LinkedIn publicité : le juge français compétent
LinkedIn publicité : le juge français compétent
Je soutiens LegalPlanet avec 5 ⭐

En dépit de la clause attributive de juridiction en faveur des Tribunaux de Dublin stipulée au contrat de diffusion d’annonces publicitaires de LinkedIn, le président du tribunal de commerce de Paris reste compétent pour statuer sur les mesures provisoires et conservatoires (sollicitées par Epoka), sur le fondement des articles 872 et 873 du code de procédure civile, mesures répondant aux conditions de l’article 35 du règlement européen.

Epoka c/ Linkedin  

En l’espèce, la société Epoka exerce une activité d’agence conseil en communication et a signé en 2011 avec la société Linkedin un contrat de prestations relatif à la publication d’annonces publicitaires et à la mise en place de campagnes de recrutement au profit de ses clients. Le dernier contrat applicable a été signé le 22 décembre 2020 entre la société Epoka et les sociétés Linkedin Corporation, […]. Le 21 septembre 2021, la société Linkedin a coupé l’accès à son service à certains clients de la société d’Epoka. Les différentes tentatives de règlements amiables s’étant soldées par un échec, la société Epoka a saisi les juridictions françaises.

Article 35 du règlement (UE) n°1215/2012

En application de l’article 35 du règlement (UE) n°1215/2012 du parlement européen et du conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, les mesures provisoires ou conservatoires prévues par la loi d’un État membre peuvent être demandées aux juridictions de cet État, même si les juridictions d’un autre État membre sont compétentes pour connaître du fond.

Les mesures provisoires ou conservatoires au sens de cet article s’entendent des mesures :

– destinées à maintenir une situation de fait ou de droit ;

– visant à sauvegarder des droits dont la reconnaissance est par ailleurs demandée au juge du fond ;

– prévues par le droit de l’Etat dont le juge est saisi ;

– démontrant un lien de rattachement réel entre leur objet et la compétence territoriale du juge saisi.

En l’espèce, il est constant que les stipulations contractuelles signées par les parties emportent une clause attributive de compétence au fond au profit des juridictions de Dublin, en Irlande.

Les parties s’opposent sur le fait de savoir si le président du tribunal de commerce de Paris est compétent pour prendre des mesures en référé, notamment eu égard à l’article 35 du règlement Bruxelles I bis précité autorisant une possible compétence du juge français pour les seules mesures provisoires ou conservatoires.

La société Epoka a entendu demander au juge des référés français d’ordonner aux intimées le rétablissement des accès Linkedin à ses clients, de cesser les coupures d’accès, de cesser les agissements illicites, notamment les actes de concurrence déloyale par dénigrement et les diffamations, de reprendre l’exécution normale du contrat.

Il n’était pas question pour la cour, s’agissant de la compétence, de se prononcer sur le fond du litige, mais d’examiner si les conditions de l’article 35 sont remplies, de sorte que les développements substantiels des parties sur le fond du référé importent peu.

Article 484 du code de procédure civile français

Il faut aussi rappeler que l’article 484 du code de procédure civile français définit l’ordonnance de référé comme une décision provisoire rendue dans les cas où la loi confère à un juge qui n’est pas saisi du principal le pouvoir d’ordonner immédiatement les mesures nécessaires, de sorte que les mesures prononcées par le juge des référés sont, par définition, des mesures provisoires.

En premier lieu, les mesures demandées auprès du juge français par la société Epoka visent notamment à demander la poursuite du contrat, en ce inclus le maintien des accès de ses clients, de sorte qu’il s’agit bien de solliciter une mesure destinée à maintenir une situation de droit, soit la poursuite des relations contractuelles, et une situation de fait, l’accès des clients à Linkedin ;

En second lieu, les mesures sont également destinées à sauvegarder les droits de la société Epoka dans l’attente de la décision des juridictions irlandaises, puisqu’Epoka expose à juste titre que la coupure des accès Linkedin à ses clients entraîne un risque de rupture des relations commerciales par ces derniers, ce qui s’est d’ailleurs traduit déjà par des menaces d’actions en justice de certaines sociétés (Hermès pièce 4, Extia, pièces 5 et 6) ;

