Associer le logo d’une entreprise à un article de presse traitant de pratiques illégales (uniquement pour illustrer l’article sans que l’entreprise ne soit concernée par ces pratiques) constitue un trouble manifestement illicite. La société dont le logo est cité subit ainsi une grave atteinte à sa réputation et l’indication « image d’illustration » est impuissante à éviter l’amalgame.
Dans cette affaire, la société RT France a été condamnée non seulement à supprimer l’adresse URL correspondant à la page internet qui contient l’article dénommé « Attestation illégales en pleine pandémie : comment des employeurs tentent de piéger leurs salariés ? » mais surtout à effectuer les démarches nécessaires auprès des éditeurs des sites internet identifiés dans les constats d’huissier ou à défaut de leurs hébergeurs et/ou de leur moteur de recherche, aux fins d’obtenir la suppression de la photographie de la grue de la société Cimeo construction en ce qu’elle est associée à l’article intitulé « Attestation illégales en pleine pandémie : comment des employeurs tentent de piéger leurs salariés ? ».
La photographie litigieuse avait été retirée le 2 avril 2020 de l’article publié sur le site internet de la société RT France et le 7 avril 2020 des comptes Twitter et Facebook de la société RT France, mais l’article, accompagné de son illustration initiale litigieuse, avait été auparavant copié par des internautes et reproduit sur leurs blogs ou comptes Twitter ; la société RT France a fait valoir sans succès qu’il appartenait aux sociétés demanderesses d’agir contre ces tiers qui avaient relayé l’article avec son illustration initiale litigieuse.
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R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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Cour de cassation
Première chambre civile
2 février 2022
Audience publique du 2 février 2022
Rejet non spécialement motivé
M. CHAUVIN, président
Décision n° 10120 F
Pourvoi n° Q 21-13.000
DÉCISION DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 2 FÉVRIER 2022
La société RT France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Q 21-13.000 contre l’arrêt rendu le 20 octobre 2020 par la cour d’appel de Rennes (1re chambre), dans le litige l’opposant :
1°/ à la société Cimeo construction, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 4],
2°/ à la société de Givray, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], et anciennement [Adresse 3],
défenderesses à la cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Chevalier, conseiller, les observations écrites de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société RT France, de la SCP Gaschignard, avocat des sociétés Cimeo construction, de Givray, après débats en l’audience publique du 7 décembre 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Chevalier, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu la présente décision.
1. Les moyens de cassation annexés, qui sont invoqués à l’encontre de la décision attaquée, ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
2. En application de l’article 1014, alinéa 1er, du code de procédure civile, il n’y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce pourvoi.
EN CONSÉQUENCE, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société RT France aux dépens ;
En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société RT France et la condamne à payer aux sociétés Cimeo construction et de Givray la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux février deux mille vingt-deux.
Le conseiller rapporteur le président
Le greffier de chambre
MOYENS ANNEXES à la présente décision
Moyens produits par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la société RT France
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société RT France fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR condamné la société RT France à supprimer l’adresse URL correspondant à la page internet qui contient l’article paru le 1er avril 2020 à 22h25 et dénommé « Attestation illégales en pleine pandémie : comment des employeurs tentent de piéger leurs salariés ? » et mise en ligne le 1er avril 2020 à 22h25 et d’AVOIR condamné la société RT France à effectuer les démarches nécessaires auprès des éditeurs des sites internet identifiés dans les constats d’huissier des 2 et 9 avril 2020, ou à défaut de leurs hébergeurs et/ou de leur moteur de recherche, aux fins d’obtenir la suppression de la photographie de la grue de la société Cimeo construction en ce qu’elle est associée à l’article intitulé « Attestation illégales en pleine pandémie : comment des employeurs tentent de piéger leurs salariés ? » mis en ligne par elle le 1er avril 2020 ;
1) ALORS QUE le juge des référés peut, dans tous les cas d’urgence, ordonner toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a retenu que les sociétés Cimeo construction et De Givray pouvaient demander à voir protéger leur droit à l’image et à leur réputation, dont l’existence n’est pas sérieusement contestable ; qu’en prononçant des mesures sur la base d’une absence de contestation sérieuse, mais sans relever d’urgence, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 872 du code de procédure civile.
2) ALORS QUE la société RT France faisait valoir dans ses conclusions d’appel (pages 19 et 20) qu’outre l’article 9 du code civil, invoqué à tort par les sociétés Cimeo construction et De Givray, il n’existait aucun fondement juridique permettant de limiter la liberté d’expression de la société RT France, qui autorise la publication d’images pour illustrer un débat d’intérêt général ; qu’en affirmant péremptoirement que les sociétés Cimeo construction et De Givray, bien qu’ayant inexactement et inutilement fait référence à l’article 9 du code civil, pouvaient demander à voir protéger leur droit à l’image et à leur réputation dont l’existence n’est pas sérieusement contestable, sans donner aucun fondement juridique à ce droit, la cour d’appel a violé les articles 12 et 872 du code de procédure civile.
3) ALORS QU’une personne morale étant une entité abstraite, elle ne dispose pas d’un droit à l’image ; qu’en affirmant le contraire, la cour d’appel a violé les articles 9 du code civil et 872 du code de procédure civile.
4) ALORS en tout état de cause QUE la conciliation entre d’une part le droit à la protection de l’image et de la réputation d’une personne et d’autre part la liberté d’expression et la liberté de la presse implique nécessairement l’existence d’une contestation sérieuse ; qu’en l’espèce, la société RT France faisait valoir dans ses conclusions d’appel (page 20) une contestation sérieuse tenant à la protection de sa liberté d’expression, qui autorise la publication d’images pour illustrer un débat d’intérêt général ; qu’en affirmant que les sociétés Cimeo construction et De Givray pouvaient demander à voir protéger leur droit à l’image et à leur réputation, dont l’existence n’est pas sérieusement contestable, sans tenir compte du droit concurrent à la liberté d’expression et à la liberté de la presse, dont la conciliation impliquait l’existence d’une contestation sérieuse, la cour d’appel a violé l’article 872 du code de procédure civile et l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
5) ALORS QUE la liberté d’expression et la liberté de la presse impliquent le libre choix des illustrations d’un débat général de phénomène de société, sous la seule réserve du respect de la dignité de la personne humaine ; que dans ce cadre, ne constitue pas un trouble manifestement illicite la simple publication, pour illustrer un article de presse sur un débat d’intérêt général portant sur des pratiques présentées comme illégales, d’une photographie mentionnant le nom d’une société non visée par cet article ; qu’en retenant le contraire, aux motifs que les sociétés concernées subissaient une grave atteinte à leur réputation et que l’indication « image d’illustration » était impuissante à éviter l’amalgame, la cour d’appel a violé l’article 873 du code de procédure civile et l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
6) ALORS QUE l’existence d’un trouble manifestement illicite doit s’apprécier au jour où le juge des référés de première instance statue ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a constaté dans son exposé des faits que la photographie litigieuse avait été retirée le 2 avril 2020 de l’article publié sur le site internet de la société RT France et le 7 avril 2020 des comptes Twitter et Facebook de la société RT France ; qu’en retenant néanmoins l’existence d’un trouble manifestement illicite persistant au jour de la saisine du juge des référés, quand il était pourtant constant qu’à la date de l’assignation du 8 avril 2020, et a fortiori à la date de l’ordonnance de référé entreprise du 14 avril 2020, la société RT France avait retiré la photographie litigieuse de son site internet et de ses comptes Twitter et Facebook, la cour d’appel a violé l’article 873 du code de procédure civile.
7) ALORS subsidiairement QUE ne peut pas être condamnée à prendre les mesures de cessation d’un trouble manifestement illicite une personne qui n’en a pas le pouvoir ou à qui le trouble n’est pas imputable ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a constaté dans son exposé des faits que la photographie litigieuse avait été retirée le 2 avril 2020 de l’article publié sur le site internet de la société RT France et le 7 avril 2020 des comptes Twitter et Facebook de la société RT France, mais que cependant l’article, accompagné de son illustration initiale litigieuse, avait été auparavant copié par des internautes et reproduit sur leurs blogs ou comptes Twitter ; que la société RT France faisait valoir qu’il appartenait aux sociétés demanderesses d’agir contre ces tiers qui avaient relayé l’article avec son illustration initiale litigieuse ; qu’en affirmant que le juge des référés pouvait imposer à la société RT France la charge d’effectuer elle-même auprès des tiers les démarches nécessaires pour mettre fin au trouble constaté, la cour d’appel a violé l’article 873 du code de procédure civile.
8) ALORS en tout état de cause QU’il appartient au juge saisi d’une prétendue atteinte au droit à l’image ou à la réputation de le mettre en balance avec le droit à la liberté d’expression et à la liberté de la presse ; que cette mise en balance doit être effectuée en considération, notamment, de la teneur de l’illustration litigieuse, sa contribution à un débat d’intérêt général, l’influence qu’elle peut avoir sur l’image ou la réputation de la personne concernée et la proportionnalité de la mesure demandée ; qu’en l’espèce, la société RT France faisait valoir dans ses conclusions d’appel (page 20) la protection de sa liberté d’expression, qui autorise la publication d’images pour illustrer un débat d’intérêt général et soutenait (page 22) que les demandes des sociétés Cimeo construction et De Givray visant à supprimer le lien URL et à faire retirer toutes les occurrences de la photographie litigieuse publiées par des tiers porteraient une atteinte excessive et disproportionnée à la liberté d’expression et au droit pour le public de recevoir des informations, au regard de l’absence de gravité excessive liée à l’identification éventuelle de la société Cimeo par la reproduction fortuite de son nom sur la grue photographiée et du dommage irréparable que la société RT France risquerait quant à elle de subir du fait de cette suppression ; que la cour d’appel a par ailleurs constaté que la photographie litigieuse avait été retirée le 2 avril 2020 de l’article publié sur le site internet de la société RT France et le 7 avril 2020 des comptes Twitter et Facebook de la société RT France, et que l’article accompagné de son illustration initiale litigieuse ne subsistait que sur des blogs et comptes Twitter de tiers qui l’avaient copié ; qu’en retenant néanmoins l’existence d’un trouble manifestement illicite à raison de l’atteinte subie par les sociétés Cimeo construction et De Givray, et en condamnant à ce titre la société RT France à supprimer l’adresse URL correspondant à la page internet qui contient l’article en cause et à effectuer des démarches auprès de tiers aux fins de suppression de la photographie de la grue de la société Cimeo construction en ce qu’elle est associée à l’article, aux motifs que la société RT France ne subissait pas d’atteinte disproportionnée à son droit à la liberté d’expression dès lors qu’elle avait pu rediffuser l’article sur une autre adresse URL et qu’elle n’avait eu aucune raison objective d’associer les sociétés intimées aux faits qu’elle dénonçait et n’avait pas eu la volonté de le faire, la cour d’appel a prononcé des mesures disproportionnées au regard des droits concurrents des parties et violé les articles 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 873 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION, subsidiaire
La société RT France fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR condamné la société RT France à effectuer les démarches nécessaires auprès des éditeurs des sites internet identifiés dans les constats d’huissier des 2 et 9 avril 2020, ou à défaut de leurs hébergeurs et/ou de leur moteur de recherche, aux fins d’obtenir la suppression de la photographie de la grue de la société Cimeo construction en ce qu’elle est associée à l’article intitulé « Attestation illégales en pleine pandémie : comment des employeurs tentent de piéger leurs salariés ? » mis en ligne par elle le 1er avril 2020 ;
1) ALORS QUE le juge est tenu de respecter l’objet du litige tel qu’il ressort des prétentions des parties ; qu’en l’espèce, les sociétés Cimeo construction et De Givray demandaient, dans leurs conclusions d’appel, de confirmer l’ordonnance de référé du 14 avril 2020 et de constater que les demandes de la société RT France étaient sans objet ; qu’en prononçant à l’encontre de la société RT France une nouvelle condamnation « à effectuer les démarches nécessaires auprès des éditeurs des sites internet identifiés dans les constats d’huissier des 2 et 9 avril 2020, ou à défaut de leurs hébergeurs et/ou de leur moteur de recherche, aux fins d’obtenir la suppression de la photographie de la grue de la société Cimeo construction en ce qu’elle est associée à l’article intitulé « Attestation illégales en pleine pandémie : comment des employeurs tentent de piéger leurs salariés ? » mis en ligne par elle le 1er avril 2020 », qui ne lui était pas demandée, la cour d’appel a violé l’article 4 du code de procédure civile.
2) ALORS QUE le juge des référés ne peut prescrire des mesures que pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; que la cour d’appel statuant en référé ne peut pas ordonner de nouvelles mesures lorsqu’elle constate que le trouble n’existe plus au moment où elle statue ; qu’en l’espèce, en condamnant la société RT France à « effectuer les démarches nécessaires auprès des éditeurs des sites internet identifiés dans les constats d’huissier des 2 et 9 avril 2020, ou à défaut de leurs hébergeurs et/ou de leur moteur de recherche, aux fins d’obtenir la suppression de la photographie de la grue de la société Cimeo construction en ce qu’elle est associée à l’article intitulé « Attestation illégales en pleine pandémie : comment des employeurs tentent de piéger leurs salariés ? » mis en ligne par elle le 1er avril 2020 », quand elle constatait dans le même temps que le trouble invoqué n’existait plus, la cour d’appel a violé les articles 872 et 873 du code de procédure civile.
Le greffier de chambre