Cap Corse : l’appellation d’origine écartée
Cap Corse : l’appellation d’origine écartée
Ce point juridique est utile ?

Le CAP CORSE qui est un apéritif, mélange de vin, de quinquina, de plantes aromatiques et d’agrumes, ne constitue pas une appellation d’origine.

Conditions de la marque trompeuse

Toutefois, une marque mettant en valeur l’élément verbal « CAP CORSE » au côté d’une tête de maure, symbole du drapeau corse, conduit clairement le consommateur à penser que le produit commercialisé sous cette marque provient de Corse.  S’il ne l’est pas, au regard de l’article 3 de la loi n°64-1360 du 31 décembre 1964 (aujourd’hui abrogée mais applicable à la marque en cause déposée le 23 février 1979), la marque présente un caractère trompeur la rendant nulle, dès lors que ni le raisin, ni le vin utilisés ne proviennent de Corse et que l’apéritif commercialisé sous cette marque est produit sur le continent.

Éléments figuratifs trompeurs

La juridiction a considéré comme fautive l’adjonction, au côté de l’élément verbal CAP CORSE, d’éléments figuratifs de nature à conduire le consommateur à croire que le produit qui en est revêtu lui garantit une fabrication en un lieu et/ou selon des méthodes ou composants déterminés. En l’occurrence, la présence d’une tête de maure, de profil et ceinte d’un bandeau blanc, sera aisément reconnaissable par le consommateur d’attention moyenne comme symbolisant l’identité insulaire, ce même emblème ayant du reste été adopté par la région de Corse pour son drapeau; ce qui, renforcé par la mention adjacente CAP CORSE, tendra naturellement à signifier, dans l’esprit de ce même consommateur, la provenance corse du produit qui en est revêtu.

Néanmoins, s’agissant d’un motif absolu de nullité, lequel s’apprécie au jour du dépôt, le caractère déceptif d’une marque pour caractère trompeur doit s’apprécier en considération de la marque en elle-même, indépendamment du contexte et de l’usage qui en est fait.

Or, si la marque litigieuse est ainsi susceptible de se révéler trompeuse si l’« apéritif à base de vin et de quinquina » pour lequel elle est enregistrée en classe 33 ne provient pas effectivement de Corse, un tel caractère trompeur sera évidemment fonction de l’usage qui en est fait en pratique, de sorte que cette marque n’est pas nulle per se.

Déchéance de la marque trompeuse

L’article L. 714-6 du code de la propriété intellectuelle dispose que « Encourt la déchéance de ses droits le titulaire d’une marque devenue de son fait : a) La désignation usuelle dans le commerce du produit ou du service; b) Propre à induire en erreur, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service ».

Certes, la provenance, entendue comme production en un lieu déterminé, en l’espèce la Corse, ne sous-entend pas nécessairement, que cette production est opérée selon des méthodes ou avec des ingrédients exclusivement d’origine corse. Cela est d’autant moins vrai que le caractère générique de la dénomination CAP CORSE indique seulement un mélange de vin, d’herbes aromatiques et de quinquina, ingrédient d’origine sud-américaine. Toutefois, l’absence de toute distillation sur le continent rend la marque trompeuse.

Pratiques commerciales trompeuses

A aussi été jugé trompeur, l’emploi de locutions telles que « plébiscité dans l’ile de beauté », présenterait « un goût assurément corse », un «air de Corse » ou «des senteurs du maquis nous transportant sur l’ile de beauté », ce qui est indéniablement de nature à renforcer encore la présentation de nature à induire en erreur sur l’origine des produits.

Les pratiques commerciales trompeuses, sont en conséquence constituées, étant relevé qu’il n’est pas requis la preuve que le risque d’erreur du consommateur se soit matérialisé et qu’un consommateur a effectivement été trompé, mais seulement que la pratique critiquée est propre à produire cet effet (« susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique »).

Preuve du quantum de la réparation

De telles pratiques commerciales déloyales ouvrent droit à réparation pour le concurrent qui en subit nécessairement un préjudice, si ce n’est économique effectif du fait de la distorsion de concurrence qu’elles induisent, à tout le moins moral. Toutefois, s’il s’infère nécessairement un préjudice de l’acte déloyal, cette présomption ne dispense pas le concurrent s’estimant lésé d’en démontrer la réalité et le quantum.

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS

3ème chambre 2ème section

JUGEMENT rendu le 21 Janvier 2022

N° RG 20/00412 – NO Portalis 352J-W-B7E-CROC 7

N° MINUTE :

Assignation du : 08 Janvier 2020

DEMANDERESSE

S.A. LA P […] représentée par Maître I J, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #L0084

DÉFENDERESSES

S.NS. O 1986 rue de la vallée verte

[…] représentée par Maître Emmanuelle HOFFMAN ATTIAS de la SELARL HOFFMAN, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #C0610

et par Maître Stéphanie DEIRMENDJIAN, avocat au barreau de MARSEILLE, avocat plaidant,

S.NS. Y Z Rue du Château 21190 CHASSAGNE-MONTRACHET représentée par Maître Sonia-E F de la SELARL F AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #A0035 et par Maître Karine ETIENNE, avocat au barreau de LYON, avocat plaidant,

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Catherine OSTENGO, Vice-présidente Elise MELLIER, Juge Alix FLEURIET, Juge

assisté de Quentin CURABET, Greffier

DÉBATS

A l’audience du 25 novembre 2021 tenue en audience publique devant Catherine OSTENGO et Elise MELLIER, juges rapporteurs, qui sans opposition des avocats ont tenu seules l’audience, et après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du code de procédure civile.

Avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 21 janvier 2022.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe Contradictoire en premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

Le CAP CORSE est un apéritif, mélange de vin, de quinquina, de plantes aromatiques et d’agrumes.

La société LA P expose fabriquer et commercialiser, en France et à l’étranger, cet apéritif sous le nom « CAP CORSE D », pour lequel elle est titulaire des marques verbales suivantes, toutes couvrant notamment des boissons alcoolisées (à l’exception des bières) : une marque internationale désignant l’Union européenne « CAP D », déposée le 20 janvier 2017 sous le n° 1341964, une marque française Mattei , déposée le 9 mai 2018 sous le n° 4452144 et enregistrée le 31 août 2018,

– une marque internationale désignant l’Union européenne « D», déposée le 2 septembre 2019 sous le n° 1495785,

– une marque française « L.N. D », déposée le 9 mai 2018 sous le n° 4452137 et enregistrée le 31 août 2018.

La société Y Z se présente comme une entreprise familiale créée en 2011 et qui, depuis près de 10 ans, élabore, distille et commercialise une large gamme de boissons alcoolisées type apéritifs et spiritueux se voulant le reflet des différents territoires qui les ont vus naître, parmi lesquels un apéritif CAP CORSE distribué sous les marques françaises suivantes, qu’elle a acquises selon contrat du 25 septembre 2018 auprès de la société O 1986 :

une marque semi-figurative « L N CAP CORSE » enregistrée le 23 février 1979 sous le n° 1513007 pour des apéritifs à base de vin et de quinquina, en classe 33 :

AUGESTE MATTE!

CAP CORSE

– une marque verbale « CAP D » enregistrée le 7 juin 1994 sous le n° 94524646 pour des apéritifs, en classe 33.

Par courrier du 9 octobre 2019, la société LA P a demandé à la société Y Z de lui communiquer les preuves d’usage des deux marques précitées, avant de la A assigner, par acte du 8 janvier 2020 devant ce tribunal, en déchéance pour défaut d’exploitation de ces deux marques, subsidiairement en nullité desdites marques pour usage trompeur, ainsi qu’en contrefaçon de ses marques Mattei , « L.N. D » et « CAP D » par l’usage du signe « L N » pour commercialiser du whisky et en pratiques commerciales trompeuses.

La société Y Z a alors appelé en garantie, par acte du 11 juin 2020, la société O 1986 et les deux instances ont été jointes.

