Droits des artistes sur leurs auditions : affaire Un prophète
Droits des artistes sur leurs auditions : affaire Un prophète
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En matière de contrefaçon de prestation-voix, l’expertise se révèle déterminante. Se prévalant de ses droits sur son interprétation de l’hymne corse intitulée Diu vi Salvi Regina, réalisée et enregistrée lors d’une audition en vue d’obtenir un rôle dans le film « Un prophète », et qui aurait été reprise à son insu dans l’une des scènes de ce film, coproduit notamment par la société Why Not Productions, un  comédien-chanteur, a assigné cette dernière devant un tribunal judiciaire en contrefaçon de droits voisins d’artiste-interprète.

La demande en indemnisation de l’artiste a été rejetée tant en appel qu’en cassation en raison d’un doute sur l’identification de la voix de ce dernier.  

Si un expert américain a estimé que l’une des voix dans le film correspond à celle de l’artiste, il indiquait cependant que la mesure électronique n’a pas été aussi concluante. D’autre part si l’expert a relevé des points communs troublants entre la voix de l’exposant et celle figurant sur la bande originale du film, il indiquait toutefois ne pouvoir affirmer avec certitude que le casting de l’exposant a été utilisé pour la bande-son.

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R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

_________________________

Cour de cassation           

Chambre civile 2

14 avril 2022

Pourvoi 20-22.578

Texte intégral

CIV. 2

FD

COUR DE CASSATION

______________________

Audience publique du 14 avril 2022

Rejet

M. PIREYRE, président

Arrêt n° 413 F-B

Pourvoi n° E 20-22.578

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 14 AVRIL 2022

M. [R] [U], domicilié [Adresse 4], a formé le pourvoi n° E 20-22.578 contre l’arrêt rendu le 19 avril 2019 par la cour d’appel de Paris (pôle 5, chambre 2), dans le litige l’opposant :

1°/ à la société Why Not Productions, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],

2°/ à la société Page 114, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],

3°/ à la société BTSG, dont le siège est [Adresse 1], prise en la personne de M. [X] [L], en qualité de mandataire à la liquidation judiciaire de la société Chic films,

défenderesses à la cassation.

Le demandeur invoque, à l’appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Durin-Karsenty, conseiller, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de M. [U], de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société Why Not Productions, de la société Page 114, et l’avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l’audience publique du 8 mars 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Durin-Karsenty, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 19 avril 2019), se prévalant de ses droits sur son interprétation de l’hymne corse intitulée Diu vi Salvi Regina, réalisée et enregistrée lors d’une audition en vue d’obtenir un rôle dans un film, et qui aurait été reprise à son insu dans l’une des scènes de ce film, coproduit notamment par la société Why Not Productions, M. [U], comédien-chanteur, a assigné cette dernière devant un tribunal de grande instance en contrefaçon de droits voisins d’artiste-interprète.

2. Après deux ordonnances du juge de la mise en état des 19 décembre 2014 et 1er juillet 2016, la première ayant constaté la fin d’une mission de consultation ordonnée par une précédente ordonnance et dit n’y avoir lieu à une mesure d’instruction complémentaire, la seconde ayant rejeté les demandes de M. [U] tendant à de nouvelles mesures, le tribunal de grande instance a, par jugement du 30 juin 2017, débouté le demandeur.

3. M. [U] a relevé appel des deux ordonnances ainsi que du jugement.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. M. [U] fait grief à l’arrêt de confirmer l’ordonnance du juge de la mise en état du 19 décembre 2014 ayant dit n’y avoir lieu d’ordonner une mesure d’instruction complémentaire, alors :

« 1°/ que pour estimer que la mesure de consultation avait pris fin et qu’il n’y avait pas lieu d’en ordonner la poursuite, la cour d’appel a relevé que si le consultant a vainement demandé aux sociétés Why Not Productions et de préciser les circonstances de l’enregistrement des interprètes et du mixage de la bande originale du film, il ne peut être considéré que l’échec de la mesure de consultation est exclusivement imputable aux intéressées, dès lors qu’il n’est pas établi que l’appelant ait lui-même fourni au consultant l’ensemble des pièces requises ; Qu’en statuant ainsi, par un motif inopérant tiré de ce que les pièces communiquées par M. [U] auraient été incomplètes, sans rechercher si l’information réclamée vainement aux intimées n’aurait pas été de nature à permettre au consultant d’accomplir sa mission ni, par conséquent, si la carence des intimées n’était pas à tout le moins de nature à justifier la poursuite de cette mesure d’instruction, la cour d’appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l’article 256 du code de procédure civile ;

2°/ qu’aux termes de l’article 143 du code de procédure civile, les faits dont dépend la solution du litige peuvent, à la demande des parties ou d’office, être l’objet de toute mesure d’instruction légalement admissible, tandis qu’aux termes de l’article 144 du même code, de telles mesures peuvent être ordonnées en tout état de cause, dès lors que le juge ne dispose pas d’éléments suffisants pour statuer ; Qu’il résulte de ces textes que si les juges du fond sont en principe souverains pour apprécier la nécessité d’ordonner une mesure d’instruction, ils ne sauraient, pour refuser d’ordonner une telle mesure, se fonder sur un motif de droit erroné, notamment en refusant d’ordonner une mesure d’instruction complémentaire tout en constatant par ailleurs l’utilité de celle-ci ; Qu’en l’espèce, pour confirmer l’ordonnance du 19 décembre 2004 et dire n’y avoir lieu d’ordonner une mesure d’instruction complémentaire dans le cadre du présent litige, la cour d’appel a énoncé que la note du consultant en date du 1er août 2014 montre les limites de la mesure d’instruction constituée par cette consultation, qui ne requiert pas d’investigations complexes, et qu’aucun élément ne permet de considérer qu’une reprise de la mesure telle qu’ordonnée présenterait un intérêt pour la solution du litige, de sorte qu’eu égard aux difficultés de la mesure d’instruction, le juge de la mise en état a pu estimer que la consultation avait pris fin ; Qu’en statuant ainsi, quand la cour d’appel, constatant d’une part les limites de cette mesure d’instruction, et admettant d’autre part que celle-ci n’avait pas permis d’éclairer la juridiction, devait en déduire qu’il était nécessaire, au besoin d’office, d’ordonner la mise en œuvre d’une mesure d’instruction adaptée à la complexité du litige, notamment une expertise technique, alors en outre que l’arrêt constate par ailleurs que les demandes de pièces formulées par l’exposant « n’ont pour l’essentiel de sens qu’en vue d’une nouvelle expertise », la cour d’appel a violé, par refus d’application, les textes susvisés »

Réponse de la Cour

5. En confirmant l’ordonnance du juge de la mise en état ayant dit n’y avoir lieu d’ordonner de mesure d’instruction complémentaire, la cour d’appel n’a fait qu’user du pouvoir discrétionnaire d’apprécier l’utilité de la mesure d’instruction ou de consultation qui peut être ordonnée en application des articles 143, 144 et 256 du code de procédure civile, de sorte que le moyen est inopérant.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

6. M. [U] fait grief à l’arrêt, par confirmation du jugement du 30 juin 2017, de le débouter de toutes ses demandes alors « que le juge ne peut refuser de statuer en se fondant sur l’insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties ou de celles qui sont issues des mesures d’instruction qu’il a ordonnées ; Qu’en l’espèce, pour rejeter les demandes indemnitaires de l’exposant, qui soutenait que l’enregistrement de sa voix lors de l’audition du 2 avril 2008 avait été réutilisé pour la bande-son du film « Un prophète » , la cour d’appel a relevé d’une part que si M. [H], expert américain, estime que l’une des voix dans le film correspond à celle de M. [U], il indique cependant que la mesure électronique n’a pas été aussi concluante, d’autre part que si l’expert [N] a relevé des points communs troublants entre la voix de l’exposant et celle figurant sur la bande originale du film, il indique toutefois ne pouvoir affirmer avec certitude que le casting de l’exposant a été utilisé pour la bande-son, de troisième part que la note du consultant en date du 1er août 2014 montre les limites de la mesure d’instruction qui lui a été confiée, enfin que l’appelant ne réclame aucune autre mesure d’instruction exécutée par un technicien ni n’offre d’avancer les frais d’une mesure d’expertise ; Qu’en statuant ainsi, quand il appartenait à la cour d’appel, si elle estimait que la mesure d’instruction ordonnée par le juge de la mise en état, d’une part, et les éléments de preuve produits par l’exposant, d’autre part, ne permettaient pas de trancher la difficulté dont elle était saisie, d’interroger le consultant et, le cas échéant, ordonner d’office une nouvelle mesure d’instruction, la cour d’appel a entaché sa décision d’un déni de justice et violé l’article 4 du code civil, ensemble les articles 143 et 144 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

7. Sous couvert de griefs non fondés de violation de la loi et de défaut de base légale, le moyen ne tend qu’à remettre en discussion, devant la Cour de cassation, l’appréciation souveraine des éléments de preuve par le juge du fond qui, sans être tenu de suivre les parties dans le détail de leur argumentation ni d’ordonner une mesure d’instruction, a retenu que M. [U] ne démontre pas que sa voix a été utilisée pour la bande son du film en cause et l’a débouté de ses demandes.

8. Le moyen ne peut, dès lors, être accueilli.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. [U] aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [U] et le condamne à payer à la société Why Not Productions et la société Page 114 la somme globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze avril deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour M. [U].

Premier moyen de cassation

M. [R] [U] fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR confirmé l’ordonnance du juge de la mise en état du 19 décembre 2014 ayant dit n’y avoir lieu d’ordonner de mesure d’instruction complémentaire ;

1°/ Alors que pour estimer que la mesure de consultation avait pris fin et qu’il n’y avait pas lieu d’en ordonner la poursuite, la cour d’appel a relevé que si le consultant a vainement demandé aux sociétés WHY NOTE PRODUCTIONS et PAGE 114 de préciser les circonstances de l’enregistrement des interprètes et du mixage de la bande originale du film, il ne peut être considéré que l’échec de la mesure de consultation est exclusivement imputable aux intéressées, dès lors qu’il n’est pas établi que l’appelant ait lui-même fourni au consultant l’ensemble des pièces requises ;

Qu’en statuant ainsi, par un motif inopérant tiré de ce que les pièces communiquées par M. [U] auraient été incomplètes, sans rechercher si l’information réclamée vainement aux intimées n’aurait pas été de nature à permettre au consultant d’accomplir sa mission ni, par conséquent, si la carence des intimées n’était pas à tout le moins de nature à justifier la poursuite de cette mesure d’instruction, la cour d’appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l’article 256 du code de procédure civile ;

2°/ Alors qu’aux termes de l’article 143 du code de procédure civile, les faits dont dépend la solution du litige peuvent, à la demande des parties ou d’office, être l’objet de toute mesure d’instruction légalement admissible, tandis qu’aux termes de l’article 144 du même code, de telles mesures peuvent être ordonnées en tout état de cause, dès lors que le juge ne dispose pas d’éléments suffisants pour statuer ;

Qu’il résulte de ces textes que si les juges du fond sont en principe souverains pour apprécier la nécessité d’ordonner une mesure d’instruction, ils ne sauraient, pour refuser d’ordonner une telle mesure, se fonder sur un motif de droit erroné, notamment en refusant d’ordonner une mesure d’instruction complémentaire tout en constatant par ailleurs l’utilité de celle-ci ;

Qu’en l’espèce, pour confirmer l’ordonnance du 19 décembre 2004 et dire n’y avoir lieu d’ordonner une mesure d’instruction complémentaire dans le cadre du présent litige, la cour d’appel a énoncé que la note du consultant en date du 1er août 2014 montre les limites de la mesure d’instruction constituée par cette consultation, qui ne requiert pas d’investigations complexes, et qu’aucun élément ne permet de considérer qu’une reprise de la mesure telle qu’ordonnée présenterait un intérêt pour la solution du litige, de sorte qu’eu égard aux difficultés de la mesure d’instruction, le juge de la mise en état a pu estimer que la consultation avait pris fin ;

Qu’en statuant ainsi, quand la cour d’appel, constatant d’une part les limites de cette mesure d’instruction, et admettant d’autre part que celle-ci n’avait pas permis d’éclairer la juridiction, devait en déduire qu’il était nécessaire, au besoin d’office, d’ordonner la mise en œuvre d’une mesure d’instruction adaptée à la complexité du litige, notamment une expertise technique, alors en outre que l’arrêt constate par ailleurs que les demandes de pièces formulées par l’exposant « n’ont pour l’essentiel de sens qu’en vue d’une nouvelle expertise » , la cour d’appel a violé, par refus d’application, les textes susvisés.

Second moyen de cassation

M. [R] [U] fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR, par confirmation du jugement du 30 juin 2017, débouté l’exposant de toutes ses demandes ;

Alors que le juge ne peut refuser de statuer en se fondant sur l’insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties ou de celles qui sont issues des mesures d’instruction qu’il a ordonnées ;

Qu’en l’espèce, pour rejeter les demandes indemnitaires de l’exposant, qui soutenait que l’enregistrement de sa voix lors de l’audition du 2 avril 2008 avait été réutilisé pour la bande-son du film « Un prophète », la cour d’appel a relevé d’une part que si M. [H], expert américain, estime que l’une des voix dans le film correspond à celle de M. [U], il indique cependant que la mesure électronique n’a pas été aussi concluante, d’autre part que si l’expert [N] a relevé des points communs troublants entre la voix de l’exposant et celle figurant sur la bande originale du film, il indique toutefois ne pouvoir affirmer avec certitude que le casting de l’exposant a été utilisé pour la bande-son, de troisième part que la note du consultant en date du 1er août 2014 montre les limites de la mesure d’instruction qui lui a été confiée, enfin que l’appelant ne réclame aucune autre mesure d’instruction exécutée par un technicien ni n’offre d’avancer les frais d’une mesure d’expertise ;

Qu’en statuant ainsi, quand il appartenait à la cour d’appel, si elle estimait que la mesure d’instruction ordonnée par le juge de la mise en état, d’une part, et les éléments de preuve produits par l’exposant, d’autre part, ne permettaient pas de trancher la difficulté dont elle était saisie, d’interroger le consultant et, le cas échéant, ordonner d’office une nouvelle mesure d’instruction, la cour d’appel a entaché sa décision d’un déni de justice et violé l’article 4 du code civil, ensemble les articles 143 et 144 du code de procédure civile.


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