Proposer une période d’essai à un pigiste ayant déjà collaboré plusieurs années avec l’employeur est une pratique sanctionnable par les juges.
Objectifs de la période d’essai
Aux termes des dispositions de l’article L1221-20 du code du travail, la période d’essai permet à l’employeur dévaluer les compétences du salarié dans son travail, notamment au regard de son expérience, et au salarié d’apprécier si les fonctions occupées lui conviennent’.
Affaire RMC Sport
Lorsqu’une société a déjà pu évaluer les compétences d’un salarié dans son travail, dans des fonctions identiques ou similaires, en particulier à l’occasion d’un contrat à durée déterminée ayant précédé le contrat à durée indéterminée, la stipulation d’une période d’essai est abusive.
En l’espèce, un journaliste travaillait pour la société RMC sport depuis quatre ans, ce que le contrat de travail lui-même a entériné. Il n’apparaît pas que ses fonctions aient été différentes lors de son dernier engagement. Dans ces conditions la stipulation d’une période d’essai de trois mois est abusive, et par conséquent privée de tout effet.
Non renouvellement de la période d’essai : un licenciement
Dans ces conditions, comme l’a retenu le premier juge, la rupture du contrat de travail à l’issue de la période d’essai, qui n’a pas été motivée, s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS COUR D’APPEL DE PARIS Pôle 6 – Chambre 3 ARRÊT DU 09 Mars 2022 Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 17/09592 –��N° Portalis 35L7-V-B7B-B3YTL Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 02 juin 2017 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS Section Encadrement RG n° 17/00096 APPELANT Monsieur Y X […] […] né le […] à Toulouse comparant en personne, assisté de Me Jessica PAQUET, avocat au barreau de PARIS, toque R013 INTIMEE Société RMC SPORT prise en la personne de son représentant légal en exercice […] […] N° SIRET : 505 374 728 représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477 plaidant par Me Arnaud MARGUET, avocat au barreau de PARIS, toque : E1688, COMPOSITION DE LA COUR : En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 02 février 2022, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Mme Anne MENARD, Présidente de chambre, chargée du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Madame Anne MENARD, Présidente de chambre Madame Fabienne ROUGE, Présidente de chambre Madame Véronique MARMORAT, Présidente de chambre Greffier : Mme Juliette JARRY, lors des débats ARRET : – Contradictoire – par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile. – Signé par Madame Anne MENARD, Présidente de chambre et par Juliette JARRY, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire. Exposé du litige Monsieur X a été engagé par la société RMC Sport le 29 septembre 2012. Il a travaillé comme pigiste jusqu’au 15 novembre 2015, puis jusqu’au 11 juillet 2016, il a conclu avec son employeur un contrat à durée déterminée d’usage, et enfin à partir du 1er août 2016 il a été engagé par contrat à durée indéterminée. Le contrat de travail a été rompu le 31 octobre 2016 par l’employeur qui a indiqué mettre fin à la période d’essai. Monsieur X a saisi le conseil de prud’hommes de paris le 6 janvier 2017. Par jugement du 2 juin 2017, ce conseil a condamné la société RMC Sport au paiement des sommes suivantes : 5.162,56 euros à titre d’indemnité de préavis• 516,26 euros au titre des congés payés afférents• 1.944,29 euros à titre d’indemnité légale de licenciement• 16.000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse• 1.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile• Monsieur X a interjeté appel de cette décision le 10 juillet 2017. Par ordonnance du conseiller de la mise en état du 7 novembre 2019 et arrêt sur déféré du 27 novembre 2020, les conclusions d’intimée de la société RMC Sport ont été déclarées irrecevables. Dans le cadre de son appel, monsieur X a soumis à la cour la question prioritaire de constitutionnalité suivante : ‘les articles L7112-1, L7112-2 et L7112-3 du code du travail, en instaurant une inégalité de traitement entre les journalistes professionnels salariés d’une entreprise de presse, et ceux d’une agence de presse, accordant aux seuls premiers une indemnité de licenciement en cas de rupture à l’initiative de l’employeur, méconnaissent-ils le principe d’égalité devant la loi constitutionnellement garanti par les articles 1er 6 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et le préambule de la constitution de 1946 ». La cour a rejeté la demande de transmission à la cour de cassation de cette demande. Par conclusions récapitulatives du 29 octobre 2021, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, monsieur X demande à la cour : – de confirmer le jugement en ce qu’il a retenu que la rupture du contrat de travail s’analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et lui a alloué 5.162,56 euros au titre de l’indemnité de préavis et 516,26 euros au titre des congés payés afférents. – d’infirmer le jugement pour le surplus et statuant à nouveau, de condamner la société RMC Sport à lui payer les sommes suivantes : • 12.906,40 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement par application des dispositions de l’article L7112-3 du code du travail 30.000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse• 6.680,98 euros à titre d’indemnité de précarité• 7.743,84 euros à titre d’indemnité de requalification• 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile• La Cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel. MOTIFS – Sur la demande d’indemnité de requalification Le contrat de travail conclu le 1er août 2016 stipule expressément : ‘D’un commun accord, les parties conviennent d’une reprise d’ancienneté ‘entreprise’ de Y X à compter du 29 septembre 2012. En conséquence, pour toutes dispositions conventionnelles ou légales se référant à une condition d’ancienneté, il sera tenu compte de cette reprise d’ancienneté’. Le contrat de travail a donc expressément requalifié la relation de travail en contrat à durée indéterminée depuis son origine, de sorte qu’il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de requalification, ni par voie de conséquence à la demande d’indemnité de requalification. Le jugement sera confirmé de ce chef. – Sur la demande d’indemnité de précarité Monsieur X sollicite le paiement d’une indemnité de précarité pour la période au cours de laquelle il était en contrat à durée déterminée, en soutenant que durant cette période, il n’aurait pas bénéficié d’un contrat de travail écrit. Par application des dispositions des articles L1242-2 et 1243-10 du code du travail, l’indemnité de fin de contrat prévue par l’article L1243-8 du même code n’est pas due lorsque le contrat est un contrat à durée déterminée d’usage. En l’espèce monsieur X verse lui-même aux débats le CCDU du 16 novembre 2015 le liant à son employeur, et il n’est pas contesté que le secteur d’activité autorisait le recours à ce type de contrat. Le jugement sera par conséquent confirmé en ce qu’il a rejeté ce chef de demande. – Sur la rupture du contrat de travail Le contrat de travail de monsieur X stipule : ‘Le présent contrat est conclu à durée indéterminée. Il prendra effet à compter du 1er août 2016. Celui-ci est assorti d’une période d’essai de trois mois qui expirera le 31 octobre 2016″. Le contrat a été rompu par lettre remise en main propre le 17 octobre 2016, indiquant : ‘Votre embauche définitive dans notre entreprise était soumise à une période d’essai de trois mois. Celle-ci ne nous ayant pas donné satisfaction, nous entendons par la présente mettre fin au contrat qui nous lie’. Aux termes des dispositions de l’article L1221-20 du code du travail, la période d’essai permet à l’employeur dévaluer les compétences du salarié dans son travail, notamment au regard de son expérience, et au salarié d’apprécier si les fonctions occupées lui conviennent’. Lorsqu’une société a déjà pu évaluer les compétences d’un salarié dans son travail, dans des fonctions identiques ou similaires, en particulier à l’occasion d’un contrat à durée déterminée ayant précédé le contrat à durée indéterminée, la stipulation d’une période d’essai est abusive. En l’espèce, monsieur X travaillait pour la société RMC sport depuis quatre ans, ce que le contrat de travail lui-même a entériné. Il n’apparaît pas que ses fonctions aient été différentes lors de son dernier engagement. Dans ces conditions la stipulation d’une période d’essai de trois mois est abusive, et par conséquent privée de tout effet. Dans ces conditions, comme l’a retenu le premier juge, la rupture du contrat de travail, qui n’a pas été motivée, s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse. – Sur les demandes en paiement afférentes à la rupture du contrat de travail – Préavis Le jugement sera confirmé sur l’indemnité de préavis et les congés payés afférents , conformes aux dispositions légales et contractuelle. – Indemnité de licenciement Le premier juge a exclu du bénéfice de l’indemnité de licenciement spécifique des journalistes prévue par l’article L7112-3 du code du travail monsieur X, en faisant application d’une jurisprudence de la cour de cassation du 13 avril 2016, qui opérait une distinction entre les journalistes travaillant pour des journaux et périodiques, et ceux travaillant pour une agence de presse, la société RMC Sport appartenant à cette dernière catégorie. Toutefois, pour refuser de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la différence de traitement entre ces deux catégories de journaliste, la cour de cassation a indiqué : ‘Il n’existe pas, en l’état, d’interprétation jurisprudentielle constante des dispositions législatives contestées refusant au journaliste salarié d’une agence de presse le bénéfice de l’indemnité de licenciement prévue aux articles L7112-3 et L7112-4 du code du travail’. Par application des dispositions de l’article L7111-3 du code du travail, les journalistes travaillant au sein d’agences de presse sont des journalistes professionnels et comme tels soumis au statut des journalistes, lequel comporte notamment l’allocation d’une indemnité de licenciement dérogatoire, prévue aux articles L7112-3 et L7112-4 du code du travail. Ces articles font référence à l’employeur, sans exclure les agences de presse de leur champ d’application. Monsieur X est donc bien fondé à solliciter une indemnité de licenciement égale à cinq mois de salaire, soit la somme de 12.906,40 euros. – Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse Monsieur X avait quatre années d’ancienneté au moment de son licenciement, et il était âgé de 27 ans. Il a pu retravailler rapidement pour d’autres sociétés, même si sa situation est demeurée précaire. Compte tenu de ces éléments, le jugement a justement fixée à 16.000 euros l’indemnité allouée sur le fondement des dispositions de l’article L1235-3 du code du travail. PAR CES MOTIFS La cour, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues par l’article 450 du code de procédure civile, Confirme le jugement, sauf sur le montant de l’indemnité de licenciement. Statuant à nouveau de ce seul chef, Condamne la société RMC Sport à payer à monsieur X une somme de 12.906,40 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement prévue par l’article L7112-3 du code du travail. Ajoutant au jugement, Vu l’article 700 du code de procédure civile, Condamne la société RMC Sport à payer à monsieur X en cause d’appel une somme de 1.500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile. Déboute les parties du surplus de leurs demandes. Condamne la société RMC Sport aux dépens de première instance et d’appel. La Greffière La Présidente |