Licencier une pigiste en congé maternité : licenciement nul

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Licencier une pigiste en congé maternité : licenciement nul

Un éditeur de presse a mis fin aux relations de travail d’une pigiste au seul motif du terme d’une relation contractuelle improprement qualifiée par lui de contrat de pigiste, et ce durant la période de protection liée au congé de maternité de la salariée et ce sans qu’un courrier de licenciement faisant état de l’une des causes visées par le second alinéa de l’article L. 1225-4 du code du travail ne lui soit notifié.

Calendrier des évènements suspect

En l’espèce, l’employeur a été informé de l’état de grossesse de la salariée et du fait qu’elle s’absenterait en fin d’année avant de revenir en mars 2018. La pigiste justifie avoir donné naissance à son enfant le 11 janvier 2018 et avoir été prise en charge au titre des indemnités journalières de maternité du 7 décembre 2017 au 2 février 2018. L’employeur a cessé de fournir du travail et de verser un salaire à la pigiste à compter de la fin du mois de mars 2018 à l’approche de l’externalisation de la revue.

Licenciement nul

Cette rupture, advenue à l’initiative de l’employeur en violation des dispositions de l’article L. 1225-4 du code du travail s’analyse en un licenciement nul au 1er mars 2018.

Protection de la salariée en état de grossesse

Aux termes de l’article L. 1225-4 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d’une salariée lorsqu’elle est en état de grossesse médicalement constaté et pendant l’intégralité des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles elle a droit au titre du congé de maternité, qu’elle use ou non de ce droit, et au titre des congés payés pris immédiatement après le congé de maternité, ainsi que pendant les dix semaines suivant l’expiration de ces périodes.

Toutefois, l’employeur peut rompre le contrat s’il justifie d’une faute grave de l’intéressée, non liée à l’état de grossesse, ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l’accouchement. Dans ce cas, la rupture du contrat de travail ne peut prendre effet ou être notifiée pendant les périodes de suspension du contrat de travail mentionnées au premier alinéa.

L’article L. 1225-17 du même code précise que la salariée a le droit de bénéficier d’un congé de maternité pendant une période qui commence six semaines avant la date présumée de l’accouchement et se termine dix semaines après la date de celui-ci.

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
 
COUR D’APPEL DE VERSAILLES
21e chambre
ARRET DU 17 FEVRIER 2022

 
N° RG 19/04046 –��N° Portalis DBV3-V-B7D-TRRZ
 
AFFAIRE :
 
X-D Y
 
C/
 
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 07 Octobre 2019 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOULOGNE-BILLANCOURT
 
 
N° RG : F18/01311
 
LE DIX SEPT FEVRIER DEUX MILLE VINGT DEUX,
 
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
 
Madame X-D Y
 
née le […] à […] de nationalité Française
 
[…]
 
[…]
 
 
Représentant : Me Rachid BRIHI de la SELARL Brihi-Koskas & Associés, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0137, substitué à l’audience par Maître Olivia MAHL, avocate au barreau de PARIS
 
APPELANTE
 
****************
 
SASU REWORLD MEDIA MAGAZINES nouvelle dénomination de mondadori magazines france
 
 
N° SIRET : 452 791 262
 
[…]
 
[…]
 
 
Représentant : Me Christophe DEBRAY, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627
 
 
Représentant : Me Agnès VIOTTOLO de la SELARL Teitgen & Viottolo, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R011, substituée à l’audience par Maître Sandra PRIEGO, avocate au barreau de PARIS
 
INTIMEE
 
****************
 
Composition de la cour :
 
 
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 07 Décembre 2021 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, chargé du rapport.
 
 
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
 
Monsieur Thomas LE MONNYER, Président,
 
Madame Valérie AMAND, Président,
 
Madame Odile CRIQ, Conseiller,
 
 
Greffier lors des débats : Monsieur Achille TAMPREAU,
 
FAITS ET PROCEDURE,
 
Mme Y a collaboré à compter du 27 février 2009 avec la société Mondadori Magazines France, devenue Reworld Média Magazines, en qualité de pigiste pour les Cahiers de Sciences et Vie. Elle était rémunérée à la pige.
 
