Rubrique astrologie pourvue en CDD d’usage : pérennité des émissions 
Rubrique astrologie pourvue en CDD d’usage : pérennité des émissions 
Ce point juridique est utile ?

Une astrologue embauchée pour tenir la rubrique ‘horoscope du jour’, émission quotidienne qui existait depuis plusieurs dizaines d’années sur les ondes d’Europe 1, a obtenu la requalification de sa collaboration en CDI.   

Chronique répondant à un besoin permanent

Si la chronique a été ainsi suspendue en raison de la période estivale, il s’agissait néanmoins d’une émission pérenne, tenue par la seule salariée et le fait qu’il ait été mis fin à l’émission après toutes ces années et que la salariée n’ait pas été remplacée ne peut suffire à conférer à l’emploi un caractère temporaire.

Pour rappel, le fait que le CDDU soit autorisé dans le secteur de la radiodiffusion pour embaucher des intervenants spécialisés et qu’un accord ait été conclu en ce sens par les partenaires sociaux n’est pas un élément concret permettant d’établir le caractère par nature temporaire de l’emploi.

Recours encadré aux CDD d’usage  

Selon les dispositions de l’article L 1242-2 du code du travail, un contrat à durée déterminée ne peut être conclu que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire, et seulement dans des cas limitativement énumérés, parmi lesquels les emplois, définis par décret ou par convention ou accord de collectif étendu, pour lesquels il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois.

Accord-cadre sur le travail à durée déterminée

L’accord-cadre sur le travail à durée déterminée conclu le 18 mars 1999 et mis en oeuvre par la directive 1999/70/CE du Conseil du 28 juin 1999, qui a pour objet, en ses clauses 1 et 5, de prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats à durée déterminée successifs, impose de vérifier que le recours à de tels contrats est justifié par des raisons objectives qui s’entendent de l’existence d’éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi.

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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 8

ARRET DU 24 JUIN 2021

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/06014 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B5TXL

Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 Janvier 2018 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° F 17/09014

APPELANTE

Madame Y X

[…]

[…]

Représentée par Me Corinne POURRINET, avocat au barreau de PARIS, toque : E0096

INTIMÉE

SAS EUROPE 1 TELECOMPAGNIE

[…]

[…]

Représentée par Me Frédéric GRAS, avocat au barreau de PARIS, toque : E1051

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 10 Mai 2021, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Roselyne NEMOZ-BENILAN, magistrat honoraire, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Pascale MARTIN, présidente de chambre

Madame Sophie GUENIER-LEFEVRE, présidente de chambre

Madame Roselyne NEMOZ-BENILAN, magistrat honoraire, rédactrice

Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU

ARRÊT :

— CONTRADICTOIRE

— mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile

— signé par Madame Pascale MARTIN, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Madame Y X a été engagée par la Société Europe 1, par contrat de travail à durée déterminée d’usage du 17 au 31 mai 2010, en qualité d’intervenante spécialisée pour tenir la chronique astrologie.

A l’issue de ce premier contrat, la relation contractuelle a été renouvelée par divers contrats de travail à durée déterminée d’usage (CDDU). Le 22 août 2016, madame X a signé un contrat pour la saison radiophonique 2016-2017 du 22 août 2016 au 9 juillet 2017. Par lettre du 9 juin 2017, la société Europe 1 a écrit à Mme X qu’un nouveau CDDU ne lui serait pas proposé. Le 3 juillet 2017, un dernier CDDU a néanmoins été signé pour la saison d’été 2017, du 9 juillet au 27 août 2017.

La durée de travail prévue par ces CDDU successifs était de 50 heures par mois et la rémunération mensuelle brute de Mme X s’élevait à 2.600 Euros.

Le 30 octobre 2017, Madame X a saisi le conseil de prud’hommes de Paris d’une demande en requalification des contrats de travail à durée déterminée d’usage en contrat de travail à durée indéterminée, et en paiement de diverses sommes.

Par jugement du 11 janvier 2018, le conseil de prud’hommes a débouté Madame X de l’ensemble de ses demandes.

Le 3 mai 2018, le conseil de Madame X a interjeté appel.

Par ses dernières conclusions déposées au greffe par voie électronique le 10 janvier 2019, Madame X demande à la Cour d’infirmer le jugement, de prononcer la requalification des contrats de travail à durée déterminée successifs en un contrat à durée indéterminée depuis le 17 mai 2010, de requalifier le terme de son dernier contrat à durée déterminée (le 27 août 2017) en licenciement dénué de cause réelle et sérieuse, en conséquence de condamner la société EUROPE 1 TELECOMPAGNIE à lui payer les sommes suivantes :

—  10.400 Euros à titre d’indemnité de requalification en application de l’article L.1245-2 du Code du Travail

—  9.533 Euros à titre de rappel de salaire (13e mois)

—  5.200 Euros à titre d’indemnité de préavis et les congés payés afférents

—  9.425 Euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement

—  31.200 Euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

—  3.000 Euros sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile

Elle demande à la cour d’ordonner à la société EUROPE 1 TELECOMPAGNIE de lui remettre un certificat de travail, des bulletins de paie pour la période allant de mai 2010 à août 2017 et l’attestation Pôle Emploi conformes, sous astreinte.

Par ses dernières conclusions déposées au greffe par voie électronique le 11 octobre 2018,la Société Europe 1 demande à la cour de confirmer le jugement et de débouter Mme X de l’ensemble de ses demandes.

Pour plus de précisions quant aux prétentions et moyens des parties, il convient de se reporter aux conclusions susvisées.

Par ordonnance de clôture du 9 mars 2021, le conseiller chargé de la mise en état a prononcé la fin de l’instruction et a renvoyé l’affaire à une audience le 10 mai 2021.

MOTIFS

Sur la requalification

Selon les dispositions de l’article L 1242-2 du code du travail, un contrat à durée déterminée ne peut être conclu que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire, et seulement dans des cas limitativement énumérés, parmi lesquels les emplois, définis par décret ou par convention ou accord de collectif étendu, pour lesquels il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois.

L’accord-cadre sur le travail à durée déterminée conclu le 18 mars 1999 et mis en oeuvre par la directive 1999/70/CE du Conseil du 28 juin 1999, qui a pour objet, en ses clauses 1 et 5, de prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats à durée déterminée successifs, impose de vérifier que le recours à de tels contrats est justifié par des raisons objectives qui s’entendent de l’existence d’éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi.

La Société Europe 1 fait valoir que l’utilisation des contrats à durée déterminée est autorisée par le droit communautaire ; qu’en l’espèce, l’élément concret relatif à l’activité en cause est l’accord du 29 novembre 2007 conclu par les partenaires sociaux de la radiodiffusion autorisant l’emploi, pour une durée de plus de 15 ans, de certaines catégories de salariés en CDDU parmi lesquels figurent les intervenant spécialisés, engagés dans l”exercice d’un métier non répertorié dans les métiers de la production et de la diffusion radiophonique pour apporter [leur] concours à la conception ou la mise en place d’une opération déterminée limitée dans le temps’ ; qu’un protocole d’accord signé en 2011 précise que les programmes radio sont par nature temporaire en raison de leur caractère évolutif et de la nécessité de les renouveler.

Elle ajoute que le recours aux CDDU est autorisé par le code du travail dans le secteur audiovisuel, que les fonctions d’intervenant spécialisé visent bien une tâche précise en l’espèce la réalisation d’une chronique astrologique, et temporaire puisqu’elle était liée à la saison radiophonique ; elle considère que le renouvellement régulier de l’émission d’astrologie ne peut suffire à justifier une requalification.

Toutefois, le fait que le CDDU soit autorisé dans le secteur de la radiodiffusion pour embaucher des intervenants spécialisés et qu’un accord ait été conclu en ce sens par les partenaires sociaux n’est pas un élément concret permettant d’établir le caractère par nature temporaire de l’emploi.

Mme X a été embauchée pour tenir la rubrique ‘horoscope du jour’, émission quotidienne qui existait depuis plusieurs dizaines d’années et qu’elle-même a présenté pendant sept années consécutives, sans interruption à l’exception de quelques semaines pendant l’été au cours des années 2014 et 2015 .

Si la chronique a été ainsi suspendue en raison de la période estivale, il s’agissait néanmoins d’une émission pérenne, tenue par la seule Mme X et le fait qu’il ait été mis fin à l’émission après toutes ces années et que la salariée n’ait pas été remplacée ne peut suffire à conférer à l’emploi un caractère temporaire.

Il convient en conséquence, d’infirmer le jugement et, de requalifier les contrats à durée déterminée d’usage en contrat à durée indéterminée ayant pris effet le 17 mai 2010.

Sur les conséquences de la requalification

La lettre de l’employeur du 9 juin ne peut être assimilée à une lettre de licenciement dès lors que la relation de travail s’est prolongée, non pas par l’exécution d’un préavis comme le prétend la société, mais par la signature d’un nouveau CDDU.

Elle a été rompue en raison de la survenance du terme du dernier contrat, le 27 août 2017 .

Si la Société Europe 1 était libre de ne pas renouveler la chronique astrologique, décision qui relève, comme elle le fait valoir, « de sa liberté d’expression », cela ne la dispensait pas d’observer la procédure de licenciement.

A défaut, celui-ci doit être déclaré sans cause réelle et sérieuse.

Mme X a droit à une indemnité compensatrice de préavis égale à deux mois de salaire, soit 5.200 euros et les congés payés afférents.

Elle a également droit à une indemnité conventionnelle de licenciement dont le montant, non contesté par la société, s’élève à 9.425 euros.

Compte tenu de l’ancienneté de Mme X, du montant de sa rémunération et des conséquences du licenciement à son égard, telles qu’elles résultent des pièces produites, il convient de lui allouer, en application des dispositions de l’article 1253-3 du code du travail applicables à la date de la rupture, une somme de 16.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice.

Sur l’indemnité de requalification

En vertu des dispositions de l’article 1245-2 du code du travail, le salarié a droit, en cas de requalification, à une indemnité qui ne peut être inférieure au dernier salaire mensuel perçu avant la saisine de la juridiction.

Mme X expose qu’elle a été privée des avantages de la convention collective et que l’allocation de fin de CDDU est inférieure à l’indemnité conventionnelle de licenciement.

Néanmoins, cette indemnité conventionnelle a été allouée à Mme X du fait de la requalification en sus de l’indemnité de fin de CDDU si bien qu’il n’y a pas lieu de fixer l’indemnité de requalification à une somme supérieure à un mois de salaire, soit 2.600 euros.

Sur le treizième mois

Mme X revendique l’application de l’accord d’entreprise du 29 septembre 2005 (article V.8) qui prévoit l’allocation d’un 13e mois pour tout salarié ayant un an de présence dans l’entreprise, y compris pour ceux dotés de contrats à durée déterminée.

La Société Europe 1 Télécompagnie réplique que cette convention exclut expressément les ‘collaborateurs artistiques du spectacle, (…) même si leur collaboration s’effectue au titre de plusieurs contrats à durée déterminée correspondant à tout ou partie de saisons radiophoniques’ comme c’était le cas de Mme X, que les salariés en CDDU relèvent du protocole d’accord du 6 avril 2011 qui ne prévoit pas de 13e mois et enfin qu’aux termes de ses contrats de travail, sa rémunération constituait une somme globale et forfaitaire incluant l’ensemble de ses droits conventionnels.

Toutefois, du fait de la requalification des CDDU en contrat à durée indéterminée, Mme X relevait de l’accord d’entreprise du 29 septembre 2005.

C’est sa rémunération mensuelle qui était fixée de façon globale et forfaitaire et non sa rémunération annuelle, si bien qu’elle a droit à un rappel de salaire au titre du 13emois dont le montant est contesté par la Société Europe 1 Télécompagnie sur le principe mais pas sur le montant.

La Société Europe 1 devra remettre à Mme X un certificat de travail, des bulletins de paie et une attestation Pole Emploi conformes, sans qu’il soit nécessaire d’ordonner une astreinte.

PAR CES MOTIFS

INFIRME le jugement et statuant à nouveau ;

REQUALIFIE les contrats à durée déterminée d’usage en contrat à durée indéterminée avec effet au 17 mai 2010 ;

DIT le licenciement de Mme X sans cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNE la Société Europe 1 Télécompagnie à payer à Mme Y X les sommes suivantes :

—  2.600 euros à titre d’indemnité de requalification ;

—  9.533 euros à titre de rappel de 13e mois ;

—  5.200 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis

—  520 euros au titre des congés payés afférents ;

—  9.425 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement ;

-16.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

—  3.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

ORDONNE à la Société Europe 1 Télécompagnie de remettre à Mme X un certificat de travail, des bulletins de paie et une attestation Pole Emploi conformes ;

DÉBOUTE les parties de leurs autres demandes ;

MET les dépens de première instance et d’appel à la charge de la Société Europe 1 Télécompagnie.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


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