et financée par la société City Evasion.
 
En effet, cette formation dont l’objet était la’ Formation au montage vidéo-Final Cut X’ est en lien direct avec les missions de marketing digital confiées au salarié, de sorte que ce dernier n’est pas fondé à soutenir qu’il aurait agi, pour la création de la websérie, comme un prestataire de service indépendant.
 
Il en résulte que l’invention du nom ‘ Donne-moi du mou’ par M. [T] s’est faite dans l’exécution de son contrat de travail qui comportait expressément des missions de création de contenus vidéo; que contrairement à ce qui est soutenu par le salarié, la société City Evasion lui a donné les moyens de cette création par le financement d’une formation spécifique au montage vidéo ainsi qu’en diffusant la websérie.
 
Dans ces conditions, la société City Evasion est en position de revendiquer la propriété intellectuelle ou la jouissance des droits attachés au nom ‘Donne-moi du mou’, de sorte qu’en procédant, le 30 mars 2017 au dépôt de la marque ‘Donne-moi du mou’auprès de l’institut national de la propriété industrielle, M. [T] a commis une faute relevant d’une exécution déloyale du contrat de travail.
 
Le second grief visé par la lettre de licenciement est par conséquent établi, et ces faits ont un caractère fautif qui justifie le licenciement de M. [T]; toutefois, ils ne rendent pas impossible le maintien du salarié dans l’entreprise pendant la durée limitée du préavis ; ils ne caractérisent donc pas la faute grave invoquée par la société City Evasion.
 
Compte tenu de l’issue du litige, M. [T] peut prétendre au paiement d’une indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, ainsi qu’à une indemnité conventionnelle légale de licenciement. Aucune des parties ne remet en cause, même à titre subsidiaire, les bases sur lesquelles le conseil de prud’hommes a liquidé les droits de M.[T].
 
Le jugement déféré sera en conséquence confirmé en ce qu’il a jugé que le licenciement de M. [T] repose sur une cause réelle et sérieuse et en ce qu’il a condamné la société City Evasion à lui payer les sommes suivantes :
 
1 723,30 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis
 
172,33 euros au titre des congés payés afférents,
 
607,34 euros à titre d’indemnité de licenciement
 
— Sur les demandes accessoires :
 
Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a mis à la charge de la société City Evasion les dépens et une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
 
Le salarié dont le recours est rejeté sera condamné aux dépens d’appel.
 
L’équité et la situation économique respective des parties justifient qu’il ne soit pas fait application de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais en cause d’appel.
 
PAR CES MOTIFS,
 
Statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement
 
CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions,
 
DIT n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d’appel
 
CONDAMNE M. [T] aux dépens d’appel.
 
LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE

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