Publicité comparative illicite : impact

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Publicité comparative illicite : impact

Soutenant que la publicité publiée par la Sas Pacific Mobile Télécom, exerçant à l’enseigne Vodafone, visant à comparer le prix de certains de ses forfaits avec ceux de la Sas Onati, exploitant le réseau Vini, était illicite comme trompeuse et mensongère, cette dernière a été autorisée, par ordonnance du 18 février 2020, à faire assigner en référé la Sas Pacific mobile Télécom pour l’audience du 24 février 2020.

La circonstance selon laquelle les affiches litigieuses auraient été retirées par la société Pacific Mobile Télécom avant même le prononcé de l’ordonnance entreprise est indifférente à la solution du litige, dès lors que les frais irrépétibles résultent nécessairement de la procédure judiciaire qui a été conduite, nonobstant la régularisation en cours d’instance de la situation critiquée. Au surplus, compte tenu du caractère limité de l’appel, il n’appartient pas à la juridiction de statuer sur la régularisation alléguée.

Par ailleurs, si en application de l’article 407 précité, le juge dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour arbitrer le montant des frais irrépétibles, il doit néanmoins tenir compte des circonstances factuelles accréditant la pertinence des sommes demandées, de l’équité ainsi que de la situation économique respective des parties.

En l’espèce, au regard de l’urgence induite par la procédure de référé d’heure à heure, ainsi que de la complexité technique du contentieux de la concurrence déloyale et de la publicité mensongère, il n’est pas contestable que la Sas Onati a été contrainte d’engager des frais spécialement élevés. D’ailleurs, la copie de sa requête initiale de 24 pages atteste de l’importance du travail fourni.

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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PAPEETE

Chambre Civile

Audience du 22 avril 2021

Décision déférée à la Cour : ordonnance n° 67 RG n° 200054 du Juge des Référés du Tribunal de Première Instance de Papeete du 9 mars 2020 ;

Sur appel formé par requête déposée et enregistrée au greffe de la Cour d’appel le 18 mars 2020 ;

Appelante :

La Société Pacific Mobile Télécom, excerçant sous l’enseigne Vodafone, immatriculée au Rcs de Papeete sous le n° 09 74 B et […] dont le siège social est sis […], […], prise en la personne de son représentant légal ;

Ayant pour avocat la Selarl Jurispol, représentée par Me François QUINQUIS, avocat au barreau de Papeete ;

Intimée :

La Sas Onati, immatriculée au Rcs de Papeete sous le n° 18 359 B dont le siège social est sis Rond-Point de la Base Marine à Fare Ute, […], prise en la personne de son représentant légal ;

Ayant pour avocat la Selarl Fenuavocats, représentée par Me Christophe ROUSSEAU-WIART, avocat au barreau de Papeete ;

Ordonnance de clôture du 1er février 2021 ;

Composition de la Cour :

La cause a été débattue et plaidée en audience publique du 25 mars 2021, devant M. C, conseiller faisant fonction de président, Mme X et Mme Y, magistrat honoraire de l’ordre judiciaire aux fins d’exercer à la cour d’appel de Papeete en qualité d’assesseur dans une formation collégiale, qui ont délibéré conformément à la loi ;

Greffier lors des débats : Mme Z-A ;

Arrêt contradictoire ;

Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 264 du code de procédure civile de Polynésie française ;

Signé par M. C, président et par Mme Z-A, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A R R E T,

Rappel des faits et de la procédure :

Soutenant que la publicité publiée par la Sas Pacific Mobile Télécom, exerçant à l’enseigne Vodafone, visant à comparer le prix de certains de ses forfaits avec ceux de la Sas Onati, exploitant le réseau Vini, était illicite comme trompeuse et mensongère, cette dernière a été autorisée, par ordonnance du 18 février 2020, à faire assigner en référé la Sas Pacific mobile Télécom pour l’audience du 24 février 2020.

Par ordonnance du 9 mars 2020, à laquelle la cour se réfère expressément pour un plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, le juge des référés du tribunal de première instance de Papeete a :

— dit que la publicité comparative entre Vini et Vodafone, ayant fait l’objet d’un constat d’huissier du 14 février 2020, comparant le montant du coût de 8 heures de communication vers des mobiles à l’international, est illicite et a causé un préjudice à Vini ;

— ordonné son retrait sous astreinte de 50’000 francs CFP par infraction et par jour de retard à compter du lendemain du prononcé de l’ordonnance ;

— rejeté les demandes de publicité et de séquestre de la Sas Onati ;

— rejeté la demande d’injonction formulée par la Sas Pacific Mobile Télécom ;

— rejeté le surplus des prétentions des parties ;

— rappelé que l’ordonnance était exécutoire par provision ;

— et condamné la Sas Pacific Mobile Télécom à verser à la Sas Onati la somme de 3’600’000 francs CFP au titre des frais irrépétibles, ainsi qu’aux dépens.

Suivant requête enregistrée au greffe le 18 mars 2020, la Sas Pacific Mobile Télécom a relevé appel de cette décision. Aux termes de ses conclusions récapitulatives reçues par RPVA au greffe le 27 novembre 2020, elle demande à la cour de :

— constater qu’à la date à laquelle le premier juge a statué, les affiches litigieuses avaient été retirées par ses soins ;

— dire par conséquent que l’action en référé n’avait plus d’objet à cette date ;

— lui décerner acte de ce que, si elle conteste la déclaration d’illicéité de la décision, elle entend limiter son appel à la seule indemnité pour frais irrépétibles fixée par le premier juge à la somme de 3’600’000 francs CFP ;

— si, par extraordinaire, le principe de cette indemnité devait être maintenu, ramener son montant à de plus justes proportions ;

— et dire et juger les dépens à charge de chacune des parties à hauteur de moitié.

