Un journaliste-reporter qui collaborait à la rédaction du Wall Street Journal à Paris en CDI a obtenu la condamnation de son employeur pour non-respect des règles de forme et de fond du licenciement (effets d’un licenciement sans cause réelle).
La juridiction a relevé l’existence d’une pratique illicite consistant dans le transfert du journaliste avec suppression de son poste et transfert de son contrat de travail à l’entité locale ou à la société mère américaine. En l’occurrence, la société avait refusé d’accéder à la demande du journaliste de rester sous contrat français pendant son séjour en Inde.
Le licenciement étant injustifié, le salarié peut prétendre, non seulement aux indemnités de rupture, indemnité compensatrice de préavis augmentée des congés payés et indemnité de licenciement, mais également à des dommages- intérêts à raison de l’absence de cause réelle et sérieuse de licenciement.
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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 9
ARRET DU 12 MAI 2021
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/09302 –��N° Portalis 35L7-V-B7C-B6FVL
Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 Juillet 2018 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° F14/04652
APPELANT
Monsieur D X
[…]
[…]
Représenté par Me Vianney FERAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : C1456
INTIMEE
Société H I J K INC
[…]
[…]
Représentée par Me Séverine MARTEL du PARTNERSHIPS REED SMITH LLP, avocat au barreau de PARIS, toque : J097
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 17 Février 2021, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Graziella HAUDUIN, présidente, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Graziella HAUDUIN, présidente de chambre
Mme Françoise SALOMON, présidente de chambre
Madame Valérie BLANCHET, conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Anouk ESTAVIANNE
ARRÊT :
— contradictoire
— mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile
— signé par Madame Graziella HAUDUIN, présidente et par Madame Anouk ESTAVIANNE greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Vu le jugement en date du 2 juillet 2018 par lequel le conseil de prud’hommes de Paris, saisi le 19 juin 2017 par M. D X du litige l’opposant à H I J K, son ancien employeur, a considéré que l’action du salarié était prescrite, l’a débouté de l’ensemble de ses demandes, condamné aux dépens et a rejeté la demande formée par l’employeur au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Vu l’appel interjeté le 23 juillet 2018 par M. D X de cette décision.
Vu les conclusions des parties auxquelles il est renvoyé pour l’exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d’appel.
Aux termes des dernières conclusions transmises le 15 octobre 2018 par voie électronique, M. D X demande à la cour de :
— Infirmer le jugement rendu le 2 juillet 2018 par le conseil de prud’hommes de Paris en ce qu’il a débouté M. X de ses demandes ;
Statuant à nouveau, de :
A titre principal :
— Dire que le contrat de travail à durée indéterminée conclu le 4 février 2007 a été rompu le 25 avril 2017 par la Société H I J K ;
En conséquence :
— Dire que cette rupture du contrat de travail doit produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
— Condamner la Société H I J à verser à M. D X la somme de 17 234,06 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre la somme de 1 723,41 euros au titre des congés payés afférents ;
— Condamner la Société H I J à payer à M. D X la somme de 94 787,33 euros à titre d’indemnité de licenciement ;
— Condamner la Société H I J à verser à M. D X la somme de 103 356,36 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
— Condamner la société H I J K à remettre à M. D X une attestation pôle emploi, un certificat de travail et une attestation destinée à Pôle emploi conformes à l’arrêt à intervenir et ce sous astreinte de 200 euros par jour et par document de retard à partir du 7ème jour qui suivra la notification de cet arrêt ;
— Condamner la société H I J Compagne à payer à M. D X la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait du défaut de remise d’une attestation destinée à Pôle emploi après la rupture du contrat de travail le 25 avril 2017 ;
— Condamner la société H I J K à verser à M. D X la somme de 10 000 euros à titre dommages-intérêts en raison de sa résistance abusive et son manque de loyauté à se voir reconnaître la qualité d’employeur lors de la rupture du contrat de travail le 25 avril 2017 ;
— Condamner la société H I J K à verser à M. D X la somme de 4 799 euros à titre de remboursement de ses frais de rapatriement et de déménagement ;
— Condamner la société H I J K à verser à M. D X la somme de 10 000 euros à titre dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité de résultat et manquement à son obligation de portabilité de la couverture santé ;
A titre subsidiaire :
Dans l’hypothèse où la cour retiendrait que le contrat de travail à durée indéterminée
daté du 4 février 2007 a été rompu le 31 juillet 2014,
— Dire que cette rupture du contrat de travail doit produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
— Condamner la société H I J K à verser à M. D X la somme de 10 362,14 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre la somme de 1 036,21 euros au titre des congés payés afférents ;
— Condamner la société H I J K à payer à M. D X la somme de 41 448,56 euros à titre d’indemnité de licenciement ;
— Condamner la société H I J K à verser à M. D X la somme de 51 810 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
— Condamner la société H I J K à verser à M. D X la somme de 200 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à son obligation de bonne foi et de loyauté ;
En toute hypothèse,
— Condamner la société H I J K à payer à M. D X la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
— Dire que les condamnations prononcées seront majorées des intérêts au taux légal à compter de la date de saisine du conseil de prud’hommes de Paris.
— Condamner la société H I J K aux entiers dépens.
Aux termes des dernières conclusions transmises le 15 janvier 2019 par voie électronique, H I J K, ci-après la Société, demande à la cour de
confirmer, en toutes ses dispositions, le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Paris le 2 juillet 2018
En conséquence :
— Dire et juger que les relations contractuelles entre la Société et M. X ont été rompues le 31 juillet 2014 ;
— Dire et juger que son contrat de travail a été transféré à H I & K ;
— Dire et juger irrecevables comme prescrites les demandes formées par M. X ;
— En tout état de cause, de débouter M. X de toutes ses demandes, fin et conclusions ;
— Condamner M. X à verser à H I J K la somme de 4 000 en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
— Le condamner aux entiers dépens.
Vu la clôture du 12 janvier 2021 et la fixation de l’affaire à l’audience du 17 février 2021.
SUR CE, LA COUR :
M. D X a été engagé suivant contrat à durée indéterminée soumis au droit français à compter du 19 février 2007 en qualité de reporter par la société H I J K (Europe). Il a travaillé en Inde à compter du 1er août 2014 en qualité de reporter selon un statut qui fait l’objet du présent litige. Il a été mis fin à cette relation contractuelle par H I K.
Estimant que son contrat de travail initial n’avait pas été rompu au 31 août 2014, M. X a saisi le 19 juin 2017 le conseil de prud’hommes de Paris pour contester la légitimité de la rupture qui a pris effet au 25 avril 2017.
Sur la rupture du contrat de travail :
La société produit au débat un certificat de travail daté du 31 juillet 2014 mentionnant une période d’emploi du 19 février 2007 au 31 juillet 2014, un reçu de solde de tout compte de la même date relatif au virement d’une somme de 7 835,56 euros au titre de l’exécution et de la cessation du contrat de travail, un bulletin de salaire pour le mois de juillet 2014 et une attestation destinée à pôle emploi datée du 31 juillet 2014 avec un motif de la rupture du contrat de travail par le transfert intragroupe.
Cette manifestation par la société de rompre le contrat de travail ne peut être remise en cause par des éléments antérieurs que sont d’une part la lettre de mission établie le 16 avril 2014 et signée par M. X à l’occasion de son départ pour l’Inde et d’autre part le courrier envoyé par H I K, bureau de liaison indien, daté du 19 mai 2014 par lequel elle sollicite l’agent du bureau consulaire de l’ambassade d’Inde à Paris pour obtenir pour M. X un visa journaliste à entrée multiple afin de permettre à celui-ci, indiqué comme employé par le Wall Street Journal à Paris en France depuis 2007, en raison du besoin de l’entreprise d’affecter certains employés essentiels à la filiale indienne et plus particulièrement l’affectation de l’intéressé pour une durée d’environ deux années. La rupture ne peut non plus être remise en cause par des éléments postérieurs que sont le document intitulé« separation agreement and general release », soit dans une traduction libre non contestée, « accord de séparation et de renonciation aux réclamations »proposé à la signature de M. X pour mettre fin à compter du 5 mars 2017 aux relations contractuelles faisant état de ce que le salarié a été employé par la société H I K depuis le 19 février 2007, prévoyant la prise en charge des frais de relocalisation à Paris pour le salarié et sa famille et plus particulièrement page 5 (e) sa qualité d’employé expatrié et d’autre part le document daté du 23 août 2016 adressé au bureau des accréditations du ministère des affaires étrangères par Mme F G, responsable de M. X durant sa période d’emploi en France, qui certifie, en sa qualité de chef du bureau parisien de l’agence de presse H I Newswires et du bureau parisien de The Wall Street Journal, que M. X, « journaliste-reporter, collabore à la rédaction de l’agence de presse H I et du Wall Street Journal à Paris en qualité de correspondant permanent depuis le 19 février 2007 (salarié en CDI) ». Il doit être constaté que Mme Y, salariée de H I J, atteste à cet égard avoir été sollicité par M. X qui a demandé de manière insistante son aide aux fins d’obtenir une carte de presse en France alors qu’il travaillait déjà en Inde, comme le révèlent les courriels qu’il lui a envoyé les 21 septembre 2015 et 1er septembre 2016.
Les attestations de Mme Z et de M. A, ayant succédé à M. B à la tête du bureau indien et ayant donc choisi M. X, révèlent l’existence d’une pratique consistant dans le transfert du journaliste avec suppression de son poste et transfert de son contrat de travail à l’entité locale ou à la société mère américaine et du fait que la société a refusé d’accéder à la demande de ce dernier de rester sous contrat français pendant son séjour en Inde.