***

Aux termes de ses conclusions récapitulatives signifiées par voie électronique le 31 mars 2021, la société LA P demande au tribunal de :

– DÉCLARER la société LA P recevable et bien-fondée en ses demandes ;

– DÉBOUTER la société Y Z de ses demandes reconventionnelles ;

1 Sur la contrefaçon des marques de LA P et les pratiques commerciales trompeuses de Y Z

– CONDAMNER la société Y Z pour actes de contrefaçon des marques françaises n° 4452144 et 4452137 ainsi que des enregistrements internationaux désignant l’Union européenne n° 1495785 et 1341964 en commercialisant des whiskys sous le signe L N;

– A B à la société Y Z de fabriquer, d’importer, de détenir, d’offrir en vente et de vendre toute boisson alcoolisée sous le nom L N directement ou indirectement par toute personne physique ou morale interposée, et ce sur l’ensemble de l’Union européenne, sous astreinte de 300 euros par infraction constatée à compter d’un délai de 15 jours de la signification du jugement à intervenir ;

– ORDONNER à la société Y Z conformément à l’article L. 716-4-9 du code de la propriété intellectuelle, et sous astreinte de 250 euros par jour de retard, de produire tous documents depuis temps non prescrit, portant sur : Les noms et adresses des producteurs, fabricants, distributeurs, fournisseurs et autres détenteurs antérieurs des produits contrefaisants, ainsi que des réseaux de distribution et des détaillants ; Les quantités produites, commercialisées, livrées, reçues ou commandées, ainsi que sur le prix obtenu pour les produits contrefaisants, et ce sur l’ensemble de l’Union européenne ;

– SE RÉSERVER la liquidation des astreintes ;

– ORDONNER à la société Y Z le rappel des circuits commerciaux des whiskys « L N »;

– CONDAMNER la société Y Z à payer à la société LA P la somme globale de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral du fait des actes de contrefaçon ;

– CONDAMNER la société Y Z pour pratique commerciale trompeuse en raison de la mention « Casa Fundata in 1917 » sur les étiquettes de son whisky L N;

2 – Sur nullité et/ou la déchéance de la marque française n° 1513007

– ANNULER la marque française n° 1513007 pour caractère trompeur en application de l’article 3 de la loi n° 64-1360 du 31 décembre 1964;

Subsidiairement, PRONONCER la déchéance de la marque française n° 1513007 pour caractère trompeur en application de l’article L. 714-6 du code de la propriété intellectuelle ;

Très subsidiairement, PRONONCER la déchéance de la marque française n° 1513007 pour non-exploitation en application de l’article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle à compter du 11 octobre 2014;

3 Sur la déchéance de la marque française CAP D n° 94524646

– PRONONCER la déchéance de la marque française CAP D n° 94524646 pour caractère trompeur en application de l’article L. 714 6 du code de la propriété intellectuelle ;

Subsidiairement, PRONONCER la déchéance de la marque française CAP D n° 94524646 pour non-exploitation en application de l’article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle à compter du 11 octobre 2014 ;

– CONDAMNER la société Y Z pour pratiques commerciales trompeuses pour avoir commercialisé des bouteilles induisant le consommateur en erreur sur la provenance du produit ;

– CONDAMNER la société Y Z à payer à la société LA P, à titre de provision, la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts pour les pratiques commerciales trompeuses ;

EN TOUT ÉTAT DE CAUSE, ORDONNER la publication d’un extrait du jugement à intervenir, dans cinq journaux ou revues au choix de la société LA P et aux frais avancés de la société Y Z, le coût de chaque publication étant fixé à la somme de 5 000 euros HT ;

– ORDONNER la publication du jugement à intervenir, de manière visible et sur la page d’accueil du site édité par la société Y Z, https://terroirsdistillers.com/, pendant une durée de trois mois à compter d’un délai de 15 jours de la signification du jugement à intervenir ;

En conséquence,

– A B à la société Y Z de fabriquer, d’importer, de détenir, d’offrir en vente et de vendre toute boisson avec comme mention CAP CORSE ou CAP (avec ou sans D) lorsque la boisson n’est pas fabriquée en Corse à partir de vin ou de raisin corse, sous astreinte de 300 euros par infraction constatée à compter d’un délai de 15 jours de la signification du jugement à intervenir ;

– SE RÉSERVER la liquidation des astreintes ; ORDONNER à la société Y Z le rappel des circuits commerciaux des bouteilles constituant des pratiques commerciales trompeuses ;

POUR LE SURPLUS, Débouter les demandes en nullité de la société Y Z en nullité des marques françaises n° 4452144 et 4452137 ainsi que des enregistrements internationaux désignant l’Union européenne n° 1495785 et 1341964 ;

– Débouter la société Y Z de sa demande en procédure abusive ;

– Condamner la société Y Z à payer à la société LA P la somme de 15 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamner la société Y Z à tous les dépens de l’instance, dont distraction au profit de Maître I J.

Aux termes de ses conclusions récapitulatives n° 2 signifiées par voie électronique le 3 juin 2021, la société Y Z demande au tribunal de :

Vu les articles L. 713-2, L. 711-3, L. 714-6, L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle,

Vu l’article 3 de la loi n° 64-1360 du 31 décembre 1964,

Vu les articles L. 121-1 et L. 121-2 du code de la consommation,

Vu les articles 32-1, 331 du code de procédure civile,

Vu les articles 699 et 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTER la société LA P de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions;

DÉBOUTER la société LA P de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

Sur la contrefaçon,

– CONSTATER l’usage antérieur, remontant à 2015, par O 1986 puis Y Z du signe L N pour commercialiser du whisky en France ; DIRE ET JUGER que la demande en contrefaçon des marques Mattei  n° 4452144, Mattei  n° 95785, « L.N. D » n° 4452137 et « CAP D » n° 1341964 est irrecevable et mal fondée ;

– DIRE ET JUGER que le signe L N ne reproduit pas les marques Mattei  n° 4452144, Mattei  n° 95785, « L.N. D » n° 4452137 et « CAP D » n° 1341964, que les produits visés ne sont pas identiques ni similaires, et que la création d’un risque de confusion n’est pas établie ;

– REJETER la demande en contrefaçon de marques comme mal fondée ;

– DÉBOUTER la société LA P de sa demande au titre du droit à l’information, à tout le moins jusqu’au 25 septembre 2018, date de la cession des marques et signes au profit de la société Y Z;

– CONSTATER que la société LA P ne rapporte pas la preuve des préjudices matériel et/ou moral allégués et la débouter de sa demande d’indemnisation de quelque chef que ce soit ;

Subsidiairement, DIRE ET JUGER nulles les marques françaises et internationales désignant l’Union européenne « MATTE » n° 4452144 et 1495785, « CAP MATTE » n° 1341964, « L.N. D » n° 4450237 et « CAP CORSE D » n° 4501272 comme portant atteinte aux droits antérieurs détenus par Y Z sur le nom L N ;

– ORDONNER la transcription de la décision auprès de l’INP1 ;

Sur la nullité et la déchéance,

– DIRE ET JUGER que la marque n° 1513007, déposée le 23 février 1979, ne présente pas de caractère trompeur et est valable ; DIRE ET JUGER que ladite marque n’est pas devenue trompeuse postérieurement à son dépôt et est parfaitement valable ; DÉBOUTER LA P de sa demande en nullité et/ou déchéance pour caractère trompeur de la marque n° 1513007;

– DIRE ET JUGER que l’exploitation de la marque n° 1513007 sous une forme modifiée n’en altère pas le caractère distinctif;

– DIRE ET JUGER que les preuves d’usage communiquées démontrent l’usage sérieux et régulier de la marque n° 1513007 au cours des cinq dernières années précédant la demande en déchéance ; DÉBOUTER LA P de sa demande en déchéance de marque pour défaut d’exploitation ;

– DIRE ET JUGER que la marque « CAP D » n° 945224646, déposée le 7 juin 1994, n’est pas devenue trompeuse postérieurement à son dépôt et est parfaitement valable ; DÉBOUTER la société LA P de sa demande en déchéance de ladite marque pour caractère trompeur ; CONSTATER que les preuves d’usage communiquées établissent

l’usage régulier et sérieux de la marque « CAP D » n° 945224646 au cours des cinq dernières années précédant la demande en déchéance ; DÉBOUTER la société LA P de sa demande en déchéance de ladite marque pour défaut d’exploitation ; DIRE ET JUGER que la preuve de pratiques commerciales trompeuses commises par Y Z n’est pas rapportée ;

– DÉBOUTER la société LA P de sa demande au titre de pratiques commerciales trompeuses comme mal fondée ;

En tout état de cause,

– DIRE ET JUGER recevable et bien fondé l’appel en garantie formé par la société Y Z à l’encontre de la société O 1986 pour les actes reprochés commis avant le 25 septembre 2018 ;

– CONDAMNER la société O 1986 à relever et garantir la société Y Z de toutes condamnations qui seraient prononcées à son encontre au titre des demandes formées par LA P, sur quelque fondement que ce soit, pour des actes commis avant le 25 septembre 2018 ;

– DIRE ET JUGER que les marques détenues par LA P, «CAP D » n° 1341964, «CAP CORSE D » n° 4501272, « L.N. D » n° 184452137 et Mattei  n° 1495785 portent atteinte à la marque antérieure « CAP D » n° 94524646 et à la marque antérieure n° 1513007 détenues par Y Z;

– DIRE ET JUGER frauduleux les dépôts desdites marques réalisés en connaissance de cause des marques antérieures similaires dont est titulaire Y Z;

– DIRE ET JUGER nulles les marques « CAP D » n° 1341964, « CAP CORSE D » n° 4501272, « L.N. D » n° 184452137 et Mattei  n° 1495785 ;

– ORDONNER la transmission par le greffe de la décision à intervenir à l’INP1 pour transcription sur le registre national des marques ; DIRE ET JUGER que la société LA P ne pouvait se méprendre sur la portée de ses droits dans le cadre de l’action introduite à l’encontre de la société Y Z ; CONDAMNER LA P à payer à Y Z la somme de 10 000 euros au titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ; CONDAMNER LA P à verser une somme de 50 000 euros à la société Y Z au titre des frais irrépétibles de l’article 700 du code de procédure civile ;

– CONDAMNER la société O 1986 à verser à la société Y Z la somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles de l’article 700 du code de procédure civile ;

– CONDAMNER LA P ou qui mieux le devra aux entiers dépens distraits au profit de la SELARL Sonia-E F sur son affirmation de droit.

Aux termes de ses conclusions en réplique signifiées par voie électronique le 10 novembre 2020, la société O 1986 demande au tribunal de :

Vu les articles L. 713-2, L. 714-5, L. 714-6, L. 716-4-10, du code de la propriété intellectuelle, Vu les pièces produites,

– RECEVOIR la concluante en ses demandes, fins et conclusions ; DÉCLARER irrecevable l’appel en cause de la société O 1986;

En conséquence,

– DÉBOUTER la société Y Z de l’intégralité de ses demandes à l’encontre de la société O 1986;

A titre subsidiaire et si par extraordinaire la société O 1986 était condamnée à relever et garantir la société Y Z : LIMITER son appel en garantie en excluant les éventuelles condamnations à intervenir pour les actes de contrefaçon ainsi que sur les griefs relatifs aux pratiques commerciales trompeuses ;

– CONDAMNER la société Y Z à verser à la société O 1986 la somme de 6 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

*

La clôture a été prononcée le 25 juin 2021 et l’affaire a été plaidée le 25 novembre 2021.

Pour un exposé complet de l’argumentation des parties, il est, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, renvoyé à leurs dernières conclusions précitées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1- Sur la contrefaçon de marques

La société LA P soutient que l’usage sans consentement dans la vie des affaires du signe « L N » fait par la société Y Z pour commercialiser du whisky constitue une contrefaçon par imitation de ses marques, le risque de confusion étant encore aggravé par l’existence à son profit d’une famille de marques comportant toutes l’élément distinctif dominant Mattei .

Elle sollicite en réparation une mesure d’interdiction, un droit d’information afin d’évaluer son préjudice financier, ainsi que la somme de 25 000 euros au titre de son préjudice moral.

La société Y Z conclut en premier lieu à l’irrecevabilité de ces demandes, au motif que la société O 1986 justifie d’un usage du signe « L N » pour du whisky depuis 2015 au moins, soit antérieurement au dépôt des marques opposées. Elle conclut en tout état de cause à l’absence de risque de confusion entre les signes opposés, le nom patronymique « L N » faisant clairement référence à un personnage historique identifiable, le prénom X étant suffisamment rare, à l’inverse du patronyme D, très fréquent en Corse comme en Italie, et le whisky n’étant pas identique ou similaire au vin. Il n’est par ailleurs pas justifié selon elle du préjudice allégué pas plus que de la notoriété revendiquée de la marque Mattei , et il n’y a pas lieu de A droit à la demande de communication de pièces.

Bien que sollicitant le rejet de la demande de garantie, la société O 1986 fait valoir qu’aucune des sociétés dans la cause ne détient de droit de marque antérieur, le signe « L N » n’ayant pas été déposé, mais utilisé dans la vie des affaires antérieurement aux marques revendiquées et ce, depuis à tout le moins 2016 ; elle conteste par ailleurs toute similarité des signes en cause comme tout risque de confusion.

Sur ce,

Il sera en premier lieu relevé que si la société Y Z soutient que l’usage du signe litigieux étant antérieur au dépôt des marques adverses opposées, la demanderesse serait en conséquence irrecevable à agir en contrefaçon, cette prétention s’analyse plus exactement comme tendant au débouté de la société LA P et non comme une fin de non-recevoir. En tout état de cause, les fins de non-recevoir sont, aux termes de l’article 789 du code de procédure civile dans sa rédaction applicable à la cause, de la compétence exclusive du juge de la mise en état et non du tribunal saisi au fond.

*

Aux termes de l’article L. 713-2 du code de la propriété intellectuelle, « Est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l’usage dans la vie des affaires pour des produits ou des services :

1° D’un signe identique à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée ;

2° D’un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, s’il existe, dans l’esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d’association du signe avec la marque ».

Et l’article 9 du règlement (UE) n° 2017/1001 du 14 juin 2017 sur la marque de l’Union européenne dispose que : « 1. L’enregistrement d’une marque de l’Union européenne confère à son titulaire un droit exclusif. 2. Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité d’une marque de l’Union européenne, le titulaire de cette marque de l’Union européenne est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de A usage dans la vie des affaires d’un signe pour des produits ou services lorsque : a) ce signe est identique à la marque de l’Union européenne et est utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque de l’Union européenne est enregistrée ; b) ce signe est identique ou similaire à la marque de l’Union européenne et est utilisé pour des produits ou services identiques ou similaires aux produits ou services pour lesquels la marque de l’Union européenne est enregistrée, s’il existe un risque de confusion dans l’esprit du public i le risque de confusion comprend le risque d’association entre le signe et la marque ».

L’appréciation de la contrefaçon suppose de vérifier si au regard d’un examen des degrés de similitude entre les signes et entre les produits et/ou services désignés, il existe un risque de confusion comprenant un risque d’association dans l’esprit du public concerné.

L’appréciation de la similitude visuelle, auditive et conceptuelle des signes doit être fondée sur l’impression d’ensemble produite par ceux-ci en tenant compte, notamment, de leurs éléments distinctifs et dominants.

En l’espèce, la société LA P invite le tribunal à apprécier l’existence d’un éventuel risque de confusion entre l’usage du signe «L N » pour commercialiser du whisky d’une part, et une famille de marques ayant toutes en commun le signe Mattei  d’autre part.

1.1- Comparaison des produits

Les marques opposées par la demanderesse, à savoir les marques française et internationale désignant l’Union européenne Mattei , la marque française « LN D » et la marque de l’Union européenne « CAP D », couvrent toutes les « boissons alcoolisées (à l’exception des bières) ». Or, quand bien même le vin et le whisky ne sont pas substituables et ne constituent donc pas des produits strictement identiques, force est de constater que la catégorie large des « boissons alcoolisées » ne se réduit pas aux seuls vins, mais englobe à l’évidence les spiritueux dont le whisky fait partie. Les produits en cause doivent donc en conséquence être considérés comme identiques ou similaires.