Il ne s’agissait donc pas, sous couvert d’une mesure provisoire, d’une action au fond, alors que la société appelante se prévaut bien d’un dommage imminent et a saisi le juge des référés, juge du provisoire, dont les décisions n’auront en toute hypothèse pas autorité de chose jugée sur le fond du litige ressortant de la compétence des tribunaux irlandais ;

Peu importe, pour l’examen de la compétence, que les intimées puissent ou non se prévaloir d’un défaut de paiement, ce qui pourra être soulevé devant le juge français des référés si la cour retient sa compétence, juge français qui examinera alors le bien-fondé des mesures provisoires et le moyen des sociétés Linkedin tiré du défaut d’exécution ;

Il n’est pas nécessaire au demeurant d’avoir déjà saisi le juge du fond pour solliciter des mesures du juge des mesures provisoires ou conservatoires ;

En troisième lieu, les dispositions du droit français prévoient bien la possibilité, pour le président du tribunal de commerce, d’ordonner en référé les mesures en cause ;

L’article 872 du code de procédure civile dispose en effet que, dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend ;

Selon l’article 873 du même code, le président peut, dans les mêmes limites, et même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; que l’alinéa 2 précise que, dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire ;

Ces dispositions sont notamment de nature à permettre au juge des référés du tribunal de commerce d’ordonner le maintien de relations contractuelles, en cas de rupture illicite ou abusive d’un contrat, de faire cesser la diffusion de propos dénigrants, caractérisant des actes de concurrence déloyale, ou encore d’ordonner la suppression de propos diffamatoires au sens de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, de telles mesures pouvant ainsi être prononcées en cas de dommage imminent ou de trouble manifestement illicite ;

Le juge des référés français peut donc prendre de telles mesures, par nature provisoires et conservatoires, peu important dès lors les développements des parties sur le fond ;

En quatrième lieu, existe bien un lien de rattachement réel entre l’objet des mesures sollicitées et la compétence territoriale du juge français ; la société Epoka est en effet une société de droit français, avec des clients ayant leur établissement principal ou stable en France ; nonobstant la discussion sur la localisation des serveurs de la société Linkedin, l’exécution des mesures réclamées par Epoka, s’il y était fait droit, aurait lieu, même de manière partielle, sur le territoire français, ne serait-ce qu’en permettant à des clients français d’avoir à nouveau accès, à partir du territoire national, à leurs comptes Linkedin et donc de pouvoir à nouveau utiliser les services de la société appelante pour le recrutement de candidats français ;

Enfin, la seule circonstance que les serveurs de Linkedin soient situés hors du territoire français n’empêche ainsi pas de constater que les mesures sollicitées seront partiellement exécutées en France.

________________________________________________________________________________________

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 2

ARRET DU 31 MARS 2022

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/20763 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEXSG

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 16 Novembre 2021 -Tribunal de Commerce de PARIS – RG n° 2021043993

APPELANTE

S.A.S. EPOKA, agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[…]

[…]

Représentée par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111

Assistée de Maîtres Marc DUMON et Camille GAUTHIER, avocats au barreau de PARIS,

INTIMEES

Société LINKEDIN CORPORATION Société de droit américain, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège

1000 West Maude

Sunnydale,

CA […]

(ETATS-UNIS)

Société LINKEDIN IRELAND UNLIMITED COMPANY, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège

[…],

DO2R296

DUBLIN

(IRLANDE) Société LINKEDIN SINGAPORE PTE LTD, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège

[…]

[…]

SINGAPOUR

Représentées par Me Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0065

Assistées par Me Florentin SANSON, avocat au barreau des HAUTS-DE-SEINE

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 17 février 2022 en audience publique, devant Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et Thomas RONDEAU, Conseiller, conformément aux articles 804, 805 et 905 du CPC, les avocats ne s’y étant pas opposés.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre

Thomas RONDEAU, Conseiller

Michèle CHOPIN, Conseillère

Qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Thomas RONDEAU, Conseiller , dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

*****

EXPOSÉ DU LITIGE

La société Epoka exerce une activité d’agence conseil en communication et a signé en 2011 avec la société Linkedin un contrat de prestations relatif à la publication d’annonces publicitaires et à la mise en place de campagnes de recrutement au profit de ses clients.

Le dernier contrat applicable a été signé le 22 décembre 2020 entre la société Epoka et les sociétés Linkedin Corporation, […].

Le 21 septembre 2021, la société Linkedin a coupé l’accès à son service à certains clients de la société d’Epoka.

Les différentes tentatives de règlements amiables se sont soldées par un échec.

Le 22 septembre 2021, la société Epoka a mis en demeure Linkedin de rétablir l’accès à tous les clients d’Epoka ainsi que de cesser tout dénigrement et diffamation.

Par assignation délivrée d’heure à heure le 24 septembre 2021, la société Epoka a fait assigner les sociétés Linkedin Corporation, […] devant le président du tribunal de commerce de Paris statuant en référé aux fins notamment de leur ordonner, sous astreinte de 30.000 euros par jour de retard, de rétablir immédiatement les accès Linkedin des clients Epoka et de s’abstenir de couper d’autres accès de clients d’Epoka, de cesser tous agissements illicites et notamment tous actes de concurrence déloyale, y compris de dénigrement, et de toute diffamation au détriment d’Epoka, de reprendre l’exécution normale du contrat.

Par ordonnance contradictoire du 16 novembre 2021, le président du tribunal de commerce de Paris statuant en référé a :

– déclaré son incompétence au profit des tribunaux compétents de Dublin (Irlande) ;

– invité les parties à mieux se pourvoir ;

– condamné la société Epoka à payer in solidum à la société de droit américain Linkedin Corporation, la société de droit irlandais Linkedin Ireland Unlimited Company et la société de droit singapourien Linkedin Singapore Pte Ltd, la somme de 1.000 euros, au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– rejeté toutes demandes autres, plus amples ou contraires de Epoka ;

– condamné en outre la Société Epoka aux dépens de l’instance.

Le premier juge a notamment relevé que le contrat prévoit au fond la compétence des tribunaux de Dublin (Irlande), qu’il s’était déjà déclaré incompétent par ordonnance du 6 juillet 2021 au profit des juridictions dublinoises, que le règlement Bruxelles I bis ne peut ici trouver application, les mesures sollicitées ne constituant pas des mesures provisoires ou conservatoires au sens de son article 35.

Par acte du 1er décembre 2021, la société Epoka a relevé appel de cette décision en ce qu’elle a :

– déclaré son incompétence au profit des tribunaux compétents de Dublin (Irlande) ;

– invité les parties à mieux se pourvoir ;

– condamné la société Epoka à payer in solidum à la société de droit américain Linkedin Corporation, la société de droit irlandais Linkedin Ireland Unlimited Company et la société de droit singapourien Linkedin Singapore Pte Ltd, la somme de 1. 000 euros, au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– rejeté toutes demandes autres, plus amples ou contraires de la société Epoka ;

– condamné en outre la société Epoka aux dépens de l’instance ;

– s’agissant de l’appel d’une ordonnance statuant sur la compétence, les moyens invoqués au soutien de cet appel sont développés dans les conclusions et le bordereau de pièces annexés, jointes à la présente déclaration d’appel (article 85 du code de procédure civile) et dans la requête afin de jour fixe, enregistrée concomitamment, conformément aux dispositions de l’article 84 du code de procédure civile ;

– et plus généralement de toute disposition visée au dispositif faisant grief à l’appelant, selon les moyens qui seront développés dans les conclusions.

Par assignation délivrée à jour fixe les 27 et 28 décembre 2021, à laquelle il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens, la société Epoka demande à la cour, au visa de l’article 35 du règlement n°1215/2012 du parlement européen et du conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale et des articles 81, 81, 86, 700, 872 et 873 du code de procédure civile, de :

– la recevoir en son appel et la déclarer bien fondée ;

y faisant droit,

– infirmer l’ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de Paris le 16 novembre 2021en ce qu’elle :

*déclare son incompétence au profit des tribunaux compétents de Dublin (Irlande) ;

* la condamne à payer in solidum à la société de droit américain Linkedin Corporation, la société de droit irlandais Linkedin Ireland Unlimited Company et la société de droit singapourien Linkedin Singapore Pte Ltd, la somme de 1.000 euros, au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

* la condamne aux dépens de l’instance ;

et statuant à nouveau,

– renvoyer l’affaire pour y être jugée devant le président du tribunal de commerce de Paris ;

– condamner solidairement la société de droit américain Linkedin Corporation, la société de droit irlandais Linkedin Ireland Unlimited Company et la société de droit singapourien Linkedin Singapore Pte Ltd à lui régler la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– les condamner solidairement aux entiers dépens de l’instance dont distraction au profit de la SCP Grappotte Benetreau en application de l’article 699 du code de procédure civile.

La société Epoka soutient que :

– bien que le juge irlandais soit compétent pour juger du fond du litige entre les deux sociétés en raison d’une clause attributive de juridiction au profit des juridictions de Dublin, le juge français est compétent pour ordonner toutes les mesures provisoires sollicitées à l’encontre de la partie adverse au regard de l’article 35 du règlement Bruxelles 1 bis qui ne fait pas obstacle à ce qu’un autre juge soit compétent pour les mesures provisoires et conservatoires ;

– la jurisprudence de la CJUE pose quatre critères cumulatifs pour qu’un autre juge soit compétent en la matière :

les mesures provisoires et conservatoires doivent être destinées à maintenir une situation de• fait ou de droit ; en l’espèce elle sollicite la poursuite d’un contrat conclu le 22 décembre 2020, en ce que cela inclut le maintien des clients aux services contractuels ;

• les mesures provisoires et conservatoires doivent être destinées à sauvegarder des droits dont la reconnaissance est par ailleurs demandée au juge du fond ; en l’espèce, la société Linkedin l’a déjà dénigrée auprès de ses clients en indiquant à ces derniers que l’accès était coupé en raison de l’absence de règlement des factures par la société Epoka ; en retour, certains de ses clients ont mis en demeure la société Epoka et menacent de rompre la relation commerciale ;

• les mesures doivent être prévues par le droit de l’Etat dont le juge est saisi, ce qui a été considéré rempli par l’ordonnance du 16 novembre 2021 en ce qu’elle sollicite les mesures prévues par les articles 872 et 873 du code de procédure civile dont les conditions sont, en l’espèce, remplies ;

• il doit y avoir un lien de rattachement réel entre l’objet des mesures sollicitées et la compétence territoriale de l’Etat du juge saisi doit être caractérisé ; or, les mesures ont vocation à être mises en oeuvre en France ;

– lors de la procédure menant à l’ordonnance de référé distincte du 6 juillet 2021, le juge des référés a fait application d’un contrat dont le défendeur n’était pas partie et a statué sans être éclairé sur sa propre compétence puisque Linkedin France n’avait convenu d’aucune clause attributive de juridiction avec elle.

Dans leurs conclusions remises le 14 février 2022, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens, les sociétés Linkedin Corporation, […] demandent à la cour de :

– confirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance rendue le 16 novembre 2021 par le président du tribunal de commerce de Paris ;

y ajoutant,

– condamner la société Epoka à leur verser la somme de 8.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la présente instance ;

– la condamner aux entiers dépens de la présente instance.

Les sociétés Linkedin Corporation, […] soutiennent que :

– Epoka invoque de manière erronée le contrat de partenariat du 22 décembre 2020 ;

– les parties ont donné contractuellement compétence aux tribunaux de Dublin en Irlande ;

– Epoka a été de particulière mauvaise foi dans la relation contractuelle et dans son comportement procédural ;

– l’article 35 du règlement Bruxelles I bis a une portée extrêmement limitée :

• les mesures sollicitées ici ne sont pas destinées à maintenir une situation de fait ou de droit, mais visent à la poursuite d’un contrat dont l’exécution a été suspendue ;

• Epoka n’a toujours pas saisi les juridictions du fond et ne dispose au surplus d’aucun droit au maintien des services souscrits alors qu’elle ne règle pas ses factures ;

• les mesures sollicitées ne sont pas permises par les articles 872 et 873 du code de procédure civile ;

• les mesures réclamées ne sont pas destinées à être mises en oeuvre en France, aucune des sociétés Linkedin n’étant des sociétés de droit français, le site linkedin étant opéré en Europe par la société de droit irlandais Linkedin Ireland.

Une note en délibéré a été remise au greffe le 8 mars 2022 par les sociétés Linkedin. En réponse, par note en délibéré remise au greffe le 22 mars 2022, la société Epoka a demandé de déclarer la note en délibéré des intimées irrecevable comme n’ayant pas été autorisée par le président.

