Rupture du contrat d’agence de communication

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Rupture du contrat d’agence de communication

La durée d’un préavis de douze mois notifié à une agence de communication (Australie) par l’un de ses clients majeurs (Engie) est proportionnée à l’ancienneté de la relation commerciale établie entre les deux sociétés depuis 1999 ainsi qu’au temps nécessaire pour la société Australie de trouver, sur le marché de la publicité, des contrats de substitution équivalents à la marge brute de 20 % dont elle affirme qu’elle représentait le flux d’affaires avec la société Engie sur le total de son résultat.

En second lieu, et ainsi que le relève la société Engie, le maintien de la relation commerciale aux conditions antérieures au préavis pendant la durée de celui-ci ne correspond pas à la perte arithmétique du chiffre d’affaires que réclame la société Australie, alors qu’aucune disposition légale, ni l’activité de la publicité ne justifie qu’il soit dérogé à la seule appréciation de la perte des gains qu’elle a éprouvée ainsi que des pertes éventuellement subies en lien de causalité directe avec la rupture de la relation commerciale dans la limite du préavis raisonnable.

Alors que la société Australie ne caractérise pas la situation de sa dépendance économique avec la société Engie, que les pièces qu’elle produit ne permettent pas d’établir le taux de marge variable qu’elle a réalisé avec la société GDF Suez antérieurement au préavis, et dont elle aurait été privée, et tandis qu’elle ne peut prétendre que le départ de l’un de ses directeurs deux mois et demi après le terme du préavis a été directement causé par les conditions d’exécution du préavis, il se déduit du maintien des honoraires puis du forfait de 270.000 euros outre l’attribution d’un taux de 3% du budget publicitaire affecté à l’exploitation et aux créations publicitaires convenu, la preuve d’une indemnisation juste de la rupture de la relation commerciale établie exempte de faute.  

Par ailleurs, aucune preuve de déloyauté n’affecte non plus les circonstances dans lesquelles les parties ont négocié la prolongation du préavis avant d’en convenir des modalités financières et de son terme arrêté.

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 11

ARRET DU 15 JANVIER 2021

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/01606 –��N° Portalis 35L7-V-B7E-CBKXX

Décisions déférées à la Cour :

Arrêt du 25 Septembre 2019 – Cour de Cassation de PARIS – Pourvoi n° A18-11.112

Arrêt du 10 Novembre 2017 – Cour d’appel de PARIS – RG n° 15/17155

Jugement du 03 Mars 2015 – Tribunal de Commerce de Lyon – RG n° 2014J1019

DEMANDERESSE A LA SAISINE

S.A ENGIE anciennement dénommée GDF SUEZ

prise en la personne de ses représentants légaux

[…]

[…]

immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de NANTERRE sous le n° 542 107 651

représentée par Me Joyce LABI, avocat au barreau de PARIS, toque : P0023,

assistée de Me Bertrand DELCOURT, avocat au barreau de PARIS, toque : P23 substitué par Me Marie-José GONZALEZ, avocat au barreau de PARIS, toque : B0211

DEFENDERESSE A LA SAISINE

[…]

prise en la personne de ses représentants légaux

[…]

[…]

immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le n° 378 899 363

représentée par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS – AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055,

assistée de Me Xavier LOREAL, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : P0285

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 05 Novembre 2020, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Denis ARDISSON, Président de la chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Denis ARDISSON, Président de la chambre

Mme Marie-Ange SENTUCQ, Présidente de chambre

Mme Isabelle PAULMIER-CAYOL, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Saoussen HAKIRI.

ARRÊT :

— contradictoire,

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

— signé par M. Denis ARDISSON, Président de chambre et par Mme Saoussen HAKIRI, Greffier présent lors de la mise à disposition.

Par contrats successifs depuis 1999, la société Australie, agence de conseil en communication, s’est vue confier par la société Gaz de France puis la société GDF Suez une mission de conseil en communication dont les termes et conditions ont évolué par avenants, rémunérée par deux commissions sur les investissements médias, l’une au titre des travaux effectués et l’autre au titre de la cession des droits de propriété intellectuelle.

Par avenant du 15 avril 2011, les parties ont convenu de reporter le terme du contrat au 31 décembre 2011 et stipulé la faculté pour la société GDF Suez de résilier le contrat en fonction des résultats de l’appel d’offres pour les prestations de communication qu’elle a organisé courant 2011, auquel a participé la société Australie, et à la suite duquel elle n’a pas été retenue. En suite d’un dernier avenant du 16 février 2012 avec effet du 1er janvier 2012, les parties ont convenu de la poursuite du contrat pour une durée de cinq mois expirant le 31 mai 2012 moyennant un honoraire forfaitaire de 270.000 euros.

Contestant l’assiette de calcul de sa rémunération retenue par la société GDF Suez pendant la durée du contrat, et prétendant à un complément de rémunération ainsi qu’à une indemnité en réparation du préjudice au titre du préavis, la société Australie a assigné à ces fins la société GDF Suez le 13 décembre 2012 devant le tribunal de commerce de Paris qui s’est dessaisi et a renvoyé les parties devant le tribunal de commerce de Lyon lequel a, par jugement du 3 mars 2015 :

— condamné la société GDF Suez à payer la somme de 355.000 euros à la société Australie au titre de l’indemnité de préavis,

— débouté la société Australie de ses demandes au titre d’une rémunération rétrospective sur les achats d’espace internet,

— condamné la société GDF Suez à payer la somme de 15.000 euros à la société Australie au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— ordonné l’exécution provisoire du jugement,

— rejeté comme inutiles ou non fondées toutes autres demandes, moyens, fins et conclusions contraires des parties,

— condamné la société GDF Suez aux dépens de l’instance ;

Sur appel de la société Australie, la cour d’appel de Paris a, par arrêt du 10 novembre 2017 :

— confirmé le jugement entrepris qui a débouté la société Australie de sa demande fondée sur le paiement des honoraires,

— infirmé le jugement sur le surplus,

— déclaré la demande d’indemnisation du préavis irrecevable,

— condamné la société Australie à payer à la société GDF Suez, devenue Engie, la somme de 15.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamné la société Australie aux dépens tant de première instance et d’appel ;

Sur pourvoi de la société Engie, la chambre commerciale, financière et économique de la cour de cassation a, par arrêt du 25 septembre 2019 n° 18-11.112, cassé et annulé l’arrêt de la cour d’appel de Paris seulement en ce que, infirmant le jugement, il a déclaré la demande de la société Australie en indemnisation du préavis irrecevable en application du principe du non cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle et statué sur les dépens ainsi que pour l’application de l’article 700 du code de procédure civile.

PROCÉDURE SUR RENVOI DE CASSATION :

Vu la déclaration de la société Engie du 10 janvier 2020 pour la saisine de la cour d’appel de Paris désignée comme juridiction de renvoi en application des articles 1032 et suivants du code de procédure civile ;

Vu les conclusions transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 27 août 2020 pour la société Engie, aux fins d’entendre :

— dire la société Engie recevable et bien fondée en ses conclusions,

— dire que la demande d’honoraires au titre des achats d’espace Internet est définitivement rejetée et, en tant que de besoin, débouter la société Australie de cette demande,

— confirmer le jugement en ce qu’il a considéré que la durée du préavis était suffisante eu égard aux éléments de l’espèce,

— infirmer le jugement en ce qu’il a décidé que la rémunération perçue au cours du préavis était insuffisante et alloué à la société Australie la somme complémentaire de 355.000 euros à ce titre,

— dire que la société Australie a perçu pendant toute la durée du préavis, la rémunération convenue, librement négociée et arrêtée d’un commun accord,

— débouter la société Australie de toutes ses demandes relativement à la rémunération perçue pendant la durée du préavis et, en tant que de besoin, la condamner à restituer la somme perçue de 355.000 euros,

— rejeter toutes autres demandes de la société Australie,

— condamner la société Australie à payer la somme de 15.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— laisser les dépens de première instance et d’appel à la charge de la société Australie et autoriser la société d’avocats SCPA à se prévaloir des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;

Vu les conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats le 12 mai 2020 pour la société Australie afin d’entendre :

— dire recevable et bien fondée la société Australie en ses conclusions,

à titre principal au visa de l’article L. 442-6-I-5° du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige,

— confirmer le jugement en ce qu’il a considéré que le préavis a pris fin le 31 mai 2012 et condamné la société la société GDF Suez à verser une indemnité de préavis en réparation de la rupture brutale des relations,

— infirmer le jugement en ce qu’il a fixé cette indemnité de préavis à 355.000 euros,

— condamner la société Engie à payer la somme de 394.603 euros à titre d’indemnité de préavis,

à titre subsidiaire au visa des articles 1147, 1134 et 1135 du code civil dans leur rédaction antérieure au 1er octobre 2016,

— dire que la société GDF Suez n’a pas exécuté loyalement le préavis dont devait bénéficier la société Australie,

— condamner la société Engie à payer la somme de 394.603 euros à titre d’indemnité de préavis,

en tout état de cause,

— débouter la société Engie de toutes ses demandes, fins et conclusions,

— confirmer le jugement en ce qu’il a statué sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamner la société Engie à payer une somme de 15.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamner la société Engie en tous les dépens dont distraction au profit de Me Frédéric Ingold, avocat, conformément à l’article 699 du code de procédure civile,

— condamner la société Engie en tous les frais d’exécution, en ce compris au droit proportionnel appelé par l’huissier de justice en charge de l’exécution forcée, conformément aux articles L. 111-8 du code de procédure civile d’exécution et A. 444-32 du code de commerce.

* *

La clôture de l’instruction a été ordonnée par le président à l’audience du 1er octobre 2020 et l’affaire a été renvoyée à l’audience du 5 novembre 2020.

SUR CE, LA COUR,

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, renvoie à leurs conclusions, au jugement ainsi qu’aux arrêts, l’irrecevabilité tirée du principe de non cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle n’étant par ailleurs plus discutée.

1. Sur les demandes de dommages et intérêts fondées sur la déloyauté

Pour conclure à l’inexécution déloyale du préavis par la société GDF Suez en violation de l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n°2010-874 du 27 juillet 2010, ou subsidiairement, des articles 1134 et 1147 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, et entendre confirmer le jugement qui a retenu le versement d’une indemnité complémentaire au titre du préavis qu’elle prétend cependant voir fixer à 394.603 euros, la société Australie soutient que la société GDF Suez lui a imposé dans l’avenant du 16 février 2012 pour les cinq mois de janvier à mai 2012, une modification de la structure de sa rémunération ‘non révisable et forfaitaire de 270.000 euros hors taxes au titre des opérations publicitaires pour la marque Gaz de France DolceVita outre ‘3 % du budget publicitaire affecté à l’exploitation de la ou des créations [publicitaires]’, au lieu de la rémunération convenue en 2011 de 10 % du montant des achats d’espaces publicitaires ou celle, minimale, de 1.550.000 euros.

La société Australie relève en droit que, sauf circonstances particulières, l’octroi d’un préavis suppose le maintien de la relation commerciale aux conditions antérieures et qu’il appartenait à la société GDF Suez de garantir pendant toute la durée du préavis un niveau d’activité comparable à celui qui le précédait.

Elle estime que le montant du forfait révisé n’était pas proportionné aux investissements qu’elle avait réalisés pendant la durée de la relation commerciale avec la société GDF Suez et pour contester cet honoraire, dont elle soutient qu’elle ne pouvait s’y opposer avant le terme du contrat, elle accuse la baisse qu’il représente par comparaison avec celui résultant du taux de 10 % appliqué aux achats d’espaces nets investis par la société GDF Suez en 2011 qui se sont élevés à 1.634.527 euros hors taxes pour un volume d’achat d’espaces de 16.345.270 euros.

Elle soutient d’autre part que la société GDF Suez était son deuxième client représentant ‘plus de 20% de la marge brute de l’agence de l’ordre de 2,9 millions d’euros en 2007 et 3,5 millions d’euros en 2008’ et prétend en outre que malgré l’opération d’absorption de deux de ses filiales intervenue en 2012, la rupture de la relation contractuelle a diminué son chiffre d’affaires de 3.450.000 euros, soit 13 % par rapport à 2011. Elle oppose encore la rupture conventionnelle du contrat de travail qu’elle a dû consentir en août 2012 avec l’un des directeurs de l’agence en raison de la perte de marché avec la société GDF Suez.

En suite, la société Australie conclut que pour les prestations de publicité, il n’est pas d’usage que les honoraires soient déterminés en matière de rupture de relation commerciale établie d’après la marge brute ainsi que différentes décisions de la cour d’appel de Paris l’ont écarté.

Enfin, elle conteste la société GDF Suez en ce qu’elle lui oppose l’allocation du budget de publicité qu’elle a offert à la société Publicis Conseil à la suite de l’appel d’offres pour justifier la baisse de rémunération lors des cinq derniers mois de préavis et relève à cet égard que le montant brut des achats d’espaces publicitaires de la société GDF Suez s’est élevé de janvier à mai 2012 à 25.543.333 euros pour atteindre 16.859.914 euros en juin 2012, ce qui manifeste la concurrence déloyale dans laquelle l’appel d’offres a placé la société Australie.

Ainsi, et sur la base de 18.995.270 euros investis en 2011 par la société GDF pour l’achat d’espaces y compris l’investissement pour les publicités sur Internet et correspondant à un honoraire annuel de 1.709.574 euros au taux de 9 %, la société Australie prétend à un honoraire rapporté aux cinq derniers mois de préavis de 712.322 euros duquel doit être déduit la somme de 317.719 euros versés.

Au demeurant, et en premier lieu, la durée du préavis accordée du 15 avril au 31 décembre 2011 prolongée jusqu’au 31 mai 2012, soit plus de douze mois, est proportionnée à l’ancienneté de la relation commerciale établie entre les deux sociétés depuis 1999 ainsi qu’au temps nécessaire pour la société Australie de trouver, sur le marché de la publicité, des contrats de substitution équivalents à la marge brute de 20 % dont elle affirme qu’elle représentait le flux d’affaires avec la société Engie sur le total de son résultat.

En second lieu, et ainsi que le relève la société Engie, le maintien de la relation commerciale aux conditions antérieures au préavis pendant la durée de celui-ci ne correspond pas à la perte arithmétique du chiffre d’affaires que réclame la société Australie, alors qu’aucune disposition légale, ni l’activité de la publicité ne justifie qu’il soit dérogé à la seule appréciation de la perte des gains qu’elle a éprouvée ainsi que des pertes éventuellement subies en lien de causalité directe avec la rupture de la relation commerciale dans la limite du préavis raisonnable.

Et alors que la société Australie ne caractérise pas la situation de sa dépendance économique avec la société Engie, que les pièces n° 41 à 43 qu’elle produit ne permettent pas d’établir le taux de marge variable qu’elle a réalisé avec la société GDF Suez antérieurement au préavis, et dont elle aurait été privée, et tandis qu’elle ne peut prétendre que le départ de l’un de ses directeurs deux mois et demi après le terme du préavis a été directement causé par les conditions d’exécution du préavis, il se déduit du maintien des honoraires du 15 avril au décembre 2011, sur la base de celui convenu en 2011, puis du forfait de 270.000 euros outre l’attribution d’un taux de 3% du budget publicitaire affecté à l’exploitation et aux créations publicitaires convenu le 16 février 2012, la preuve d’une indemnisation juste de la rupture de la relation commerciale établie exempte de faute, de sorte que le jugement sera infirmé de ce chef et la société Australie déboutée de sa demande.

Par ailleurs, aucune preuve de déloyauté n’affecte non plus les circonstances dans lesquelles les parties ont négocié en février 2012 la prolongation du préavis avant d’en convenir des modalités financières et de son terme arrêté au 31 mai 2012, de sorte que le jugement qui a implicitement écarté cette demande sur ce fondement sera confirmé.

2. Sur les frais irrépétibles et les dépens

La société Australie succombant dans sa demande, il convient d’infirmer le jugement en ce qu’il a statué sur les frais irrépétibles et les dépens et statuant à nouveau y compris en cause de renvoi sur cassation, elle supporta tous les dépens et sera condamnée à verser la somme de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS :

Infirme le jugement en toutes ses dispositions déférées, sauf celle qui a implicitement débouté la société Australie de sa demande au titre de la responsabilité contractuelle ;

Statuant à nouveau,

Déboute la société Australie de sa demande de dommages et intérêts fondée sur l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ;

Condamne la société Australie aux dépens de première instance et sur renvoi de cassation dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile ;

Condamne la société Australie à payer à la société Engie la somme de 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


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