1.2- Comparaison sur les plans visuel, phonétique et conceptuel

Sur le plan visuel

Les marques verbales adverses sont composées ou bien du seul nom Mattei , ou bien de ce nom précédé du signe « LN », sans signification particulière évidente, ou du terme « Cap », lequel désigne communément une pointe de terre s’avançant dans la mer. Si le terme Mattei  est à l’évidence l’élément dominant des marques verbales uniquement composées de ce signe, il l’est également dans la marque « CAP D », dans laquelle il apparaît comme l’élément le plus distinctif; dans la marque « LN D », il est également mais plus faiblement dominant du fait du caractère également distinctif du signe « LN », qui retiendra cependant moins l’attention du consommateur puisque plus difficilement identifiable. Le signe litigieux n’étant pas une marque enregistrée, la comparaison doit s’opérer avec le signe tel qu’il est utilisé. Il est pour sa part composé (i) des deux éléments verbaux « X », connu pour être un prénom, et Mattei , de sorte que ce signe s’apparente à la désignation d’une personne physique identifiée par son prénom et son nom de famille ; mais également (ii), à tout le moins sur les étiquettes des bouteilles de whisky auxquelles la demanderesse fonde principalement ses griefs, par un élément semi-figuratif constitué par la carte de la Corse insérée entre « X » et Mattei , ainsi que de la mention « CASA FUNDATA IN 1912 »:

La demanderesse soutient que le prénom est ici accessoire, de sorte que le nom «D » serait nécessairement l’élément distinctif et dominant.

Toutefois, si le nom patronymique a généralement un caractère distinctif plus élevé auprès du consommateur d’attention moyenne, ce constat dépend largement de son caractère courant ou peu répandu, et il est donc nécessaire de procéder à une analyse globale prenant en compte toutes les circonstances de l’espèce (CJUE, 24 juin 2010, aff. C-51/09 P, G H). Or, comme le souligne la défenderesse, le patronyme « D très courant en Italie, est également assez répandu en Corse et dans les Bouches-du-Rhône, tandis qu’à l’inverse, le prénom « X » y est, au moins jusqu’à récemment, relativement rare (pièces 20, 21, 44 et 46 TD). Les signes en cause sont donc visuellement faiblement similaires, dès lors qu’ils partagent certes le nom patronymique commun Mattei , mais que l’ajout dans le signe litigieux du prénom « X », de la carte de la Corse et de la mention « CASA FUNDATA IN 1912 » matérialise une différenciation apparente ne pouvant être qualifiée d’insignifiante.

Sur le plan phonétique

Le signe litigieux étant composé de deux éléments verbaux de trois syllabes chacun (le « i » du nom Mattei  étant prononcé de manière accentuée), son articulation donnera une tonalité différente de celle des marques adverses, composées d’un seul terme ou de deux termes globalement plus courts. Les signes en présence se terminant tous par le nom Mattei , élément qui marquera en conséquence plus facilement la mémoire du consommateur d’attention moyenne, une ressemblance partielle peut néanmoins être retenue.

Sur le plan conceptuel

La société Y Z considère que le signe « L N » fait référence à un personnage corse et a donc une signification claire et précise pouvant être saisie directement par le public. La société LA P soutient au contraire que les signes en cause n’ont pas de signification particulière si ce n’est de A référence à un nom de famille d’origine corse ou italienne, de sorte qu’il ne peut être tiré aucune différence majeure sur le plan intellectuel. Il n’est pas établi que « L N » constituerait, auprès du public pertinent, lequel est ici le consommateur grand public dont l’attention est moyenne même à l’occasion du choix de whiskies, une personne physique historiquement ou culturellement identifiée et renvoyant sans ambiguïté à l’histoire ou l’environnement des produits marqués, et non un simple personnage imaginaire. Hormis une évocation de la Corse ou de l’Italie, les signes en cause sont donc les uns et l’autre sans signification particulière sur le plan conceptuel.

1.3- Appréciation du risque de confusion

Au regard de la ressemblance moyenne constatée entre les signes en cause sur les plans visuel, phonétique et intellectuel, aucun risque de confusion n’apparaît de prime abord évident, même en tenant compte de l’identité des produits et du fait que le consommateur moyen doit se fier à l’image imparfaite des marques qu’il garde en mémoire.

La société LA P soutient que le nom Mattei , reproduit dans les nombreuses marques dont elle est titulaire et qui constituent ensemble une famille de marques, bénéficierait « d’une haute connaissance sur le marché des apéritifs et boissons en raison de son usage constant et de son ancienneté », de sorte que « le public sera naturellement amené à penser que les whiskys L N constituent une nouvelle marque appartenant à cette famille ».

Toutefois, les sociétés Y Z et O 1986 établissent que cette dernière commercialisait déjà du whisky sous l’appellation litigieuse « L N » dès l’année 2015 (pièce 1 O et pièces 14 et 15 TD : tarifs caviste O 2015 ; statistiques de ventes Q 2014 et 2015 ; offre promotionnelle mai 2017; tarifs O applicables au revendeur Métro au 1er janvier 2018), soit antérieurement au dépôt par la demanderesse de la plus ancienne des marques qu’elle oppose (marque de l’Union européenne n° 1341964 déposée le 20 janvier 2017). Certes, un simple usage antérieur ne suffit pas à rendre en lui-même illégitime le dépôt de ses marques par la société LA P dès lors que le caractère frauduleux de tels dépôts n’est aucunement démontré. Force est cependant de constater que l’emploi du signe « L N » pour du whisky a été toléré par les titulaires de marques antérieures distinctes contenant le nom Mattei  antérieurement au dépôt des marques opposées, y compris par la société MAVELA, aux droits de laquelle est venue la société LA P, qui commercialisait alors et jusqu’en 2019 de l’apéritif Cap Corse sous licence de la société O 1986, alors société A. O P Q (contrat du 16 avril 2009 – pièce 8 TD).

Dès lors, et étant rappelé que seule la renommée de la marque antérieure peut avoir un impact sur l’examen du risque de confusion, l’éventuelle renommée de la demande de marque ou marque postérieure étant par principe dépourvue de pertinence (Trib. UE, 8 mars 2013, aff. T-498/10, K L M c/ OHMI, point 105), il convient de considérer que la demanderesse, qui n’oppose au titre de la famille de marques alléguées que ses quatre marques postérieures à 2017, est ainsi malvenue à soutenir aujourd’hui que l’usage litigieux créerait un risque de confusion en raison de la renommée acquise de longue date par le seul signe Mattei .

La société LA P sera donc déboutée de ses demandes en contrefaçon formées en raison de l’usage par la société Y Z du signe « L N » pour commercialiser du whisky

2- Sur la validité de la marque française « L N CAP CORSE » n° 1513007

La société LA P soutient que la marque semi-figurative « L N CAP CORSE » de la défenderesse, au sein de laquelle l’élément verbal « CAP CORSE » est mis en valeur au côté d’une tête de maure, symbole du drapeau corse, conduit clairement le consommateur à penser que le produit commercialisé sous cette marque provient de Corse. Au regard de l’article 3 de la loi n°64-1360 du 31 décembre 1964 applicable à la marque en cause, celle-ci présente un caractère trompeur la rendant nulle, dès lors que ni le raisin, ni le vin utilisés ne proviennent de Corse et que l’apéritif commercialisé sous cette marque est produit sur le continent. A titre subsidiaire, elle conclut à la déchéance de cette marque en l’absence d’exploitation sous une forme modifiée n’en altérant pas le caractère distinctif, très subsidiairement à sa déchéance pour caractère trompeur.

Selon la société Y Z, le nom de CAP CORSE pour désigner un apéritif à base de vin et de quinquina, ne constitue pas une appellation d’origine, et la demanderesse n’établit pas que la marque constituerait une indication de provenance, ni l’existence d’un lien dans l’esprit du public entre le lieu géographique et le vin apéritif dénommé CAP CORSE qui, depuis toujours, n’est pas nécessairement fabriqué en Corse, ni composé d’ingrédients provenant spécifiquement de Corse. L’INPI a d’ailleurs considéré que les termes CAP CORSE étaient descriptifs et usuels pour désigner un apéritif à base de vin, de plantes aromatiques et de quinquina. Elle n’établit pas plus que la marque serait devenue trompeuse du fait de la défenderesse. La société LA P est en outre selon elle bien malvenue à invoquer un quelconque caractère trompeur de la marque litigieuse, alors que pendant près de 10 ans entre 2009 et 2018, la société MAVELA, qu’elle a depuis absorbée, a été, selon contrat du 16 avril 2009, licencié et distributeur de la société O 1986, alors société A. O P Q, d’un apéritif CAP CORSE sous la marque en cause et pour lequel elle achetait le vin le composant en Espagne. Concernant la déchéance, sollicitée pour les mêmes raisons de parfaite mauvaise foi, la défenderesse soutient que les preuves d’usage fournies par la société O 1986, y compris relatives à la commercialisation par la société LA P elle-même, attestent d’un usage sérieux et régulier en France de la marque depuis au moins 2001, sous une forme certes quelque peu modifiée, mais n’altérant pas le caractère distinctif du dépôt initial. Elle conclut en conséquence au rejet des prétentions de son adversaire.

La société O 1986 considère que la société LA P ne dispose d’aucun intérêt à agir en nullité ou déchéance des marques en cause dès lors que celles-ci ne lui ont pas été opposées et ne constituent pas un obstacle à son activité. Elle considère par ailleurs incontestable que les produits « L N CAP CORSE » sont fabriqués en Corse, de sorte qu’un lien de rattachement est possible et de nature à écarter le grief de caractère trompeur. Elle conclut également au caractère sérieux de l’usage de la marque, dans une forme peu modifiée n’en altérant pas le caractère distinctif.

Sur ce,

A titre liminaire, il sera observé, en réponse à la demanderesse qui sollicite « dans le respect du contradictoire », que « l’examen des preuves d’usage par le tribunal soit réalisé sur les pièces telles que communiquées et non sur des originaux de meilleure qualité », que le tribunal statue au vu des pièces mentionnées au bordereau telles qu’elles lui sont communiquées, et qu’une partie qui n’a pas souhaité se déplacer au cabinet de son adversaire pour consulter l’original d’une pièce mise à sa disposition, ne peut ensuite le lui reprocher.

2.1- Sur le caractère trompeur

Aux termes de l’article 3 alinéa 3° de la loi n° 64-1360 du 31 décembre 1964 aujourd’hui abrogée mais applicable à la marque en cause déposée le 23 février 1979, « [Ne peuvent être considérées comme marques:] Celles qui sont constituées exclusivement de la désignation nécessaire ou générique du produit et du service ou qui comportent des indications propres à tromper le public ».

En l’espèce, il est exactement observé par la société Y Z que le nom CAP CORSE ne constitue pas une appellation d’origine mais désigne au contraire communément un apéritif à base de vin et de quinquina. Dès lors, son usage pour désigner un tel apéritif n’est pas réservé aux seuls apéritifs produits en Corse, et la reproduction de ce nom par la défenderesse sur l’étiquette de ses produits n’est pas en soi de nature à tromper le consommateur sur leur provenance ou leur qualité.

Il peut en aller toutefois différemment de l’adjonction, au côté de cet élément verbal, d’éléments figuratifs de nature à conduire le consommateur à croire que le produit qui en est revêtu lui garantit une fabrication en un lieu et/ou selon des méthodes ou composants déterminés. En l’occurrence, la présence d’une tête de maure, de profil et ceinte d’un bandeau blanc, sera aisément reconnaissable par le consommateur d’attention moyenne comme symbolisant l’identité insulaire, ce même emblème ayant du reste été adopté par la région de Corse pour son drapeau; ce qui, renforcé par la mention adjacente CAP CORSE, tendra naturellement à signifier, dans l’esprit de ce même consommateur, la provenance corse du produit qui en est revêtu.

Néanmoins, s’agissant d’un motif absolu de nullité, lequel s’apprécie au jour du dépôt, le caractère déceptif d’une marque pour caractère trompeur doit s’apprécier en considération de la marque en elle-même, indépendamment du contexte et de l’usage qui en est fait.

Or, si la marque litigieuse est ainsi susceptible de se révéler trompeuse si l’« apéritif à base de vin et de quinquina » pour lequel elle est enregistrée en classe 33 ne provient pas effectivement de Corse, un tel caractère trompeur sera évidemment fonction de l’usage qui en est fait en pratique, de sorte que cette marque n’est pas nulle per se.

La société LA P sera en conséquence déboutée de ses demandes à ce titre.

2.2- Sur la déchéance pour défaut d’exploitation

L’article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle dispose que « Encourt la déchéance de ses droits le titulaire de la marque qui, sans justes motifs, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits ou services pour lesquels la marque est enregistrée, pendant une période ininterrompue de cinq ans. Le point de départ de cette période est fixé au plus tôt à la date de l’enregistrement de la marque suivant les modalités précisées par un décret en Conseil d’Etat. Est assimilé à un usage au sens du premier alinéa :

1° L’usage fait avec le consentement du titulaire de la marque ;

2° L’usage fait par une personne habilitée à utiliser la marque collective ou la marque de garantie ;

3° L’usage de la marque, par le titulaire ou avec son consentement, sous une forme modifiée n’en altérant pas le caractère distinctif, que la marque soit ou non enregistrée au nom du titulaire sous la forme utilisée (…) ».

En application de cet article, il incombe au titulaire de la marque de démontrer que celle-ci a fait l’objet d’un usage sérieux par lui-même ou avec son consentement pour les produits et services pour lesquels elle est enregistrée, le point de départ de la période de non-usage de cinq ans courant soit à compter de la publication de l’enregistrement au BOPI si la marque n’a jamais été exploitée, soit à compter du dernier acte d’exploitation lorsqu’elle a été exploitée mais que son usage a cessé.

Selon la jurisprudence communautaire à la lumière de laquelle les conditions requises par ces dispositions nationales doivent être appréciées, une marque fait l’objet d’un usage sérieux lorsqu’elle est utilisée, conformément à sa fonction essentielle qui est de garantir l’identité d’origine des produits ou des services pour lesquels elle a été enregistrée, aux fins de créer ou de conserver un débouché pour ces produits et services, à l’exclusion d’usages de caractère symbolique ayant pour seul objet le maintien des droits conférés par la marque. Et la condition posée par l’article L. 714-5 3° du code de la propriété intellectuelle doit être appréciée au regard de son objet qui, en évitant d’imposer une conformité stricte entre la forme utilisée de la marque et celle sous laquelle elle a été enregistrée, est de permettre au titulaire de cette dernière d’apporter au signe, à l’occasion de son exploitation commerciale, les variations qui sans en modifier le caractère distinctif, permettent de mieux l’adapter aux exigences de commercialisation et de promotion des produits ou des services concernés (TPICE, 23 février 2006, aff. T-194/03).

En l’espèce, les parties s’accordent sur la période durant laquelle l’exploitation sérieuse de la marque litigieuse doit être établie, à savoir les cinq années précédant la mise en demeure adressée par la demanderesse, soit la période courant du 9 octobre 2014 au 9 octobre 2019. Les pièces versées au débat tant par la société Y Z que par la société O 1986, titulaire de la marque jusqu’en 2018, si elles attestent de la commercialisation sérieuse et continue, sur la période de référence, d’un apéritif désigné « Cap Corse L N », n’établissent cependant aucun usage de la marque telle qu’enregistrée.

En effet :

– les factures et statistiques de vente (pièces 29.1, 29.5 et 29.6 TD), ne permettent pas d’identifier visuellement la marque dont il a réellement été fait usage ;

– le bon à tirer joint aux factures de commandes d’étiquettes de 2017 et 2019 (pièce 29.1 TD) porte expressément sur l’étiquette dans sa forme actuellement exploitée ;

– les tarifs « Groupe O » Grossistes et CHR et GMS de 2013 2014 (pièces 29.3 TD et 4 O) ou la page d’archive « Wayback Machine » de 2008 (pièce 45), outre qu’ils sont antérieurs à la période de référence, ne concernent là encore que l’étiquette dans sa forme actuelle;

– les tarifs export et grossistes (pièces 29.4 TD et 4 MAUNII le plan de vente Auchan 2016 (pièce 29.1 TD) ou le document « Opération Provence été 2017 P Q pour le Goupe Casino » (pièces 29.2 TD et 4 O) reproduisent le visuel de bouteilles de CAP CORSE portant trois étiquettes différentes, dont la taille des visuels permet difficilement de distinguer les détails, mais dont aucune cependant ne reproduit à l’identique la marque litigieuse telle que figurant au certificat d’enregistrement :

CAP CORSE

[…]

– quant à la photographie d’un lot de bouteilles dont une reproduisant en couleur la marque n° 1513007, elle n’est pas datée et en tout état de cause insuffisante à elle seule à établir un usage continu et sérieux de ladite marque.

Au demeurant, la société Y Z ne dément pas n’avoir, depuis son rachat de la marque litigieuse, jamais exploité celle ci telle qu’enregistrée, mais uniquement sous sa forme actuelle.

Le signe exploité différant de la marque enregistrée, les preuves d’usage produites ne peuvent justifier d’un usage sérieux et continu sur la période de référence qu’à la condition que ce signe reproduise la marque querellée sous une forme modifiée n’en altérant pas le caractère distinctif, les signes à comparer étant les suivants :

En l’espèce et après avoir rappelé comme jugé supra que l’élément verbal CAP CORSE désigne communément un apéritif à base de vin, d’herbes et de quinquina, il n’est qu’à constater que dans la marque première, les éléments dominants sont d’une part l’élément verbal distinctif « L N », d’autre part l’élément visuel composé d’un bandeau barrant le fond de l’étiquette en diagonale du coin en haut à gauche au coin en bas à droite. Les autres éléments verbaux et figuratifs, de par leur faible taille et leur profusion, apparaissent nettement secondaires et en tant que tels moins susceptibles de marquer la mémoire du consommateur d’attention moyenne, qu’il s’agisse de la tête de maure ceinte d’un bandeau dans la marque enregistrée venant évoquer la Corse comme le font dans le signe tel qu’exploité la carte de l’île posit inée entre les termes « CAP » et « CORSE » ou la photo d’un maquis en arrière-plan, ou encore des mentions « apéritif au quinquina » sur la marque, ou « Maison fondée en 1917 » ou « Tradition » ajoutés sur l’étiquette des bouteilles aujourd’hui commercialisées.

Or, les éléments distinctifs et dominants de la marque enregistrée ont été conservés sur l’étiquette telle qu’exploitée, de sorte que les modifications apportées par ailleurs, y compris par la diminution de la taille de l’élément verbal « L N » ne viennent pas modifier de manière globale la perception qu’aura le public pertinent de la marque.

La demande en déchéance pour défaut d’exploitation sera conséquence rejetée.

2.3- Sur la déchéance pour caractère trompeur

L’article L. 714-6 du code de la propriété intellectuelle dispose que « Encourt la déchéance de ses droits le titulaire d’une marque devenue de son fait : a) La désignation usuelle dans le commerce du produit ou du service;

b) Propre à induire en erreur, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service ».

En l’espèce, il a été relevé supra que l’usage de la marque « L N CAP CORSE » n° 1513007 était susceptible de se révéler trompeur dès lors qu’il induirait dans l’esprit du consommateur la provenance insulaire des produits qui en sont revêtus.

Certes, la provenance, entendue comme production en un lieu déterminé, en l’espèce la Corse, ne sous-entend pas nécessairement, contrairement à ce que soutient la demanderesse, que cette production est opérée selon des méthodes ou avec des ingrédients exclusivement d’origine corse. Cela est d’autant moins vrai que le caractère générique de la dénomination CAP CORSE indique seulement un mélange de vin, d’herbes aromatiques et de quinquina, ingrédient d’origine sud américaine.

Néanmoins, si la société O 1986 soutient qu’« il est incontestable que les produits L N CAP CORSE sont fabriqués en Corse de sorte qu’un lien de rattachement est possible de nature à écarter le grief de caractère trompeur », il n’est pas établi que, contrairement à la société MAVELA qui produisait effectivement son apéritif localement, la société Y Z en ferait de même, cette dernière ne contestant pas au contraire avoir son unité de distillation sur le continent.

Dès lors, la marque « L N CAP CORSE » n° 1513007 dont est aujourd’hui titulaire la société Y Z est aujourd’hui devenu trompeuse, justifiant que la déchéance en soit prononcée à la date du présent jugement.

3- Sur la déchéance de la marque « CAP D » n° 94524646

La société LA P conclut à la déchéance de la marque «CAP D » de la défenderesse car, en raison des agissements de son titulaire, elle est propre à induire en erreur le consommateur sur la provenance géographique du produit marqué. En tout état decause,elle porte atteinte aux droits antérieurs de LA P, qui est titulaire de nombreuses marques antérieures similaires. Subsidiairement, la marque litigieuse encourt la déchéance pour absence totale d’exploitation.

La société Y Z réplique qu’il n’est là encore pas démontré en quoi la marque en cause serait trompeuse ou devenue telle de son fait, soutenant que la demanderesse cherche uniquement ici à s’arroger un monopole sur la commercialisation d’apéritif CAP CORSE. Elle considère par ailleurs parfaitement établi que sa marque « CAP D » a fait l’objet d’un usage régulier et sérieux, à tout le moins au cours des 5 dernières années précédant la demande en déchéance.

La société O 1986 conclut à l’absence d’intérêt à agir de la demanderesse et en tout état de cause à l’absence de caractère trompeur comme à l’usage sérieux de la marque litigieuse.

Sur ce,

A titre liminaire et pour les raisons déjà rappelées, la demande de la société O 1986 tendant à voir constater l’absence d’intérêt de la société LA P à agir en déchéance est irrecevable comme n’ayant pas été formée en temps utile devant le juge de la mise en état.

*

Comme rappelé ci-avant, aux termes de l’article L. 714-6 du code de la propriété intellectuelle, « Encourt la déchéance de ses droits le titulaire d’une marque devenue de son fait : (…) b) Propre à induire en erreur, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service ».

En l’espèce, la marque verbale « CAP D » n° 94524646 est composée des termes Mattei , dont il a été vu supra qu’il s’agit a d’un nom patronymique courant en Italie, mais également en Corse et dans les Bouches-du-Rhône, et «CAP », terme évocateur d’une pointe de terre s’avançant dans la mer. A eux seuls, ces éléments verbaux appréciés dans leur globalité ne renvoient pas nécessairement à l’île Corse, de sorte qu’ils ne peuvent être considérés comme de nature à tromper le consommateur sur la nature, la qualité ou, comme allégué ici, la provenance de l’apéritif commercialisé sous cette marque.

En particulier, la demanderesse n’établit pas que la connaissance par le grand public du nom de son propre apéritif, « CAP CORSE D » serait telle que le consommateur d’attention moyenne serait évidemment porté à A un lien intellectuel entre le Cap Corse et le signe « CAP D » et, partant, à croire que le produit marqué proviendrait de Corse. Ce, d’autant qu’il a également été rappelé supra que la désignation CAP CORSE est commune pour tout apéritif produit à base de vins, d’herbes et de quinquina, sans qu’une fabrication locale n’y soit associée.

Toutefois, la société Y Z elle-même fait état, à titre de preuve d’usage, d’une utilisation de sa marque « CAP D » au-dessus du signe «CAP CORSE » en gros caractères, la carte de la Corse étant reproduite entre les éléments verbaux « CAP » et « CORSE », le tout sur fond d’un cliché du maquis corse :

Un tel usage, en ce qu’il revendique clairement une association avec la Corse et alors même que l’apéritif commercialisé sous ce signe n’est pas produit sur l’île mais sur le continent, présente un caractère trompeur pour le consommateur du fait du titulaire et exploitant de la marque en cause, qui doit en conséquence se voir déchu des droits afférents.

4- Sur les pratiques commerciales trompeuses

La société LA P soutient que le nom du produit « CAP CORSE » commercialisé par la société Y Z, les différentes mentions relatives à la Corse figurant sur le produit ainsi que l’ensemble de la communication publicitaire de la défenderesse tendant à tromper le consommateur en le laissant penser que cet apéritif est produit en Corse, à partir d’ingrédients d’origine corse, constituent des pratiques commerciales trompeuses. Elle sollicite en réparation de cet acte de concurrence déloyale une indemnité provisionnelle de 30 000 euros, ainsi qu’une mesure de publication judiciaire.

Outre qu’elle considère la demanderesse malvenue et de totale mauvaise foi à agir en ce sens, la société Y Z conclut au rejet de ces prétentions, soutenant qu’il n’est aucunement démontré que l’usage de la marque, donc de l’étiquette en cause, serait de nature à altérer de manière substantielle le comportement du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif.

La société O 1986 conclut pareillement, outre l’irrecevabilité pour défaut d’intérêt à agir, au rejet des demandes de la société LA P, qui ne démontre pas dans quelle mesure la commercialisation dont il est fait reproche tromperait de manière évidente le consommateur sur l’origine des produits.

Sur ce,

Il sera là encore rappelé liminairement que la fin de non-recevoir soulevée par la société O 1986 est irrecevable en application de l’article 789 du code de procédure civile comme n’ayant pas été formée devant le juge de la mise en état.

*

En application de l’article L. 121-1 du code de la consommation, « Les pratiques commerciales déloyales sont interdites. Une pratique commerciale est déloyale lorsqu’elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu’elle altère ou est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l’égard d’un bien ou d’un service. (…) Constituent, en particulier, des pratiques commerciales déloyales les pratiques commerciales trompeuses définies aux articles L. 121-2 à L. 121-4 (…) ».

Aux termes de l’article L. 121-2 du même code, « Une pratique commerciale est trompeuse si elle est commise dans l’une des circonstances suivantes : (…) 2° Lorsqu’elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l’un ou plusieurs des éléments suivants : (…) b) Les caractéristiques essentielles du bien ou du service, à savoir : ses qualités substantielles, sa composition, ses accessoires, son origine, notamment au regard des règles justifiant l’apposition des mentions « fabriqué en France » ou “origine France” ou de toute mention, signe ou symbole équivalent, au sens du code des douanes de l’Union sur l’origine non préférentielle des produits, sa quantité, son mode et sa date de fabrication, les conditions de son utilisation et son aptitude à l’usage, ses propriétés et les résultats attendus de son utilisation, notamment son impact environnemental, ainsi que les résultats et les principales caractéristiques des tests et contrôles effectués sur le bien ou le service ; (…) ».

A moins qu’elle ne figure dans la liste des pratiques réputées trompeuses de l’article L. 121-4 du code précité, une pratique commerciale ne peut être qualifiée de trompeuse qu’à la condition d’avoir pour effet, réellement ou potentiellement, «d’altérer de manière substantielle, le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l’égard d’un bien ou d’un service ».

En l’espèce, outre que la déchéance de la marque « L N CAP CORSE » n° 1513007 a été prononcée pour être devenue trompeuse en application de l’article L. 714-6 du code de la propriété intellectuelle, il a également été relevé supra que les modifications apportées au signe aujourd’hui exploité (notamment suppression de la tête de maure, ajout d’une petite carte de la Corse et de la photographie d’un maquis), sont tout autant susceptibles de A accroire à une telle provenance qui se révèle erronée au cas présent, l’apéritif commercialisé étant produit sur le continent.

Dès lors, l’apposition par la société Y Z des étiquettes suivantes sur ses bouteilles d’apéritif CAP CORSE, apparaît comme de nature à tromper le consommateur, ici le grand public d’attention moyenne qui peut également être considéré comme raisonnablement avisé, sur la provenance de ce duit :

CAP CORSE

Par ailleurs, si la défenderesse ne peut être tenue pour responsable, en l’absence de preuve qu’elle aurait donné des directives en ce sens, des actions de communication menées par des sociétés tierces commercialisant les produits litigieux (sites Monoprix et Hourra, pièces 4.1 et 4.2 LD), elle doit en revanche assumer la présentation qu’elle fait elle-même de son apéritif, dont elle souligne qu’il serait « plébiscité dans l’ile de beauté », présenterait « un goût assurément corse », un «air de Corse » ou «des senteurs du maquis nous transportant sur l’ile de beauté » (pièces 29.3 et 29.4 TD), ce qui est indéniablement de nature à renforcer encore la présentation de nature à induire en erreur sur l’origine des produits.

Les pratiques commerciales trompeuses, sont en conséquence constituées, étant relevé que, contrairement à ce que soutiennent les défenderesses, il n’est pas requis la preuve que le risque d’erreur du consommateur se soit matérialisé et qu’un consommateur a effectivement été trompé, mais seulement que la pratique critiquée est propre à produire cet effet (« susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique »).

De telles pratiques commerciales déloyales ouvrent droit à réparation pour le concurrent qui en subit nécessairement un préjudice, si ce n’est économique effectif du fait de la distorsion de concurrence qu’elles induisent, à tout le moins moral. Toutefois, s’il s’infère nécessairement un préjudice de l’acte déloyal, cette présomption ne dispense pas le concurrent s’estimant lésé d’en démontrer la réalité et le quantum.

Au cas d’espèce, la société LA P sollicite, outre une mesure de publication judiciaire, une somme forfaitaire de 30 000 euros au titre du préjudice commercial et moral qu’elle estime avoir subi, mais elle ne verse pas le moindre élément à l’appui de ses demandes, qui permettrait au tribunal d’établir la consistance dudit préjudice, tels que des gains manqués en raison d’un report de clientèle ni même les chiffres d’affaires respectifs des sociétés en cause. Partant, la société Y Z sera condamnée à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de son seul préjudice moral, ses autres demandes étant rejetées, en particulier celle de publication, qui n’apparaît ni proportionnée ni justifiée en l’espèce.

5- Sur l’appel en garantie

La société Y Z s’estime recevable et bien fondée à appeler dans la cause la société O 1986 à la relever et garantir de toutes condamnations qui seraient prononcées à son encontre, en sa qualité de titulaire des marques et signes querellés jusqu’au 25 septembre 2018, conformément du reste aux garanties stipulées au contrat de cession tant à l’encontre d’actions en contrefaçon qu’en déchéance.

La société O 1986 conclut au rejet de l’appel en garantie, à tout le moins s’agissant (i) des griefs de contrefaçon à l’encontre d’un signe « L N » exploité pour du whisky, qu’elle considère comme hors du champ de la garantie prévue au sein du contrat du 25 septembre 2018, et s’appuyant notamment sur une marque Mattei  postérieure à l’acte de cession, et (ii) des griefs de pratiques commerciales trompeuses, lesquels ne sont pas assimilables aux actes de concurrence déloyale garantis contractuellement. A titre subsidiaire, elle sollicite que l’appel en garanti soit limité, en excluant les éventuelles condamnations à intervenir pour les actes de contrefaçon, ainsi que sur les griefs relatifs aux pratiques commerciales trompeuses.

Sur ce,

En application des dispositions de l’article 1626 du code civil, selon lequel « (…), le vendeur est obligé de droit à garantir l’acquéreur de l’éviction qu’il souffre dans la totalité ou partie de l’objet vendu, ou des charges prétendues sur cet objet, et non déclarées lors de la vente », le vendeur est tenu de la garantie d’éviction comme tout cédant d’un droit de propriété, corporel ou incorporel, sauf si l’acheteur condamné a agi en connaissance de cause.

En outre, aux termes de l’article 1103 du code civil dans sa rédaction applicable aux contrats objets du présent litige, « Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ».

En l’espèce, la société O 1986 ne conteste pas être tenue d’une garantie d’éviction vis-à-vis de son cessionnaire, en cas d’action en contrefaçon ou en concurrence déloyale intentée relativement à l’une des marques qu’elle lui a cédées.

Il apparaît cependant que si la déchéance des marques « L N CAP CORSE » n° 1513007 et « CAP D » n° 94524646 a été prononcée, c’est non en raison d’une nullité per se ou d’une déchéance pour défaut d’exploitation, mais par suite d’un usage devenu trompeur, la production de l’apéritif CAP CORSE commercialisé par la société Y Z n’apparaissant pas effectuée en Corse mais sur le continent. Or, quand bien même il en aurait été de même antérieurement à l’acquisition de ces marques, ce qui n’est pas démontré en l’espèce, la poursuite des actes délictueux est le fait de la seule société Y Z.

Cela est a fortiori le cas en ce qui concerne les pratiques commerciales trompeuses.

La société Y Z est en conséquence malvenue à solliciter la garantie de la société O 1986 et sera déboutée de ses demandes à ce titre.

6- Sur la demande reconventionnelle en nullité des marques de la demanderesse

Si un risque de confusion est retenu par le tribunal dans l’action en contrefaçon, la société Y Z estime être bien fondée à opposer l’usage antérieur de ses propres marques, en raison de l’élément verbal commun dominant Mattei , à l’encontre des récents dépôts des marques de la demanderesse, tous postérieurs. Elle sollicite en conséquence la nullité des marques verbales françaises et internationales visant l’Union européenne Mattei  n° 4452144 et n° 1495785, « CAP D » n° 1341964, « L.N. D » n°4452137 et « CAP CORSE D » n° 4501272. Au-delà du risque de confusion, elle est au surplus fondée à demander la nullité des marques détenues par la demanderesse, au regard du caractère frauduleux des dépôts, alors qu’elle avait une parfaite connaissance de l’existence et de l’exploitation des marques antérieures «L N CAP CORSE » et «CAP D » exploitées d’abord par la société O 1986 puis par la défenderesse.

La société LA P considère ces demandes comme irrecevables du fait de l’annulation ou la déchéance des marques opposées devant être prononcée selon elle. Les dépôts récents ne viennent que conforter les droits et l’exploitation de droits antérieurs aux marques opposées par la défenderesse, notamment les marques semi-figuratives « CAP CORSE D BASTIA » n° 1323345 déposée le 26 mai 1972 et « VIN DU CAP D BASTIA » n° 1207740 déposée le 26 mai 1972.

Sur ce,

Il sera en premier lieu observé que si la déchéance de ses marques « L N CAP CORSE » n° 1513007 et « CAP D » n° 94524646 a été prononcée et prive la société Y Z de la possibilité de les opposer à la société LA P, elle conserve néanmoins le droit de conclure à la nullité des marques récentes de la demanderesse pour dépôt frauduleux.

Aux termes de l’article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle dans sa version applicable à compter du 15 décembre 2019, « Ne peuvent être valablement enregistrés et, s’ils sont enregistrés, sont susceptibles d’être déclaré nuls : (…) 11° Une marque dont le dépôt a été effectué de mauvaise foi par le demandeur ».

En application de ces dispositions, conjuguées au principe général du droit selon lequel la fraude corrompt tout, le dépôt d’une marque opéré de mauvaise foi ou frauduleusement est susceptible d’être annulé. Et un tel dépôt sera qualifié de frauduleux dès lors qu’il porte atteinte aux droits antérieurs ou aux intérêts d’un tiers, ce qui suppose seulement la preuve, à la date du dépôt litigieux, de l’existence d’intérêts sciemment méconnus par le déposant.

En l’espèce, la société LA P établit disposer de nombreuses marques plus anciennes comportant les dénominations Mattei , « CAP D » ou encore « CAP CORSE D», parmi lesquelles une marque verbale française «CAP CORSE D BASTIA » n° 1323345 de 1926 (pièces 1.3, 1.9, 1.11 LD). Elle justifie par ailleurs avoir repris la commercialisation, très ancienne, d’un apéritif CAP CORSE avec le nom D.

Au regard de ce contexte, il ne peut être considéré que les dépôts qu’elle a opérés récemment aient été motivés, non par le souhait de venir consolider des droits préexistants, mais par la volonté de nuire à un concurrent dont elle n’ignorait pas les intérêts.

La mauvaise foi de la société LA P, partant, le caractère frauduleux des quatre dépôts de marque litigieux, n’étant pas établis, la demande de la société Y Z ne peut qu’être rejetée.

7- Sur la demande reconventionnelle en procédure abusive

La société Y Z considère comme parfaitement opportuniste la procédure engagée par la société LA P à son encontre, alors même que les marques et signes en cause sont déposés et exploités depuis de nombreuses années sans que cela ne pose de difficulté quelconque, procédure qui n’a donc pour seul objectif que de la priver des marques nécessaires à l’exploitation des produits qu’elle commercialise, au mépris de ses droits antérieurs, afin de pouvoir revendiquer seule la propriété et l’usage d’une marque comportant le terme Mattei  pour désigner l’apéritif CAP CORSE.

La société LA P dément toute intention de nuire et conclut en conséquence au rejet de ces prétentions.

Sur ce,

L’action en justice, même dénuée de fondement, ne dégénère en abus susceptible d’ouvrir droit à une créance de dommages et intérêts qu’en cas de faute du plaideur, de preuve d’un préjudice pour celui qui l’invoque et de l’existence d’un lien de causalité.

En l’espèce, la société LA P ayant obtenu gain de cause sur partie de ses demandes, aucun abus n’est caractérisé à son encontre.

*

La société Y Z, qui succombe au principal, supportera seule la charge des dépens et ses propres frais.

En application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, la partie tenue aux dépens ou à défaut la partie perdante, est condamnée au paiement d’une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, en tenant compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée.

La société Y Z sera ainsi condamnée à payer, au titre des frais irrépétibles, :

– à la société LA P, la somme de 6 000 euros,

– à la société O 1986, la somme de 4 000 euros.

L’exécution provisoire est de droit et il n’est pas justifié de l’écarter au cas d’espèce.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement par jugement mis à disposition au greffe, contradictoire et en premier ressort,

DIT irrecevables les différentes fins de non-recevoir soulevées par la société O 1986 à l’encontre des demandes adverses comme n’ayant pas été formées en temps utile devant le juge de la mise en état;

DÉBOUTE la société LA P de sa demande en contrefaçon de marques formée contre le signe « L N » exploité pour commercialiser du whisky;

DÉBOUTE la société LA P de sa demande en nullité de la marque « L N CAP CORSE » n° 1513007 pour caractère trompeur ;

DÉBOUTE la société LA P de sa demande en déchéance de la marque « L N CAP CORSE »n° 1513007 pour défaut d’exploitation ;

PRONONCE la déchéance de la marque française « L N CAP CORSE » n° 1513007 de la société Y Z devenue trompeuse ;

PRONONCE la déchéance de la marque française « CAP D » n° 94524646 de la société Y Z devenue trompeuse ;

DIT que la présente décision sera portée à la connaissance de l’INPI par la partie la plus diligente pour rectification du registre national des marques ;

DIT que la société Y Z s’est rendue coupable de pratiques commerciales trompeuses ;

En conséquence,

CONDAMNE la société Y Z à payer à la société LA P la somme de 5 000 (cinq mille) en réparation de son préjudice de concurrence déloyale ;

DÉBOUTE la société Y Z de sa demande reconventionnelle en nullité des marques verbales françaises et internationales visant l’Union européenne Mattei  n° 4452144 et n° 1495785, « CAP D » n° 1341964, « L.N. D » n°4452137 et « CAP CORSE D » n° 4501272 dont la société LA P est titulaire ;

DÉBOUTE la société Y Z de sa demande en garantie à l’égard de la société O 1986 ;

DÉBOUTE la société Y Z de sa demande reconventionnelle en procédure abusive ;

CONDAMNE la société Y Z à verser aux sociétés LA P et O 1986 les sommes respectivement de 6 000 (six mille) et 4 000 (quatre mille) euros, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société Y Z aux entiers dépens, dont distraction au profit de de Maître I J en application de l’article 699 du code de procédure civile;

RAPPELLE que l’exécution provisoire est de droit.

Fait et jugé à Paris, le 21 Janvier 2022.

Le Greffier Le Président


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