SUR CE LA COUR

A titre liminaire, en application de l’article 445 du code procédure civile, après la clôture des débats, les parties ne peuvent déposer aucune note à l’appui de leurs observations, si ce n’est en vue de répondre aux arguments développés par le ministère public, ou à la demande du président dans les cas prévus aux articles 442 et 444.

Faute d’avoir été autorisées par le président, les notes en délibérés seront déclarées irrecevables.

Il sera aussi rappelé que la cour est saisie dans le cadre d’un appel sur la compétence, aucune partie ne sollicitant, si la cour devait infirmer la décision entreprise, une évocation de l’affaire sur le fond du référé.

Sur ce,

En application de l’article 35 du règlement (UE) n°1215/2012 du parlement européen et du conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, les mesures provisoires ou conservatoires prévues par la loi d’un État membre peuvent être demandées aux juridictions de cet État, même si les juridictions d’un autre État membre sont compétentes pour connaître du fond.

Les mesures provisoires ou conservatoires au sens de cet article s’entendent des mesures :

– destinées à maintenir une situation de fait ou de droit ;

– visant à sauvegarder des droits dont la reconnaissance est par ailleurs demandée au juge du fond ;

– prévues par le droit de l’Etat dont le juge est saisi ;

– démontrant un lien de rattachement réel entre leur objet et la compétence territoriale du juge saisi.

En l’espèce, il est constant que les stipulations contractuelles signées par les parties emportent une clause attributive de compétence au fond au profit des juridictions de Dublin, en Irlande.

Les parties s’opposent sur le fait de savoir si le président du tribunal de commerce de Paris est compétent pour prendre des mesures en référé, notamment eu égard à l’article 35 du règlement Bruxelles I bis précité autorisant une possible compétence du juge français pour les seules mesures provisoires ou conservatoires.

Pour rappel, la société Epoka entend demander au juge des référés français d’ordonner aux intimées le rétablissement des accès Linkedin à ses clients, de cesser les coupures d’accès, de cesser les agissements illicites, notamment les actes de concurrence déloyale par dénigrement et les diffamations, de reprendre l’exécution normale du contrat.

Il n’est pas question ici pour la cour, s’agissant de la compétence, de se prononcer sur le fond du litige, mais d’examiner si les conditions de l’article 35 sont remplies, de sorte que les développements substantiels des parties sur le fond du référé importent peu.

Il faut aussi rappeler que l’article 484 du code de procédure civile français définit l’ordonnance de référé comme une décision provisoire rendue dans les cas où la loi confère à un juge qui n’est pas saisi du principal le pouvoir d’ordonner immédiatement les mesures nécessaires, de sorte que les mesures prononcées par le juge des référés sont, par définition, des mesures provisoires.

Il sera aussi relevé :

– qu’en premier lieu, les mesures demandées auprès du juge français par la société Epoka visent notamment à demander la poursuite du contrat, en ce inclus le maintien des accès de ses clients, de sorte qu’il s’agit bien de solliciter une mesure destinée à maintenir une situation de droit, soit la poursuite des relations contractuelles, et une situation de fait, l’accès des clients à Linkedin ;

– qu’en second lieu, les mesures sont également destinées à sauvegarder les droits de la société Epoka dans l’attente de la décision des juridictions irlandaises, puisqu’Epoka expose à juste titre que la coupure des accès Linkedin à ses clients entraîne un risque de rupture des relations commerciales par ces derniers, ce qui s’est d’ailleurs traduit déjà par des menaces d’actions en justice de certaines sociétés (Hermès pièce 4, Extia, pièces 5 et 6) ;

– que c’est en vain que les intimées exposent qu’il s’agirait, sous couvert d’une mesure provisoire, d’une action au fond, alors que la société appelante se prévaut bien d’un dommage imminent et a saisi le juge des référés, juge du provisoire, dont les décisions n’auront en toute hypothèse pas autorité de chose jugée sur le fond du litige ressortant de la compétence des tribunaux irlandais ;

– que peu importe, pour l’examen de la compétence, que les intimées puissent ou non se prévaloir d’un défaut de paiement, ce qui pourra être soulevé devant le juge français des référés si la cour retient sa compétence, juge français qui examinera alors le bien-fondé des mesures provisoires et le moyen des sociétés Linkedin tiré du défaut d’exécution ;

– qu’il n’est pas nécessaire au demeurant d’avoir déjà saisi le juge du fond pour solliciter des mesures du juge des mesures provisoires ou conservatoires ;

– qu’en troisième lieu, les dispositions du droit français prévoient bien la possibilité, pour le président du tribunal de commerce, d’ordonner en référé les mesures en cause ;

– que l’article 872 du code de procédure civile dispose en effet que, dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend ;

– que, selon l’article 873 du même code, le président peut, dans les mêmes limites, et même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; que l’alinéa 2 précise que, dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire ;

– que ces dispositions sont notamment de nature à permettre au juge des référés du tribunal de commerce d’ordonner le maintien de relations contractuelles, en cas de rupture illicite ou abusive d’un contrat, de faire cesser la diffusion de propos dénigrants, caractérisant des actes de concurrence déloyale, ou encore d’ordonner la suppression de propos diffamatoires au sens de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, de telles mesures pouvant ainsi être prononcées en cas de dommage imminent ou de trouble manifestement illicite ;

– que le juge des référés français peut donc prendre de telles mesures, par nature provisoires et conservatoires, peu important dès lors les développements des parties sur le fond ;

– qu’en quatrième lieu, existe bien un lien de rattachement réel entre l’objet des mesures sollicitées et la compétence territoriale du juge français ;

– que la société Epoka est en effet une société de droit français, avec des clients ayant leur établissement principal ou stable en France ;

– que, de plus, nonobstant la discussion sur la localisation des serveurs de la société Linkedin, l’exécution des mesures réclamées par Epoka, s’il y était fait droit, aurait lieu, même de manière partielle, sur le territoire français, ne serait-ce qu’en permettant à des clients français d’avoir à nouveau accès, à partir du territoire national, à leurs comptes Linkedin et donc de pouvoir à nouveau utiliser les services de la société appelante pour le recrutement de candidats français ;

– que la seule circonstance que les serveurs de Linkedin soient situés hors du territoire français n’empêche ainsi pas de constater que les mesures sollicitées seront partiellement exécutées en France ;

– qu’enfin, le fait que le président du tribunal de commerce se soit, dans une précédente ordonnance du 6 juillet 2021, déclaré incompétent au profit des tribunaux de Dublin est sans effet, les deux procédures étant distinctes, la décision du 6 juillet 2021 n’ayant pas autorité de chose jugée même au provisoire, n’opposant pas les mêmes parties (absence de Linkedin Ireland et de Linkedin Singapore), sans même évoquer l’évolution de la situation de fait (notamment discussions entre les parties en août et septembre 2021 et finalement coupure d’accès pour des clients d’Epoka en septembre 2021).

Au regard de l’ensemble de ces éléments, le président du tribunal de commerce de Paris est donc bien compétent pour statuer sur les mesures provisoires et conservatoires sollicitées par Epoka, sur le fondement des articles 872 et 873 du code de procédure civile, mesures répondant aux conditions de l’article 35 du règlement européen.

Aussi, la cour infirmera la décision entreprise et renverra celle-ci devant le président du tribunal de commerce de Paris statuant en référé dans les conditions indiquées au dispositif, conformément à l’article 86 du code de procédure civile, sans qu’il n’y ait lieu à évocation de l’affaire en application des dispositions de l’article 88 de ce même code, ce qui n’est d’ailleurs sollicité par aucune des parties.

Ce qui est jugé par la cour commande de ne pas faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et de dire que chacune des parties conservera la charge des dépens exposés dans le cadre de la présente procédure.

PAR CES MOTIFS

Déclare les notes en délibéré irrecevables ;

Infirme l’ordonnance entreprise ;

Statuant à nouveau,

Dit le président du tribunal de commerce de Paris en référé compétent pour statuer ;

Renvoie l’affaire devant le président du tribunal de commerce de Paris statuant en référé pour y être jugée et rappelle qu’en application de l’article 86 du code de procédure civile, lorsque le renvoi est fait à la juridiction qui avait été initialement saisie, l’instance se poursuit à la diligence du juge ;

Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Dit que chacune des parties conservera la charge de ses dépens.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE


Chat Icon