L’entreprise, qui est spécialisée dans le secteur de la presse, emploie plus de dix salariés et relève de la convention collective des cadres et employés des éditeurs de la presse magazine, précision faite que les journalistes se voient appliquer la convention collective des journalistes.
 
 
Le 7 décembre 2017, Mme Y a été placée en congé de maternité.
 
 
Au début de l’année 2018, la société Reworld Média Magazines a externalisé la réalisation des
 
 
Cahiers de Sciences et Vie et n’a plus confié de piges à Mme Y.
 
 
Suivant requête en date du 25 octobre 2018, Mme Y a saisi le conseil de prud’hommes de
 
 
Boulogne-Billancourt aux fins d’entendre requalifier la relation contractuelle en contrat de travail à durée indéterminée de journaliste prononcer la nullité du licenciement et condamner la société au paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.
 
 
La société qui a soulevé l’incompétence du conseil de prud’hommes et, subsidiairement la prescription des demandes et leur caractère dénué de fondement, a sollicité la condamnation de la requérante au paiement d’une somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
 
 
Par jugement rendu le 7 octobre 2019, notifié le 8 octobre 2019, le conseil a statué comme suit :
 
Se déclare compétent,
 
Dit Mme Y recevable et bien fondée en ses demandes,
 
Dit que la rupture du contrat de travail de Mme Y s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
 
Fixe la rémunération mensuelle à 1 397 euros,
 
Condamne la société à payer à Mme Y les sommes suivantes :
 
– 6 985 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
 
– 12 573 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement,
 
– 2 794 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,
 
– 279 euros au titre des congés payés afférents, – 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
 
Dit que les intérêts légaux porteront effet à compter de la saisine pour les créances salariales et à compter du prononcé du jugement pour les dommages et intérêts,
 
Rappelle que la condamnation de l’employeur au paiement des sommes visées par les articles
 
R1454-14 et 15 du code du travail est exécutoire de plein droit dans la limite de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire dans les conditions prévues par l’article
 
R1454-28 du code du travail
 
Ordonne la remise de l’attestation Pôle Emploi, du solde de tout compte, du certificat de travail et bulletins de paie, conformes au présent jugement,
 
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
 
Fixe les dépens éventuels de la présente instance à la charge de la société y compris des frais
 
d’huissier en cas d’inexécution volontaire de la présente décision.
 
 
Le 6 novembre 2019, Mme Y a relevé appel de cette décision par voie électronique.
 
 
Par ordonnance rendue le 3 novembre 2021, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 7 décembre 2021.
 
‘ Selon ses dernières conclusions, en date du 10 juin 2020, Mme Y demande à la cour de :
 
 
La déclarer recevable et bien fondée en toutes ses demandes,
 
 
Rejeter toutes les demandes formulées par la société,
 
 
Confirmer le jugement en ce qu’il s’est déclaré compétent, en ce qu’il a dit qu’elle est recevable et bien fondée en ses demandes et qu’elle est liée par un contrat de travail à la société et en ce qu’il l’a condamnée à lui payer les sommes suivantes :
 
 
– 12 573 euros au titre d’indemnité conventionnelle de licenciement ;
 
 
– 2 794 euros au titre d’indemnité compensatrice de préavis ;
 
 
– 279 euros au titre de congés payés afférents ;
 
 
– 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
 
 
Infirmer le jugement en ce qu’il a :
– déclaré le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et fixer le montant des dommages-intérêt à la somme de 6 985,00 euros,
 
 
– débouté Mme Y du reste de ses demandes ;
 
 
Et statuant à nouveau de :
 
 
Dire et juger qu’elle est recevable et bien fondée en ses demandes ;
 
 
Dire et juger que la rupture du contrat de travail s’analyse en un licenciement nul ;
 
 
Condamner la société à lui verser les sommes suivantes :
 
 
– 1397 euros à titre d’indemnité de requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée ;
 
 
– 16 764 euros à titre de dommages et intérêts en raison de la nullité du licenciement ;
 
 
– 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
 
 
Condamner la société aux intérêts légaux sur toutes les demandes en paiement des sommes d’argent ainsi qu’aux entiers dépens y compris les éventuels frais d’exécution de la décision à intervenir ;
 
 
Condamner la société aux entiers dépens.
 
‘ Aux termes de ses dernières conclusions, remises au greffe le 10 mars 2020, la société Reworld
 
 
Média Magazines demande à la cour de :
 
In limine litis :
 
 
Infirmer le jugement en ce que le conseil de prud’hommes s’est reconnu compétent ;
 
 
Statuant à nouveau,
 
 
Statuer sur l’absence de contrat de travail ;
 
 
Déclarer le conseil de prud’hommes incompétent au profit du tribunal judiciaire de Nanterre ;
 
 
Déclarer le jugement déféré nul et non avenu ;
 
 
Déclarer irrecevable Mme Y de toutes ses demandes et la renvoyer à mieux se pourvoir devant la juridiction compétente,
A titre subsidiaire, au fond :
 
 
Infirmer le jugement déféré en ce qu’il a dit l’action de Mme Y non prescrite ;
 
 
Statuant à nouveau,
 
 
Déclarer irrecevable la demande de Mme Y comme étant prescrite depuis 2014 ;
 
 
En conséquence,
 
 
Déclarer irrecevable Mme Y en l’intégralité de ses demandes.
 
 
A titre infiniment subsidiaire :
 
 
Confirmer le jugement en ce qu’il a :
 
 
– débouté Mme Y de sa demande de requalification de la cessation des relations en licenciement nul ;
 
 
– débouté Mme Y de sa demande d’indemnité de requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée ;
 
 
– ramené l’ensemble des autres demandes indemnitaires à de plus justes proportions.
 
 
En tout état de cause :
 
 
Condamner Mme Y au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.
 
 
Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.
 
MOTIFS
 
I – Sur l’existence d’un contrat de travail et la compétence de la juridiction prud’homale :
 
 
L’exception d’incompétence commande d’examiner en premier lieu la question de l’existence ou non d’un contrat de travail.
 
Aux termes de l’article L. 7111-3, alinéa 1er du code du travail, est journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale régulière et rétribuée l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources.
 
Selon l’article L. 7112-1 du code du travail, toute convention par laquelle une entreprise de presse s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail. Cette présomption subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée à la convention par les parties.
 
 
La société Reworld Media Magazines expose que Mme Y a eu l’occasion de collaborer avec elle en qualité de pigiste pour les Cahiers de Sciences et Vie à compter du mois de février 2009, qu’elle était rémunérée sous forme de piges, donnant lieu à l’émission de bulletins de piges, et était notamment en charge de rédiger un dossier de couverture sur trois.
 
 
La société intimée, qui ne conteste pas que Mme Y bénéficiait du statut de journaliste, soutient produire des éléments de preuve de nature à renverser la présomption simple de salariat dont elle bénéficie. Elle soutient ainsi qu’engagée comme pigiste, Mme Y ne recevait ni instructions, ni orientations, ni directives, peu important son mode de rémunération. Elle affirme qu’elle bénéficiait d’une indépendance dans l’exercice de ses prestations, qu’elle n’était pas soumise à un lien de subordination et fait valoir que :
 
 
– Mme Y travaillait, dans le cadre des piges qu’elle réalisait, en totale autonomie, qu’elle ne se voyait imposer ni lieu de travail, ni horaires, ni ordres, ni directives, ne se rendait dans les locaux de la société que lorsqu’elle le souhaitait, ne disposait pas d’un bureau attitré et n’a jamais disposé d’une adresse email @mondadori.com, mais adressait les sujets qu’elle traitait depuis sa messagerie personnelle
 
 
– elle participait librement à l’activité de l’entreprise et tirait l’essentiel de ses revenus de sa contribution au National Géographic, revue éditée par Prisma Presse.
 
 
Dans la mesure où la société Reworld Media Magazines, entreprise de presse, ne conteste pas que Mme Y bénéficiait du statut de journaliste professionnel, dès lors qu’elle tirait de cette activité l’essentiel de ses ressources, il lui appartient de renverser la présomption simple de salariat dont bénéficie Mme Y.
 
Pour preuve, la société intimée se contente de verser trois pièces utiles, relatives à des échanges entre Mme Y et M. Z, directeur de rédaction de Sciences et Vie, et à invoquer deux pièces produites par la salariée. Il s’agit des éléments suivants :
 
u 4 au 9 novembre 2015 :
 
 
– M. Z : « X-D, as-tu prévu de passer à la rédaction des Cahiers dans les prochains jours ‘ »
 
 
– Mme Y : « Je suis en CDD à National Geographic jusqu’au 27 novembre, mais je comptais enchaîner dès le 30 novembre avec un renfort aux Cahiers, pour gérer les actus qui seront arrivées pour le nouveau numéro et chercher des sujets actus pour le suivant. Est-ce que cette organisation t’irait ‘ »
 
 
– M. Z : « Serais-tu candidate pour un prochain dossier principal (proposition de sommaire, commande/réception des articles, aide à l’édition), sujet à débattre ‘
 
 
– Mme Y : OK pour un dossier, je suis dispo une grande partie de décembre (sauf du 9 au 20) et de janvier. Et je peux commencer à faire des recherches en novembre, en parallèle d’NG. Est-ce qu’il
 
y a un thème en particulier auquel tu pensais ‘ »
 
 
– Mme Y : « J’ai relancé Denis Delbecq pour le papier sur le livre 1177 av JC, le jour où la civilisation s’est effondrée, qui pourrait peut-être faire le troisième article de début de magazine. »
 
 
Le 12 février 2016 :
 
Mme Y : « F Matthieu, je ne pourrai pas être en journée à la rédaction la semaine prochaine [‘]. J’arriverai aux Cahiers vers 18h30, si tu veux qu’on fasse un point ce jour-là. [‘] Je serai par ailleurs à la rédaction le lundi 22. »
 
 
Les 22 et 23 août 2016,
 
 
– M. Z convie trois rédacteurs, dont Madame Y, à une réunion de rédaction :
 
 
– Mme Y ne se manifestant pas, le rédacteur en chef fixait une réunion « avec ou sans
 
 
X-D ».
 
(Pièce n° 2 : échange de courriers en date des 22-23 août 2016)
 
 
Par un second courriel, Monsieur Z joignait Madame Y directement :
 
 
– M. Z : « F X-D, serais-tu disponible pour une réunion de rédaction demain à
 
11h ‘ »
 
 
– Mme Y : « Désolée pour cette réponse tardive, je découvre seulement vos mails. Impossible pour moi de passer cette semaine, je suis en bouclage à National Geographic. »
 
(Pièce n° 3)
 
 
Le 30 septembre 2016 :
 
 
– M. A : « Est-il possible de remettre notre RV à la semaine prochaine, à partir de mercredi ‘
 
 
X-D, d’ici là, tu peux bien sûr nous adresser quelques propositions. »
– Mme Y : « Mercredi ce ne sera pas possible pour moi, mais jeudi et vendredi oui. Jeudi
 
matin ‘ » (Pièce appelante n° 18)
 
 
Contrairement à la thèse développée par la société Reworld Media Magazines , il ne résulte pas de ces seuls éléments que Mme Y avait ‘toute liberté pour écrire le contenu qu’elle souhaitait’, mais simplement qu’elle pouvait être amenée, sur l’invitation du rédacteur en chef, à formuler des propositions de sujets.
 
 
S’il ressort effectivement de ces messages que la société faisait preuve de souplesse dans
l’organisation du temps de travail de sa collaboratrice, force est de relever que Mme Y ne travaillait pour le compte de cette entreprise qu’à temps partiel, ce qui impliquait qu’elle puisse compléter sa rémunération servie par Reworld Media Magazines par une activité complémentaire, sous peine d’être placée dans la situation de rester à la disposition constante de la société intimée. Par suite, la souplesse dont faisait preuve la société intimée à ce titre, dans ce contexte d’un temps partiel, est insuffisante à renverser la présomption de salariat.
 
 
Du reste, Mme Y, qui ne supporte pas la charge de la preuve, produit les témoignages circonstanciés de Mme B, ancienne rédactrice en chef jusqu’à son arrêt maladie du 22 mai 2015 et de Mme C, directrice artistique, conformes aux dispositions de l’article 202 du code de procédure civile, qui précisent les conditions concrètes dans lesquelles l’appelante exerçait ses fonctions.
 
 
Il ressort du témoignage de Mme B qu’après plusieurs années pendant lesquelles Mme Y
a travaillé à la pige, la direction lui a proposé en 2012 d’occuper les fonctions de rédactrice en chef adjointe à temps partiel, qu’il avait été envisagé dans un premier temps de lui proposer un CDD, mais
 
M. Z, directeur de la rédaction, lui avait alloué une pige fixe pour 7 jours et demi de présence mensuelle à la rédaction. Mme B précise que Mme Y était subordonnée à son autorité, partageait son bureau et disposait d’un poste de travail avec téléphone et ordinateur, possédait une session intranet lui permettant d’accéder à des fichiers partagés.
 
Mme C précise pour sa part qu’après le départ de Mme B, Mme Y a été responsable d’un dossier de couverture sur trois et ce, sous l’autorité de M. Z qui validait le choix des sujets et le contenu des sommaires, les modifiant le cas échéant lors de réunions collectives, les articles, textes et maquettes lui étant soumis.
 
 
Ce témoin ajoute que sa présence à la rédaction était déterminée par le planning interne aux cahiers et lorsqu’elle coordonnait son dossier en cours dé réalisation en fonction de l’avancée du journal, elle pouvait travailler à compter distance en début de dossier, puis venir plusieurs jours par semaine ou quotidiennement en particulier à compter l’approche du bouclage, utilisant un ordinateur de la rédaction avec sa session à son nom.
 
 
Enfin, elle conclut en indiquant qu’en septembre 2017 avoir été présente à une réunion au cours de laquelle elle a annoncé à M. Z qu’elle était enceinte et qu’elle allait prendre un congé maternité et reprendrait sa collaboration avec les Cahiers en mars 2018.
 
 
Alors que l’appelante justifie ainsi qu’elle contribuait à la revue dans le cadre d’un service organisé, qu’elle fournissait pour la société Reworld Media Magazines un travail régulier accompli sous l’autorité des rédacteurs en chef qui se sont succédé, et y assumait des responsabilités de rédactrice adjointe en charge de la réalisation d’une revue sur trois, incompatibles avec l’exécution de simples piges, force est de constater que si la société Reworld Media Magazines établit que l’intéressée bénéficiait effectivement d’une certaine autonomie dans l’organisation de son travail, liée au caractère partiel de son activité et de la nécessité de pouvoir le compléter auprès d’une autre entreprise, National Géographic en l’espèce, pour autant les éléments parcellaires et peu significatifs communiqués par la société intimée ne permettent pas de renverser la présomption dont bénéficie Mme Y .
 
 
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a reconnu à Mme Y l’existence d’un contrat de travail. Par suite, l’exception d’incompétence, dénuée de fondement, a été à juste titre rejetée par le conseil.
 
II – Sur la prescription :
 
 
La société intimée soulève la prescription de l’action engagée par la salariée, dont elle affirme qu’elle repose sur les conditions d’exécution de la relation contractuelle, dont l’appréciation constitue un préalable nécessaire avant de pouvoir se prononcer sur les conséquences de la rupture, prescription dont le point de départ doit être fixé à compter du jour où elle a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.
 
 
Se prévalant de la jurisprudence applicable en matière de requalification des contrats à durée déterminée lorsque la demande porte sur un manquement formel tel l’absence des mentions obligatoires, la société considère que l’action était soumise à une prescription de deux ans à compter du commencement de l’exécution de la prestation de travail.
 
 
Toutefois, en l’espèce, la demande de requalification ne repose en aucune façon sur un manquement formel portant sur un acte, qui n’existe pas du reste en l’espèce, mais sur une relation contractuelle, caractérisée par l’accomplissement par une journaliste professionnelle d’une prestation de travail au profit d’une entreprise de presse, relation qui a perduré dans le temps et à tout le moins jusqu’au mois d’octobre 2017.
 
Le contrat de travail dont bénéficiait Mme Y a été suspendu par le congé de maternité lequel a débuté le 7 décembre 2017, dont la direction avait été informé ainsi qu’en atteste Mme C.
 
En saisissant le conseil de prud’hommes le 28 octobre 2018, moins d’un an avant la rupture de la relation litigieuse, Mme Y n’encourt en aucune façon une quelconque prescription.
La fin de non recevoir élevée par la société Reworld Media Magazines à ce titre, dénuée de fondement, a été à juste titre écartée par les premiers juges.
 
III – Sur la rupture du contrat de travail :
 
 
Aux termes de l’article L. 1225-4 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d’une salariée lorsqu’elle est en état de grossesse médicalement constaté et pendant l’intégralité des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles elle a droit au titre du congé de maternité, qu’elle use ou non de ce droit, et au titre des congés payés pris immédiatement après le congé de maternité, ainsi que pendant les dix semaines suivant l’expiration de ces périodes.
 
Toutefois, l’employeur peut rompre le contrat s’il justifie d’une faute grave de l’intéressée, non liée à l’état de grossesse, ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l’accouchement. Dans ce cas, la rupture du contrat de travail ne peut prendre effet ou être notifiée pendant les périodes de suspension du contrat de travail mentionnées au premier alinéa.
 
L’article L. 1225-17 du même code précise que la salariée a le droit de bénéficier d’un congé de maternité pendant une période qui commence six semaines avant la date présumée de
l’accouchement et se termine dix semaines après la date de celui-ci.
 
En l’espèce, il ressort du témoignage de Mme C que M. Z a été informé de l’état de grossesse de la salariée et du fait qu’elle s’absenterait en fin d’année avant de revenir en mars 2018.
 
L’appelante justifie avoir donné naissance à son enfant le 11 janvier 2018 et avoir été prise en charge au titre des indemnités journalières de maternité du 7 décembre 2017 au 2 février 2018.
 
L’employeur a cessé de fournir du travail et de verser un salaire à Mme Y à compter de la fin du mois de mars 2018 à l’approche de l’externalisation de la revue. Il a ainsi mis fin aux relations de travail au seul motif du terme d’une relation contractuelle improprement qualifiée par lui de contrat de pigiste, et ce durant la période de protection liée au congé de maternité de la salariée et ce sans qu’un courrier de licenciement faisant état de l’une des causes visées par le second alinéa de l’article L. 1225-4 du code du travail ne lui soit notifié.
 
Cette rupture, advenue à son initiative en violation des dispositions de l’article L. 1225-4 du code du travail s’analyse en un licenciement nul au 1er mars 2018.
 
Le jugement sera réformé sur ce point.
 
IV – Sur l’indemnisation de la rupture :
 
 
IV – a) sur l’indemnité de requalification :
 
 
En l’absence de moyen nouveau et de pièce nouvelle, c’est par des motifs pertinents que la cour adopte que les premiers juges, relevant « que la loi prévoit une telle indemnité exclusivement pour la requalification d’un CDD en CDI » et observation complémentaire faite qu’aucun contrat écrit n’ayant été conclu entre les parties, celles-ci étaient liées depuis l’origine par un contrat à durée indéterminée, en ont déduit, à bon droit, que Mme Y ne pouvait prétendre à une indemnité de requalification et l’en ont donc déboutée.
 
 
Le jugement sera confirmé sur ce point.
 
 
IV – b) Sur l’indemnité compensatrice de préavis et l’indemnité conventionnelle de licenciement :
 
 
La rupture étant imputable à l’employeur, la salariée a droit, conformément à l’article L. 1235-4 du code du travail, à une indemnité de préavis d’une durée de deux mois, ainsi qu’il résulte des dispositions légales. Le montant de cette indemnité de préavis est calculé sur la base des salaires et avantages bruts auxquels aurait pu prétendre la salariée si elle avait travaillé.
 
 
Au vu des dernières fiches de paye de la salariée l’indemnité de préavis doit être fixée à la somme de
 
2 794 euros bruts, outre 279 euros bruts au titre des congés payés afférents.
 
 
A titre d’indemnité conventionnelle de licenciement, Mme Y sollicite le paiement de 12 573 euros, soit 9 mois de salaire.
 
 
Selon l’article L. 7112-3 du Code du travail pour les journalistes professionnels, l’indemnité de licenciement due au journaliste est égale à un mois de salaire par année d’ancienneté.
 
 
En l’espèce, Mme Y a effectué sa première pige pour le compte de Mondadori en février 2009, le contrat de travail étant rompu au 1er mars 2018. L’ancienneté de Mme Y s’établissant à neuf années – non comprises le délai congé de deux mois – c’est à bon droit que les premiers juges ont fixé le montant de l’indemnité revenant à la salariée à la somme de 12 573 euros. Le jugement sera également confirmé sur ce point.
 
 
IV – Sur l’indemnité pour licenciement nul :
 
 
Au jour de la rupture du contrat de travail, Mme Y âgée de 39 ans détenait une ancienneté de neuf années, son salaire de référence s’établissant à la somme mensuelle brute de 1 397 euros.
 
 
En l’état de ces éléments, le préjudice résultant de la perte injustifiée de son emploi sera plus justement indemnisé à hauteur de 15 000 euros.
 
 
Conformément à l’article 696 du code de procédure civile, la société qui succombe en ses prétentions est condamnée aux dépens de première instance et d’appel, étant précisé que les frais d’exécution, dont le sort est réglé par le code des procédures civiles d’exécution, n’entrent pas dans les dépens qui sont définis par l’article 695 du code de procédure civile.
 
PAR CES MOTIFS
 
La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
 
Confirme le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a dit que la rupture s’analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et en ce qu’il a condamné la société à payer à Mme Y la somme de 6 985 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
 
Statuant de nouveau des chefs infirmés,
 
Dit que la rupture du contrat de travail s’analyse en un licenciement nul au 1er mars 2018,
 
Condamne la société Reworld Media Magazines à verser à Mme Y la somme de 15 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul,
 
y ajoutant,
 
 
Condamne la société Reworld Media Magazines à verser à Mme Y la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause
 
d’appel ainsi qu’aux dépens d’appel, étant précisé que les frais d’exécution, dont le sort est réglé par le code des procédures civiles d’exécution, n’entrent pas dans les dépens qui sont définis par l’article 695 du code de procédure civile.
 
 
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
 
 
Signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, et par Monsieur NDIAYE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
 
 
Le greffier, Le président,

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