Harcèlement hiérarchique : affaire Prisma Media
Harcèlement hiérarchique : affaire Prisma Media
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Une rédactrice de Prisma Media a obtenu la nullité de son licenciement au titre du harcèlement moral dont elle a été l’objet.

Mesures insuffisantes

Si la société Prisma Media a mis en oeuvre certaines mesures pour tenter de remédier à la situation, ces mesures sont demeurées insuffisantes et l’employeur n’a pas su prévenir la situation de souffrance au travail de la rédactrice.

Nature des mesures à mettre en oeuvre

L’article L 4121-1 du code du travail dispose que : «  L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels ;

2° Des actions d’information et de formation ;

3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes” ;

Conditions du harcèlement

Par ailleurs, aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ;

Selon l’article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés ;

Selon l’article L.1152-3 du même code, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul .

Charge de la preuve

Lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral; dans l’affirmative, il appartient à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.  

___________

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE VERSAILLES

11e chambre

ARRET DU 13 JANVIER 2022

N° RG 19/02238 – N° Portalis DBV3-V-B7D-TGPT

AFFAIRE :

D Y

C/

Société PRISMA MEDIA

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 05 Avril 2019 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NANTERRE

N° Section : E

N° RG : 17/01981

LE TREIZE JANVIER DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Madame D Y

née le […] à […]

[…] […]

Représentant : Me Rachid BRIHI de la SELARL Brihi-Koskas & Associés, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0137 substitué par Me Emilie LACOSTE, avocat au barreau de PARIS

APPELANTE

****************

Société PRISMA MEDIA

N° SIRET : 318 826 187

[…]

[…]

Représentant : Me Laurent KASPEREIT de la SELAFA CMS FRANCIS LEFEBVRE AVOCATS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 1701

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

L’affaire a été débattue à l’audience publique du 15 Novembre 2021, Monsieur Eric LEGRIS, conseiller, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Hélène PRUDHOMME, Président,

Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,

Madame Marie-Christine PLANTIN, Magistrat honoraire,

qui en ont délibéré,

Greffier lors des débats : Madame Sophie RIVIERE

A partir du 8 septembre 1988, Mme D Y était embauchée par la société Prisma Media en qualité de rédactrice, par contrat à durée indéterminée.

Le contrat de travail était régi par la convention collective des journalistes.

En 2010, Mme Y J à la rédaction du magazine «’Femme actuelle’» sous l’autorité de

Mme X. Cette arrivée marquait, selon la salariée, le point de départ d’une dégradation croissante des conditions de travail de Mme Y, cette arrivée la précipitait dans un état dépressif important et croissant résultant d’un harcèlement moral et managérial opéré à son encontre par Mme X.

Dès 2013, Mme Y K à plusieurs reprises sa hiérarchie quant à sa situation professionnelle, hautement dégradée selon ses dires.

A compter du 30 janvier 2014, Mme Y était placée en arrêt maladie. Celui-ci était prolongé à de multiples reprises. La salariée reprenait le travail le 4 août 2014.

Lors de la visite médicale de reprise, le médecin du travail déclarait Mme Y apte à la reprise sans formuler de réserve.

Par la suite, Mme Y souhaitait utiliser son droit individuel à la formation pour effectuer un bilan de compétence, ce qu’elle faisait à raison de 2 heures par semaine à compter du mois de novembre 2014.

Du 1er septembre 2015 au 20 février 2016, Mme Y partait en congé formation. A compter de cette dernière date, elle faisait l’objet d’un nouvel arrêt maladie.

Le 2 mars 2016, elle était déclarée inapte temporairement par le médecin du travail. Le 20 avril

2016, ce dernier rendait l’avis suivant : «’inapte au poste précédemment occupé de chef de rubrique,

Cuisine Femme actuelle. Apte à un poste identique dans une autre rédaction’».

Deux solutions de reclassement étaient faites à Mme Y. La première était refusée le 12 juillet

2016, au motif que ce poste n’était pas conforme à ses compétences et qualifications et qu’il constituait, à ses yeux, une rétrogradation. La seconde proposition était également déclinée, Mme

Y estimant qu’elle n’avait pas les compétences du poste.

Le 4 novembre 2016, l’employeur la convoquait à un entretien préalable en vue de son licenciement.

L’entretien avait lieu le 18 novembre 2016. Le 24 novembre 2016, il lui notifiait son licenciement pour inaptitude.

Le préavis de Mme Y, payé mais non effectué, prenait fin le 31 janvier 2017 et son indemnité de licenciement lui était versée.

Le 4 février 2017, Mme Y contestait le bien-fondé de son licenciement.

Le 20 juillet 2017, Mme Y saisissait le conseil de prud’hommes de Nanterre.

Vu le jugement du 5 avril 2019 rendu en formation paritaire par le conseil de prud’hommes de

Nanterre qui a’:

– Débouté Mme Y de sa reconnaissance de l’existence d’un harcèlement moral,

– Dit que le licenciement de Mme Y est fondé sur une cause réelle et sérieuse,

– Dit que la société SNC Prisma Media n’a pas manqué à son obligation de reclassement à l’égard de Mme Y,

En conséquence,

– Débouté Mme Y de sa demande d’indemnités à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,

– Débouté Mme Y de sa demande d’indemnités à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– Débouté Mme Y de sa demande d’indemnité au titre du harcèlement moral,

– Dit qu’il n’y a pas lieu a condamnation de l’une ou l’autre des parties au titre de l’article 700 du CPC

– Dit qu’il n’y a pas lieu à exécution provisoire de la présente décision,

– Laissé les dépens à la charge de chacune des parties en ce qui les concerne.

Vu l’appel interjeté par Mme D Y le 15 mai 2019.

Vu les conclusions de l’appelante, Mme D Y, notifiées le 8 octobre 2021 et soutenues

à l’audience par son avocat auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, et par lesquelles il est demandé à la cour d’appel de :

– Infirmer le jugement entrepris, en toutes ses dispositions en ce qu’il a débouté Mme D Y de l’intégralité de ses demandes à l’encontre de la Société SNC Prisma Media et de le réformer,

En conséquence,

– Dire et juger Mme D Y recevable et bien fondée en ses demandes ;

A titre principal :

– Dire et juger que Mme D Y a été victime d’un harcèlement moral ;

– Dire et juger que la rupture du contrat de travail de Mme D Y s’analyse en un licenciement nul :

En conséquence,

– Condamner la société SNC Prisma Media à payer à Mme D Y la somme de 151’291 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul ;

A titre subsidiaire :

– Dire et juger que la société SNC Prisma Media a manqué à l’obligation de sécurité de résultat à laquelle elle était tenue à l’égard de Mme D Y ;

– Dire et juger que la société SNC Prisma Media a violé son obligation de reclassement à l’égard de

Mme D Y ;

– Dire et juger que la rupture du contrat de travail de Mme D Y s’analyse par conséquent en un licenciement sans cause réelle et sérieuse :

En conséquence,

– Condamner la société SNC Prisma Media à payer à Mme Y la somme de 151 291 euros à titre

d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;

En tout état de cause :

– Condamner la société SNC Prisma Media à payer à Mme Y la somme de 40’000 euros au titre du harcèlement moral dont elle a fait l’objet de la violation de son obligation de sécurité de résultat ;

– Condamner la société SNC Prisma Media à payer à Mme Y la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamner la société SNC Prisma Media aux intérêts légaux sur toutes les demandes en paiement des sommes d’argent ainsi qu’aux entiers dépens.

Vu les écritures de l’intimée, la société Prisma Media, notifiées le 22 octobre 2021 et développées à l’audience par son avocat auxquelles il est aussi renvoyé pour plus ample exposé, et par lesquelles il est demandé à la cour d’appel de’:

– Confirmer le jugement rendu le 5 avril 2019 par le conseil de prud’hommes de Nanterre en toutes ses dispositions,

En conséquence :

– Dire et juger que le licenciement pour inaptitude de Mme Y repose bien sur une cause réelle et sérieuse,

– Débouter Mme Y de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

– Condamner Mme Y à payer à la Société Prisma Media la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– Condamner Mme Y aux entiers dépens de l’instance.

Vu l’ordonnance de clôture du 25 octobre 2021.

SUR CE,

Sur le harcèlement moral, l’obligation de sécurité et le licenciement

L’article L 4121-1 du code du travail dispose que :

«  L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels ;

2° Des actions d’information et de formation ;

3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes” ;

Aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ;

Selon l’article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés ;

Selon l’article L.1152-3 du même code, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul ;

Vu les articles L1152-1 et L1254-1 du code du travail,

Il résulte de ces textes que lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral; dans l’affirmative, il appartient à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;

En l’espèce, Mme Y invoque une situation de harcèlement managérial subie au sein de

l’entreprise, à compter de l’automne 2012 mettant en cause sa supérieure Mme X, dont elle dénonce et décrit le comportement agressif à son égard et une absence de mesure adéquate par son employeur en dépit des demandes et dénonciations émises, de la répercussion des agissements sur ses conditions de travail et sur sa santé physique et mentale ;

Pour étayer ses affirmations, elle produit notamment

– des certificats et pièces médicales, émanant notamment du médecin du travail,

– des attestations de collègues de travail,

– des échanges comprenant des dénonciations de la situation à sa hiérarchie ;

Le 20 avril 2016, Mme Y a été déclarée inapte définitivement par le médecin du travail en ces termes : «’inapte au poste précédemment occupé de chef de rubrique, Cuisine Femme actuelle. Apte à un poste identique dans une autre rédaction’» ;

Il est exact que l’avis du médecin du travail en date du 11 août 2014, lequel avait déclaré la salariée « apte à la reprise” , ne mentionnait pas de réserves ;

Toutefois, Mme Y verse aux débats un certificat médical du médecin du travail ayant rédigé cet avis qui “certifie avoir reçu en consultation le 11/08/2014, Mme Y D en visite de reprise après un arrêt maladie« et que »cet arrêt est directement imputable à une situation conflictuelle avec sa responsable hiérarchique directe. Mme S. est victime d’une souffrance au travail, se traduisant par un syndrome anxio-dépressif sévère avec répercussion familiale. Mme S. est prise en charge par un psychiatre. En l’absence de sa responsable et dans un but thérapeutique,

j’ai émis un avis favorable à une reprise temporaire du travail (les détails de cet avis sont consignés dans le dossier médical). Il est convenu que Mme Y sera revue à sa demande, conformément à la loi. Compte tenu du contexte mon avis est sciemment succin afin d’épargner à Mme S des remarques ou commentaires désobligeants et inopportuns” ;

L’appelante verse aux débats un extrait de son dossier médical dans lequel il est en effet indiqué à cette date : “apte à la reprise (en l’absence de sa responsable)” ;

Mme Y verse aussi de nombreux témoignages de collègues de travail ;

Si Mme A ne fait que rapporter de manière indirecte des propos qu’elle attribue à Mme Y et que Mme L de M-N ne fait pas état de faits précis concernant Mme Y en particulier, en revanche :

Mme B, ancienne assistante au sein du service, atteste, notamment, de ” l’animosité de C envers D. Bien que D soit bosseuse, consciencieuse, toujours disponible et très investie,

C lui faisant régulièrement des remontrances injustifiées« et avoir » vu D perdre son sourire, son entrain et la crainte l’envahir. Elle était comme tétanisée devant les fréquents emportements de C. Un jour de 2012, j’ai trouvé D en pleurs dans les toilettes, C venait d’insinuer qu’elle avait volé dans la réserve« ajoutant avoir »toujours eu du mal à accepter la façon dont C se comportait avec D, ne se gênant pas pour lui faire des réflexions désobligeantes devant moi » ;

L’attestation de M. E, ancien chef de service, fait état de ce que ” Pendant 3 ans et demi j’ai été témoin, à plusieurs reprises, d’emportements verbaux, entendant les cris de Mme X depuis mon bureau. Durant l’Automne-Hiver 2012-2013 C X s’adressait à D Y sur un ton pour le moins agressif.(…)” ;

Mme F, journaliste pigiste, atteste avoir entendu Mme X “crier si fort qu’on entendait ses hurlements jusque dans les couloirs de la rédaction« et » avoir pu constater la dégradation de l’ état physique et moral de D” ;

En outre, il ressort du courriel en date du 14 février 2014 que M. G, autre collègue de travail, a estimé nécessaire d’alerter la direction des ressources humaines en ces termes :

« Je voudrais bien que soit pris à sa juste mesure l’état dans lequel se trouve D et que C cesse immédiatement de lui envoyer des SMS pour quelque raison que ce soit, ce ne peut être que néfaste compte tenu de ce D a subi avec elle« , ajoutant que » il faut par ailleurs vous rendre compte que ce binôme ne pourra plus fonctionner” ;

Mme Y avait elle-même alerté son employeur de sa situation, notamment par écrit dans le cadre de son entretien d’évaluation du 25 mars 2013 puis par courriel du 20 février 2014 où elle décrivait précisément les conséquences sur sa santé des réactions de sa supérieure hiérarchique et disait ne plus pouvoir “à ce jour envisager l’avenir avec C comme manager”, puis en proposant et suggérant aussi, sans succès, des évolutions à cet égard afin de réintégrer ses fonctions dans un cadre hiérarchique apaisé ;

Mme Y établit ainsi l’existence matérielle de faits précis et concordants, notamment du comportement irrespectueux de sa supérieure hiérarchique et de reproches injustifiés de cette dernière à son égard et de leurs répercussions sur ses conditions de travail et son état de santé, qui ne s’analysent pas en une simple relation de travail tendue mais qui, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence, d’un harcèlement moral à son encontre ;

L’employeur fait valoir qu’il a réagi en prenant toutes les mesures adaptées aux difficultés rencontrées par Mme Y et que la situation s’est trouvée à son retour en août 2014 « nettement plus supportable » ;

Il ressort d’un courriel du 20 juin 2014 que la société Prisma Media a envisagé un suivi régulier avec les opérationnels et la RH, la mise en place d’un accompagnement individuel par la psychologue du travail et une médiation par cette même psychologue et un examen de sa charge de travail avec possibilité de réaménagement ;

La société Prisma Media justifie avoir organisé un entretien informel avec la salariée au début de l’année 2014 puis avoir mis en place un suivi en interne de la situation, et un allègement de la charge de travail de la salariée est mentionné dans son entretien d’évaluation ;

Pour autant il ressort aussi de ces échanges que l’employeur “demand[ait] à D de mettre un terme aux propos qu’elle semble avoir véhiculés dans la rédaction et donc de rectifier le tir”, sans qu’il ne soit précisé ni justifié des propos en questions, qu’il lui était indiqué qu’il n’était pas envisagé de modification de l’organisation existante ni de changement de lien hiérarchique, que Mme X a refusé la mesure de médiation qui n’a pu être mise effectivement en ‘uvre, sans que l’employeur, en dépit des dénonciations réitérées de Mme Y, de sa situation médicale et du refus de la principale mise en cause de rechercher une solution amiable ne prenne d’autre mesure pour pallier cette situation de face à face, étant précisé que si Mme H a fait part très ponctuellement

d’amélioration, ainsi que du sérieux du travail réalisé par Mme Y, cette dernière a fait part de manière répétée de la difficulté de la situation subie et de sa volonté dans ces conditions de changer de service (mentionnée encore dans son entretien d’évaluation d’août 2015) et/ou de management et qu’il est avéré que ses demandes n’ont pas été accueillies et qu’elle a dû continuer à travailler au même poste sous la subordination directe de Mme X, avant de choisir, dans cette situation figée, de partir en congé de formation et avant que son médecin traitant ne la place à son retour à nouveau en arrêt de travail à compter du 12 janvier 2015 et que quelques mois plus tard ne soit rendu l’avis du médecin du travail précité la déclarant “inapte au poste précédemment occupé de chef de rubrique,

Cuisine Femme Actuelle« bien que »Apte à un poste identique dans une autre rédaction’», ce qui fait encore ressortir le lien entre l’inaptitude médicale de Mme Y avec sa situation au travail ;

L’employeur échoue ainsi à démontrer que les faits matériellement établis par Mme Y sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; dans ces conditions, le harcèlement moral est établi ;

Au surplus, si la société Prisma Media a mis en oeuvre certaines mesures pour tenter de remédier à la situation, il ressort des motifs précédents que ces mesures sont demeurées insuffisantes et que l’employeur n’a pas su prévenir la situation de souffrance au travail de Mme Y ;

En application de l’article’L.1152-3 du code du travail, le licenciement intervenu dans ce contexte est nul ;

Le jugement est infirmé de ces chefs ;

Compte tenu des circonstances du harcèlement subi, de sa durée, et des conséquences dommageables qu’il a eu pour Mme Y telles qu’elles ressortent des pièces et des explications fournies le préjudice en résultant doit être réparé par l’allocation de la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts ; le jugement est infirmé sur ce point ;

Sur les conséquences financières du licenciement nul

A la date de son licenciement Mme Y avait une ancienneté de 28 ans au sein de l’entreprise qui employait de façon habituelle plus de 11 salariés ;

La société Prisma Media rappelle et justifie que Mme Y a perçu une indemnité de licenciement fixée par la commission arbitrale des journalistes à la somme de 166 049,20 euros ;

Mme Y a également droit par suite de la nullité de son licenciement à une indemnité au moins égale à six mois de salaire ;

Tenant compte notamment de l’âge, de l’ancienneté de la salariée, ainsi que des circonstances de son éviction, étant observé qu’elle justifie de son inscription auprès de Pôle emploi et des allocations perçues dans ce cadre et indique s’être lancée dans une activité indépendante dont elle indique ne pas lui avoir procuré de revenus, il convient de condamner l’employeur au paiement d’une indemnité de

40 000 euros à ce titre ;

Sur les intérêts

S’agissant des créances de nature indemnitaire, les intérêts au taux légal seront dus à compter du présent arrêt’;

Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

Compte tenu de la solution du litige, la décision entreprise sera infirmée de ces deux chefs et par application de l’article 696 du code de procédure civile, les dépens de première instance et d’appel seront mis à la charge de la société Prisma Media ;

La demande formée par Mme Y au titre des frais irrépétibles en cause d’appel sera accueillie, à hauteur de 2 500 euros ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

statuant publiquement et contradictoirement,

Infirme le jugement entrepris,

Statuant de nouveau,

Dit nul le licenciement de Mme D Y,

Condamne la société SNC Prisma Media à payer à Mme D Y les sommes suivantes :

– 40 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul,

– 10 000 euros à titre d’indemnité pour harcèlement moral,

– 2 500 euros à titre d’indemnité pour frais irrépétibles de procédure,

Dit que les sommes à caractère indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

Déboute les parties de leurs autres demandes plus amples ou contraires,

Condamne la SNC Prisma Media aux dépens de première instance et d’appel.

Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

Signé par Mme Hélène PRUDHOMME, président, et Mme’Sophie RIVIERE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le GREFFIER Le PRÉSIDENT


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