En présence de témoignages contradictoires contre le salarié licencié pour faute, le doute doit profiter à ce dernier. En l’occurrence, le harcèlement moral, le comportement despotique, irrespectueux et humiliant du salarié n’étaient pas établis.
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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 11
ARRET DU 08 JUIN 2021
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/04725 –��N° Portalis 35L7-V-B7C-B5NBA
Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 Janvier 2018 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 16/10376
APPELANT
Monsieur W X
[…]
[…]
Représenté par Me Luc TAMNGA, avocat au barreau de PARIS, toque : C1779
INTIMEE
SAS VANEAU
[…]
[…]
Représentée par Me Arnaud TEISSIER de la SELARL CAPSTAN LMS, avocat au barreau de PARIS, toque : K0020
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 11 Mai 2021, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme AG HYLAIRE, Présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
AG HYLAIRE, Présidente de chambre
Anne HARTMANN, Présidente de chambre
Laurence DELARBRE, Conseillère
Greffier, lors des débats : Madame Mathilde SARRON
ARRET :
— contradictoire
— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
— signé par AG HYLAIRE, Présidente de chambre et par Mathilde SARRON, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
Depuis 2002, M. W X, né en 1965, détenait 25% des parts de l’agence Vaneau du Champ de Mars dans laquelle il a été engagé par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 2 septembre 2004, en qualité de négociateur VRP – directeur d’agence, statut cadre, niveau 7 de la convention collective nationale de l’immobilier par la SAS Vaneau, société qui exploite un réseau d’agences immobilières gérant la vente et la location de biens immobiliers de luxe et emploie environ 80 salariés.
M. X a cédé ses actions à la société MPI (AK AL AM) pour un montant de 175.000 euros en mars 2011.
En janvier 2014, M. X a été promu à l’agence Bac Saint Germain, précédemment dirigée par M. AB E, nommé directeur commercial des agences du groupe.
Les parties sont en désaccord sur le montant de la rémunération mensuelle brute moyenne de M. X (9.220,24 euros selon le salarié et 6.987,16 euros selon la société).
En dernier lieu, cette rémunération était fixée selon les modalités suivantes :
— 34,70 % des commissions HT perçues par l’agence pour la négociation des biens à vendre et pour la négociation menée à bonne fin,
— 3% du chiffre d’affaires HT de l’agence (hors celui réalisé par le salarié).
Par lettre datée du 21 juin 2016, M. X a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 4 juillet 2016 avec mise à pied conservatoire.
M. X a ensuite été licencié pour faute grave par lettre datée du 8 juillet 2016, ainsi rédigée :
« Suite à notre entretien du 5 juillet 2016, en présence de Madame AC AD, Conseiller du salarié, je vous informe que j’ai décidé de vous licencier pour faute grave, en raison d’une situation de harcèlement moral au sein de l’agence VANEAU 7, situation dont vous êtes à l’origine que vous avez laissé prospérer depuis de nombreux mois entraînant une dégradation de conditions de travail et un impact sur la santé de certains salariés.
En effet, j’ai été alerté le 13 juin dernier par Madame Z Y me décrivant sa situation professionnelle devenue insupportable.
Compte-tenu de l’obligation de résultat de l’employeur en matière de prévention de harcèlement moral au travail, il m’incombait d’avoir une réaction rapide, j’ai donc diligenté une enquête immédiatement dont les résultats m’ont contraint à vous adresser une mise à pied à titre conservatoire et à vous convoquer.
Vous avez violé la mise à pied conservatoire le 4 juillet, veille de l’entretien, emportant des tableaux et un carton de documents, qui jusqu’à preuve du contraire, sont réputés appartenir à l’entreprise, ce qui constitue des circonstances aggravantes dans votre dossier et m’a amené à vous adresser une lettre recommandée le jour même.
Madame Y embauchée comme secrétaire en 2010 sur l’agence Bosquet vous a suivi à l’agence Vaneau 7 en janvier 2014 ; en septembre 2015 il a été proposé à Madame Y de prendre en charge la responsabilité des locations en devenant négociatrice, ce qu’elle a accepté avec plaisir.
C’est à partir de ce moment que Madame Y situe la détérioration de vos relations. Vous n’avez pas organisé son changement de fonctions, personne ne prenait les appels lorsqu’elle était à l’extérieur pour les visites, elle n’a bénéficié d’aucune aide, vous vous permettiez des remarques systématiques devant tous « comme d’habitude Z n’est pas là », vous étiez furieux lorsqu’elle n’était pas là pour taper vos tableaux d’activité, les factures, etc., alors que ce n’était plus son travail, mais vous tardiez à recruter une secrétaire, plus de quinze candidatures vous ont pourtant été adressées depuis son changement de fonctions, comme si vous prolongiez la situation pour la faire craquer ; vous aviez des changements d’attitude, passant d’une remarque anodine à une réflexion agressive, voire à une non réponse à une question ou en l’envoyant promener. Vous avez essayé de la pousser à la faute, lui reprochant de ne pas rappeler les clients, vous avez demandé à ce qu’elle soit sanctionnée, voire licenciée.
Vous avez essayé de récupérer le dossier du 45 rue de Bourgogne, en le faisant visiter vous-même à ses clients à elle, alors que vous l’aviez empêchée de faire les visites en lui remettant de mauvaises clés, la mettant en difficulté à deux reprises devant des clients.
Dans le même temps, vous teniez très régulièrement, voire quotidiennement, devant tous :
– des propos critiques sur les tenues vestimentaires de Madame Y et de Madame A [V] s’agissant de la hauteur des talons de chaussure « trop haut », de la couleur des vêtements « veste trop claire », « tenue trop noire, tu vas à un enterrement », de la longueur des jupes « trop courtes » « trop longues ».