Il n’est cependant pas justifié que M. X a été destinataire des documents de fin de contrat par mail avant le 18 d’août 2015, si bien qu’ayant saisi le conseil de prud’hommes le 19 juin 2017, soit moins de deux années après la connaissance de la rupture par H I J K, il n’était pas à cette date prescrit dans son action en contestation de cette rupture.
Le jugement entrepris sera donc infirmé.
La rupture dont H I J K a pris l’initiative n’ayant pas respecté les règles de forme et de fond du licenciement, elle produit ainsi les effets d’un licenciement sans cause réelle à la date du 31 juillet 2014, comme sollicité par la société mais aussi par le salarié subsidiairement.
Le licenciement étant injustifié, le salarié peut par conséquent prétendre, non seulement aux indemnités de rupture, indemnité compensatrice de préavis augmentée des congés payés et indemnité de licenciement, mais également à des dommages- intérêts à raison de l’absence de cause réelle et sérieuse de licenciement.
Il lui sera donc alloué 10 362,14 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et 1 036,21 euros de congés payés afférents et 41 448,56 euros au titre de l’indemnité de licenciement pour une ancienneté revendiquée de 7 années et 7 mois en application de l’article L. 7112-3 du code du travail.
Justifiant d’une ancienneté supérieure à deux ans dans une entreprise occupant habituellement au moins onze salariés, le salarié peut prétendre à l’indemnisation de l’absence de cause réelle et sérieuse sur le fondement de l’article L.1235-3 du code du travail dans sa version alors applicable.
En considération de sa situation particulière et eu égard notamment à son âge, à l’ancienneté de ses services, à sa formation et à ses capacités à retrouver un nouvel emploi, la cour dispose des éléments nécessaires pour évaluer la réparation qui lui est due à la somme de 32 000 euros.
Sur le manquement à l’obligation de bonne foi et de loyauté :
Il n’est pas justifié par le salarié d’un préjudice autre que celui réparé au titre de l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement. Il ressort notamment des éléments versés au débat, notamment des courriels échangés le 26 novembre 2013 avec M. C (pièces versées par le salarié sous les N°14 et 14bis), qu’il été informé dès cette date et donc de nombreux mois avant son acceptation de la lettre de mission le 17 avril 2014, qu’il ferait partie des effectifs américains et bénéficierait des avantages liés au contrat américain, soit l’assurance et la retraite, et qu’il a obtenu, après négociation, un salaire bien supérieur à celui qu’il percevait en France, étant au surplus observé que son départ pour l’Inde a correspondu à une demande expresse de sa part et un choix de carrière. Il n’est donc pas
démontré par M. X que l’employeur a fait preuve de mauvaise foi et/ou de déloyauté.
Sa demande indemnitaire formée à ce titre sera donc rejetée.
Sur les autres demandes :
Il convient de constater que les prétentions formées au titre du préjudice subi du fait de l’absence de remise d’attestation pôle emploi, du remboursement des frais de rapatriement en France, du manquement à l’obligation de sécurité de résultat et manquement à son obligation de portabilité de la couverture santé et de remise des documents de fin de contrat sont liées à la demande principale de voir fixer la rupture des relations contractuelles au 25 avril 2017 qui a été rejetée. Elles seront donc également rejetées.
Sur les autres dispositions :
Il n’y a pas lieu de déroger aux dispositions des articles L.1231-6 et L.1231-7 du code civil en application desquelles les créances indemnitaires produisent intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision en fixant le principe et le montant.
Les condamnations porteront donc intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation pour les créances salariales et à compter du présent arrêt pour les créances indemnitaires.
Le jugement sera infirmé sur les dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile.
La société succombant sur le principal à l’instance, il est justifié de la condamner aux dépens de première instance d’appel et à payer à M. X la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles dont il serait inéquitable de lui laisser la charge.
La demande qu’elle a présentée de ce dernier chef est, en conséquence, rejetée.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Infirme le jugement entrepris ;
Statuant à nouveau :
Dit que l’action de M. X n’est pas prescrite ;
Dit que la rupture du contrat de travail régularisé le 4 janvier 2007 entre H I J K et M. D X produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse à la date du 31 juillet 2014 ;
En conséquence, condamne H I J K à payer à M. D X les sommes suivantes :
— 10 362,14 euros : indemnité compensatrice de préavis,
— 1 036,21 euros : congés payés afférents,
— 41 448,56 euros : indemnité de licenciement,
— 32 000 euros : indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Dit que les condamnations porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation pour les créances salariales et à compter du présent arrêt pour les créances indemnitaires ;
Rejette toutes autres demandes des parties ;
Condamne H I J K aux dépens de première instance et d’appel et à payer à M. D X la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE