La définition par la société de sa ligne éditoriale ne saurait être assimilée à l’exercice d’un lien de subordination à l’égard du pigiste
Présomption de contrat de travail
L’article L. 7112-1 du code du travail dispose que toute convention par laquelle une entreprise de presse s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail, que cette présomption subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée à la convention par les parties.
Preuve à la charge de l’employeur
Il s’en déduit que la présomption de salariat prévue par l’article L. 7112-1 du code du travail s’applique à une convention liant un journaliste professionnel à une agence de presse et qu’il appartient à la société lui déniant cette qualité de démontrer que l’activité n’était pas principale ni régulière.
Piges variables
Il résulte des pièces examinées que le pigiste était rémunéré à la tâche en fonction des articles fournis, puisque le montant des factures établies variait chaque mois, que les échanges entre les parties démontrent que la société éditrice n’a pas adressé de commandes auprès de l’intimé, ni d’instructions et qu’elle l’a toujours questionné pour savoir s’il était d’accord pour rédiger un article sur tel ou tel sujet.
En effet, il ne résulte d’aucun des courriels produits, que la société a imposé au pigiste d’écrire un article en particulier. La définition par la société de sa ligne éditoriale ne saurait être assimilée à l’exercice d’un lien de subordination à l’égard du pigiste.
Indépendance du pigiste
Les pièces établissent également que certains mois, le pigiste n’a proposé aucun article, ce qui atteste de l’indépendance dont il bénéficiait dans l’exercice de ses prestations. Il s’en déduit que la société a renversé la présomption de subordination établie par le code du travail et que le pigiste ne peut pas prétendre au bénéfice d’un contrat de travail.
Dès lors, le jugement est infirmé en ce qu’il a constaté l’existence d’un contrat de travail, prononcé la résiliation judiciaire de celui-ci et alloué au pigiste des sommes au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de l’indemnité légale de licenciement, de l’indemnité compensatrice de préavis, d’un rappel de salaire et de frais irrépétibles.
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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 7
ARRET DU 09 JUIN 2022
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/11650 –��N° Portalis 35L7-V-B7D-CBAMT
Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 Octobre 2019 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 19/00557
APPELANTE
SAS TOURISME ET TRANSPORT DE VOYAGEURS TOUR HEBDO prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Elisa CACHEUX, avocat au barreau de PARIS, toque : C1726
INTIME
Monsieur [T] [F]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représenté par Me Rachid BRIHI, avocat au barreau de PARIS, toque : K0137
PARTIE INTERVENANTE :
Syndicat NATIONAL DES JOURNALISTES
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Représentée par Me Rachid BRIHI, avocat au barreau de PARIS, toque : K0137
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 13 Avril 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Marie-Hélène DELTORT, Présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat, entendu en son rapport, a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Marie-Hélène DELTORT, Présidente de chambre,
Madame Bérénice HUMBOURG, Présidente de Chambre,
Monsieur Laurent ROULAUD, Conseiller.
Greffière, lors des débats : Madame Lucile MOEGLIN
ARRET :
— CONTRADICTOIRE,
— mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.
— signé par Madame Marie-Hélène DELTORT, Présidente de Chambre, et par Madame Lucile MOEGLIN, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE :
M. [F] est titulaire de la carte de presse de journaliste professionnel et depuis 2010 de la carte de journaliste honoraire permanente.
A compter de 2009, il a travaillé en qualité de journaliste rédacteur auprès de la société Wolters Kluwer France pour le pôle presse Tour hebdo qui a été cédé en octobre 2016 à la société Tourisme et transport de voyageurs-Tour Hebdo (ci-après société Tourisme et transport de voyageurs).
Soutenant qu’il a été contraint de procéder à la création d’une auto entreprise en 2009 à la demande de la société Wolters Kluwer France et que depuis février 2018, la société Tourisme et transport de voyageurs ne lui a plus fourni de travail, M. [F] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris le 23 janvier 2019 afin d’obtenir la requalification de son contrat de prestation en contrat à durée indéterminée et de voir dire qu’il a fait l’objet d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse avec toutes les conséquences indemnitaires en découlant.
Par jugement en date du 23 octobre 2019, le conseil de prud’hommes a :
— requalifié le contrat d’auto-entrepreneur de M. [F] en contrat à durée indéterminée avec la société Tourisme et transport de voyageurs ;
— condamné la société Tourisme et transport de voyageurs à payer à M. [F] les sommes suivantes :
— 14 762,64 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
— 1 625 € à titre d’indemnité légale de licenciement,
— 3 690 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
— 300,15 € à titre de rappel de salaire,
— 300 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
— débouté M. [F] du surplus de ses demandes et la société Tourisme et transport de voyageurs de sa demande reconventionnelle, laquelle a été condamnée au paiement des dépens.
Pour retenir l’existence d’un contrat de travail, le conseil s’est fondé sur la soumission de M. [F] à un lien de subordination à l’égard de la société Tourisme et transport de voyageurs au regard notamment de la production de nombreux courriels et de la réduction du nombre de ses piges.
Le 21 novembre 2019, la société Tourisme et transport de voyageurs-Tour Hebdo a interjeté appel de ce jugement.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Selon ses écritures notifiées le 9 juillet 2020, la société Tourisme et transport de voyageurs conclut à l’infirmation du jugement, au rejet de l’intégralité des prétentions de M. [F], y compris de son appel incident, à l’irrecevabilité de l’intervention volontaire du syndicat national des journalistes et à la condamnation in solidum des intimés aux entiers dépens.
Selon ses écritures notifiées le 30 avril 2020, M. [F] conclut à la confirmation du jugement en ce qu’il a requalifié son contrat de travail en contrat à durée indéterminée et en ce qu’il lui a alloué les sommes suivantes : 14 762,64 € à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 3 690 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis, 300,15 € à titre salaire de décembre 2017 en derniers ou quittance, 300 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, et en ce qu’il a débouté la société Tourisme et transport de voyageurs de ses demandes reconventionnelles.
Formant appel incident, il sollicite l’infirmation du jugement pour le surplus et il demande à la cour de :
— juger que les parties sont liées par un contrat de travail à durée indéterminée à effet depuis mars 2009 ;
— fixer sa rémunération mensuelle de référence à 1 845,33 € ;
— juger que l’absence de fourniture de travail s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
— condamner en conséquence la société Tourisme et transport de voyageurs à lui payer les sommes :
— 4 073,57 € à titre d’indemnité de licenciement légal ;
— 2 000 € à titre d’indemnité de congés payés ;
— 11 071,98 € à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé ;
— 5 000 € à titre de rappel de salaire sur prime de 13 ème mois ;
— 1 275,14 € à titre de frais professionnels de déplacement 2017 ;
— 1 845,33 € à titre d’indemnité de requalification d’un contrat de prestation ;
— 5 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Selon ses écritures notifiées le 30 avril 2020, le syndicat national des journalistes conclut à la recevabilité de son intervention volontaire et à la condamnation de la société Tourisme et transport de voyageurs aux sommes de 2 500 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice porté à l’intérêt collectif et de 1 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Pour un exposé des moyens des parties, la cour se réfère expressément aux conclusions notifiées par RPVA.
L’instruction a été déclarée close le 2 février 2022.
MOTIFS DE LA DECISION
La qualité de journaliste professionnel de M. [F] est un fait établi résultant notamment de la carte versée aux débats.
Sur l’existence du contrat de travail entre M. [F] et la société Tourisme et transport de voyageurs
M. [F] fait valoir qu’il avait la qualité de journaliste professionnel et qu’aux termes de l’article L. 7112-1 du code du travail, il bénéficie de la présomption de contrat de travail. Il précise que depuis 2009, il participe de manière régulière, continue et permanente à la parution du mensuel ‘tourisme et transport de voyageurs’ à raison d’un ou plusieurs articles par mois, et que peu importe son mode de rémunération compte tenu de la nullité de toute convention contraire, qu’en l’occurrence, la société Tourisme et transport de voyageurs échoue à démontrer l’absence de lien de subordination et de sa qualité de journaliste professionnel. Il soutient au contraire qu’il a été soumis à un lien de subordination et que les parties étaient liées par un contrat de travail depuis mars 2009.
La société Tourisme et transport de voyageurs conteste l’existence d’un contrat de travail au motif que M. [F] a travaillé pour le compte de la société Info 6 TM dans le cadre d’un statut d’auto-entrepreneur, qu’il ne démontre pas que la société Wolters Kluwer France lui aurait imposé cette contrainte, étant précisé qu’il a adressé des factures à cette dernière au nom d’Edispace, soit onze au total. Elle relève que les courriels produits portent sur la demande d’articles, son rédactionnel et sur divers entretiens que les parties devaient avoir sans qu’aucun lien de subordination n’en résulte de facto. Elle souligne que dans ces courriels, M. [F] est sollicité pour savoir s’il veut écrire un article sur un sujet et s’il a des propositions à formuler, qu’il lui appartenait de proposer des articles faisant partie de sa ligne éditoriale, ce qui n’était plus le cas en dernier lieu, raison pour laquelle le nombre de piges avait diminué. Elle conteste lui avoir donné des instructions et en déduit qu’il n’était astreint à aucune instruction. Elle souligne qu’il avait créé son auto-entreprise pour travailler dans un cadre indépendant et libre.
L’article L. 7112-1 du code du travail dispose que toute convention par laquelle une entreprise de presse s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail, que cette présomption subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée à la convention par les parties.
Il s’en déduit que la présomption de salariat prévue par l’article L. 7112-1 du code du travail s’applique à une convention liant un journaliste professionnel à une agence de presse et qu’il appartient à la société lui déniant cette qualité de démontrer que l’activité n’était pas principale ni régulière.
La société Tourisme et transport de voyageurs verse aux débats les onze factures qui ont été adressées par la société Edispace pour les dates et les montants suivants :
— le 13 septembre 2016 pour 733,70 € (11web)
— le 10 octobre 2016 pour 1 900,95 € (28,5 web)
— le 14 novembre 2016 pour 1 300,65 € (16 web et 3,5 print Quel avion)
— le 10 février 2017 pour 2 334,50 € (35 web)
— le 10 mars 2017 pour 2768,05 € (31,5 web et 10 print)
— le 7 avril 2017 pour 2 668 € (40 web)
— le 6 mai 2017 pour 2 387,85 € (35,5 web)
— le 7 juin 2017 pour 1 400,70 € (21 web)
— le 7 juillet 2017 pour 1 700,35 € (25,5 web)
— le 10 septembre 2017 pour 400,20 € (6 web)
— le 10 janvier 2018 our 300,15 € (4,5 web).
Elle produit également l’extrait de compte tiers relatif à la société Edispace pour la période de juillet 2016 à mai 2018 dont il ressort que les factures étaient émises de manière irrégulière et pour des montants qui variaient, ce qui atteste d’une activité irrégulière de M. [F] au sein de la société Tourisme et transport de voyageurs, ce que corroborent d’ailleurs les onze factures précitées.
Par ailleurs, les quelques courriels adressés par la société Tourisme et transport de voyageurs à M. [F], à savoir deux en 2009, un en 2010, deux en 2011, un en 2014, un en 2015, un en 2016, trois ou quatre en 2017, sont d’une part très peu nombreux sur la période de 2009 à 2017 et d’autre part consistent essentiellement à le questionner pour savoir s’il peut rédiger un ‘papier’ sur tel ou tel thème.
Il ressort enfin d’un courriel de M. [H], directeur des publications, du 16 janvier 2018 que leur collaboration a varié au cours des dernières années et qu’elle se situait à environ 400 euros par mois. Il a également affirmé qu’il ne souhaitait pas que leur collaboration cesse. Par courriel du même jour, M. [F] a indiqué que ses piges de décembre des années 2012 à 2016 étaient comprises entre 300 € et 1 800 €, soit une moyenne de 986 €. Par courriel du 2 février 2018, M. [F] a proposé trois sujets qui ont été refusés par la société Tourisme et transport de voyageurs au motif qu’ils ne correspondaient pas à la nouvelle ligne éditoriale qui cherchait à se distinguer de l’actualité pure avec des sujets transverses et analytiques.
Le relevé des sommes versées par la société Info6 STM de juillet 2012 à décembre 2017 (selon relevé de la Banque Postale) confirme le caractère irrégulier des prestations accomplies par M. [F] et leur montant variable, étant précisé que certains mois, aucune prestation n’était réalisée par celui-ci.
M. [F] produit quelques courriels de la société Tourisme et transport de voyageurs ayant refusé certains de ses articles qui n’avaient pas fait l’objet d’un accord préalable, lui-même précisant que s’agissant de la rédaction des articles, il y avait généralement des échanges sur l’angle du sujet à aborder.
Il résulte donc des pièces examinées que M. [F] était rémunéré à la tâche en fonction des articles fournis, puisque le montant des factures établies variait chaque mois, que les échanges entre les parties démontrent que la société Tourisme et transport de voyageurs n’a pas adressé de commandes auprès de l’intimé, ni d’instructions et qu’elle l’a toujours questionné pour savoir s’il était d’accord pour rédiger un article sur tel ou tel sujet. En effet, il ne résulte d’aucun des courriels produits, que la société Tourisme et transport de voyageurs n’a imposé à M. [F] d’écrire un article en particulier. La définition par la société Tourisme et transport de voyageurs de sa ligne éditoriale ne saurait être assimilée à l’exercice d’un lien de subordination à l’égard de M. [F]. Ces pièces établissent également que certains mois, M. [F] n’a proposé aucun article, ce qui atteste de l’indépendance dont il bénéficiait dans l’exercice de ses prestations. Il s’en déduit que la société Tourisme et transport de voyageurs a renversé la présomption de subordination établie par l’article précité et que M. [F] ne peut pas prétendre au bénéfice d’un contrat de travail.
Dès lors, le jugement est infirmé en ce qu’il a constaté l’existence d’un contrat de travail, prononcé la résiliation judiciaire de celui-ci et alloué à M. [F] des sommes au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de l’indemnité légale de licenciement, de l’indemnité compensatrice de préavis, d’un rappel de salaire et de frais irrépétibles. Le jugement est confirmé en ce qu’il a rejeté les autres demandes de M. [F].
Sur les dommages et intérêts sollicités par le Syndicat national des journalistes
Compte tenu du rejet des demandes de M. [F] et en l’absence d’atteinte aux intérêts de la profession, la demande de dommages et intérêts formée par le syndicat à l’encontre de la société appelante est rejetée.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire et rendu en dernier ressort, mis à disposition au greffe,
INFIRME le jugement en ce qu’il a :
— requalifié le contrat d’auto-entrepreneur de M. [F] en contrat à durée indéterminée avec la société Tourisme et transport de voyageurs;
— condamné la société Tourisme et transport de voyageurs-Tour Hebdo à payer à M. [F] les sommes suivantes outre les dépens :
— 14 762,64 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
— 1 625 € à titre d’indemnité légale de licenciement,
— 3 690 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
— 300,15 € à titre de rappel de salaire,
— 300 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
CONFIRME le jugement pour le surplus ;
Et statuant à nouveau,
REJETTE la demande formée par M. [F] tendant à l’existence d’un contrat à durée indéterminée avec la société Tourisme et transport de voyageurs-Tour Hebdo et le déboute en conséquence de toutes ses demandes formées à l’encontre de cette dernière ;
DÉBOUTE le Syndicat national des journalistes de ses demandes à l’encontre de la société Tourisme et transport de voyageurs ;
DIT que chacune des parties garde à sa charge les frais qu’elle a engagés en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE M. [F] au paiement des dépens de première instance et d’appel et laisse à la charge du Syndicat national des journalistes ses propres dépens.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE