3 millions d’euros pour l’ex présentatrice du Grand journal

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3 millions d’euros pour l’ex présentatrice du Grand journal

Décision inédite : le groupe Canal Plus vient d’être condamné à payer à l’ex présentatrice du Grand journal Maitena Biraben une somme record de plus de 3 millions d’euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et indemnités de rupture.  La juridiction a fait pleine application de la clause pénale stipulée au contrat de travail de la présentatrice.

Par ailleurs, annoncer le départ de la présentatrice avant que celle-ci n’ait remis sa démission, expose l’employeur à une condamnation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. 

Communiqué de presse fautif

La direction de la communication de la société d’édition de Canal Plus a diffusé un communiqué indiquant que la présentatrice a souhaité quitter la présentation du Grand Journal à la fin de la saison.

Or, la présentatrice avait été engagée pour occuper les fonctions de présentatrice d’une série d’émissions quotidiennes intitulée ‘Le Grand Journal’ et la société d’édition de Canal plus ne lui ayant pas fait, en tout état de cause, de proposition précise d’un poste équivalent comportant la même rémunération.

Le communiqué de presse annonçant son départ constituait, de la part de l’employeur, la manifestation d’une volonté claire et non équivoque de mettre fin au contrat de travail de la salariée.

Licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse

La décision de rompre le contrat de travail de la salariée ayant été prise et portée à la connaissance de celle-ci avant même l’envoi  de la lettre de licenciement, et donc sans motif, ce licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Courrier électronique suspicieux

10 minutes avant la diffusion du communiqué de presse, la direction avait adressé l’email suivant à la présentatrice :

‘Pour faire suite à notre dernier entretien, je tiens à te redire combien nous regrettons ta décision de ne pas poursuivre la présentation du Grand Journal la saison prochaine. Malgré l’attachement de Canal envers toi, nous ne pouvons guère faire autre chose aujourd’hui que de prendre acte de cette décision.

Je te remercie par ailleurs de bien vouloir me confirmer que tu déclines également notre proposition d’animation d’une autre émission sur la chaîne. Si cette décision est définitive, notre service juridique se rapprochera de ton conseil afin d’en régler les modalités administratives. Il nous faudra en outre bien coordonner la communication autour de cette nouvelle, avec les services de la maison que tu connais bien et cela pour éviter toute communication défavorable tant pour toi que pour la chaîne.

Même si à nouveau, je regrette vivement tes décisions, je les respecte pleinement et l’essentiel est que, comme tu le souhaites, nous puissions fermer cette page de l’histoire de ta collaboration avec la chaîne, sans heurts, ni rancoeur entre nous.

D’avance merci beaucoup pour ton retour.’

Le même jour, la présentatrice avait répondu :

‘Je suis abasourdie d’apprendre ce matin dans les médias que Canal a décidé mon départ!’ ; ‘Je te relis… Et je tiens à préciser que contrairement à ce que dit ton mail, ce n’est pas du tout ma décision que de ne pas poursuivre la présentation du Grand Journal, quant à la com, le communiqué de Canal est parti 10’ avant que tu m’écrives souhaiter qu’elle soit commune! Une communication décidée exclusivement par Canal Plus!’ ;

Démission de la salariée 

L’employeur, qui s’est abstenu de demander à la salariée de présenter sa démission par écrit, contrairement à ce que prévoient l’article 10 de son contrat de travail et l’article VII du chapitre V de la convention collective d’entreprise, a, sans attendre sa réponse au courriel du directeur des Antennes, prenant acte de sa prétendue décision, diffusé un communiqué établi unilatéralement lui imputant l’initiative de mettre un terme à sa présentation du Grand Journal à la fin de la saison et lui souhaitant un plein succès dans ses projets, sans faire aucunement état de ce que la présentation d’une autre émission de Canal+ pourrait lui être confiée.

Il s’agissait donc bien de l’annonce de la cessation de la relation contractuelle à la fin de la saison et non d’un changement de fonction.

Or, la démission ne peut résulter que d’une manifestation claire et non équivoque du salarié de rompre son contrat de travail. Elle doit être l’expression d’une volonté libre et réfléchie.

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE VERSAILLES

15e chambre

ARRÊT DU 23 JUIN 2021

N° RG 18/04139

N° Portalis DBV3-V-B7C-SV4E

AFFAIRE :

S.A.S. SOCIETE D’EDITION DE CANAL PLUS

C/

D X

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 27 septembre 2018 par le Conseil de Prud’hommes de Boulogne-Billancourt

N° Section : Encadrement

N° RG : 16/01748

LE VINGT TROIS JUIN DEUX MILLE VINGT ET UN,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

S.A.S. SOCIETE D’EDITION DE CANAL PLUS

N° SIRET : 329 211 734

[…]

[…]

Représentée par Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 et par Me Eric MANCA de la SCP AUGUST & DEBOUZY et associés, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0438

APPELANTE

****************

Madame D X

née le […] à […], de nationalité française

[…]

[…]

Comparante, assistée par Me Jacques BELLICHACH, Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G0334 et par Me Claire FOUGEA du PARTNERSHIPS BRYAN CAVE LEIGHTON PAISNER (France) LLP, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0008

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

L’affaire a été débattue à l’audience publique du 11 mai 2021, Régine CAPRA, présidente ayant été entendue en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Régine CAPRA, Présidente,

Monsieur Jean-Yves PINOY, Conseiller,

Madame Perrine Y, Vice-président placé,

qui en ont délibéré,

Greffier lors des débats : Madame Carine DJELLAL

FAITS ET PROCÉDURE,

Après avoir travaillé au sein de la société d’édition de Canal Plus dans le cadre de plusieurs contrats de travail à durée déterminée d’usage successifs comme présentatrice de l’émission ‘La matinale’, Mme D X a été engagée à compter du 1er juillet 2013 par la société d’édition de Canal Plus par contrat de travail à durée indéterminée en qualité de présentatrice, statut cadre, moyennant un salaire annuel brut de 325 000 euros, soit un salaire mensuel brut de 25 000 euros par mois sur treize mois, pour 218 jours de travail par an pour une année complète d’activité, une prime exceptionnelle forfaitaire de 360 000 euros sous réserve de sa présence effective dans ses fonctions au 30 septembre 2016 convenue le 18 juin 2013 et une prime exceptionnelle forfaitaire de 360 000 euros sous réserve de sa présence effective au 30 septembre 2019 convenue le 12 juin 2015. Elle était chargée alors de présenter l’émission ‘Le supplément’.

Selon contrat de travail du 25 septembre 2015, elle a été engagée à compter du 1er septembre 2015, avec reprise d’ancienneté depuis le 1er août 2008, par la société d’édition de Canal Plus en qualité de présentatrice d’une série d’émissions quotidiennes intitulée ‘Le Grand Journal’, statut cadre, moyennant un salaire annuel brut de 650 000 euros, soit un salaire mensuel brut de 50 000 euros par mois sur treize mois, pour 218 jours de travail par an pour une année complète d’activité, une prime exceptionnelle forfaitaire de 360 000 euros versée avec son salaire du mois de juin 2016, sous réserve de sa présence effective jusqu’au 24 juin 2016, annulant et remplaçant la prime convenue le 18 juin 2013, et une prime exceptionnelle forfaitaire de 360 000 euros sous réserve de sa présence effective du 25 juin 2016 jusqu’au 24 juin 2019, annulant et remplaçant la prime convenue le 12 juin 2015.

Pour toutes les dispositions non expressément prévues au contrat de travail, les parties convenaient de se référer à la convention collective d’entreprise de Canal + et aux accords en vigueur au sein de l’UES Canal +.

Le 2 juin 2016, la direction de la communication de la société d’édition de Canal Plus a diffusé un communiqué indiquant que Mme X a souhaité quitter la présentation du Grand Journal à la fin de la saison.

Le 27 juin 2016, elle a diffusé un nouveau communiqué annonçant notamment qu’à la rentrée ‘Le Grand Journal’ sera présenté par M. Y.

Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 28 juin 2016, la société d’édition de Canal Plus a notifié à Mme X une convocation à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour faute grave fixé au 7 juillet 2016, avec mise à pied conservatoire dans l’attente de la décision à intervenir, puis par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 18 juillet 2016, elle lui a notifié son licenciement pour faute grave.

Contestant la rupture de son contrat de travail et estimant ne pas avoir été remplie de ses droits, Mme X a saisi le 29 juillet 2016 le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt aux fins d’obtenir le paiement de diverses sommes.

Par jugement du 27 septembre 2018, le conseil de prud’hommes a :

— dit que le licenciement de Mme X est dénué de cause réelle et sérieuse,

— fixé le salaire mensuel brut de celle-ci à 84 167,67 euros,

— condamné la société d’édition de Canal plus à payer à Mme X les sommes suivantes :

. 38 456,22 euros bruts à titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied,

. 3 845,62 euros bruts au titre des congés payés afférents,

. 162 500 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

. 16 250 euros bruts au titre des congés payés afférents,

. 138 356 euros bruts à titre d’indemnité de licenciement,

. 2 550 000 euros bruts au titre de l’indemnité contractuelle de rupture,

. 510 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. 1 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

— ordonné la fourniture par la société d’édition de Canal plus à Mme X des documents sociaux corrigés selon les dispositions du jugement (certificat de travail, document Pôle emploi, feuilles de paie),

— ordonné l’exécution provisoire de l’intégralité des dispositions du jugement,

— débouté Mme X du surplus de ses demandes,

— débouté la société d’édition de Canal plus de l’intégralité de ses demandes,

— condamné la société d’édition de Canal plus aux entiers dépens.

La société d’édition de Canal plus a interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe du 3 octobre 2018.

Elle a assigné Mme X en référé devant le premier président de la cour d’appel de Versailles aux fins d’obtenir l’arrêt de l’exécution provisoire des dispositions du jugement l’ayant condamnée à payer à celle-ci la somme de 2 550 000 euros au titre de l’indemnité contractuelle de rupture et la somme de 510 000 euros au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ou, subsidiairement, l’aménagement de l’exécution provisoire de ces dispositions.

Par ordonnance de référé du 20 décembre 2018, le magistrat délégué par le premier président de la cour d’appel de Versailles a débouté la société d’édition de Canal plus de sa demande d’arrêt de l’exécution provisoire, ordonné la consignation par la société d’édition de Canal plus entre les mains de la Carpa de la somme globale de 1 555 000 euros, dont 1 500 000 euros au titre de l’indemnité contractuelle de rupture et 55 000 euros au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné la société d’édition de Canal plus aux dépens ainsi qu’à payer à Mme X la somme de 4 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par Rpva le 12 avril 2021, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé de ses moyens, la société d’édition de Canal plus formule les prétentions suivantes :

À titre principal, infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a dit le licenciement de Mme X sans cause réelle et sérieuse, dire le licenciement pour faute grave de celle-ci bien fondé, débouter l’intéressée de l’ensemble de ses demandes ; elle demande en outre à la cour de condamner Mme X à lui payer la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

À titre subsidiaire, dans l’hypothèse de l’absence de faute grave :

— fixer à :

. 55 944 euros le salaire de référence de Mme X,

. 27 972 euros le rappel de salaire pour mise à pied conservatoire,

. 2 797,20 euros au titre des congés payés afférents,

. 167 832 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,

. 16 783,20 euros au titre des congés payés afférents,

. 89 510,40 euros au titre de l’indemnité de licenciement,

— réduire l’indemnité contractuelle de rupture à la somme de 335 664 euros,

— confirmer le jugement en ce qu’il a débouté Mme X de sa demande de dommages-intérêts pour circonstances vexatoires de la rupture du contrat de travail,

— confirmer le jugement en ce qu’il a débouté Mme X de sa demande d’affichage de la décision aux portes des établissements de la société ;

À titre infiniment subsidiaire, dans l’hypothèse d’une requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse :

— fixer à :

. 55 944 euros le salaire de référence de Mme X,

. 27 972 euros le rappel de salaire pour mise à pied conservatoire,

. 2 797,20 euros au titre des congés payés afférents,

. 167 832 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,

. 16 783,20 euros au titre des congés payés afférents,

. 89 510,40 euros au titre de l’indemnité de licenciement,

— réduire l’indemnité contractuelle de rupture à la somme de 335 664 euros,

— fixer l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à 335 664 euros,

— confirmer le jugement en ce qu’il a débouté Mme X de sa demande de dommages-intérêts pour circonstances vexatoires de la rupture du contrat de travail,

— confirmer le jugement en ce qu’il a débouté Mme X de sa demande d’affichage de la décision aux portes des établissements de la société ;

En tout état de cause, infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a ordonné l’exécution provisoire sur la totalité des sommes allouées à Mme X et dire que l’indemnité contractuelle de rupture ne sera acquise à la salariée, licenciée pour faute grave, qu’en cas de décision de justice devenue définitive disant que son licenciement ne repose pas sur une faute grave.

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par Rpva le 24 mars 2021, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé de ses moyens, Mme X formule les prétentions suivantes :

Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :

— dit que son licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse,

— fixé son salaire mensuel brut à 84 167,67 euros,

— condamné la société d’édition de Canal plus à lui payer les sommes suivantes :

. 38 456,22 euros brut à titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied,

. 3 845,62 euros brut au titre des congés payés afférents,

. 162 500 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

. 16 250 euros au titre des congés payés afférents,

. 138 356 euros à titre d’indemnité de licenciement,

. 2 550 000 euros au titre de l’indemnité contractuelle de rupture,

— ordonné la fourniture par la société d’édition de Canal plus à Mme X des documents sociaux corrigés selon les dispositions du jugement (certificat de travail, document Pôle emploi, feuilles de paie),

— débouté la société d’édition de Canal plus de toutes ses demandes ;

L’infirmer en ce qu’il a :

— limité la condamnation de la société d’édition de Canal plus à la somme de 510 000 euros au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

— rejeté sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral,

et, statuant à nouveau de ces chefs, de :

— condamner la société d’édition de Canal plus à lui payer les sommes suivantes :

. 1 010 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. 500 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral ;

Déclarer irrecevable la demande de la société d’édition de Canal plus tendant à l’infirmation du jugement en ce qu’il a prononcé l’exécution provisoire sur la totalité des sommes mises à sa charge et à ce que la cour dise que l’indemnité contractuelle de rupture ne sera acquise à la salariée, licenciée pour faute grave, qu’en cas de décision de justice devenue définitive disant que son licenciement ne repose pas sur une faute grave Mme X, ou, subsidiairement, débouter la société d’édition de Canal plus de cette demande ;

Rappeler que les intérêts légaux afférents aux condamnations portant sur des dommages-intérêts et sur l’indemnité contractuelle se calculent sur le montant brut des condamnations ordonnées ;

Ordonner la capitalisation des intérêts dans les termes de l’article 1343-2 du code civil.

Elle demande en outre à la cour de condamner la société d’édition de Canal plus aux dépens de première instance et d’appel, d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a limité la condamnation de celle-ci à lui payer la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et de condamner la société d’édition de Canal plus à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La clôture de l’instruction a été ordonnée le 14 avril 2021.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, la cour rappelle qu’en application des dispositions de l’article 954 du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.

1- Sur la rupture du contrat de travail

Mme X fait valoir à titre principal qu’elle a fait l’objet d’un licenciement de fait, nécessairement sans cause réelle et sérieuse, par les communiqués de presse de Canal + du 2 juin et du 27 juin 2016, et, subsidiairement, que le licenciement pour faute grave qui lui a été notifié par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 18 juillet 2016 ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse, les motifs invoqués étant fallacieux.

Il est établi par les pièces produites :

— que le mardi 31 mai 2016 à 8h23, Mme X a adressé à M. Z, directeur général des Antennes du groupe Canal +, un courriel en ces termes : ‘Merci encore pour ta bienveillance hier après-midi pendant notre rendez-vous. Avant de nous retrouver ce jour, je te mets par écrit ce que j’ai retenu de la réunion d’hier avec les Flab (la société de production du Grand Journal) dans ton bureau. Il est important que nous n’ayons aucun malentendu à ce sujet… On est bien d’accord’ A tout à l’heure!’ ;

— que le même jour à 9h14, M. Z lui a répondu par courriel en ces termes : ‘oui dans les grandes lignes le reste à construire ensemble et bénéficier des enseignements de cette saison, à tout à l’heure’ ;

— que le jeudi 2 juin 2016, la direction de la communication de la société d’édition de Canal plus a diffusé le communiqué suivant :

‘D X a souhaité quitter la présentation du Grand Journal à la fin de la saison. Son énergie et sa passion ont nourri les émissions qu’elle a animées sur les antennes de Canal+ : Nous ne sommes pas des anges, Les nouveaux explorateurs, La matinale, Le supplément et Le Grand Journal.

Nous lui souhaitons un plein succès dans ses projets.’

— que le même jour à 9h42, M. Z a adressé à Mme X le courriel suivant :

‘Pour faire suite à notre dernier entretien, je tiens à te redire combien nous regrettons ta décision de ne pas poursuivre la présentation du Grand Journal la saison prochaine. Malgré l’attachement de Canal envers toi, nous ne pouvons guère faire autre chose aujourd’hui que de prendre acte de cette décision.

Je te remercie par ailleurs de bien vouloir me confirmer que tu déclines également notre proposition d’animation d’une autre émission sur la chaîne. Si cette décision est définitive, notre service juridique se rapprochera de ton conseil afin d’en régler les modalités administratives. Il nous faudra en outre bien coordonner la communication autour de cette nouvelle, avec les services de la maison que tu connais bien et cela pour éviter toute communication défavorable tant pour toi que pour la chaîne.

Même si à nouveau, je regrette vivement tes décisions, je les respecte pleinement et l’essentiel est que, comme tu le souhaites, nous puissions fermer cette page de l’histoire de ta collaboration avec la chaîne, sans heurts, ni rancoeur entre nous.

D’avance merci beaucoup pour ton retour.’

— que le même jour à 11h07, Mme X a adressé à M. Z un courriel en ces termes : ‘Je suis abasourdie d’apprendre ce matin dans les médias que Canal a décidé mon départ!’ ;

— que le même jour à 11h23, elle lui a adressé le courriel suivant : ‘Je te relis… Et je tiens à préciser que contrairement à ce que dit ton mail, ce n’est pas du tout ma décision que de ne pas poursuivre la présentation du Grand Journal, quant à la com, le communiqué de Canal est parti 10’ avant que tu m’écrives souhaiter qu’elle soit commune! Une communication décidée exclusivement par Canal Plus!’ ;

— que le même jour à 18 heures, elle lui a adressé le courriel suivant : ‘Le préjudice résultant du communiqué de Canal + annonçant à tort ma démission est très lourdement aggravé par le fait que je ne suis pas en mesure de commenter cette information lors de mon passage à l’antenne ce soir, ce que vous ne pouvez pas ignorer!…’ ;

— que le vendredi 3 juin 2016 à 9h30, il lui a répondu par le courriel suivant :

‘Les déclarations de ces dernières 24 heures se font des plus équivoques quant à ta volonté de départ alors même que tu m’avais confirmé expressément cette volonté de départ lors de notre réunion de mardi dernier dans le bureau de F C.

Aussi, je te le redemande, souhaites-tu toujours partir ou bien rester au sein de Canal +ou tu conserves toute ta place.

A défaut même de vouloir continuer l’aventure au Grand Journal pour des raisons qui te sont propres, nous te réitérons notre proposition d’émission (l’hebdo) pour la saison prochaine.

Merci par avance de ton retour, sachant que, comme tu le sais, si tu venais à changer d’avis, ton maintien serait une heureuse nouvelle…’ ;

— que le même jour à 15h01, Mme X lui a écrit : ‘Ton mail est sidérant. Il n’y a aucune équivoque. Je n’ai jamais démissionné. Ni fait aucune déclaration de cette nature…’

— que le lundi 6 juin 2016 à 9h30, il lui a écrit : ‘Tu ne te considères plus comme démissionnaire. Dont acte…’

— que le lundi 20 juin 2016 à 15h58, M. Z a informé Mme X que la première réunion de travail sur la préparation du Grand Journal pour la rentrée aura lieu le jeudi 23 juin à 10 heures et lui a demandé de lui confirmer sa présence à celle-ci ;

— que le mardi 21 juin 2016 à 10h17, Mme X, indiquant, d’une part, se demander ce que l’on attend d’elle à cette réunion, dès lors que Canal + n’a à aucun moment démenti le communiqué de 2 juin annonçant son départ et que la société lui cherche officiellement un successeur, et, d’autre part, souhaiter pouvoir consacrer les journées des 23 et 24 juin à se concentrer sur les deux dernières émissions de la saison, a répondu que si sa présence est nécessaire, elle assistera à la réunion que Canal aura fixée, mais après le 30 juin ;

— que par un communiqué du 27 juin 2016, la direction de la communication de la société d’édition de Canal plus a annoncé qu’à la rentrée Le Grand Journal sera présenté par G Y.

Mme X a contesté formellement avoir démissionné, tandis que la société d’édition de Canal

plus a prétendu qu’elle avait annoncé son départ lors d’une réunion du 31 mai 2016, avant de se rétracter et de prétendre avoir été limogée au vu du communiqué de presse du 2 juin 2016.

Dans son attestation, établie le 30 janvier 2018, Mme A, qui a assisté Mme X lors de l’entretien préalable du 7 juillet 2016, conduit par M. Z, directeur général des Antennes du groupe Canal +, et Mme B, directrice des ressources humaines du groupe Canal +, écrit : ‘A plusieurs reprises j’ai demandé à quel moment ils pouvaient considérer que D X avait démissionné qui justifiait le communiqué de presse du 2 juin 2016. Jamais ils ne m’ont confirmé ni l’un, ni l’autre que D X aurait démissionné. H Z a admis que le communiqué de presse du 2 juin 2016 a été diffusé sans aucun accord préalable de D X.’

Dans son attestation, établie le 16 février 2018, M. C écrit :

— que Mme X ayant signifié verbalement à M. Z et à lui-même, alors directeur des programmes de flux des chaînes du groupe Canal +, qu’elle ne comptait pas poursuivre la présentation de la quotidienne ‘Le Grand Journal’, ils ont organisé le 31 mai après-midi un rendez-vous avec elle pour trouver une solution ;

— que face à sa détermination à ne pas continuer dans les conditions actuelles, elle exigeait notamment un droit de regard sur l’environnement de production, ce qui n’était pas négociable, ils lui ont proposé pour sortir de l’impasse, la présentation d’un magazine hebdomadaire politique démarrant en janvier 2017 ;

— qu’elle resterait de juin à janvier sous contrat Canal et rémunérée chaque mois, cette période devant lui permettre de se reposer physiquement et moralement et de travailler à la conception de cette nouvelle émission ;

— qu’elle a préféré leur annoncer sa décision de cesser toute collaboration avec le Groupe et qu’il a pensé qu’ils étaient face à quelqu’un d’irrationnel.

Cette attestation n’est cependant pas suffisamment précise quant aux circonstances et aux termes dans lesquelles, le 31 mai 2016 après-midi, Mme X aurait soudainement annoncé sa décision de cesser toute collaboration avec le Groupe Canal+ pour emporter la conviction de la cour.

L’employeur, qui s’est abstenu de demander à Mme X de présenter sa démission par écrit, contrairement à ce que prévoient l’article 10 de son contrat de travail et l’article VII du chapitre V de la convention collective d’entreprise, a, sans attendre sa réponse au courriel du directeur des Antennes du 2 juin à 9h42 prenant acte de sa prétendue décision, diffusé un communiqué établi unilatéralement lui imputant l’initiative de mettre un terme à sa présentation du Grand Journal à la fin de la saison et lui souhaitant un plein succès dans ses projets, sans faire aucunement état de ce que la présentation d’une autre émission de Canal+.pourrait lui être confiée. Il s’agit donc bien de l’annonce de la cessation de la relation contractuelle à la fin de la saison et non d’un changement de fonction.

La démission ne peut résulter que d’une manifestation claire et non équivoque du salarié de rompre son contrat de travail. Elle doit être l’expression d’une volonté libre et réfléchie.

La réalité de la prétendue démission de Mme X annoncée publiquement par la société d’édition de Canal plus dans son communiqué du 2 juin 2016 n’est pas établie. La société d’édition de Canal plus est donc mal fondée à invoquer sa rétractation.

Bien qu’elle ait pris acte le 6 juin 2016 de ce que Mme X ne se considérait pas comme démissionnaire et ait renoncé à se prévaloir d’une rupture du contrat de travail par démission verbale de la salariée, ainsi que le démontre le licenciement ultérieurement prononcé le 18 juillet 2016, la société d’édition de Canal plus a néanmoins diffusé le 27 juin 2016 un communiqué dont il ressortait qu’à la rentrée, en septembre, Mme X n’apparaissait plus dans sa grille de programmes et qu’elle était remplacée comme présentatrice de l’émission Le Grand Journal par M. Y.

Mme X ayant été expressément engagée par la société d’édition de Canal plus pour occuper les fonctions de présentatrice d’une série d’émissions quotidiennes intitulée ‘Le Grand Journal’ et la société d’édition de Canal plus ne lui ayant pas fait, en tout état de cause, de proposition précise d’un poste équivalent comportant la même rémunération, ce communiqué du 27 juin 2016 constitue, de la part de l’employeur, la manifestation d’une volonté claire et non équivoque de mettre fin au contrat de travail de la salariée. La décision de rompre le contrat de travail de Mme X ayant été prise et portée à la connaissance de celle-ci avant même l’envoi, le 18 juillet 2016, de la lettre de licenciement, et donc sans motif, ce licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu’il a dit que le licenciement de Mme X est dénué de cause réelle et sérieuse.

2- Sur la rémunération de Mme X

La rémunération de Mme X se composait :

— d’un salaire mensuel brut, qui était de 25 000 euros en juillet et août 2015 et de 50 000 euros de septembre 2015 à juin 2016 ;

— d’une prime de treizième mois, prévue par l’article II du chapitre III de la convention collective d’entreprise, égale pour une année complète de présence au montant des appointements bruts de base au taux en vigueur au mois de décembre de l’année considérée, payable pour moitié à la fin du mois de juin (acompte 13e mois) et pour moitié à la fin du mois de décembre (13e mois – acompte 13e mois juin), et calculée prorata temporis sur la base du dernier mois de salaire brut de base en cas de cessation du contrat de travail en cours d’année,

— d’une prime exceptionnelle forfaitaire de 360 000 euros payable avec son salaire de juin 2016, sous réserve de sa présence effective jusqu’au 24 juin 2016, étant précisé que cette prime sera due par l’employeur au prorata temporis de la période de 3 années (juin 2013-juin 2016) s’il est à l’initiative de la fin du contrat de travail, pour quelque motif que ce soit, hors faute grave ou faute lourde, avant la date du 24 juin 2016.

3- Sur le rappel de salaire pour la période de mise à pied

Si la décision de l’employeur de rompre le contrat de travail a été portée à la connaissance de la salariée dès le 27 juin 2016, la relation contractuelle s’est néanmoins poursuivie jusqu’au 18 juillet 2016.

En l’absence de faute grave, qui seule peut justifier une mise à pied conservatoire, Mme X a droit au paiement de son salaire pendant cette période.

Il résulte du bulletin de paie du mois de juillet 2016, dont il n’est pas contesté qu’il a donné lieu au paiement des sommes qu’il mentionne, que l’employeur :

— a retenu sur le salaire de la salariée, au titre de la mise à pied conservatoire, la somme de 35 497,81 euros, selon le décompte suivant :

. 4 545,46 euros pour deux jours non rémunérés du 29 au 30 juin [(50 000/22) x 2] ;

. 30 952,35 euros pour treize jours non rémunérés du 1er au 20 juillet [(50 000/21) x 13] ;

— n’a pas en revanche déduit la période de mise à pied conservatoire pour le calcul prorata temporis du 13e mois, fixé à 27 688,17 euros.

Mme X est en conséquence mal fondée à prétendre à un rappel de salaire de 38 456,22 euros calculé sur la base d’un salaire de 54 166,67 euros, treizième mois inclus, outre la somme de 3 845,62 euros au titre des congés payés afférents.

Il convient en conséquence d’infirmer le jugement entrepris et de condamner la société d’édition de Canal plus à payer à Mme X la somme de 35 497,81 euros bruts à titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire ainsi que la somme de 3 549,78 euros bruts au titre des congés payés afférents.

4- Sur l’indemnité compensatrice de préavis

En l’absence de faute grave et a fortiori de cause réelle et sérieuse justifiant son licenciement, Mme X a droit à l’indemnité compensatrice de préavis.

L’article VIII du chapitre V de la convention collective d’entreprise fixe la durée du préavis du salarié cadre à trois mois.

Selon l’article L. 1234-5 du code du travail, l’indemnité compensatrice de préavis correspond aux salaires et avantages que le salarié aurait perçus s’il avait accompli son travail jusqu’à l’expiration du préavis.

Mme X est dès lors bien fondée à prétendre au titre de l’indemnité compensatrice de préavis au paiement de la somme de 162 500 euros bruts qu’elle revendique, qu’elle calcule comme suit : ([650 000/12 = 54 166,67] x 3 = 162 500), indemnité de treizième mois incluse.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la société d’édition de Canal plus à payer à Mme X la somme de 162 500 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis et la somme de 16 250 euros bruts au titre des congés payés afférents.

5- Sur l’indemnité de licenciement

En l’absence de faute grave et, a fortiori, de cause réelle et sérieuse justifiant son licenciement, Mme X a droit à l’indemnité de licenciement.

Mme X revendique une indemnité de licenciement de 138 356,16 euros, calculée sur la base d’un cinquième de mois de salaire par année d’ancienneté à partir d’un salaire de référence de 84 166,67 euros [(650 000/12 = 54 166,67) + (360 000/12 = 30 000) =84 166,67] et d’une ancienneté de 8,22 ans.

L’évaluation du montant de l’indemnité de licenciement est faite en tenant compte de l’ancienneté à l’expiration normale du préavis. A l’expiration du préavis, le 18 octobre 2016, Mme X dont l’ancienneté a été reprise à compter du 1er août 2008, comptait une ancienneté de 8 ans et deux mois complets.

L’indemnité de licenciement doit être calculée sur la base de la rémunération que le salarié aurait dû percevoir et non sur celle de la rémunération qu’il a effectivement perçue du fait des manquements de l’employeur à ses obligations.

Selon les termes de l’article VI du chapitre V de la convention collective d’entreprise versée aux débats :

‘Lorsque le salarié a droit à une indemnité de licenciement, cette indemnité est égale à :

*25% d’un mois de salaire par année de présence pour la tranche comprise entre 1 et 5 ans de présence,

*30% d’un mois de salaire par année de présence pour la tranche comprise entre 5 et 10 ans de présence …

La rémunération prise en compte pour le calcul de l’indemnité de licenciement est la moyenne des 12 derniers mois de salaire de base ou si la formule est plus avantageuse pour l’intéressé, le dernier salaire de base versé…

Les fractions d’année donnent lieu à l’attribution d’une fraction d’indemnité calculée comme ci-dessus pour l’année considérée et réduite au prorata du nombre de mois…’

Selon ces dispositions, la salariée, dont le dernier salaire de base était de 50 000 euros, aurait droit pour une ancienneté de huit ans et deux mois complets, à une indemnité de licenciement de 110 000 euros.

La salariée est toutefois bien fondée à se prévaloir des dispositions légales, qui lui sont plus favorables.

Il résulte en effet des dispositions des articles L. 1234-9, R.1234-1, R.1234-2 et R.1234-4 du code du travail, dans leur rédaction applicable au litige :

— que l’indemnité de licenciement ne peut être inférieure à une somme calculée par année de service dans l’entreprise et tenant compte des mois de service accomplis au-delà des années pleines ;

— que l’indemnité de licenciement ne peut être inférieure à un cinquième de mois de salaire par année d’ancienneté, auquel s’ajoutent deux quinzièmes de mois par année au-delà de dix ans d’ancienneté ;

— que le salaire à prendre en considération pour le calcul de l’indemnité de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié :

1° Soit le douzième de la rémunération des douze derniers mois précédant le licenciement

2° Soit le tiers des trois derniers mois. Dans ce cas, toute prime ou gratification de caractère annuel ou exceptionnel, versée au salarié pendant cette période, n’est prise en compte que dans la limite d’un montant calculé à due proportion.

En cas d’année incomplète, l’indemnité est calculée proportionnellement au nombre de mois complets.

Le douzième de la rémunération des douze derniers mois précédant le licenciement, soit les salaires de Mme X de juillet 2015 à juin 2015, s’élève, hors prime forfaitaire exceptionnelle, à 50 420,49 euros selon le calcul suivant :

. salaire de base : 550 000 euros [(2x 25 000 =50 000) + (10 x 50 000 =500 000] ;

. prime de treizième mois : 55 045,88 euros, soit (35 091,75 – 5 045,87 =30 045,88 euros en novembre 2015 et 25 000 euros en juin 2015).

Le salaire à prendre en considération pour le calcul de l’indemnité de licenciement est dès lors le tiers de la rémunération des trois derniers mois, plus favorable, comme s’élevant, hors prime forfaitaire exceptionnelle, à 54 166,67 euros d’avril à juin 2016, comme de mars à mai 2016, étant précisé que durant la période d’arrêt maladie du 21 au 26 avril 2016, la salariée avait droit au maintien de son salaire à 100%.

Le droit au paiement de la prime forfaitaire contractuelle de 360 000 euros n’a été acquis par la salariée qu’à compter de la réalisation de la condition de présence dans l’entreprise, soit le 24 juin 2016, son acquisition prorata temporis n’étant prévu qu’en cas de rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur avant la date du 24 juin 2016, pour quelque motif que ce soit, hors faute grave ou faute lourde. L’intéressée est donc bien fondée à l’inclure dans la moyenne des trois derniers mois à concurrence de 90 000 euros.

Le salaire à prendre en considération pour le calcul de l’indemnité de licenciement s’élève donc, prime forfaitaire exceptionnelle incluse, à 84 166,67 euros.

Sur la base d’un cinquième de mois de salaire par année d’ancienneté, la salariée a dès lors droit pour une ancienneté de 8 ans et deux mois complets, à une indemnité de licenciement de 137 472,23 euros bruts. Le jugement entrepris sera donc infirmé et la société d’édition de Canal plus condamnée à payer ladite somme à Mme X à titre d’indemnité de licenciement.

6- Sur l’indemnité contractuelle de rupture

L’article 9 du contrat de travail intitulé ‘Rupture à l’initiative de l’employeur’ stipule :

‘Si le contrat de travail venait à être rompu à l’initiative de la société, et sauf en cas de faute grave ou lourde, reconnue par une décision de justice devenue définitive, Mme D X percevra, si ce départ intervenait dans les 24 prochains mois soit avant le 1er septembre 2017, une indemnité forfaitaire globale et définitive équivalente à 2 550 000 euros bruts. Cette indemnité sera ensuite réduite de 54 167 euros bruts par mois supplémentaire d’activité. L’indemnité forfaitaire s’ajoutera à l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement.’

Contrairement à ce que soutient Mme X, l’indemnité contractuelle de rupture représentant plusieurs années de salaire venant s’ajouter à l’indemnité de licenciement en cas de départ de la salariée à l’initiative de l’employeur, sauf faute grave ou lourde, qui ne vise pas à réparer un préjudice spécifique autre que la perte d’emploi, a le caractère d’une clause pénale au sens de l’article 1152 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 et peut être réduite par le juge si elle présente un caractère manifestement excessif. La disproportion manifeste s’apprécie en comparant le montant de la peine conventionnellement fixé et celui du préjudice effectivement subi. La réduction de son montant, dans ce cas, n’est toutefois qu’une faculté pour le juge.

Il y a lieu en l’espèce de faire pleine application de la clause pénale. Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu’il a condamné la société d’édition de Canal plus à payer à Mme X la somme de 2 550 000 euros au titre de l’indemnité contractuelle de rupture.

7- Sur l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Au moment de la rupture de son contrat de travail, Mme X avait au moins deux années d’ancienneté et la société d’édition de Canal plus employait habituellement au moins onze salariés. En application de l’article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, Mme X peut prétendre à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qui ne peut être inférieure au montant des salaires bruts des six derniers mois précédant la rupture.

Mme X n’a pas retrouvé d’emploi équivalent à celui qu’elle occupait au sein de la société d’édition de Canal plus. Au vu des éléments de la cause, il convient de fixer le préjudice matériel et moral qu’elle a subi du fait de la perte injustifiée de son emploi à la somme de 545 000 euros, sans préjudice des contributions et cotisations sociales et impôts éventuellement dus.

8- Sur les dommages-intérêts pour préjudice moral

Les circonstances vexatoires entourant l’éviction de Mme X de la société d’édition de Canal plus, à savoir la diffusion d’un communiqué public unilatéral lui prêtant à tort la décision de quitter l’entreprise, l’annonce publique de son remplacement avant l’engagement de toute procédure de licenciement, la notification d’une mise à pied conservatoire alors même que l’émission était interrompue pour l’été et l’imputation d’une faute grave infondée, caractérisent un comportement fautif de l’employeur. Ce comportement a causé à la salariée un préjudice moral distinct de celui résultant de la seule perte injustifiée de son emploi, qu’il y a lieu de réparer. Il convient en conséquence d’infirmer le jugement entrepris et de condamner la société d’édition de Canal plus à payer à Mme X la somme de 30 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral.

9- Sur les intérêts

Il résulte des dispositions de l’article 1153 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, l’instance ayant été introduite avant le 1er octobre 2016, que les créances salariales, l’indemnité de licenciement et l’indemnité forfaitaire de rupture produisent de plein droit intérêts au taux légal à compter de la réception par la société d’édition de Canal plus de la convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation du conseil de prud’hommes, le 5 août 2016.

Les autres créances produisent intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt qui les fixe.

Mme X fait valoir que la société d’édition de Canal plus a calculé les intérêts légaux sur les sommes nettes de charges sociales et de retenue à la source au titre de l’impôt sur le revenu, alors que les intérêts légaux doivent être calculés sur la base des montants bruts des condamnations auxquelles ils se rapportent, avant déduction des cotisations sociales salariales et de toute retenue à la source.

L’employeur devant procéder, sur les condamnations prononcées, au précompte des sommes dues par la salariée au titre des contributions et cotisations sociales et au prélèvement à la source des impôts sur le revenu dus par celle-ci, les intérêts au taux légal ne peuvent courir que sur le montant des condamnations que l’employeur doit effectivement payer à la salariée, soit le montant des condamnations après déduction des contributions et cotisations sociales et du prélèvement effectué au titre de la retenue à la source de l’impôt sur le revenu.

Il convient d’ordonner la capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1154 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, à compter de la demande de capitalisation faite en justice.

10- Sur la remise de documents sociaux rectifiés

Il convient d’ordonner la remise par la société d’édition de Canal plus à Mme X d’un bulletin de paie récapitulatif, d’une attestation Pôle emploi et d’un solde de tout compte conformes au présent arrêt et de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a ordonné la remise par la société d’édition de Canal plus à Mme X d’un certificat de travail conforme à sa décision.

11- Sur l’exécution provisoire ordonnée par le jugement

La société d’édition de Canal plus, qui a fait appel du jugement du conseil de prud’hommes en ce qu’il a ordonné l’exécution provisoire de l’intégralité de ses dispositions, demande à la cour d’infirmer sur ce chef la décision entreprise et de dire que conformément à la volonté exprimée par les parties dans le contrat de travail, l’indemnité contractuelle de rupture ne sera acquise à la salariée, licenciée pour faute grave, qu’en cas de décision de justice devenue définitive disant que son licenciement ne repose pas sur une faute grave.

Mme X soutient à titre principal que cette demande est irrecevable dès lors que la société d’édition de Canal plus ne s’est pas opposée en première instance à sa demande tendant à ce que le conseil de prud’hommes ordonne l’exécution provisoire du jugement, et, subsidiairement que cette demande est mal fondée, d’une part parce que le contrat conclu par les parties, qui prévoit que l’indemnité contractuelle de rupture est due tant que la faute grave n’a pas été reconnue par une décision de justice définitive, n’interdisait pas au conseil de prud’hommes d’ordonner l’exécution provisoire de la condamnation au paiement de l’indemnité contractuelle de rupture, et d’autre part, plus subsidiairement parce que le jugement du conseil de prud’hommes constitue une décision définitive, nonobstant l’appel interjeté par la société d’édition de Canal plus.

Le comportement procédural de la société d’édition de Canal plus, qui a demandé au conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt de débouter Mme X de l’ensemble de ses demandes, ce qui incluait la demande tendant à ce que celui-ci ordonne, sur le fondement de l’article 515 du code de procédure civile, dans sa rédaction applicable au litige, l’exécution provisoire des dispositions du jugement qui ne bénéficiaient pas de l’exécution provisoire de droit prévue par l’article R.1454-28 du code du travail, a interjeté appel de cette disposition du jugement et a saisi le premier président de la cour d’appel de Versailles statuant en référé pour qu’il ordonne l’arrêt de l’exécution provisoire ordonnée ou, subsidiairement, son aménagement, n’est pas constitutif d’un changement de position, en droit, de nature à induire Mme X en erreur sur ses intentions. Cette dernière est en conséquence mal fondée à lui opposer une fin de non-recevoir tirée du principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d’autrui.

A supposer que la demande de la société d’édition de Canal plus, qui tend à ce que la disposition du jugement ordonnant l’exécution provisoire de l’intégralité du jugement soit infirmée, ne soit pas sans objet, ce qui n’est pas démontré, cette disposition ayant été complètement exécutée, sous réserve de l’aménagement ordonné le 20 décembre 2018 pour partie des condamnations, et le présent arrêt étant quant à lui exécutoire de plein droit, le pourvoi en cassation n’ayant pas d’effet suspensif, il convient de relever, qu’aux termes de l’article 515 du code de procédure civile, dans sa rédaction applicable au litige, ‘Hors les cas où elle est de droit, l’exécution provisoire peut être ordonnée, à la demande des parties ou d’office, chaque fois que le juge l’estime nécessaire et compatible avec la nature de l’affaire, à condition qu’elle ne soit pas interdite par la loi. Elle peut être ordonnée pour tout ou partie de la condamnation.’

Or, contrairement à ce que soutient la société d’édition de Canal plus, l’exécution provisoire ordonnée par le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt, y compris en ce qu’elle porte sur la condamnation au paiement de l’indemnité contractuelle de rupture, n’entre pas dans les cas d’interdiction prévus par la loi. Les premiers juges n’ont donc pas excédé leurs pouvoirs en l’ordonnant.

La société d’édition de Canal plus est également mal fondée à prétendre que l’exécution provisoire de la disposition du jugement l’ayant condamnée au paiement de l’indemnité contractuelle de rupture était incompatible avec les stipulations contractuelles. En effet, s’il résulte de l’article 9 du contrat de travail que seule une faute grave ou lourde reconnue par une décision de justice devenue définitive peut priver la salariée de l’indemnité forfaitaire convenue en cas de rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur, il n’en résulte nullement que l’employeur est dispensé du versement de cette indemnité jusqu’à ce qu’une décision de justice irrévocable ait statué sur la réalité de la faute grave ou lourde imputée à la salariée.

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a ordonné l’exécution provisoire de l’intégralité de sa décision et la société d’édition de Canal plus déboutée de sa demande tendant à ce qu’il soit jugé que l’indemnité contractuelle de rupture ne sera acquise à la salariée, licenciée pour faute grave, qu’en cas de décision de justice devenue définitive disant que son licenciement ne repose pas sur une faute grave.

12- Sur le remboursement des indemnités de chômage à Pôle emploi

Il convient en application de l’article L. 1235-4 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, d’ordonner le remboursement par la société d’édition de Canal plus à Pôle emploi, partie au litige par l’effet de la loi, des indemnités de chômage qu’il a versées à Mme X à compter du jour de son licenciement jusqu’au jour du jugement à concurrence de six mois d’indemnités.

13- Sur les dépens et l’indemnité de procédure

La société d’édition de Canal plus qui succombe pour l’essentiel à l’instance sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel ainsi qu’à payer à Mme X la somme de 7 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles qu’elle a exposés en cause d’appel, en sus de la somme de 1 000 euros allouée à celle-ci de ce chef en première instance. Elle sera déboutée de sa demande d’indemnité fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Statuant par arrêt contradictoire,

INFIRME partiellement le jugement du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt en date du 27 septembre 2018 et statuant à nouveau sur les chefs infirmés :

FIXE la moyenne des trois derniers mois de salaire de Mme D X à la somme de 84 166,67 euros ;

CONDAMNE la société d’édition de Canal plus à payer à Mme D X les sommes suivantes :

—  35 497,81 euros bruts à titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire, – 3 549,78 euros bruts au titre des congés payés afférents,

—  137 472,23 euros bruts à titre d’indemnité de licenciement,

—  545 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, sans préjudice des contributions et cotisations sociales et impôts éventuellement dus,

—  30 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral distinct,

ORDONNE à la société d’édition de Canal plus de remettre à Mme D X un bulletin de paie récapitulatif, une attestation Pôle emploi et un solde de tout compte conformes au présent arrêt,

DIT que les créances salariales, l’indemnité de licenciement et l’indemnité contractuelle forfaitaire de rupture produisent de plein droit intérêts au taux légal à compter du 5 août 2016,

DIT que l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et l’indemnité pour préjudice moral distinct produisent intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt,

DIT que les intérêts au taux légal ne courent que sur le montant des condamnations après déduction des contributions et cotisations sociales et du prélèvement effectué au titre de la retenue à la source de l’impôt sur le revenu,

ORDONNE la capitalisation des intérêts à compter de la demande qui en a été faite en justice,

ORDONNE le remboursement par la société d’édition de Canal plus à Pôle emploi des indemnités de chômage qu’il a versées à Mme D X à compter du jour de son licenciement jusqu’au prononcé du jugement dans la limite de six mois d’indemnités,

CONFIRME pour le surplus les dispositions non contraires du jugement entrepris ;

Y ajoutant :

DÉBOUTE la société d’édition de Canal plus de sa demande tendant à ce qu’il soit jugé que l’indemnité contractuelle de rupture ne sera acquise à Mme D X qu’en cas de décision de justice devenue définitive disant que son licenciement ne repose pas sur une faute grave,

CONDAMNE la société d’édition de Canal plus à payer à Mme D X la somme de 7 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, en sus de la somme de 1 000 euros allouée à celle-ci de ce chef en première instance,

DÉBOUTE la société d’édition de Canal plus de sa demande d’indemnité fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société d’édition de Canal plus aux dépens d’appel.

— Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— Signé par Madame Régine CAPRA, Présidente et par Madame Carine DJELLAL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE


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