– des propos critiques sur l’apparence physique, la longueur, la couleur ou la coupe des cheveux, le poids « tu n’aurais pas pris quelques kilos », la mine « tu n’es rien sans ce client, regarde-toi tu es dépressive », l’âge « eh les deux mamies ».
Ces catégories de propos étaient sexistes, dans la mesure où vous ne les réserviez qu’aux femmes.
– des propos critiques sur la vie privée « tu es un boulet, comment peut-on rester avec une fille comme toi », mais aussi des propos antisémites en appelant Madame Y « Chochana » prénom utilisé dans le film caricatural « La vérité si je mens » faisant allusion au conjoint de confession judaïque de l’intéressée alors que son vrai prénom est Z ou encore en la surnommant Cruzman ».
– des propos désobligeants désignant par « le fond du bus », les collaboratrices situées au fond de l’agence (V et Z).
– des propos humiliants, pour rabaisser ceux que vous n’aimiez pas « si tu n’es pas content, tu dégages » (AE B), « si tu appelles tes amis, tu peux rentrer chez toi » (V).
Ces propos avaient pour but de déstabiliser, d’affaiblir, ils ont entraîné une dégradation des conditions de travail, poussant certains à demander un changement d’agence, ainsi Monsieur B, saturé de la répétition des petites remarques néfastes, du manque de soutien, de la nonchalance de la direction, des tensions créées au sein de l’équipe, a-t-il profité d’une place qui se libérait pour partir, échappant ainsi à cet environnement délétère. A l’époque, ne voulant pas faire de vague, il n’avait rien dit du quotidien qu’il subissait.
V A prise à partie à son retour de vacances est tombée en dépression, contrainte de s’arrêter plusieurs semaines et se débat depuis un an avec un traitement pour résister à vos manigances, ne voulant pas vous abandonner ses clients.
Vos manoeuvres prospéraient en l’absence de cadre approprié au développement d’une équipe soudée, dans le respect des procédures.
Vous n’avez pas fait observer les règles de la société Vaneau, les promesses de vente n’étaient pas transmises dans les 24 heures au siège ([…] de Grâce signée le 3 juin transmise en date du 21 juin), vous n’utilisiez pas les mandats Vaneau, la messagerie électronique était mal gérée, les mails arrivaient sur votre seul ordinateur, vous ne vouliez pas les recevoir sur votre portable pour ne pas être dérangé, il fallait attendre votre arrivée (rarement avant 11 heures) pour le dispatching, d’où la réactivité de l’agence fortement impactée par rapport aux confrères, et le dispatching faisait apparaitre du favoritisme, vous vous réserviez les meilleurs dossiers avec Monsieur AF C, avec lequel vous agissez en toute connivence, au détriment des autres négociateurs, rendant impossible toute harmonie et générant inévitablement des tensions. Vous critiquiez en permanence sans égard pour les uns et les autres.
Vous avez laissé Monsieur C prendre le pas sur vous et s’attribuer des prérogatives contraires aux règles internes de fonctionnement, ainsi a-t-il rappelé un client de Madame A, sans accord ([…]) et vous avez même suggéré qu’il pourrait l’aider à négocier, toujours sans son accord : dans le cadre d’une négociation sous couvert d’aider Madame A, vous avez exigé la moitié de sa commission (cité Vaneau, dossier Ricol).
Votre comportement met en cause la bonne marche de la société, les explications recueillies auprès de vous lors de l’entretien ne m’ont pas permis de modifier mon appréciation sur ces faits, puisque vous vous êtes contenté de répéter à plusieurs reprises comme un mantra, « je ne suis pas d’accord », sans que je sache sur quoi vous n’étiez pas d’accord, refusant de répondre autre chose que « je ne suis pas d’accord ».
Je vous informe en conséquence que j’ai décidé de vous licencier pour faute grave, constituée par le harcèlement moral généré par votre méthode de gestion faite de dénigrements, de reproches excessifs et systématiques, aux relents sexistes et antisémites, de manque de respect, de négligence, de laxisme, ayant dégradé les conditions de travail et altéré la santé des salariés.
(…) ».
A la date du licenciement, M. X avait une ancienneté de 11 ans et 10 mois et la société Vaneau occupait à titre habituel plus de dix salariés.
Contestant la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités outre des rappels de salaires pour heures supplémentaires, M. X a saisi le 30 septembre 2016 le conseil de prud’hommes de Paris qui, par jugement rendu le 25 janvier 2018, a :
— requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse ;
— condamné la société Vaneau à payer à M. X les sommes suivantes :
* 27.660,72 euros à titre d’indemnité de préavis,
* 2.766,00 euros à titre de congés payés afférents,
* 2.5213,35 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,
* 324,45 euros à titre de remboursement de frais en deniers ou quittances,
* avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation,
* rappelé qu’en vertu de l’article R. 1454-28 du code du travail, ces condamnations sont exécutoires de droit à titre provisoire, dans la limite maximum de neuf mois de salarie calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire, fixée à la somme de 9.220,24 euros,
* 700 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
— ordonné la remise des documents sociaux ;
— débouté la partie demanderesse du surplus de ses demandes ;
— débouté la partie défenderesse de sa demande présentée au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
— condamné la société Vaneau aux dépens.
Par déclaration du 30 mars 2018, M. X a relevé appel de cette décision qui lui avait été notifiée par lettre reçue le 2 mars 2018.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 9 mars 2021, M. X demande à la cour de le recevoir en son appel et le déclarer bien fondé, de débouter la société Vaneau de toutes ses demandes, de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a déclaré que la faute grave n’était pas démontrée et de :
— dire que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse ;
— condamner la société Vaneau à lui payer la somme de 202.840 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
— confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la société Vaneau à payer les sommes suivantes :
* indemnité de préavis : 27.360,72 euros,
* congés payés y afférents : 2.766 euros,
* indemnité conventionnelle de licenciement : 25.213,35 euros ;
— condamner la société Vaneau à lui payer les sommes suivantes :
* 9.220 euros au titre du préjudice moral,
* 9.220 euros au titre du rappel de salaire sur mise à pied injustifiée,
* 15.653,94 euros outre 1.534,39 euros au titre des congés payés afférents à titre de rappel d’heures supplémentaires,
* 324,45 euros à titre de notes de frais impayées ;
— ordonner à la société Vaneau de lui remettre une attestation Pôle Emploi et un solde de tout compte rectifiés sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du prononcé de la décision ;
— condamner la société Vaneau à lui payer la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 26 septembre 2018, la société Vaneau demande à la cour de :
A titre principal,
— infirmer la décision du conseil de prud’hommes et juger que le licenciement de M. X est fondé sur une faute grave ;
— débouter M. X de l’ensemble de ses demandes ;
— condamner M. X à lui verser la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
— condamner M. X aux dépens ;
A titre subsidiaire,
— confirmer la décision du conseil de prud’hommes en qu’il a considéré que le licenciement de M. X repose sur une cause réelle et sérieuse ;
— fixer le salaire de référence de M. X à 6.987,16 euros pour le calcul de l’indemnité conventionnelle de licenciement ;
— réduire le quantum de ses demandes au titre de la rupture de son contrat de travail comme suit :
* 20.612,12 euros bruts à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,
* 20.961,48 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
* 2.096,15 euros bruts au titre des congés payés afférents ;
— débouter M. X de l’ensemble de ses autres demandes ;
A titre infiniment subsidiaire, si la cour d’appel estimait que le licenciement de M. X était dépourvu de cause réelle et sérieuse,
— fixer le salaire de référence de M. X à 6.987,16 euros ;
— constater que les demandes de M. X sont manifestement disproportionnées au regard notamment de son ancienneté dans l’entreprise ;
— réduire le quantum de sa demande au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse à 6 mois de salaire soit 41.922,97 euros bruts ;
— débouter M. X de l’ensemble de ses autres demandes et à tout le moins les limiter à 1 euro symbolique.
L’ordonnance de clôture était initialement fixée au 1er avril 2020 et l’audience au 2 juin 2020. En
raison de la crise sanitaire, il a été proposé aux parties le recours à la procédure sans audience. Compte tenu du refus opposé par le conseil du salarié, l’affaire a dû être renvoyée.
Par conclusions du 11 mars 2021, la société Vaneau a sollicité la révocation de l’ordonnance de clôture rendue le 10 mars 2021, ou, à défaut, le rejet des écritures et pièces communiquées sans respect de l’article 15 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été, selon l’accord des parties à l’audience, révoquée et reportée avant l’ouverture des débats.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites ainsi qu’au jugement déféré.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande au titre des heures supplémentaires
M. X sollicite le paiement de la somme de 15.653,94 euros à titre de rappel de salaire pour les heures supplémentaires effectuées outre les congés payés afférents.
Il soutient qu’il travaillait 6 jours par semaine, certaines semaines, l’agence étant ouverte le samedi et fait valoir que la société a refusé de fournir son agenda pour 2016 alors que ses agendas 2014 et 2015 démontrent les heures qu’il a réalisées à hauteur de 98 heures en 2014 et de 108 heures en 2015, soit un total de 206 heures, la somme réclamée étant calculée sur la base du salaire de 9.220,04 euros, soit un taux horaire de 60,79 euros, et d’un taux majoré à 125% soit 75,99 euros.
La société Vaneau conclut au rejet de la demande de M. X, soutenant qu’il ne produit aucun élément de nature à étayer sa demande si ce n’est un agenda qu’il a lui-même rédigé.
***
Compte tenu des écritures des parties, il y a lieu de se référer à un horaire hebdomadaire de 35 heures ainsi qu’au régime de droit commun applicable à la preuve des heures supplémentaires.
Aux termes de l’article L. 3171-2 alinéa 1er du code du travail lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.
Selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.
Au soutien de ses prétentions, M. X verse aux débats les pièces suivantes :
— pièce 5 : « Agences Vaneau : Règles générales » qui fixe les horaires ainsi qu’il suit :
* en semaine : 9 heures – 19 heures
* le samedi : 10 heures – 17 heures
* Il est précisé dans ce document : « Toutes les agences VANEAU doivent être ouvertes le samedi » ;
— deux attestations (pièces 24 et 26) :
* de sa compagne qui atteste qu’il travaillait y compris le samedi,
* de M. D, ancien directeur de l’agence Wilson (Parix VIIème) qui déclare que M. X était très impliqué et toujours disposé à prêter main forte à l’un des ses négociateurs dans une négociation délicate « week end compris » ;
— des extraits de ses agendas du 15 janvier 2014 au 14 décembre 2015 faisant apparaître des samedis travaillés ;
— un décompte des heures effectuées les samedis pour ces deux années (98 heures pour 19 samedis en 2014 et 108 heures pour 18 samedis en 2015).
Sa demande est donc, contrairement à ce que prétend la société Vaneau, étayée par des éléments suffisamment précis.
La société ne fournissant aucun élément de nature à justifier les horaires effectivement réalisés et notamment contredisant les heures effectuées certains samedis, la demande de M. X est fondée quant au quantum des heures effectuées.
S’agissant du salaire de référence, M. X ne s’explique pas sur le montant qu’il fixe à 9.220,24 euros ; quant à la société Vaneau, elle n’a pas intégré dans ses calculs les sommes figurant sur le reçu pour solde de tout compte.
Au vu des pièces produites par la société Vaneau (bulletins de paie de juillet 2015 à juin 2016, attestation Pôle Emploi et reçu pour solde de tout compte), la moyenne sera fixée à la somme de 8.078,14 euros bruts et il sera en conséquence alloué à M. X la somme de 13.714,78 euros bruts à titre de rappel de salaire pour les heures supplémentaires réalisées en 2014 et 2015 outre la somme de 1.371,48 euros bruts pour les congés payés afférents.
Sur le licenciement
L’employeur ayant choisi de se placer sur le terrain d’un licenciement pour faute grave doit rapporter la preuve des faits allégués et démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié au sein de l’entreprise.
Trois griefs sont développés dans les écritures de la société :
— le comportement irrespectueux, voire despotique et humiliant de M. X à l’égard des salariés sous sa responsabilité,
— le non-respect des règles de la société,
— la violation de la mise à pied conservatoire.
Sur le comportement irrespectueux, voire despotique et humiliant de M. X à l’égard des salariés sous sa responsabilité
Aux termes des explications des parties, lorsque M. X a remplacé M. E et pris la direction de l’agence Bac saint Germain, celle-ci comportait les salariés suivants : Messieurs F, B, P, C et H outre Mme A, négociateurs et Mme Z Y, assistante, ayant elle-même remplacé Mme J qui avait suivi M. E, promu directeur commercial.
M. B a quitté l’agence en juillet 2015 pour rejoindre une autre agence.
M. K a été recruté en qualité de négociateur en mai 2016.
***
La société Vaneau invoque tout d’abord la dénonciation faite le 13 juin 2016 par Mme Y et vise les pièces suivantes :
— le courriel adressé le 13 juin 2016 par Mme Z Y à Mme M, assistante ressources humaines, à M. E, directeur commercial, à Mme AG J et à Mme AH AI dans lequel elle dénonce le fait que M. X n’a pas supporté qu’elle quitte le secrétariat pour s’occuper de la gestion locative et que depuis, les relations se sont dégradées : « dès qu’il ne me voyait pas à l’agence, il devenait furieux alors que ce n’était plus mon rôle de rester de 9h à 18h mais plutôt de faire des rendez-vous afin de louer des appartements et grossir mon chiffre d’affaire. (…) ». Elle déclare subir tous les jours un harcèlement moral, que ce soit sur ses tenues vestimentaires ou sur sa vie privée. Mme Y accuse M. X de ne pas soutenir son équipe et spécialement elle, citant notamment les faits suivants :
* il n’achète pas de timbres et elle doit donc les payer elle-même ;
* il a refusé d’acheter des états des lieux et elle a dû trouver un site gratuit pour s’en procurer ;
* elle doit gérer seule les dossiers, ce qui a pu amener des plaintes de clients dans les dossiers compliqués ;
* elle se sent seule et sans appui ;
* le moral de l’équipe est au plus bas : AE B est parti, V A est en dépression, ajoutant : « et moi cela ne va plus tarder » ;
* elle explique que très récemment, alors qu’elle rencontrait des difficultés pour ouvrir la porte d’un appartement pour le faire visiter, M. X, qu’elle avait appelé, lui avait dit n’avoir pas rencontré de problème la veille en laissant sous-entendre qu’elle était stupide pour ne pas réussir à ouvrir une porte ; le lendemain matin, il lui a indiqué qu’une entreprise allait passer dans la journée pour réparer la porte « ce qui m’a conforté dans l’idée qu’il m’avait menti et n’était pas allé dans l’appartement la veille de mes rendez-vous ». Dans l’après-midi, il lui indiquait que la serrure avait été réparée mais se rendant à nouveau dans le logement avec des clients, elle a constaté que rien n’avait été fait et ce n’est que le lendemain que la réparation est intervenue ; elle ajoute « et en plus il ose me demander de lui donner mes clients » ;
— le même jour à 11 heures, soit un peu plus d’une heure après réception de ce mail, Mme M a demandé à Mme Y des précisions : Quelles sont les réflexions de Monsieur X ‘ Que vous dit-il exactement concernant vos tenues vestimentaires, votre vie privée ‘ Comment se manifestent les colères dont vous parlez ‘ (…) ».
— Mme Y a répondu le lendemain :
« Les réflexions de Monsieur X sont presque quotidiennes et commencent dès que j’arrive au bureau. Elles peuvent concerner indifféremment, une veste, une paire de chaussures (…) Il fait d’ailleurs la même chose avec V A. Il me fait fréquemment des remarques sur mon poids. Concernant ma vie privée, il me dit que je suis « un boulet », qu’il ne comprend pas comment mon conjoint peut rester avec une fille comme moi. Il imite aussi ma façon de rire. Il m’appelle aussi « chochana » en faisant référence à mon ex conjoint de confession judaïque.
Monsieur X a des changements d’attitudes fréquentes. Son ton peut être agressif lorsqu’il me répond ou alors quand il m’envoie promener et qu’il ne prend pas le temps. Egalement Lorsque je suis en rendez-vous et qu’il se plaint à toute l’équipe de mon absence. (…) » ;
— l’attestation établie par Mme Z Y le 23 novembre 2017 (pièce 47) qui fait état de ce que dès avant son intégration à l’agence du Bac Saint Germain, elle travaillait en qualité de secrétaire dans l’agence que dirigeait alors M. X ; elle évoque qu’elle devait promener son chien et avoir dû coller 1.000 timbres pour des mailings car il refusait d’acheter une machine à affranchir mais « être restée silencieuse » car elle le prenait pour un père de substitution et avoir accepté immédiatement sa proposition de le suivre dans la nouvelle agence. Pour le surplus, elle reprend les mêmes faits que ceux initialement dénoncés mais en stigmatisant également le comportement de M. C, autre négociateur de l’agence du Bac Saint Germain. Elle ajoute que Mme A aurait été victime de M. X car celui-ci n’aurait pas supporté qu’elle refuse ses avances et qu’elle ait une relation avec M. B.
La société expose qu’à réception de cette dénonciation, elle a immédiatement diligenté une enquête en interrogeant les salariés de l’agence et produit un courriel adressé par M. AE B le 1er juillet 2016 qui explique avoir quitté l’agence [en juillet 2015] en raison du comportement de M. X, évoquant que celui-ci rabaissait les personnes par des blagues ou des remarques inutiles voire inappropriées et faisait des remarques déplacées sur le physique pour certaines collaboratrices.
Il est également produit une attestation de M. B établie le 22 novembre 2017 qui reprend pour l’essentiel les termes de son message du 1er juillet 2016 (pièce 46).
La société verse également les attestations de certains des salariés présents ou non dans l’agence à la date du licenciement :
— Mme A qui déclare (pièce 44, attestation du 23 novembre 2017) avoir subi des propos inacceptables de la part de M. X : « tu n’es personne sans ton client SOCATEB » et, à la concernant ainsi que Mme Z Y, qu’elles étaient « le fond du bus », des réflexions sur sa tenue vestimentaire et avoir dû « consulter pour un support psychologique » ;
— attestation de M. E (pièce 45, attestation du 22 novembre 2017) qui, pour l’essentiel, rapporte avoir appris le comportement de M. X par les déclarations de Mme Y et Mme A, apportant des précisions sur l’incident relaté quant aux clés de l’appartement auquel fait allusion Mme Y mais en indiquant que la difficulté serait survenue du fait qu’elle n’avait pas les bonnes clés et qui relève que M. X avait tardé à recruter une nouvelle secrétaire en dépit des nombreuses candidatures qu’il lui avait adressées ;
— attestation de Mme O établie le 22 novembre 2017 (pièce 48) qui déclare avoir travaillé pendant 7 années avec M. X [sans que soit précisé de date mais manifestement pas au sein de l’agence du Bac Saint Germain], avoir dû travailler très vite seule et sans l’aide de celui-ci, qui était très peu présent dans l’agence et dénigrait ses collaborateurs, elle-même s’étant vu répondre « démerde toi » à une demande d’aide ;
— attestation de Mme J, ancienne assistante de l’agence (pièce 49) qui témoigne des confidences recueillies de Mme Y, spécialement après qu’elle a été chargée de la gestion locative, ainsi que de Mme A ;
— attestation de M. F, négociateur dans l’agence, qui évoque l’entente de M. X avec M. C « pour se permettre des réflexions systématiques et fortement déplacées quant aux allures des personnels de sexe féminin à l’agence » (pièce 50) ;
— attestation de Mme AJ Y (soeur de Mme Z Y) qui indique avoir travaillé avec M. X dans l’ancienne agence et déclare que le comportement de celui-ci a changé après son divorce, qu’il demandait alors à sa soeur de promener son chien et de lui faire des courses. Elle fait ensuite état des confidences recueillies de sa soeur après le départ de celle-ci à l’agence du Bac Saint Germain et avoir vu « sombrer » Mme A dans la dépression du fait des critiques subies. Elle ajoute que M. X pouvait tenir des propos homophobes. Elle précise avoir succédé à M. X à la direction de l’agence quelques semaines après le licenciement et fait état de la découverte d’anomalies.
M. X conteste ces faits.
Il fait observer en premier lieu que la dénonciation émanant de Mme Z Y le lundi 13 juin est intervenue alors que le vendredi 10 juin 2013, il avait adressé à la responsable des ressources humaines, Mme M, ainsi qu’à M. E, un courriel signalant que la salariée avait un comportement nuisible à l’agence notamment par des absences répétées et injustifiées, un non-respect des horaires de travail, qu’elle ne rappelait pas les clients ayant laissé des messages, évoquant les plaintes reçues de deux clients et suggérant qu’une procédure de licenciement soit envisagée si ce comportement persiste.
En réponse à Mme M, qui, faisant référence à deux avertissements antérieurs de Mme Y pour des faits similaires, préconise un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement , M. X évoque le fait que Mme Y est partie avec les clés d’un appartement la veille, ne les a ramenées que le matin alors qu’il en avait besoin pour que l’entreprise intervienne sur la porte bloquée et précise qu’elle n’a pas répondu à ses sms et n’est arrivée à l’agence qu’à 11 heures en invoquant des rendez-vous ne figurant pas sur son agenda.
M. X fait valoir que Mme Y a nécessairement eu connaissance du contenu de cet échange, attribuant à Mme J, compagne de M. E, la révélation du projet de licenciement et que c’est pour parer cette procédure, que Mme Y a alors imaginé l’accuser de harcèlement en reprenant dans son courriel très précisément le problème des clés de l’appartement dont il avait parlé.
En second lieu, M. X met en cause le témoignage de Mme J, relevant qu’il est parfaitement invraisemblable, que celle-ci, prétendument destinataire depuis plusieurs mois des confidences de ses deux anciennes collègues, Mme Y et Mme A, dont elle prétend avoir constaté la dégradation de l’état de santé, n’en ait pas fait part auparavant à son compagnon, M. E.
En troisième lieu, il remet également en cause le témoignage de M. B, dont il prétend qu’en réalité, son départ vers une autre agence avait été provoqué par le fait qu’il détournait des demandes de visites de clients avec sa compagne, Mme A, et la complicité de Mme Y.
Par ailleurs, il souligne que « l’enquête », prétendument réalisée par l’employeur suite à la dénonciation de Mme Y le 13 juin, a été menée de manière très précipitée puisque dès le 21 juin, il était convoqué à un entretien préalable en vue de son licenciement, qu’il n’a même pas été entendu par l’employeur qui n’a en outre pas recueilli les déclarations des quatre autres négociateurs alors salariés de l’agence, Messieurs C, K, H et Mme P.
M. X verse aux débats les attestations de Messieurs C et K :
— le premier, engagé en septembre 2014, qui dénonce les agissements de M. B et les circonstances de sa « mutation » en juillet 2015 dans une autre agence, des relations de travail à l’opposé de celles décrites par les témoignages produits par la société, qui fait aussi état des défaillances de Mme Y (« retards, après-midi entières en terrasse et arrivant éméchée », plaintes de ses clients) et indique avoir entendu M. X demandait discrètement à celle-ci, arrivant en tenue légère « robe très courte, haut très transparents » d’être attentive à ses tenues vis-à-vis des clients ; M. C évoque également que le plus choquant pour lui a été « le jour où W X a demandé et obtenu d’AB E la création d’un 2e poste à la location et que AG J a, par derrière, rassurée Z Y qui s’en vantait devant nous, en lui disant qu’elle avait bloqué la publication de l’annonce de recrutement (…) » (pièce 18 salarié – attestation établie le 7 juillet 2016) ;
— le second, engagé en mai 2016, qui a démissionné fin juillet 2016, témoigne également d’une bonne ambiance dans l’équipe, de l’aide que lui apportait M. X, ne l’avoir jamais vu avoir des réflexions déplacées à l’égard des collaborateurs et collaboratrices et qui, concernant Mme Y, précise que toute l’équipe prenait des messages pour elle mais qu’elle ne rappelait jamais les clients, indiquant avouer « ne pas comprendre ce qui a poussé Z Y à accuser W X de harcèlement moral » (pièce 17 salarié- attestation établie le 15 septembre 2016).
M. X verse également aux débats l’attestation de Mme P, arrivée en juin 2015 dans l’agence, qui déclare : « Les accusations de harcèlement moral émanant de Z Y sont infondées et mensongères de mon point de vue car j’ai assisté à plusieurs conversations entre Z Y et Madame AG J (assistante et maîtresse de Monsieur AB E). Elles étaient toutes les 2 au téléphone alors que je me préparais un café et pouvait entendre leur conversation car Z parlait assez distinctement et sans retenue, se vantant d’avoir du pouvoir auprès de la direction pour pouvoir faire ce qu’elle voulait. Madame AG J avait conseillé à Z Y de faire un faux témoignage contre Mr W X pour éviter le licenciement prévu par celui-ci. J’ai entendu ces conversations la semaine précédant la mise à pied de Mr X (…). Le lendemain de la mise à pied de Mr X, il y a eu aussi des conversations téléphoniques entre Z Y et Madame AG J, ainsi que le 23 juin où Z Y et AG J se félicitaient de la réussite de leur manipulation concernant Mr W X ».
Mme P ajoute que M. X n’avait jamais de réflexions déplacées ou sexistes à l’égard des négociatrices de l’agence dont elle faisait partie et que lorsqu’elle déjeunait avec Z Y et V A, aucune ne se plaignait des comportements du directeur ajoutant « bien au contraire, elles appréciaient l’ambiance et le respect instaurés au sein de l’équipe (…) » (pièce 16 salarié – attestation établie le 20 juillet 2016).
M. X produit enfin, outre le témoignage d’une cliente de l’agence, des attestations de plusieurs personnes ayant travaillé en collaboration avec lui qui font état des bonnes relations de travail entretenues et de leur étonnement quant aux accusations portées contre lui (Mme Q – pièce19, attestation du 26 septembre 2016, Mme R – pièce 22, attestation du 20 février 2017, M. S – pièce 20, attestation du 10 mars 2017, M. T – pièce 21, attestation du 7 avril 2017, M. U – pièce 25, attestation du 5 août 2017).
Mme R indique notamment qu’elle est « très surprise par le fait qu’il soit accusé de harcèlement moral par Mme Z Y et Mme V A. Cela ne reflète absolument pas les échanges et discussions que j’avais avec son équipe, hommes ou femmes confondues ».
***
Ainsi que le fait remarquer la société Vaneau, plusieurs de ces témoins ont été licenciés et la société a été attraite en contestation devant le conseil de prud’hommes de Paris par Mme P, licenciée pour faute grave le 30 mai 2017, Mme R licenciée également pour faute grave le 22 décembre 2016, M. S et M. T (date et motifs du licenciement non connus pour ces derniers), M. C, licencié pour faute grave le 15 septembre 2016. et M. U licencié pour faute grave le 10 novembre 2016 (l’existence d’une procédure judiciaire ne ressort pas des pièces produites pour ce dernier).
La cour relève que pour certains, leur témoignage est antérieur à leur licenciement, notamment Mme P et M. C et qu’en tout état de cause, le caractère mensonger des déclarations ne saurait se déduire du seul fait que les témoins ont été licenciés ou ont engagé une procédure prud’homale pour contester la rupture de leur contrat de travail.
Il ressort de l’examen des pièces produites de part et d’autre les éléments suivants :
— Mme Z Y a elle-même été licenciée pour faute grave le 8 juin 2018, la lettre de licenciement (pièce 60 de la société) lui faisant des griefs similaires à ceux qu’évoquait M. X dans ses courriels du 10 juin 2016, rendant parfaitement crédible la pertinence des reproches adressés par M. X et dénoncés par d’autres salariés de l’agence ;
— si la société conteste qu’il y ait eu des relations personnelles de proximité entre M. E et Mme J – ce dont atteste Mme P -, les témoignages des intéressés ne permettent pas de les exclure et rendent très vraisemblable le fait que M. E, destinataire du courriel de M. X le 10 juin, ait évoqué la question du licenciement de Mme Z Y avec Mme J, la cour relevant, à l’instar de M. X, que la dénonciation faite par Mme Y porte notamment sur des faits (plaintes des clients, incident sur les clés de l’appartement) pouvant raisonnablement laisser penser que Mme Y avait connaissance du contenu de la demande « de licenciement » adressée par M. X le vendredi 10 juin lorsqu’elle a, le lundi suivant, accusé celui-ci de harcèlement moral ;
— le témoignage de Mme P conforte cette hypothèse en évoquant le fait que Mme J était la maîtresse de M. E et que Mme Z Y et Mme J, qui étaient amies, se sont félicité, dans les jours précédant et suivant la mise à pied de M. X de « la réussite de leur manipulation » ;
— la crédibilité des déclarations de Mme Y est aussi à mettre en parallèle avec le fait qu’à la demande de M. X de le suivre dans l’agence du Bac Saint Germain, elle déclare avoir accepté de suite tout en indiquant avoir, auparavant, dû, alors qu’elle était secrétaire de l’agence, promener son chien, précisant qu’elle devait en ramasser les excréments, ainsi que faire les courses pour son directeur « chez Picard » ;
— cette crédibilité est aussi sérieusement mise à mal par le contenu des SMS adressés par elle à M. X tels que reproduits dans le constat d’huissier établi le 1er mars 2017 (pièce 12 salarié) portant sur la période du 29 novembre 2015 au 25 mai 2016 où à titre d’exemple, elle le remercie infiniment pour vendredi d’avoir rencontré « son homme » , l’invite à boire une coupe, lui envoie une photo de plage ;
— celui de sa soeur, Mme AJ Y, est tout aussi contradictoire puisque prétendument destinataire des confidences de sa soeur et ayant constaté l’état de dépression de Mme A, elle écrivait néanmoins le 21 juin 2016 à M. X : « J’ai toujours voulu vous rejoindre personnellement je ne peux que dire du bien de vous … suis dégoûtée » ;
— quant aux circonstances du départ de M. B telles que décrites par M. C, la société qui les conteste, ne produit aucune pièce à ce sujet, pas plus que sur la liaison de ce salarié avec Mme A également évoquée par M. C ;
— s’il n’existe pas d’obligation légale pour l’employeur de diligenter une enquête contradictoire, il doit néanmoins être souligné qu’avant de déclencher la procédure de licenciement, la société, qui, le vendredi 10 juin 2016, avait décidé d’engager une procédure de licenciement à l’égard de Mme Z Y, se devait, à réception de la dénonciation de celle-ci , au nom de la loyauté contractuelle, de recueillir les observations de l’ensemble des salariés ; or, elle s’est abstenue d’entendre M. X ainsi que trois des 6 employés de l’agence, privant ainsi le salarié mis en cause de tout moyen de se défendre face aux graves accusations qui étaient portées contre lui ;
— en outre, aucun détail ni compte-rendu de « l’enquête » qui aurait été menée ne sont fournis, la cour observant que si Mme A a établi plus de 17 mois plus tard, un témoignage à charge à l’encontre de M. X, son courriel du 17 juin 2016 ne faisait état que du problème de l’intervention de M. C dans l’un de ses dossiers et que le courriel du 1er juillet 2016 de M. B a été adressé après le déclenchement de la procédure de licenciement.
Etant rappelé que le doute doit profiter au salarié, et au vu des attestations que M. X verse aux débats, qui décrivent un comportement opposé à celui qui lui est reproché, il sera considéré que le harcèlement moral, le comportement despotique, irrespectueux et humiliant ne sont pas établis.
Sur le non-respect des règles de la société
Dans ses écritures, la société Vaneau reproche à M. X les faits suivants :
— les promesses de vente n’étaient pas transmises dans les 24 heures au siège social ;
— les mandats types Vaneau n’étaient pas utilisés ;
— la répartition des dossiers était fonction des amitiés de M. X et démontrait l’existence d’un favoritisme au profit de Monsieur C et au détriment des autres membres de l’agence ;
— M. C se permettait ainsi avec l’aval de M. X d’intervenir dans le dossier de ses collègues sans leur accord afin d’obtenir des commissions sur ces dossiers ;
Pour étayer ces griefs, la société fait référence aux pièces suivantes :
— un mail adressé le 17 juin 2016 par Mme A (pièce 29 en réalité n°28) à M. E où elle indique (pièce 29) :
« AB,
il semblerait que AF C s’est permis d’appeler mes clients pour transmettre une nouvelle offre alors qu’il ne m’a rien dit ce matin »’ DEPUIS QUAND CELA FONCTIONNE COMME CELA » » Je n’ai pas été informée de cette nouvelle offre… C’est mon mandat et ce sont mes clients … hier W m’a suggéré d’aller avec AF faire ma négociation, je connais cette cliente depuis 5 ans, j’ai déjà fait 2 transactions avec elle et je n’ai pas besoin de lui pour negocier la troisieme…
Rappeler moi.
Merci par avance
V » ;
— l’attestation de Mme A qui reprend les propos relatés dans son courriel (pièce 44) ;
— l’attestation de M. B et celle de M. F (pièces 46 et 50) : le premier indiquant que M. X utilisait sa fonction de direction pour en tirer profit personnellement, qu’après quelques semaines, il a choisi de changer les règles les modifiant à la carte en fonction de ses propres intérêts, le second évoquant « un flou directorial » ;
— un courriel du 28 janvier 2014 par lequel Mme J transmet à M. X et d’autres destinataires une fiche d’informations à remplir et transmettre le jour de la signature de chaque promesse de vente, message auquel M. X répond le jour même OK (pièce 38) ;
— un courriel du 14 février 2014 de M. E rappelant le message précédent et auquel M. X répond le jour même OK (pièce 39) ;
— un courriel du 21 mai 2014 par lequel Mme J transmet à M. X et d’autres destinataires une matrice des mandats à utiliser dorénavant (pièce 40) ;
— un compte-rendu de réunion des directeurs des agences parisiennes dans lequel sont rappelées les règles applicables (pièce 41).
***
La démonstration des griefs invoqués par l’employeur et contestés par M. X ne résulte pas des pièces invoquées, la cour relevant que Mme A employait elle-même le conditionnel quant à la mise en cause de M. C, le conseil de prud’hommes ayant en outre retenu que le professionnalisme de M. X avait été reconnu par le conseil de la société.
Ces griefs ne peuvent donc être retenus.
Sur la violation de la mise à pied
La société Vaneau fait valoir que malgré la mise à pied à titre conservatoire qui lui avait été notifiée le 21 juin 2016, M. X s’est néanmoins présenté à l’agence « pour emporter des affaires appartenant à la société ».
Si M. E atteste que lors de la remise de sa convocation à l’entretien préalable en vue de son licenciement, M. X a refusé de prendre ses affaires personnelles et qu’il n’est pas contesté que celui-ci est revenu le 4 juillet 2016 dans l’agence, il n’est pas démontré qu’il ait alors emporté autre chose que des affaires personnelles (des vêtements et un tableau notamment) en sorte que ce seul grief ne peut justifier ni l’existence d’une faute grave ni d’une cause réelle et sérieuse de licenciement pour un salarié qui avait une ancienneté de près de 12 ans, dont il n’est fait état d’aucun antécédent disciplinaire et qui dirigeait une agence affichant les meilleurs résultats du réseau.
***
Il doit en conséquence être considéré que le licenciement de M. X ne repose ni sur une faute grave ni sur une cause réelle et sérieuse.
Sur les demandes pécuniaires relatives à la rupture du contrat
Le licenciement de M. X étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, il sera alloué à celui-ci, sur la base du salaire mensuel de référence retenu ci-avant, soit 8.078,14 euros bruts, et de son ancienneté en qualité de cadre au sein de la société Vaneau, les sommes de :
— 24.234,42 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis outre 2.423,44 euros bruts au titre des congés payés afférents,
— 22.525,57 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement.
***
S’agissant de sa demande au titre du salaire retenu durant la mise à pied à titre conservatoire, M. X, n’étant rémunéré qu’à la commission, ne produit aucun bulletin de salaire.
Au vu du bulletin produit par la société pour le mois de juin 2016, il a perçu des commissions excédant le salaire de référence de sorte qu’aucune somme n’est due pour ce mois.
Pour le mois de juillet 2016, soit du 1er juillet au 8 juillet 2016, il lui sera alloué la somme de 2.184,62 euros bruts déduction faite des commissions perçues lors du reçu pour solde de tout compte.
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M. X sollicite la somme de 202.840 euros (soit 22 mois du salaire auquel il se réfère) à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, invoquant le montant des pensions alimentaires qu’il doit verser à ses enfants et les frais de scolarité de ceux-ci, les emprunts auxquels il doit faire face et la diminution de revenus qu’il a subie même s’il a créé sa propre société en mai 2017 afin de travailler en qualité de prestataire de services pour le compte de la société Barnes [autre agence immobilière « de luxe » parisienne].
La société Vaneau conclut à titre subsidiaire au caractère exorbitant de la demande au regard tant du préjudice subi que des référentiels indicatif puis impératif résultant du décret n° 2016-1581 du 23 novembre 2016 et de l’ordonnance du 22 septembre 2017.
*
Compte tenu notamment de l’effectif de l’entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. X, de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu’ils résultent des pièces et des explications fournies, la cour est en mesure de lui allouer la somme de 90.000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en application de l’article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige.
En application des dispositions de l’article L. 1235-4 du code du travail, il sera ordonné le remboursement par l’employeur à Pôle Emploi des indemnités de chômage éventuellement versées au salarié depuis son licenciement dans la limite de 6 mois d’indemnités.
***
M. X sollicite également la somme de 9.220 euros à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice moral subi, invoquant les circonstances brutales et vexatoires de son licenciement.
La société Vaneau conclut, à titre subsidiaire au rejet de cette demande, estimant que M. X ne justifie d’aucun préjudice distinct de la rupture de son contrat.
*
Les griefs invoqués et la brutalité des circonstances du licenciement du salarié justifient l’octroi d’une somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts.
Sur les autres demandes
La demande en remboursement d’une note de frais sera rejetée, les dispositions contractuelles prévoyant expressément que les frais sont inclus dans les commissions servies.
L’employeur devra délivrer à M. X une attestation Pôle Emploi ainsi qu’un reçu de solde de tout compte rectifiés en considération des condamnations prononcées par la présente décision dans le délai de deux mois à compter de la signification de celle-ci, sans que la mesure d’astreinte soit en l’état justifiée.
La société Vaneau, partie perdante à l’instance, sera condamnée aux dépens ainsi qu’à payer à M. X la somme de 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La Cour,
INFIRME le jugement déféré,
Statuant à nouveau,
DIT que le licenciement de M. W X ne repose ni sur une faute grave ni sur une cause réelle et sérieuse,
CONDAMNE la société Vaneau à payer à M. W X les sommes suivantes :
— 13.714,78 euros bruts à titre de rappel de salaire pour les heures supplémentaires réalisées en 2014 et 2015 outre la somme de 1.371,48 euros bruts pour les congés payés afférents,
— 2.184,62 euros bruts au titre du salaire retenu durant la mise à pied à titre conservatoire,
— 24.234,42 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis outre 2.423,44 euros bruts au titre des congés payés afférents,
— 22.525,57 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement.
— 90.000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
— 5.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant des circonstances brutales et vexatoires de son licenciement,
— 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
ORDONNE le remboursement par la société Vaneau à Pôle Emploi des indemnités de chômage éventuellement versées à M. W X depuis son licenciement dans la limite de 6 mois d’indemnités,
ORDONNE à la société Vaneau de délivrer à M. W X une attestation Pôle Emploi ainsi qu’un reçu de solde de tout compte rectifiés en considération des condamnations prononcées par la présente décision dans le délai de deux mois à compter de la signification de celle-ci,
DÉBOUTE les parties du surplus de leurs prétentions,
CONDAMNE la société Vaneau aux dépens.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT