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L’obligation contractuelle de l’agence immobilière de faire visiter le bien en vente à toute personne intéressée, ne suppose pas que des images de ce bien vont être capturées, puis ensuite diffusées publiquement, dans le cadre d’une émission télévisée.
Une SCI, n’ayant pas été avisée du tournage d’une émission Stéphane Plazza et n’ayant donné aucune autorisation pour ce faire, a mis en demeure son mandataire, la société ZENIT IMMO, de l’indemniser du préjudice qu’elle estimait avoir subi.
La possibilité que le bien immobilier en vente fasse l’objet d’un tournage, à l’intérieur même de l’appartement, et se trouve visible potentiellement par plusieurs millions de téléspectateurs du fait de la diffusion dans une émission grand public, n’était pas prévu par le mandat.
Même si le plan média présentant les actions mises en oeuvre ne listait pas ces dernières de façon exhaustive, la SCI a manifestement entendu limiter ces actions à certaines d’entre elles seulement et il aurait fallu que la société ZENIT IMMO informe préalablement son mandant et recueille son approbation pour y ajouter une autre action de communication, qui sortait pour le moins de l’ordinaire.
Or, l’agence immobilière n’a jamais contacté en amont la SCI pour lui soumettre ce type d’action et recueillir son approbation avant d’envoyer la fiche descriptive du bien appartenant à son mandant, d’autoriser le tournage de l’émission en ses lieu et place, et de permettre l’accès au bien en l’ouvrant avec le jeu de clés dont elle disposait. L’agence immobilière a donc commis une faute engageant sa responsabilité contractuelle.
L’image du bien renvoyée pendant l’émission était peu positive et était de nature à handicaper la SCI si elle souhaitait remettre en vente son bien. Par ailleurs, la nécessité d’engager une procédure judiciaire pour faire valoir ses droits était source de stress et de perte de temps.
Les fautes commises par le mandataire ont ainsi causé un trouble anormal dans la disposition qu’elle pouvait faire de son droit et justifiaient que les sociétés ZENIT IMMO et le diffuseur soient condamnées in solidum à verser à la SCI la somme de 7.000 € à titre de dommages et intérêts.
A toutes fins utiles, l’autorisation suivante donnée par le propriétaire aurait suffi à éviter toute condamnation :
« Je soussigné (e)… Propriétaire du bien immobilier suivant : … Déclare connaître avoir été pleinement informé(e) du principe et de la ligne éditoriale de l’émission. Je déclare autoriser la société à pénétrer dans mon domicile et/ou mon établissement, à y effectuer des prises de vue, et à utiliser les images ainsi filmées (en ce compris intérieur et extérieur de mon établissement), dans le cadre de la réalisation de certaines séquences de l’émission. Les images de mon domicile/établissement tournées pour l’émission pourront être utilisées par la Société, dans le cadre de l’émission, en totalité ou par extraits, sur tous supports et par tout mode de communication… ».
___________________________________
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Tribunal judiciaire de Nantes
17 mars 2022
RG n° 19/01744
Texte intégral
Débats à l’audience publique du 18 JANVIER 2022 devant J K, vice-présidente, et H GEGLO-VINCENT, magistrat à titre temporaire, siégeant en juges rapporteurs, sans opposition des avocats, qui ont rendu compte au Tribunal dans son délibéré.
Prononcé du jugement fixé au 17 MARS 2022, date indiquée à l’issue des débats.
Jugement Contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe.
—————
S.C.I. SOUBERT, immatriculée au RCS de NANTES sous le […], dont le siège social est sis […], prise en la personne de ses représentants légaux, Messieurs Y Z et A B, domiciliés en cette qualité audit siège Rep/assistant : Maître Stéphane BAÎKOFF de la SELARL KACERTIS, avocat au barreau de NANTES, avocat plaidant
DEMANDERESSE.
D’UNE PART
ET :
S.A.R.L. ZENIT IMMO exerçant sous le nom STEPHANE PLAZA IMMOBILIER NANTES – ORVAULT, immatriculée au RCS de NANTES sous le […], dont le siège social est sis […], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège Rep/assistant : Maître Agathe CORDELIER de la SCP CORDELIER & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant Rep/assistant : Maître Philippe X de la SELARL ARMEN, avocat au barreau de NANTES, avocat postulant
S.A.S.U. S.P., inscrite au RCS de Paris sous le […], dont le siège social est sis […], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège Rep/assistant : Maître Pierre-François ROUSSEAU de l’AARPI PHI AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant Rep/assistant : Maître Pierre-Yves DESMARS de la SELARL DESMARS BELONCLE CABIOCH – SULLY AVOCATS, avocat au barreau de NANTES, avocat postulant
DEFENDERESSES.
D’AUTRE PART
Exposé du litige et des demandes
Selon acte sous seing privé du […] novembre 2018, la SCI SOUBERT (dont Y Z et A B sont les gérants) a confié à la société ZENIT IMMO, exerçant sous le nom commercial de STEPHANE PLAZA IMMOBILIER NANTES-ORVAULT, un mandat exclusif de vente d’un appartement de type T5 de 99 m² situé […] dont elle est propriétaire, au prix de 280.000 € outre 15.500 € de frais d’agence. Ce mandat était consenti pour une durée d’un mois, renouvelable tacitement à nouveau pour la même durée.
Le 3 janvier 2019, la société ZENIT IMMO a informé la SCI SOUBERT que l’appartement était apparu dans le cadre de l’émission RECHERCHE APPARTEMENT OU MAISON diffusée la veille sur la chaîne M6. Après avoir visionné l’épisode en question, Y Z et A B se sont aperçu que leur bien immobilier avait été présenté au prix de 195.000 € FAI et n’avait pas été mis en valeur.
N’ayant pas été avisés du tournage envisagé et n’ayant donné aucune autorisation pour ce faire, ils ont mis en demeure le 18 janvier 2019, par l’intermédiaire de leur conseil, la société ZENIT IMMO, de les indemniser du préjudice qu’ils estimaient avoir subi. Par courrier recommandé du même jour, ils ont mis en demeure la société S.P. qui produit l’émission litigieuse, de cesser toute diffusion de l’épisode et de les indemniser du préjudice subi.
N’ayant pas obtenu de réponse satisfaisante, la SCI SOUBERT a, par actes d’huissier en date des 20 et 26 mars 2019, fait assigner la société S.P. et la société ZENIT IMMO exerçant sous le nom STEPHANE PLAZA IMMOBILIER NANTES-ORVAULT, devant le tribunal de grande instance de Nantes.
Aux termes de ces dernières conclusions notifiées par voie électronique le 27 octobre 2020, la SCI SOUBERT demande au tribunal, au visa des articles 1103, 1104, […]31, […]40 et […]31-3 du code civil, 6 de loi Hoguet, et 72 du décret 72- 678 en date du 20 juillet 1972, de :
– Constater que la Société ZENIT IMMO a commis une faute dans l’exécution du mandat exclusif qui lui a été confié par la SCI SOUBERT le […] novembre 2018,
– Constater que la société S.P. a commis une faute en diffusant des images du bien immobilier appartenant à la SCI SOUBERT, ce qui a causé un trouble anormal à la SCI SOUBERT,
– Constater que lesdites fautes ont causé un préjudice à la SCI SOUBERT, laquelle n’a pu vendre le bien immobilier qu’elle a été contrainte de retirer du marché,
– Dire et juger que la société ZENIT IMMO a engagé sa responsabilité civile contractuelle,
– Dire et juger que la société S.P. a engagé sa responsabilité civile délictuelle,
En conséquence,
– Condamner la société S.P. et la société ZENIT IMMO in solidum à payer à la SCI SOUBERT la somme en principal de 82.784 € outre les intérêts au taux légal à compter du 18 janvier 2019, date de la première mise en demeure,
– Condamner la société S.P. et la société ZENIT IMMO in solidum à payer à la SCI SOUBERT la somme de 10.000 € en réparation de son préjudice moral,
En outre,
– Interdire à la société S.P. de diffuser à l’avenir l’épisode litigieux de l’émission RECHERCHE APPARTEMENT OU MAISON,
– Condamner la société S.P. et la société ZENIT IMMO in solidum à payer à la société SCI SOUBERT la somme de 5.000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamner les mêmes aux entiers dépens,
– Ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir.
Elle affirme tout d’abord que l’action qu’elle a initiée est parfaitement recevable puisqu’elle justifie être la propriétaire du bien litigieux.
Elle soutient que la société ZENIT IMMO a commis une faute en ne respectant pas le cadre du mandat qu’elle lui avait confié, lequel ne permettait la visite du bien qu’aux seules personnes susceptibles d’être intéressées, ce qui n’était manifestement pas le cas de “Linda”, mère de famille filmée dans l’émission diffusée. Aucun bon de visite n’a d’ailleurs été établi par l’agence immobilière. De plus, le réalisateur et l’équipe de tournage de l’émission ne peuvent non plus être qualifiés de personnes susceptibles d’être intéressées par l’acquisition du bien. Il ne peut pas davantage être argué que le tournage de l’émission constituerait le “plan média” visé au mandat. Le fait de confier les clés à une personne qui n’a pas reçu mandat de vente contrevient d’autre part aux dispositions de l’article 6 de la loi Hoguet. Elle affirme par ailleurs qu’à aucun moment, la société ZENIT IMMO n’a informé les gérants de la SCI SOUBERT du tournage à venir, ni sollicité leur accord. Enfin, le fait de présenter le bien dans l’émission au prix de 195.000 €, soit 100.000 € de moins que celui confié par mandat, constitue également un manquement à ses obligations contractuelles.
La SCI SOUBERT estime que la société S.P. a également commis des fautes en ne s’assurant pas que le propriétaire du bien avait donné, préalablement au tournage, son autorisation pour pénétrer à l’intérieur de l’appartement et y effectuer des prises de vue. Au surplus, la société S.P. n’étant pas un acquéreur potentiel, ne pouvait accéder au bien mis en vente. Enfin, elle n’a pas davantage vérifié l’accord a posteriori de la SCI SOUBERT avant la diffusion de l’émission.
La SCI SOUBERT soutient que les fautes commises par les sociétés ZENIT IMMO et S.P. lui ont fait perdre une chance, qu’elle évalue à 20%, de pouvoir vendre le bien au prix fixé dans le mandat, soit 280.000 € puisque l’appartement a été proposé à la somme de 195.000 € dans l’émission. Elle conteste que le bien ait été surévalué et affirme que le prix du bien a été fixé par l’agence ZENIT IMMO elle-même en fonction du marché. Elle sollicite donc la somme de 56.000 € à ce titre (280.000 € x 20%). Elle fait valoir qu’elle a donc dû renoncer à vendre le bien et qu’elle l’a mis en location depuis le 31 janvier 2019. Le prix du loyer ne couvre cependant pas le remboursement des échéances du prêt, le montant de la taxe foncière, les appels de charges de copropriété, ce qui représente un reste à charge annuel de 4.464 €. Elle sollicite donc la somme de 26.784 € représentant la perte financière pendant les six années de l’engagement locatif. Elle estime enfin subir un préjudice moral, qu’elle évalue à 10.000 €.
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Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 1 février 2021, la société ZENIT IMMO exerçant sous le nom STEPHANE PLAZA IMMOBILIER NANTES-ORVAULT, demande au tribunal de :
– Dire et juger que la Société ZENIT IMMO n’a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité.
– Dire et juger que la Société ZENIT IMMO n’avait aucune maîtrise, ni de la préparation de l’émission, ni de la diffusion et exploitation des images.
– Dire et juger que la Société ZENIT IMMO n’a, en aucun cas, manqué à ses obligations contractuelles.
-Dire et juger que la SCI SOUBERT ne se prévaut d’aucun préjudice né, direct, actuel et certain
– Dire et juger que le préjudice invoqué n’est pas réparable, faute pour la SCI SOUBERT de démontrer que l’émission a eu un impact sur la vente et le prix du bien immobilier.
– Dire et juger que ne peuvent constituer un préjudice des frais relevant de l’exécution d’obligations de propriétaires, non engagés.
– Déclarer la SCI SOUBERT irrecevable et mal fondée en toutes ses demandes et l’en débouter.
– Débouter la SCI SOUBERT et toute autre partie de leurs prétentions, fins et conclusions contraires.
– Condamner la SCI SOUBERT à verser a la Société ZENIT IMMO la somme de 3.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
– Condamner la SCI SOUBERT aux entiers dépens qui seront recouvrés entre les mains de Maître X de la SELARL ARMEN, conformément à l’article 699 du code de procédure civile.
Elle conteste avoir commis quelque faute contractuelle que ce soit.
Elle rappelle tout d’abord que dans le cadre du mandat conclu, elle s’était engagée à préparer la mise en vente du bien en recourant à des actions de communication. C’est dans le respect de cette obligation qu’elle ne s’est pas opposée à ce qu’il soit l’objet de l’émission de télévision. Cela a permis au bien une visibilité importante.
Elle indique que la jurisprudence considère qu’un propriétaire ne peut s’opposer à l’exploitation de l’image de son bien, de sorte qu’il n’était pas besoin d’une autorisation préalable. Concernant la diffusion de l’émission, elle affirme que l’éventuelle autorisation relevait de la responsabilité de la société S.P..
Elle fait valoir que les clés du bien appartenant à la SCI SOUBERT n’ont pas été remises à la société de production hors sa présence, mais que la société ZENIT IMMO était présente sur le tournage. Dans le cadre du mandat exclusif dont elle était titulaire, elle pouvait présenter le bien à de futurs acquéreurs, dont faisaient partie les participants à l’émission RECHERCHE APPARTEMENT OU MAISON.
Elle ne peut par ailleurs être responsable de l’appréciation de la candidate qui a déclaré lors de l’émission “C’est tout ce que je déteste”, ni du montage qui est réalisé après le tournage.
Elle justifie que le prix de 195.000 € annoncé dans l’émission résulte d’une simple erreur matérielle puisqu’elle a bien transmis à la société S.P. une fiche descriptive du bien mentionnant un prix de 295.000 €.
La société ZENIT IMMO rappelle que pour être indemnisé, un préjudice doit être né, actuel, direct et certain. Or, elle affirme que la demanderesse ne démontre pas qu’elle avait une réelle chance de vendre le bien au prix de 280.000 €, puisque non seulement le prix souhaité était bien supérieur à sa valeur réelle, mais qu’avant même la diffusion de l’émission litigieuse, la SCI SOUBERT a changé d’avis et a fait part, dès le […] décembre 2018, de sa volonté de mettre son bien en location. Elle estime d’autre part qu’il n’est pas démontré l’incidence de l’émission sur le prix de vente du bien puisque moins d’un mois après sa diffusion, la SCI SOUBERT a mis le bien en location. Le temps écoulé est donc insuffisant pour apprécier si l’appartement aurait pu continuer à être mis en vente au même prix.
Par ailleurs, la SCI SOUBERT n’est pas fondée à solliciter les frais non couverts par le loyer puisque ceux-ci relèvent de l’exécution par le propriétaire de ses obligations. Il n’est en outre pas avéré que la location conclue pour six ans ira jusqu’à son terme. La société ZENIT IMMO ne peut davantage être tenue d’indemniser un préjudice moral né de la diffusion de l’émission puisqu’elle n’a pas la maîtrise de la réalisation, de l’exploitation des images, ni de leur diffusion.
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Aux termes de ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 31 août 2020, la société S.P. demande au tribunal, au visa de l’article 544 du code civil, de :
A titre principal,
– débouter le SCI SOUBERT de l’ensemble de ses demandes ;
A titre reconventionnel,
– condamner la SCI SOUBERT à payer à la société S.P. la somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
En tout état de cause,
– condamner la SCI SOUBERT à payer à la société RESERV0lR D la somme de 6.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la SCI SOUBERT aux entiers dépens.
Elle soutient qu’elle est entrée dans l’appartement appartenant à la SCI SOUBERT avec l’accord de principe de cette dernière, comme le prévoit le mandat signé le […] novembre 2018 donné à la société ZENIT IMMO. Elle n’était pas tenue de solliciter une autorisation spéciale. Au surplus, elle argue de sa bonne foi, ayant cru que l’agence immobilière, représentée par A E, était mandatée et avait obtenu l’autorisation pour faire visiter le bien et le filmer. De même, la reproduction et la diffusion d’image du bien immobilier étaient licites puisqu’autorisées par l’agence immobilière dans le cadre de son mandat qui permettait la réalisation de photographies et la prospection par tous moyens des personnes susceptibles d’être intéressées par son acquisition. Elle estime que la société ZENIT IMMO se contredit en indiquant qu’elle a donné son accord pour que le bien soit l’objet de l’émission mais qu’elle n’a jamais autorisé sa diffusion. Le réalisateur a remis à A E le formulaire d’autorisation du propriétaire, qui ne lui a jamais été retourné signé.
La société S.P. fait valoir qu’il ne peut lui être reproché de ne pas avoir respecté la loi Hoguet et son décret d’application puisque la SCI SOUBERT avait bien donné mandat exclusif à l’agence STEPHANE PLAZA IMMOBILIER NANTES-ORVAULT de vendre son bien immobilier. Celle-ci a pu déléguer son mandat à l’agence STEPHANE PLAZA IMMOBILIER NANTES CENTRE ou s’adjoindre son concours. En tout état de cause, A E était le seul à être en possession des clés et était présent tout au long du tournage.
Relativement au préjudice invoqué, elle soutient qu’un propriétaire ne peut s’opposer à l’utilisation de l’image de son bien par un tiers que si elle cause un trouble anormal à son droit de propriété relativement à l’usage, la jouissance ou la disposition de son bien. Si elle reconnaît une erreur concernant le prix du bien, annoncé à la fois oralement et dans le bandeau, puisque le chiffre 1 a malencontreusement remplacé le chiffre 2, elle soutient que les téléspectateurs n’ont pu être induits en erreur puisque la candidate annonce d’emblée que son budget est de 285.000 €. Cette erreur est donc sans incidence pour les potentiels acquéreurs sur la valeur du bien. Surtout, la demanderesse a omis d’indiquer qu’elle avait acheté l’appartement au prix de 174.000 € moins d’un an auparavant et que dès le […] décembre 2018, elle avait pris acte du manque d’intérêt du marché pour son bien et envisageait de le mettre en location. En réalité, le prix demandé était bien supérieur à la valeur réelle de l’appartement, ce qui ressort du bilan établi par la société ZENIT IMMO après le premier mois de commercialisation. Il n’existe donc aucun lien de causalité entre la diffusion de l’émission qui n’est intervenue que le 2 janvier 2019 et le retrait du bien de la vente acté le […] décembre 2018. En tout état de cause, la demanderesse n’étaye ni la perte de chance évaluée à 20%, ni la certitude de pouvoir vendre le bien au prix de 280.000 €. En outre, elle ne produit pas l’avis de valeur personnalisé établi par la société ZENIT IMMO auquel elle se réfère. Le fait qu’elle ait loué son bien pour une durée de 6 ans à un prix qui ne permet pas de couvrir ses charges résulte de sa seule responsabilité et est totalement inopérant.
Il ne peut davantage être fait droit à l’indemnisation du préjudice moral sollicitée. Il n’est pas justifié que l’émission ait présenté le bien sous un jour défavorable, seule une appréciation négative de la candidate ayant été citée alors que d’autres éléments présentent le bien de façon positive. Elle n’a par ailleurs pas tenu de propos désobligeants dans le cadre de cette affaire, les conclusions produites pour sa défense étant mesurées.
Reconventionnellement, la société S.P. fait valoir que la demanderesse a agi de façon abusive en lui imputant l’impossibilité de vendre son bien. En réalité, la SCI SOUBERT, qui revendique être un spécialiste de l’immobilier nantais depuis 33 ans, a vu dans la présente procédure un moyen de rentabiliser son investissement. Elle a pour sa part accepté de suspendre la diffusion de l’émission dès réception de la lettre de mise en demeure du 18 janvier 2019 et a dû remplacer la séquence incriminée par une autre. Elle estime en conséquence être fondée à solliciter la condamnation de la SCI SOUBERT à lui verser la somme de 15.000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.
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L’ordonnance de clôture est intervenue le 8 novembre 2021.
Motifs de la décision
Il convient de relever en préliminaire, que la qualité de propriétaire de la SCI SOUBERT ne fait plus débat.
Sur la responsabilité contractuelle de la société ZENIT IMMO
Il résulte du mandat n°5336 signé le […] novembre 2018 entre STEPHANE PLAZA IMMOBILIER NANTES-ORVAULT et la SCI SOUBERT représentée par A B et Y Z, au paragraphe 4 intitulé “OBLIGATIONS DU MANDATAIRE”, que “Le Mandataire établira un plan média présentant les actions de communication réalisées à ses frais qu’il estimera le mieux adaptées aux biens à vendre et notamment (cochez uniquement les actions souhaitées) : “. Suivent 9 items parmi lesquels sont cochés :
– Il fera réaliser les photos du bien à vendre par un photographe professionnel
– Il présentera l’annonce et la photo du bien à vendre en vitrine pendant une période minimale de 30 jours
– Il diffusera l’annonce commerciale sur les sites internet spécialisés suivants : Le bon coin, Ouest France, Bien ici, Se Loger, etc…
– Il diffusera un mailing de présentation à tous les acquéreurs potentiels issus de son fichier.
Force est de constater que la possibilité que le bien en vente fasse l’objet d’un tournage, à l’intérieur même de l’appartement, et se trouve visible potentiellement par plusieurs millions de téléspectateurs du fait de la diffusion dans une émission grand public, n’était pas prévu par le mandat. Même si le plan média présentant les actions mises en oeuvre ne liste pas ces dernières de façon exhaustive, la SCI SOUBERT a manifestement entendu limiter ces actions à certaines d’entre elles seulement et il aurait fallu que la société ZENIT IMMO informe préalablement son mandant et recueille son approbation pour y ajouter une autre action de communication, qui sortait pour le moins de l’ordinaire. Or, il n’est pas contesté que l’agence immobilière n’a jamais contacté en amont la SCI SOUBERT pour lui soumettre ce type d’action et recueillir son approbation avant d’envoyer à la société S.P. la fiche descriptive du bien appartenant à son mandant, d’autoriser le tournage de l’émission en ses lieu et place, et de permettre l’accès au bien en l’ouvrant avec le jeu de clés dont elle disposait.
Dans le cadre de ses obligations, il est également indiqué que le mandataire prospectera par tous moyens les personnes susceptibles d’être intéressées par l’acquisition des biens et les leur fera visiter. Néanmoins, il y a lieu de relever en l’espèce que ce n’est pas la société ZENIT IMMO qui a initié une démarche de prospection, mais que c’est la société S.P. qui a contacté l’agence immobilière dans le cadre de la préparation de l’émission télévisée, laquelle lui a soumis plusieurs biens pouvant correspondre à sa recherche, comme en témoigne l’échange de mails du 13 novembre 2018 entre F G (agent immobilier intervenant en tant qu’expert dans l’émission) et A E, directeur de l’agence STEPHANE PLAZA IMMOBILIER NANTES CENTRE. D’autre part, l’obligation de faire visiter à toute personne potentiellement intéressée pour acquérir le bien, ne signifie pas que l’intérieur du bien va être filmé et que ces images seront ensuite largement diffusées.
Curieusement, le courriel envoyé par l’agence immobilière à la SCI SOUBERT le 10 décembre 2018, destiné à faire le bilan après le premier mois de commercialisation, fait état de […]3 consultations sur les différents sites de diffusion, de 45 visites sur le site de l’agence, de 46 propositions à des clients en portefeuille et d’une seule visite, mais ne fait aucune référence au tournage de l’émission proposée qui n’est pourtant pas anodin.
Ainsi, contrairement à ce qu’elle affirme, la société ZENIT IMMO ne s’est pas contentée de répondre à l’un de ses engagements contractuels, mais est allée au-delà du mandat qui lui avait été confié.
Elle a donc commis une faute engageant sa responsabilité contractuelle.
Sur la responsabilité délictuelle de la société S.P.
La société S.P. soutient que le mandat donné à la société ZENIT IMMO par la SCI SOUBERT autorisait l’agence immobilière à faire visiter le bien à toute personne “qu’il jugera utile”, et l’autorisait aussi à faire appel, sous sa responsabilité, à tout concours extérieur qu’elle jugerait utile.
Comme il a déjà été démontré ci-dessus, l’obligation contractuelle de l’agence immobilière de faire visiter le bien en vente à toute personne intéressée, ne suppose pas que des images de ce bien vont être capturées, puis ensuite diffusées publiquement, dans le cadre d’une émission télévisée.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, la société S.P. demande à ce que soit donnée une autorisation écrite dont elle fournit un modèle en pièce n°8, qui mentionne la date d’enregistrement, la date de première diffusion prévisionnelle, et qui est rédigée de la façon suivante : “Je soussigné (e)… Propriétaire du bien immobilier suivant : … Déclare connaître avoir été pleinement informé(e) du principe et de la ligne éditoriale de l’émission. Je déclare autoriser la société S.P. à pénétrer dans mon domicile et/ou mon établissement, à y effectuer des prises de vue, et à utiliser les images ainsi filmées (en ce compris intérieur et extérieur de mon établissement), dans le cadre de la réalisation de certaines séquences de l’émission. Les images de mon domicile/établissement tournées pour l’émission pourront être utilisées par S.P., dans le cadre de l’émission, en totalité ou par extraits, sur tous supports et par tout mode de communication…”.
Non seulement la société S.P. ne s’est pas assurée que la SCI SOUBERT avait donné son autorisation pour la visite filmée qui s’est déroulée le 16 novembre 2018 dans l’appartement dont elle est propriétaire mais surtout, elle a diffusé l’émission le 2 janvier 2019 alors qu’elle ne pouvait ignorer que l’autorisation écrite ne lui avait pas été retournée datée, signée, avec la mention
“Lu et approuvé” et “Bon pour accord”. Elle ne pouvait se contenter d’un soit- disant “accord de principe” donné oralement à l’agence immobilière.
Elle a dès lors commis une faute engageant sa responsabilité délictuelle.
Sur l’indemnisation du préjudice subi par la SCI SOUBERT
• Sur la perte de chance de vendre le bien
Il résulte de la pièce n°2 de la société ZENIT IMMO qu’à la suite du bilan réalisé par cette dernière après le premier mois de commercialisation du bien (courriel du 10 décembre 2018), A B a répondu le […] décembre 2018, avec copie à Y Z, “D’après vos conclusions, il n’est pas judicieux de commercialiser le bien en vente, merci donc de bien vouloir le retirer, nous allons procéder à sa mise en location.” Un contrat de bail sera signé dès le 31 janvier 2019.
Ainsi, la décision de renoncer à vendre le bien immobilier a été prise par la SCI SOUBERT dès le […] décembre 2018, avant la diffusion de l’émission RECHERCHE APPARTEMENT OU MAISON le 2 janvier 2019 et avant même qu’elle n’ait été informée, le lendemain selon ses propres affirmations, que l’intérieur de son bien avait été filmé.
Il n’existe dès lors aucun lien de causalité entre les fautes commises par les défenderesses et le fait de n’avoir pu vendre le bien. Le changement de position de la SCI SOUBERT est manifestement la conséquence du bilan de commercialisation qui ne faisait état que d’une seule visite en un mois, qui concluait au fait que le prix de l’appartement se situait dans une fourchette trop haute et qui l’invitait à réfléchir et à faire part de son avis sur le sujet.
La SCI SOUBERT ne peut donc obtenir l’indemnisation d’un préjudice à ce titre.
• Sur la perte financière consécutive à la mise en location du bien
Comme il vient d’être démontré, la mise en location résultant de la seule volonté de la SCI SOUBERT, le préjudice allégué résultant de cette location n’est pas davantage indemnisable, puisque sans lien avec les fautes commises par les défenderesses.
Au surplus, les frais financiers invoqués sont inhérents au fait que la SCI SOUBERT est propriétaire du bien immobilier et s’imposent à elle comme à tout propriétaire.
Elle sera également déboutée de sa demande à ce titre.
• Sur le préjudice moral
Il est indéniable que la SCI SOUBERT a découvert, après la diffusion de l’émission, la présentation qui avait été faite de son bien auprès d’un très large public, alors qu’elle n’avait pas été informée du tournage et qu’elle n’avait pas donné son autorisation, ni à la prise d’images, ni à la diffusion, conséquence directe des manquements des défenderesses.
De plus, il ressort de la retranscription de la visite réalisée par “Linda” dans le cadre de l’émission diffusée le 2 janvier 2018 (pièce n°11 de la société S.P.), que commentant l’environnement et l’extérieur de l’immeuble, elle indique “Mais c’est tout ce que je déteste” et qu’une fois à l’intérieur de l’appartement, elle précise à deux reprises “Il n’y a rien qui va”, que le bien n’a pas de charme et qu’elle ne se voit pas acheter un appartement comme celui-là.
Il est indéniable que l’image du bien renvoyée est peu positive et est de nature à handicaper la SCI SOUBERT si elle souhaitait remettre en vente son bien. Par ailleurs, la nécessité d’engager une procédure judiciaire pour faire valoir ses droits est source de stress et de perte de temps.
Les fautes commises par les défenderesses ont ainsi causé un trouble anormal dans la disposition qu’elle pouvait faire de son droit de propriété et justifient que les sociétés ZENIT IMMO et S.P. soient condamnées in solidum à lui verser la somme de 7.000 € à titre de dommages et intérêts. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 18 janvier 2019, date de la mise en demeure.
Sur l’interdiction de diffuser pour l’avenir l’épisode litigieux de l’émission RECHERCHE APPARTEMENT OU MAISON
Il convient de faire droit à cette demande, les informations n’ayant pas été communiquées et les autorisations n’ayant pas été données par la SCI SOUBERT.
Il y a lieu de relever que la société S.P. a, dès le 30 janvier 2019, fait savoir qu’elle avait suspendu la diffusion en replay et les rediffusions de la séquence incriminée.
Sur la demande reconventionnelle de la société S.P.
La solution donnée au litige démontre que la procédure initiée par la SCI SOUBERT n’était pas abusive.
La société S.P. sera en conséquence déboutée de sa demande de dommages et intérêts.
Sur les dépens et les sommes réclamées au titre de l’article 700 du code de procédure civile
Les sociétés ZENIT IMMO et S.P. succombant, seront condamnées aux dépens et déboutées de leur demande formée au titre des frais irrépétibles.
Il apparaît par contre équitable qu’elles versent à la SCI SOUBERT la somme de 3.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais que celle-ci a dû engager pour faire reconnaître ses droits.
Sur l’exécution provisoire
Au regard de l’ancienneté du litige, l’exécution provisoire de la présente décision, qui est compatible avec la nature de l’affaire, sera ordonnée.
Par ces motifs
Le tribunal, statuant publiquement, par jugement mis à disposition, contradictoire et en premier ressort,
Dit que la société ZENIT IMMO exerçant sous le nom STEPHANE PLAZA IMMOBILIER NANTES-ORVAULT a engagé sa responsabilité contractuelle dans le cadre du mandat de vente conclu avec la SCI SOUBERT le […] novembre 2018
Dit que la société S.P. a engagé sa responsabilité délictuelle à l’égard de la SCI SOUBERT dans le cadre de la diffusion de l’émission RECHERCHE APPARTEMENT OU MAISON
Condamne in solidum la société ZENIT IMMO exerçant sous le nom STEPHANE PLAZA IMMOBILIER NANTES-ORVAULT et la société S.P. à payer à la SCI SOUBERT la somme de 7.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral
Dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 18 janvier 2019
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Interdit à la société S.P. de diffuser à l’avenir la séquence de l’émission RECHERCHE APPARTEMENT OU MAISON dans laquelle apparaît le bien immobilier dont la SCI SOUBERT est propriétaire
Déboute la SCI SOUBERT du surplus de ses demandes
Déboute la société S.P. de sa demande reconventionnelle
Déboute la société ZENIT IMMO exerçant sous le nom STEPHANE PLAZA IMMOBILIER NANTES-ORVAULT et la société S.P. de leur demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile
Condamne in solidum la société ZENIT IMMO exerçant sous le nom STEPHANE PLAZA IMMOBILIER NANTES-ORVAULT et la société S.P. à verser à la SCI SOUBERT la somme de 3.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile
Condamne in solidum la société ZENIT IMMO exerçant sous le nom STEPHANE PLAZA IMMOBILIER NANTES-ORVAULT et la société S.P. aux dépens
Ordonne l’exécution provisoire de la présente décision.
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,