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La reproduction par extraits de l’audition d’une personne entendu est bien un acte de procédure au sens de l’article 38 de la loi du 29 juillet 1881. Or, il résulte des dispositions de l’article 38 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qu’est interdite la publication des actes d’accusation et de tous autres actes de procédure criminelle ou correctionnelle avant qu’ils aient été lus en audience.
Toutefois, ces dispositions constituent cependant une ingérence dans l’exercice de la liberté d’expression garanti par l’article 10 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dont la nécessité est justifiée, notamment, par la préservation du droit au procès équitable, de l’impartialité de la justice comme de la protection de la présomption d’innocence.
Le droit au procès équitable et le droit à la liberté d’expression ayant la même valeur normative, il appartient au juge de mettre ces droits en balance en fonction des intérêts en jeu et de privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime.
Cette mise en balance doit être effectuée en considération, notamment, de la teneur de l’expression litigieuse, sa contribution à un débat d’intérêt général, l’influence qu’elle peut avoir sur la conduite de la procédure pénale et les droits de la personne en cause et le cas échéant, la proportionnalité de la mesure demandée.
Une personne a reproché à France Télévisions la diffusion d’un reportage sur l’assassinat du feu Préfet de Corse, qui citait des extraits du procès-verbal de son audition figurant au dossier d’instruction et de mettre ainsi en avant son rôle dans l’affaire de l’assassinat.
Bien que l’information donnée consiste en une reproduction par extraits de l’audition, les dispositions de l’article 38 de la loi du 29 juillet 1881 étaient applicables. Les extraits de l’audition détaillaient les liens d’amitié ayant existé entre l’appelant et la victime du crime ainsi que leur désaccord.
Ces passages font également état de ses réponses aux questions posées par les services de police au sujet de ses relations avec ses clients et plusieurs membres présumés de la bande du ‘Petit Bar’. Le reportage présente de façon objective et explicite la position de l’intéressé. Son point de vue est clairement exposé dans les extraits publiés de son audition. Par ailleurs, le rôle de l’appelant avait déjà été discuté quelques mois après les faits dont le retentissement médiatique et politique avait été très important.
Ainsi, les premiers juges ont justement précisé que l’information délivrée au public à l’occasion de la publication du reportage de France 3 ne présentait aucun caractère inédit.
La seule information nouvelle fournie par ce reportage est liée à l’hébergement par l’appelant de l’une des personnes arrêtées, hébergement exceptionnel et justifié par un lien de parenté par alliance.
Par conséquent, cette publication, dont les propos restent mesurés, ne jette pas un discrédit suffisant sur l’intéressé de nature à porter atteinte à un procès équitable pour les personnes dont il est l’avocat, à l’impartialité de la justice et la présomption d’innocence.
L’application des dispositions de l’article 38 de la loi du 29 juillet 1881 à la publication litigieuse constituerait une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression garantie par l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS COUR D’APPEL DE PARIS Pôle 2 – Chambre 7 ARRET DU 25 MAI 2022 Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/04855 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDI6Q Décision déférée à la cour : Jugement du 24 Février 2021 -TJ hors JAF, JEX, JLD, J.EXPRO, JCP de PARIS RG n° 20/11936 APPELANT Monsieur [K] [I] [Adresse 1] [Localité 7] Représenté par Maître Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L34, avocat postulant Assisté de Maître Olivier D’ANTIN de la SCP D’ANTIN-BROSSOLLET, avocat au barreau de PARIS, toque : P336, avocat plaidant INTIMES Madame [Y] [S] [Adresse 4] [Localité 5] née le [Date naissance 2] 1966 à [Localité 9] Représentée par Maître Francine HAVET, avocat au barreau de PARIS, toque : D1250, avocat postulant Assistée de Maître Louis-Marie DE ROUX, avocat au barreau de PARIS, toque : A297, avocat plaidant S.A. FRANCE TELEVISIONS prise en la personne de ses représentants légaux y domiciliés en cette qualité [Adresse 4] [Localité 5] N° SIRET : 432 76 6 9 47 Représentée par Maître Francine HAVET, avocat au barreau de PARIS, toque : D1250, avocat postulant Assistée de Maître Louis-Marie DE ROUX, avocat au barreau de PARIS, toque : A297, avocat plaidant LE PROCUREUR GENERAL – SERVICE CIVIL [Adresse 3] [Localité 6] COMPOSITION DE LA COUR : L’affaire a été débattue le 30 mars 2022, en audience publique, devant la cour composée de : M. Jean-Michel AUBAC, Président Mme Anne RIVIERE, Assesseur Mme Anne CHAPLY, Assesseur qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Mme RIVIERE dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile. Greffier, lors des débats : Mme Margaux MORA ARRET : — CONTRADICTOIRE — par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile. — signé par Jean-Michel AUBAC, Président, et par Margaux MORA, Greffier, présente lors de la mise à disposition. Vu l’assignation à jour fixe délivrée à la société FRANCE TELEVISIONS et à [Y] [S] le 25’novembre 2020 à la requête de [K] [I] qui demandait au tribunal de grande instance de Paris de’: — dire et juger que le passage visé dans ses écritures et extrait de l’épisode n°’3 ‘Le petit Bar dans le viseur des enquêteurs’ diffusé à compter du 14’octobre 2020, et mis à jour le 25’octobre 2020, sur le site de France 3 Corse ViaStella accessible via un lien internet, emporte une violation caractérisée de l’article 38 alinéa 1 de la loi du 29’juillet 1881, — dire et juger que [Y] [S], directeur de la publication du site France 3 Corse ViaStella et la société FRANCE TÉLÉVISIONS, civilement responsable, sont solidairement responsables de la commission du délit prévu à l’article 38 alinéa 1 de la loi du 29’juillet 1881 et de la réparation du préjudice qu’il lui a causé, — en réparation de son préjudice moral, condamner in solidum [Y] [S] et la société FRANCE TÉLÉVISIONS à lui payer un euro à titre de dommages et intérêts, — ordonner une mesure de publication judiciaire dont les modalités sont précisées dans l’assignation, — ordonner sous astreinte la suppression de l’épisode 3 du reportage consacré à l’assassinat de Maître [H] [G] du passage visé dans l’assignation, lequel reprend par extraits le procès-verbal d’audition de [K] [I] en date du 1er’avril 2013, — condamner in solidum la société FRANCE TÉLÉVISIONS et [Y] [S] à lui payer la somme de 5’000’euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, — les condamner aux entiers dépens en ce compris le coût du constat effectué par Maître [D], huissier de justice à [Localité 5], — ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir, Vu le jugement rendu contradictoirement le 24’février 2021 par le tribunal judiciaire de Paris qui a’: — rejeté la demande de nullité présentée par les défenderesses, — débouté [K] [I] de ses demandes, — dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, — dit que [K] [I] supportera la charge des dépens de l’instance, Vu l’appel interjeté le 12’mars 2021 par [K] [I], Vu les dernières conclusions signifiées le 28’janvier 2022 par [K] [I], qui demande à la cour de’: — confirmer le jugement rendu par la 17e chambre civile du tribunal judiciaire de Paris le 24’février 2021 en ce qu’il a rejeté les exceptions de nullité soulevées en défense, — débouter toute partie de ses demandes, fins et conclusions, — l’infirmer sur le fond, En conséquence, — juger que le passage visé dans ses écritures et extrait de l’épisode n°’3 «’Le Petit Bar dans le viseur des enquêteurs’» diffusé à compter du 14’octobre 2020, et mis à jour le 25’octobre 2020, sur le site de France 3 Corse ViaStella accessible via un lien internet emporte une violation caractérisée de l’article 38 alinéa 1 de la loi du 29’juillet 1881, — dire et juger que [Y] [S], directeur de la publication du site France 3 Corse ViaStella et la société FRANCE TÉLÉVISIONS, civilement responsable, sont solidairement responsables de la commission du délit prévu à l’article 38 alinéa 1 de la loi du 29’juillet 1881 et de la réparation du préjudice qu’il lui a causé, — en réparation de son préjudice moral, condamner in solidum [Y] [S] et la société FRANCE TÉLÉVISIONS à lui payer un euro à titre de dommages et intérêts, — ordonner une mesure de publication judiciaire dont les modalités sont précisées dans l’assignation, — ordonner sous astreinte la suppression de l’épisode 3 du reportage consacré à l’assassinat de Maître [H] [G] du passage visé dans l’assignation, lequel reprend par extraits le procès-verbal d’audition de [K] [I] en date du 1er’avril 2013, — condamner in solidum la société FRANCE TÉLÉVISIONS et [Y] [S] à lui payer la somme de 10’000’euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, — les condamner aux entiers dépens en ce compris le coût du constat effectué par Maître [D], huissier de justice à [Localité 5], Vu les conclusions des intimées signifiées le 15’février 2022 par la société FRANCE TÉLÉVISIONS et [Y] [S] qui demandent à la cour de’: In limine litis, — infirmer le jugement du 24’février 2021 en ce qu’il a rejeté les demandes de nullité présentées par la société FRANCE TÉLÉVISIONS et par [Y] [S], — annuler l’assignation délivrée par [K] [I] à la société FRANCE TÉLÉVISIONS et à [Y] [S] le 25’novembre 2020, À titre subsidiaire, au fond, — confirmer le jugement rendu par la 17e chambre civile du tribunal judiciaire de Paris le 24’février 2021 en ce qu’il a débouté [K] [I] de ses demandes, En tout état de cause, — débouter [K] [I] de l’ensemble de ses demandes, — condamner [K] [I] à verser à la société FRANCE TELEVISIONS la somme de 7’000’euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens, Vu l’ordonnance de clôture du 23’février 2022, Vu l’article 455 du code de procédure civile, Rappel des faits et de la procédure Un reportage consacré à «’l’affaire [G]’» du nom d’un ancien bâtonnier du barreau d’AJACCIO, assassiné en CORSE le 16’octobre 2012, a été diffusé par la chaîne de télévision France 3, entre le 12 et le 16’octobre 2020, sur le site internet de France 3 Corse ViaStella. Ce reportage, en plusieurs volets, comporte un troisième épisode ayant pour titre «’Assassinat d'[H] [G] épisode 3’», ‘Le petit bar dans le viseur des enquêteurs’. L’appelant, [K] [I], avocat de [B] [Z] et [W] [X], tous deux mis en examen dans le cadre de l’information judiciaire ouverte devant le juge d’instruction du tribunal judiciaire de MARSEILLE des chefs d’homicide volontaire en bande organisée avec préméditation et association de malfaiteurs en vue de la commission dudit crime, soutient que les propos litigieux le mettent en cause en violation des dispositions de l’article 38 de la loi du 29’juillet 1881. Par ordonnance en date du 23’novembre 2020, le président du tribunal judiciaire de Paris a autorisé [K] [I] à faire assigner à jour fixe la société FRANCE TELEVISIONS et [Y] [S], directrice de publication du site internet francetvinfo.fr. Pour rejeter les nullités soulevées en défense, le tribunal a tout d’abord considéré que [K] [I] pouvait légitimement agir sur le fondement de l’article 38 précité, son action ne tendant pas à voir sanctionner une atteinte à son image et à sa réputation relevant des dispositions de l’article 29 de la loi du 29’juillet 1881 relatives à la diffamation publique. Le tribunal a ensuite écarté la deuxième nullité fondée sur l’absence de respect des dispositions de l’article 53 de la loi du 29’juillet 1881 au motif que de la lecture de l’assignation, il ne ressort aucune équivoque sur l’étendue des faits fondant les demandes de [K] [I] ni aucun doute sur l’acte de procédure visé. Pour débouter [K] [I] de ses demandes, le tribunal a jugé au fond que’: «’par la publication en cause, les défenderesses n’ont fait qu’user de leur liberté d’informer le public sur l’enquête menée afin de confondre les auteurs d’un crime ayant d’ores et déjà été largement médiatisé, sans porter atteinte aux droits des personnes mises en cause dans la procédure ou au droit à la sûreté de leur avocat ni même à l’autorité et à l’impartialité de la justice. L’application des dispositions de l’article 38 de la loi du 29’juillet 1881 à la publication litigieuse constituerait, ici, une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression garantie par l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales’». Sur les nullités Les intimées reprennent les demandes de nullité soulevées en première instance. Tout d’abord elles font valoir que le demandeur dénoncerait explicitement une atteinte à sa réputation causée par le fait qu’il est présenté dans le reportage poursuivi, de façon fausse et injustifiée, comme mis en cause dans une affaire criminelle et que cette atteinte s’analyserait comme une action en diffamation, définie à l’article 29 alinéa 1 de la loi du 29’juillet 1881. Ensuite, elles considèrent que l’assignation est nulle au visa de l’article 53 de la loi du 29’juillet 1881 en raison d’une contradiction dans la présentation des passages incriminés entre les motifs de l’assignation visant des passages soulignés de l’extrait de l’audition en cause et son dispositif visant la totalité de l’extrait de l’audition. Le conseil de [K] [I] soutient qu’il n’y a pas d’ambiguïté quant au fondement de la poursuite, étant précisé que l’article 38 de la loi du 29’juillet 1881 a aussi pour objet de protéger la réputation de la personne concernée par la publication des actes de procédure. Il conteste par ailleurs toute équivoque dans la formulation des passages poursuivis aux termes de l’assignation. — 1- Sur la demande de nullité fondée sur l’erreur de qualification En l’espèce, l’action intentée par [K] [I] est fondée sur les dispositions de l’article 38 de la loi du 29’juillet 1881 qui disposent qu’il est interdit de publier les actes d’accusation et tous autres actes de procédure criminelle ou correctionnelle avant qu’ils aient été lus en audience publique et ce, sous peine d’une amende de 3’750’euros. Ces dispositions, introduites par la loi n°’92-1336 du 16’décembre 1992 relative à l’entrée en vigueur du nouveau code pénal, tendent, d’une part à éviter que ne soit porté atteinte à l’autorité et à l’impartialité de la justice, d’autre part à préserver les droits de la personne mise en cause, notamment son droit à un procès équitable ou encore le droit à la présomption d’innocence. L’appelant regrette la publication des extraits de son audition libre devant les policiers, sans aucune prudence, dans le cadre d’une affaire criminelle dans laquelle il assiste plusieurs personnes mises en examen. Il estime que le reportage litigieux le met en cause en jetant un discrédit sur son rôle dans cette affaire, sans tenir compte de la dangerosité du contexte et des risques de compromission de sa sécurité et de celle de ses proches. Les premiers juges ont justement relevé que, «’dans ces conditions, en considération des objectifs poursuivis par le texte et l’objet de l’action ici engagée, il y a lieu de considérer que [K] [I] peut légitimement agir sur le fondement de l’article 38 précité, son action ne tendant pas à voir sanctionner une atteinte à son image et à sa réputation relevant des dispositions de l’article 29 de la loi du 29’juillet 1881 relatives à la diffamation publique’». En effet, l’appelant n’a jamais fait valoir comme raison de son action la protection de sa réputation ou de son honneur. Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef. — 2- Sur la nullité fondée sur l’absence de respect des dispositions de l’article 53 de la loi du 29’juillet 1881 Il y a lieu de rappeler’: — que l’article 53 de la loi du 29’juillet 1881 exige que la citation précise et qualifie le fait incriminé et qu’elle indique le texte de loi applicable à la poursuite, — que cet acte introductif d’instance a ainsi pour rôle de fixer définitivement l’objet de la poursuite, afin que la personne poursuivie puisse connaître, dès sa lecture et sans équivoque, les faits dont elle aura exclusivement à répondre, l’objet exact de l’incrimination et la nature des moyens de défense qu’elle peut y opposer, — que les formalités prescrites par ce texte, applicables à l’action introduite devant la juridiction civile dès lors qu’aucun texte législatif n’en écarte l’application, sont substantielles aux droits de la défense et d’ordre public, — que leur inobservation entraîne la nullité de la poursuite elle-même aux termes du 3e alinéa de l’article 53. Ce texte n’exige, à peine de nullité de la poursuite, que la mention, dans l’assignation, de la qualification du fait incriminé et du texte de loi énonçant la peine encourue, la nullité ne pouvant être prononcée que si l’acte introductif d’instance a pour effet de créer une incertitude dans l’esprit des personnes poursuivies quant à l’étendue des faits dont elles ont à répondre. En l’espèce, ainsi que le précise le jugement entrepris, l’assignation vise précisément la publication en cause, le support de celle-ci ainsi que la date de diffusion. Les extraits de l’audition en cause sont soulignés pour pouvoir être identifiés. Dans les motifs comme dans le dispositif de l’assignation, [K] [I] vise très exactement les mêmes passages. Dans ces conditions, la nullité soulevée sera écartée et le jugement entrepris confirmé de ce chef. Sur le fond [K] [I] reproche au reportage litigieux de citer, en violation des dispositions de l’article 38 de la loi du 29’juillet 1881, des extraits du procès-verbal de son audition libre du 1er’avril 2013 figurant au dossier d’instruction et de mettre ainsi en avant son rôle dans l’affaire de l’assassinat de son confrère. Il craint que la publicité de son audition l’expose, huit ans après les faits, à des interprétations malveillantes qui pourraient compromettre sa sécurité. Selon lui, la publication des extraits de son audition ne peut se justifier par l’information du public, le reportage étant mené sans prudence à son égard et le plaçant au même niveau que les personnes mises en examen. En défense, il est précisé par les intimées que seuls des extraits de l’audition de [F] [I] ont été retranscrits. Les intimées font valoir que l’action de l’appelant constitue une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression et que la citation des extraits de procès-verbaux en cause n’est pas de nature à porter atteinte à l’impartialité de la justice ou au droit à un procès équitable. Les intimées insistent sur les précautions prises dans le reportage pour éviter d’une part, toute dénaturation des explications de [K] [I] et d’autre part toute confusion entre l’implication de ce dernier dans cette affaire et celle de certains des mis en cause. Il résulte des dispositions de l’article 38 de la loi du 29’juillet 1881 sur la liberté de la presse qu’est interdite la publication des actes d’accusation et de tous autres actes de procédure criminelle ou correctionnelle avant qu’ils aient été lus en audience. Ces dispositions constituent cependant une ingérence dans l’exercice de la liberté d’expression garanti par l’article 10 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dont la nécessité est justifiée, notamment, par la préservation du droit au procès équitable, de l’impartialité de la justice comme de la protection de la présomption d’innocence. Le droit au procès équitable et le droit à la liberté d’expression ayant la même valeur normative, il appartient au juge de mettre ces droits en balance en fonction des intérêts en jeu et de privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime. Cette mise en balance doit être effectuée en considération, notamment, de la teneur de l’expression litigieuse, sa contribution à un débat d’intérêt général, l’influence qu’elle peut avoir sur la conduite de la procédure pénale et les droits de la personne en cause et le cas échéant, la proportionnalité de la mesure demandée. Les passages litigieux ont fait l’objet d’un procès-verbal d’huissier en date du 3’novembre 2020 qui est produit par l’appelant. Le volet 3 du reportage consacré par France 3 à ‘l’affaire [G]’ commence par l’annonce suivante’: ‘Le 16’octobre 2012, à 9’heures du matin, [H] [G], ancien bâtonnier du barreau d’Ajaccio, est assassiné. L’homicide va provoquer une onde de choc dans la société insulaire. Huit ans et de multiples rebondissements judiciaires plus tard, l’enquête touche à son terme. Mais une question demeure’: le crime sera-t-il un jour renvoyé devant une cour d’assises” En exclusivité, la rédaction de France 3 Corse ViaStella a pu consulter le dossier d’instruction consacré à cette affaire. Et vous invite à une plongée au cœur de cette investigation, à travers un récit chronologique en cinq épisodes.’ Dans une première partie intitulée ‘La bande du ‘Petit Bar”, est relatée l’opération organisée fin mars’2013 aux fins d’interpeller trois suspects’: [F] [U], [W] [X] et [O] [N]. Il est alors indiqué que celle-ci consiste, notamment, en la mise en place d’un dispositif de surveillance ‘autour de la résidence principale de Me [F] [I] alors avocat de [F] [U] et [W] [X]’, ces derniers étant arrêtés dans ces conditions le 30’mars 2013. Le reportage évoque, ensuite, les auditions auxquelles ont procédé les policiers et les mises en examen qui sont intervenues au terme des premières investigations : ‘En dépit de leurs dénégations, les trois hommes sont mis en examen le 4’avril 2013. [W] [X] et [O] [N] pour assassinat en bande organisée et association de malfaiteurs, [F] [U] pour association de malfaiteurs et recel.’ Le reportage consacre alors un chapitre à [K] [I] dans les termes suivants’: ‘Dans cette affaire criminelle, les enquêteurs s’interrogent sur la place occupée par l’avocat [F] [I]. Avocat habituel de plusieurs membres présumés du ‘Petit Bar’, ils se demandent quels liens il entretient avec ses clients. Lors de leur interpellation à [Localité 5], [W] [X] et [F] [U] avaient même passé la nuit dans son appartement personnel. Avocat médiatique, il fut, pendant un temps, très proche d'[H] [G]. Les deux pénalistes ont très souvent plaidé côte à côte, assurant notamment ensemble la défense d'[V] [T]. Ils avaient également noué des liens d’amitié, et [H] [G] avait été le témoin de mariage de [F] [I] lors de ses secondes noces. Selon [F] [I], leurs relations s’étaient passablement refroidies après un différend sur la stratégie de défense dans l’affaire [T]. [F] [I] est convoqué par la police pour être entendu en audition libre le 1er’avril 2013. Les enquêteurs s’interrogent sur les liens qu’entretient l’homme de loi avec ses clients. En audition, les policiers interrogent [F] [I] sur les raisons qui l’ont poussé à héberger [W] [X] et à recevoir chez lui [F] [U]. L’avocat explique alors avoir des liens de parenté avec [W] [X]’: ‘C’est un cousin par alliance, par rapport à mon ex-femme’ et que ce dernier est son client depuis le début des armées 2000. Il précise d’ailleurs’: ‘Si nous n’avions pas de liens de famille, je ne lui aurais pas donné les clefs’!’.’ À ce stade du reportage, une phrase prêtée à [K] [I] est insérée en intertitre’: ‘JE NE SUIS ET NE VEUX PAS ÊTRE ASSIMILE À LA BANDE DU « PETIT BAR , JE SUIS L’AVOCAT DE CERTAINS. JE VEILLE À CE QUE, LORSQUE JE PRENDS LES DOSSIERS LES CONCERNANT, IL N’Y AIT A AUCUN CONFLIT D’INTÉRÊT’. Puis le reportage continue ainsi : ‘Avant de terminer l’audition de l’avocat les policiers lui posent une dernière et très longue question, lourde de sous-entendus et qui n’est pas étayée’: ‘Il semblerait que les tueurs ayant lâchement assassiné Maître [G] avaient visé l’avocat et non l’homme. Maître [G] était un avocat très médiatique qui intervenait dans les plus gros dossiers relevant du nationalisme et du banditisme corse. Certains esprits auraient pu l’associer à un clan.’ ‘Vous hébergez [W] [X] et recevez [F] [U], tous deux condamnés de nombreuses fois par des juridictions pénales, et membres réputés de la bande dite du ‘Petit Bar’. [F] [U] et d’autres membres du ‘Petit Bar’, vous me dites si je me trompe, ont été condamnés pour des faits d’association de malfaiteurs en vue de tuer [L] [A]. Or, [H] [G] était très proche d'[L] [A], un hommage lui a même été rendu avant le coup d’envoi d’un match de l’ACA.’ ‘Ne pensez-vous pas que le fait de vous afficher et d’héberger à votre domicile des individus réputés dangereux peut vous porter préjudice” Monsieur [I], quelle est votre position au milieu de tout ça” Vu le climat actuel en Corse, avez-vous conscience des conséquences” Ou faites vous ça par obligation comme peut le faire un garagiste à qui on demande de faire redémarrer une moto volée”” Des interrogations auxquelles [F] [I] répond sans détours’: ‘Je ne suis pas certain qu’il existe un contentieux entre les personnes actuellement en garde à vue et [H] [G]. Sur le dossier d’association de malfaiteurs, c’est un dossier que je connais bien. [U] a toujours nié les faits et le dossier démontrait qu’il n’était pas en face du stade [10] où devait se positionner le commando pour tuer [L] [A]. J’ai hébergé [W] [X] à titre exceptionnel, notamment parce qu’il est un parent par alliance. C’est une erreur par rapport à mon image.’ ‘Je ne subis aucune pression de ces personnes. On ne m’impose rien’! Encore une fois, je le répète, mais au moment où la demande de [W] se présente, il n’est ni recherché, ni en fuite, ni en délicatesse avec la justice.’ ‘Je ne suis et ne veux pas être assimilé à la bande du «’Petit Bar’», je suis l’avocat de certains’; Je veille à ce que, lorsque je prends les dossiers les concernant, il n’y ait aucun conflit d’intérêts. Je comprends que cela puisse être mal interprété par certaines personnes. Je le répète, c’est une erreur de ma part.’ La partie du reportage consacrée à [K] [I] est illustrée par trois photographies prises dans le palais de justice de [Localité 5] en 2010, 2011 et durant le procès d'[V] [T], aux côtés de Maître [G]. En l’espèce, le reportage mis en ligne reproduit donc des extraits de l’audition libre du 1er’avril 2013 de [K] [I] dans les locaux de l’antenne de police judiciaire d'[Localité 8] en exécution d’une commission rogatoire délivrée par un juge d’instruction du tribunal de MARSEILLE dans une information judiciaire ouverte des chefs d’homicide volontaire commis le 16’octobre 2012 à [Localité 8], en bande organisée et avec préméditation au préjudice d'[H] [G] et d’association de malfaiteurs en vue de la commission dudit crime. L’audition est bien un acte de procédure au sens de l’article 38 de la loi du 29’juillet 1881. Ainsi que le relèvent les premiers juges, bien que l’information donnée consiste en une reproduction par extraits de l’audition, les dispositions de l’article 38 de la loi du 29’juillet 1881 sont applicables. Les extraits de l’audition de [K] [I] détaillent les liens d’amitié ayant existé entre l’appelant et la victime du crime ainsi que leur désaccord. Ces passages font également état de ses réponses aux questions posées par les services de police au sujet de ses relations avec ses clients et plusieurs membres présumés de la bande du ‘Petit Bar’. Le reportage présente de façon objective et explicite la position de [K] [I]. Son point de vue est clairement exposé dans les extraits publiés de son audition. Par ailleurs, le rôle de l’appelant avait déjà été discuté quelques mois après les faits dont le retentissement médiatique et politique avait été très important. Ainsi, les premiers juges ont justement précisé que l’information délivrée au public à l’occasion de la publication du reportage de France 3 ne présentait aucun caractère inédit. La seule information nouvelle fournie par ce reportage est liée à l’hébergement par l’appelant de l’une des personnes arrêtées, hébergement exceptionnel et justifié par un lien de parenté par alliance. Par conséquent, cette publication, dont les propos restent mesurés, ne jette pas un discrédit suffisant sur [K] [I] de nature à porter atteinte à un procès équitable pour les personnes dont il est l’avocat, à l’impartialité de la justice et la présomption d’innocence. En outre, l’application des dispositions de l’article 38 de la loi du 29’juillet 1881 à la publication litigieuse constituerait une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression garantie par l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Le jugement entrepris sera donc confirmé. Il convient de fixer une somme supplémentaire de 1 000 euros au titre des frais exposés par FRANCE TELEVISIONS en cause d’appel sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. Enfin, l’appelant sera condamné aux dépens, avec application de l’article 699 du code de procédure civile. PAR CES MOTIFS LA COUR, Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi, Confirme le jugement entrepris, Y ajoutant, Condamne [K] [I] à payer à FRANCE TELEVISIONS la somme de mille euros (1’000’euros) en application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ainsi qu’aux dépens d’appel, dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile. LE PRÉSIDENT LE GREFFIER |