En réplique, suivant conclusions récapitulatives reçues par RPVA au greffe le 13 août 2020, la Sas Onati demande à la cour de confirmer l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 1er février 2021, fixant l’affaire à l’audience civile de la cour du 25 février 2021, date à laquelle l’examen de l’affaire a été renvoyé à l’audience du 25 mars 2021.

À l’issue de celle-ci, les parties ont été informées que la décision, mise en délibéré, serait prononcée le 22 avril 2021, par mise à disposition au greffe.

Motifs de la décision :

Sur le chef critiqué :

La Sas Pacific Mobile Télécom a cantonné son appel au montant de l’indemnité allouée au titre des frais irrépétibles, en indiquant qu’elle avait procédé au retrait des affiches publicitaires litigieuses avant même le prononcé de l’ordonnance déférée.

Au soutien de sa demande, elle indique que, ni la complexité du dossier, ni ses enjeux ne pouvaient justifier le montant astronomique des frais irrépétibles alloués à la Sas Onati, soit la somme de 3’600’000 francs CFP. Elle rappelle également que, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui lui est reconnu, le juge doit tenir compte de la disparité de la situation économique respective des parties. Or, elle représente une entité économique relativement modeste au regard de l’opérateur historique qu’est la société Onati, venant aux droits de la société Vini, filiale à 100 % de l’OPT. Enfin, elle soutient qu’elle ne saurait être pénalisée, ni par le fait que pour un dossier très simple, la société Onati, du fait de sa puissance économique, a été en mesure de faire appel à un cabinet d’avocats parisien spécialisé en droit des Télécoms et des nouvelles technologies, ni par le fait que ce cabinet ait été dépourvu de tout esprit de synthèse.

En réplique, la Sas Onati considère que le premier juge a bien tenu compte de la situation économique respective des parties, mais également de l’équité ainsi que du travail important fourni par ses conseils. En effet, il s’agissait d’une procédure de référé d’heure à heure, dont la requête introductive d’instance de 24 pages a mobilisé, tant le cabinet d’avocat parisien spécialisé ‘Magenta’, que le cabinet d’avocats polynésien ainsi que le personnel de sa société.

Aux termes de l’article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française : «En toutes matières, civile, commerciale ou sociale, lorsqu’il paraît inéquitable de laisser à la charge d’une partie les sommes exposées par elle et non comprise dans les dépens, le juge peut condamner l’autre partie à lui payer le montant qu’il détermine».

À titre liminaire, la cour observe que la circonstance selon laquelle les affiches litigieuses auraient été retirées par la société Pacific Mobile Télécom avant même le prononcé de l’ordonnance entreprise est indifférente à la solution du litige, dès lors que les frais irrépétibles résultent nécessairement de la procédure judiciaire qui a été conduite, nonobstant la régularisation en cours d’instance de la situation critiquée. Au surplus, compte tenu du caractère limité de l’appel, il n’appartient pas à la cour de statuer sur la régularisation alléguée.

Par ailleurs, si en application de l’article 407 précité, le juge dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour arbitrer le montant des frais irrépétibles, il doit néanmoins tenir compte des circonstances factuelles accréditant la pertinence des sommes demandées, de l’équité ainsi que de la situation économique respective des parties.

En l’espèce, au regard de l’urgence induite par la procédure de référé d’heure à heure, ainsi que de la complexité technique du contentieux de la concurrence déloyale et de la publicité mensongère, il n’est pas contestable que la Sas Onati a été contrainte d’engager des frais spécialement élevés. D’ailleurs, la copie de sa requête initiale de 24 pages atteste de l’importance du travail fourni.

Cependant, il est regrettable qu’en cause d’appel et au regard du caractère atypique de l’indemnité allouée par le premier juge au titre des frais irrépétibles, la Sas Onati n’ait pas jugé nécessaire de justifier des honoraires d’avocat réellement engagés. Par ailleurs, il est constant que les parties ne présentent pas la même surface financière. Enfin, il doit être tenu compte du risque économique induit, fût-ce au travers d’actions judiciaires, par la guerre commerciale que se livrent les opérateurs téléphoniques locaux et dont eux seuls doivent assumer la charge. La cour observe enfin que, lors des procédures de référé antérieures ayant opposé les mêmes parties, le juge avait alloué au titre de ces frais irrépétibles respectivement les sommes de 300’000 francs CFP (ordonnance du 7 décembre 2015) et de 500’000 francs CFP (ordonnance du 29 octobre 2018).

Au regard de ces éléments, la décision du premier juge sera infirmée sur le chef de demande frappé d’appel et l’indemnité allouée au titre de l’article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française sera ramenée à la somme de 800’000 francs CFP.

Sur les dépens :

En application de l’article 406 du code de procédure civile de la Polynésie française, chaque partie ayant partiellement succombé en ses demandes, chacune conservera la charge de ses propres dépens.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant par mise à disposition, publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort ;

Constate que l’appel formé par la Sas Pacific Mobile Télécom, exerçant à l’enseigne Vodafone, porte exclusivement sur l’indemnité allouée par l’ordonnance critiquée à la Sas Onati, exploitant le réseau Vini, au titre des frais irrépétibles ;

Infirme l’ordonnance entreprise sur le chef critiqué ;

Statuant à nouveau sur ce point :

Condamne la Sas Pacific Mobile Télécom à verser à la Sas Onati la somme de 800’000 francs CFP au titre des frais irrépétibles ;

Y ajoutant :

Dit que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens.

Prononcé à Papeete, le 22 avril 2021.

Le Greffier, Le Président


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