Un « cordialement » transformé en « cordiallemand » adressé en bas du message à destination d’un collègue dont les grands-parents ont été déportés est assurément une faute du salarié expéditeur qui peut toutefois être couverte par des excuses.
L’employeur ne peut se baser sur cet échange pour licencier un salarié. En effet, outre que l’incident paraissait clos à la lecture des échanges de courriels, dès lors que des excuses semblaient avoir été échangées, l’échange de courriels incriminé présente la double particularité d’être largement antérieur aux deux mois de la prescription disciplinaire et d’avoir par ailleurs été immédiatement porté à la connaissance du supérieur qui était en copie de l’échange.
Dès lors, quand bien même le salarié ne se serait plaint auprès de l’employeur, cet échange de courriels ne saurait fonder un licenciement disciplinaire. Par ailleurs, un tempérament lunatique, parfois méprisant et colérique, ne constitue pas, en soi, un motif précis, objectif et vérifiable de nature à justifier un licenciement disciplinaire.
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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 6
ARRET DU 24 MARS 2021
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/00998 –��N° Portalis 35L7-V-B7D-B7DUO
Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 Décembre 2018 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 17/08903
APPELANT
Monsieur H Y
Chez Monsieur X […]
Représenté par Me Paméla AZOULAY, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : 196
INTIMEE
SASU OMNIKLES prise en la personne de son représentant légal
[…]
Représentée par Me Anne-Christine PEREIRA, avocat au barreau de PARIS, toque : K0180
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 08 février 2021, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Anne BERARD, Présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Anne BERARD, Présidente de chambre
Madame Nadège BOSSARD, Conseillère
Monsieur Stéphane THERME, Conseiller
Greffier : Madame Pauline MAHEUX, lors des débats
ARRÊT :
— contradictoire,
— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
— signé par Madame Anne BERARD, Présidente de chambre et par Madame Pauline MAHEUX, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :
M. Y a été embauché par la société Omnikles le 1er décembre 2008 par contrat de travail à durée indéterminée, en qualité d’ingénieur recherche et développement dans le cadre d’une convention de forfait de 217 jours par an.
Il a signé le 8 décembre 2008 un avenant à son contrat de travail augmentant sa rémunération à 3.550€ par mois, outre une prime annuelle brute pouvant atteindre 3.550€.
Le 31 mai 2011, les parts sociales de la société Omnikles ont été acquises par la société Oodrive.
Par contrat en date du 1er août 2011, le contrat de travail de M. Y a été transféré à compter du 1er septembre 2011, au sein de la société Oodrive. Sa rémunération a été fixée à 48.000€ par par an et sa durée de travail à un forfait de 190 heures par mois.
Sa rémunération a été portée à 48.455,52€ le 1er février 2013.
Par avenant du 22 juillet 2013, le contrat de travail de Monsieur Y a été transféré, à compter du 1er juillet 2013, au sein de la société Omnikles, avec reprise de son ancienneté acquise au 1er décembre 2008.
La convention collective nationale Syntec est applicable à la relation de travail.
La société Omnikles emploie moins de onze salariés.
M. Y a été nommé ‘scrum master’ le 9 décembre 2013.
M. Y a été informé par lettre recommandée avec accusé de réception du 3 février 2014 de la secrétaire du comité d’entreprise de la société Oodrive d’une enquête diligentée conjointement par la délégation unique du personnel et la direction des ressources humaines à la suite de sa mise en cause pour harcèlement moral et de son audition prévue le 7 février 2014.
Il a été entendu le 10 février 2014.
Il a demandé le 3 mars 2014 un rendez-vous à la direction des ressources humaines, fixé au 10 mars 2014, puis annulé par courriel du 7 mars 2014 par la direction des ressources humaines.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 10 mars 2014, M. Y a dénoncé à son employeur le harcèlement moral et les attitudes discriminatoires dont il estimait être victime, reproché à la direction des ressources humaines de ne pouvoir obtenir de rendez-vous pour échanger sur une rupture conventionnelle et fait état de la dégradation de son état de santé.
Par lettre du 25 mars 2014, il a refusé de signer le compte-rendu de son entretien dans le cadre de l’enquête, dont il a contesté l’exactitude et l’exhaustivité.
M. Y a été convoqué le 25 mars 2014 à un entretien préalable fixé le 4 avril 2014 en vue d’un éventuel licenciement.
Son licenciement pour cause réelle et sérieuse lui a été notifié par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 28 avril 2014.
M. Y a saisi le Conseil de Prud’hommes de Paris le 7 juillet 2014 qui, par jugement du 20 décembre 2018, l’a débouté de l’ensemble de ses demandes et a débouté la société Omnikles de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Le 9 janvier 2019, M. Y a interjeté appel.
Par conclusions remises au greffe et transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 8 avril 2019, auxquelles il est expressément fait référence, M. Y demande à la cour de :
D’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
— Débouté M. Y de sa demande de voir juger que son licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse ;
— Débouté M. Y de sa demande de condamnation de la Société Omnikles au paiement d’une somme de 50000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait du harcèlement ;
— Débouté M. Y de sa demande de condamnation de la Société Omnikles au paiement d’une somme de 20000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement de la Société à ses obligations de sécurité ;
Statuant à nouveau,
— Dire que le licenciement de M. Y est dénué de cause réelle et sérieuse ;
— Constater que M. Y a été victime de harcèlement moral ;
— Constater que la Société Omnikles n’a pas respecté ses obligations de sécurité ;
Par conséquent,
— Condamner la Société au paiement d’une somme de 100000 euros au titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
— Condamner la Société au paiement d’une somme de 50000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait du harcèlement ;
— Condamner la Société au paiement d’une somme de 20000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement de la Société à ses obligations de sécurité ;
En tout état de cause,
— Condamner la Société au paiement d’une somme de 2000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
— Condamner la Société aux entiers dépens ;
Par conclusions remises au greffe et transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 2 juillet 2019, auxquelles il est expressément fait référence, la société Omnikles demande à la cour de :
— Confirmer le jugement rendu par le Conseil de prud’hommes de Paris le 20 décembre 2018
En conséquence,
— Dire et juger le licenciement de M. Y bien fondé,
— Constater l’absence d’agissement à l’encontre de M. Y constitutif d’un harcèlement moral,
— Constater l’absence de manquement de la société Omnikles à son obligation de sécurité de résultat,
En conséquence,
— Débouter M. Y de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions
A titre reconventionnel,
— Condamner M. Y au paiement d’une somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
— Le condamner aux dépens.
La clôture a été prononcée par ordonnance en date du 11 janvier 2021.
MOTIFS :
Sur le licenciement
La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige fait grief au salarié, dont le rôle de ‘scrum master’ nécessitait la mise en place d’une relation de confiance avec les membres de l’équipe pour faire avancer les projets, d’avoir tenu des propos déplacés envers ses collègues, fait preuve d’un comportement irascible dans ses relations avec autrui, d’être décrit par son entourage professionnel comme une personne lunatique, parfois méprisante et colérique, ses collègues expliquant s’être adaptés pour ne pas avoir de problèmes en évitant la confrontation.
Il résulte des pièces versées aux débats que les griefs articulés contre M. Y s’inscrivent dans la suite d’une enquête qui a été conduite après une plainte formée par M. Z contre lui, enquête qui ne conclut pas à des faits de harcèlement.
Cette enquête engagée le 3 février 2014 se concentre pour l’essentiel sur un échange de courriels entre M. Z. et M. Y intervenu en juillet 2013, où ce dernier a fait écho aux ‘cordialement’ adressés en bas de messages de deux collègues, dont M. Z, par un ‘cordiallemand’. M. Z. a exprimé lors de l’enquête que cette formule l’avait blessé, ses grand-parents ayant été déportés et qu’elle s’inscrivait dans un contexte de tensions réciproques.
Si M. Y verse aux débats le courriel d’une collègue assurant que ce calembour s’inspire du film ‘La Grande Vadrouille’ (‘elle ment, elle ment en allemand’) et souligne qu’il est lui-même de confession juive, il n’en demeure pas moins que le mauvais goût de ce trait d’humour qu’il savait adressé à un descendant de victimes de la Shoah n’aurait dû manquer de lui échapper.
Pour autant, outre que l’incident paraissait clos à la lecture des échanges de courriels, dès lors que des excuses semblaient avoir été échangées, l’échange de courriels incriminé présente la double particularité d’être largement antérieur aux deux mois de la prescription disciplinaire et d’avoir par ailleurs été immédiatement porté à la connaissance du supérieur qui était en copie de l’échange.
Dès lors, quand bien même M. Z. ne se serait plaint auprès de l’employeur que le 13 décembre 2013, cet échange de courriels du 29 juillet 2013 ne saurait fonder un licenciement disciplinaire.
Il est par ailleurs imputé à faute au salarié un tempérament lunatique, parfois méprisant et colérique, ce qui ne constitue pas, en soi, un motif précis, objectif et vérifiable de nature à justifier un licenciement disciplinaire.
Au demeurant, si la lettre de licenciement semble lui imputer un comportement inadapté dans son rôle de ‘scrum master’, force est de constater qu’il n’avait reçu aucune formation pour cette fonction tournante, fonction que son successeur, ainsi qu’il résulte de l’enquête, n’a pas trouvé évidente.
Il résulte en outre de l’interview lors de l’enquête de M. L.K. , son supérieur hiérarchique, que M. Y n’avait effectivement ‘pas compris’ son rôle au début et affectait des tâches, puis qu’après que M. L.K soit ‘intervenu pour expliquer’ il a pris en compte ses remarques.
Aucun comportement fautif ne peut donc être reproché au salarié à qui on ne peut faire grief d’avoir confondu le rôle d’un scrum master avec celui d’un chef de projet dès lors qu’il n’avait pas été formé.
De façon précise, la lettre fait grief au salarié d’avoir dit à son manager ‘je vais me la faire’ lors d’un désaccord avec une collègue, obligeant celui-ci à lui demander de cesser de tenir ce genre de propos.
L’interview de M. L.K. (pièce 13) lors de l’enquête évoque qu’à une période qui n’est pas précisée, M. Y a dit ‘je vais me la payer’ à propos de S. M. L.K. indique lui avoir dit de ne pas avoir ce genre de discours et précise avoir constaté que lorsque M. Y était allé voir S. ‘les choses étaient redevenues sereines’.
La date de cette réflexion mal choisie mais non publique et non suivie d’effet n’est pas établie et ne peut caractériser une faute disciplinaire sanctionnable.
Au demeurant, Mme S. a établi un courriel intitulé ‘témoignage’ en faveur de M. Y après son licenciement, en le décrivant comme un ‘collègue respectueux et tolérant’.
Il lui est aussi fait grief d’avoir quitté à plusieurs reprises des réunions avant la fin, sans autorisation, au seul motif qu’il n’était pas d’accord.
Si ce comportement n’est pas daté, ni étayé dans la lettre de licenciement, il a été explicitement reproché au salarié dans son évaluation du 9 janvier 2014.
Néanmoins, l’employeur ne démontre pas que dans les deux mois précédant l’engagement de la procédure de licenciement, M. Y ait eu ce genre de comportement.
La lettre de licenciement fait aussi grief au salarié d’avoir jeté en plein open space son document d’évaluation de janvier 2014 devant son manager en déclarant ‘reprends ton torchon’. Ce fait non daté dans la lettre n’en est pas moins précis et il résulte des conclusions de l’employeur qu’il aurait eu lieu le 28 février 2014.
Si ce fait est confirmé par l’attestation de M. L.K. (pièce 27), il a été expressément contesté par le salarié lors de son entretien préalable et il doit être constaté que bien que s’étant, selon la lettre de licenciement, déroulé dans un open space devant d’autres salariés, aucun témoignage de personne susceptible d’y avoir assisté n’est produit.
La lettre lui fait aussi grief de refuser de participer positivement aux réunions en ne ‘jouant pas le jeu des stand-up’.
Outre que, là encore, aucun comportement fautif précis non prescrit n’est reproché au salarié, il résulte des pièces produites que le salarié s’est positivement impliqué dans leur organisation (identification d’outils informatiques adaptés, identification de dates de disponibilité des membres de l’équipe, réservation de salles).
Le fait qu’une ‘autre personne de l’équipe’ non identifiée se soit ‘manifestée auprès des ressources humaines’ à une date indéterminée pour mentionner des ‘difficultés à travailler avec M. Y de nature à remettre en question sa collaboration avec le groupe’ ne caractérise aucun grief précis et matériellement vérifiable.
Si l’employeur nomme M. O.M. dans ses écritures, l’interview de celui-ci lors de l’enquête (pièce 16 employeur) précise certes qu’il a voulu donner sa démission et était énervé, mais ajoute ‘ pas contre M. Y’.
La lettre de licenciement fait enfin grief au salarié de s’être présenté le 3 mars 2014 dans les locaux de l’entreprise pour rencontrer la gestionnaire des ressources humaines absente, d’avoir rencontré Mme E.C., F et DRH par intérim et d’avoir ‘vociféré’ qu’il exigeait une rupture conventionnelle et ferait un procès pour discrimination.
Il résulte de l’attestation établie par Mme E.C. que M. Y a effectivement exigé d’être reçu et voulait mettre un terme à son contrat au motif que tout le monde se liguait contre lui. Elle ajoute qu’il ‘ne faisait pas de place à l’écoute’, étant ‘très direct dans ses demandes’ et ayant ‘une attitude très fermée à la discussion mais extrêmement agressif dans son contenu’.
M. Y conteste les termes de cet échange.
En outre, la date à laquelle cet entretien aurait eu lieu ne concorde pas avec les échanges de courriels produits, dès lors que le 3 mars 2014, jour où M. Y aurait fait irruption dans les locaux, est précisément le jour où, alors qu’il était en arrêt de travail, il a adressé un courriel pour solliciter un rendez-vous avec le DRH.
Il résulte des échanges produits par le salarié que la gestionnaire lui a répondu, par courriel du 4 mars, que c’est Mme E.C. qui assurait cette fonction par intérim et lui a proposé un rendez-vous avec elle, soit dès le lendemain 5 mars, soit le 12 mars, qu’il a alors répondu en proposant le jeudi 6 mars, qu’il lui a été répondu que c’était impossible et qu’un rendez-vous lui a alors été proposé le 10 mars. Il a accepté ce rendez vous par courriel du 5 mars en précisant qu’il souhaitait faire un point sur l’enquête interne dont il était l’objet. Ce rendez-vous a été annulé par courriel du 7 mars 2014 au motif de l’absence de Mme E.C.
La relation avec l’employeur s’inscrivait à cette date dans un contexte particulier dès lors que M. Y restait sans nouvelles de l’enquête diligentée à la suite de la plainte pour harcèlement moral de M. Z., venait de voir annulé le rendez-vous à la direction des ressources humaines qu’il avait demandé depuis plusieurs jours et éprouvait un sentiment de harcèlement et d’attitude discriminatoire à son égard, ce qu’il a formulé par lettre du 10 mars 2014, soit le jour-même de son entretien annulé.
L’employeur ne justifie pas avoir communiqué au salarié les résultats de l’enquête avant l’engagement de la procédure de licenciement.
Les termes prêtés à M. Y dans le témoignage de Mme E.C. n’excèdent pas ce que la liberté d’expression d’un salarié, s’estimant victime d’accusations injustifiées et cherchant depuis plusieurs jours à savoir où en est l’enquête diligentée à la suite d’accusations de harcèlement portées contre lui, autorise.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments qu’aucun fait précis et circonstancié ne peut être imputé à faute à M. Y dans un temps non prescrit pour engager une procédure disciplinaire et que son licenciement est donc sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement entrepris qui l’a débouté sera infirmé de ce chef.
Sur les dommages et intérêts
L’entreprise ayant moins de 11 salariés, l’article L1235-5 du code du travail en sa version contemporaine de la rupture du contrat de travail, est applicable à l’espèce.
M. Y avait une ancienneté de 5 ans et presque 8 mois au moment de la rupture du contrat de travail.
L’implication professionnelle qui était la sienne au sein de l’entreprise résulte des pièces produites aux débats.
Son licenciement à l’issue d’une enquête pour harcèlement moral en caractérise les conditions vexatoires.
M. Y justifie qu’il était encore sous traitement antidépresseur et anxiolytique en février 2015 et a bénéficié de l’ARE durant plusieurs années.
La société Omnikles sera condamnée à lui verser une somme de 25.000€ en réparation de son préjudice.
Sur le harcèlement moral
Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
En application de l’article L. 1154-1 du code du travail alors applicable , il incombe à M. Y d’établir la matérialité de faits précis et répétés qui permettent, pris dans leur ensemble, de présumer l’existence d’un harcèlement moral. Dans cette hypothèse, il incombera à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
M. Y fait valoir que son employeur l’a humilié et stigmatisé en diligentant une enquête particulièrement blessante après la plainte de M. Z. et a refusé de répondre à ses demandes sur cette enquête et ses suites.
Il fait valoir s’être retrouvé isolé et ignoré de ses collègues.
Il fait valoir le caractère mensonger des accusations de M. Z. à son encontre et la passivité de l’employeur.
Il fait valoir avoir été placé en arrêt maladie et avoir subi un traitement anxiolytique.
Pris dans leur ensemble ces faits permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral.
L’employeur justifie que l’enquête qu’il a diligentée à la suite de la plainte de M. Z. s’imposait dans son principe dès lors qu’il est tenu à une obligation de sécurité envers ses salariés.
S’il affirme que cette démarche a été conduite de façon impartiale et contradictoire, le questionnaire intitulé ‘ce que vous avez ou non constaté de la part de M. G à l’encontre de M. M.’ caractérise une enquête contre personne dénommée dont les items nombreux du QCM qu’il contient peuvent laisser penser aux six personnes qui ont été invitées à le remplir que, même s’ils ne l’ont pas personnellement constaté, il pourrait être fait grief au salarié d’incivilités, d’atteintes à la dignité, de déconsidération, mais aussi de violence verbale, physique ou sexuelle, d’atteinte à la santé, de persécution… L’employeur, qui ne produit pas le courrier de plainte de M. Z. à l’origine de l’enquête, ne justifie pas de la proportionnalité de la méthode employée avec la nature des griefs faits par M. Z. dont l’interview du 10 février 2014 montre qu’ils étaient limités.
L’employeur ne justifie pas non plus avoir mis le salarié en mesure de se défendre pleinement des accusations portées contre lui. Ainsi, il n’a pas respecté le principe de contradiction dès lors qu’il ne justifie pas avoir soumis pour validation son ‘interview’ à M. Y avant la fin de l’enquête et ne justifie même pas de la date à laquelle il a restitué le résultat de l’enquête à M. Y, lequel l’a souligné au moment de l’entretien préalable à son licenciement.
La violation du principe de contradiction et l’atteinte à son droit de se défendre résultent également du compte-rendu établi par le conseiller du salarié ayant assisté à l’entretien préalable, qui consigne que l’employeur a refusé de lui donner l’identité du collègue qui aurait voulu quitter l’entreprise à cause de lui en expliquant qu’il ne pouvait la divulguer ‘dans l’éventualité où il serait réintégré’.
L’employeur conteste la mise à l’écart du salarié. Les pièces produites montrent que M. Y, tant lors de son interview du 10 février 2014 que lors de sa lettre dénonçant le harcèlement moral dont il s’estimait victime le 10 mars 2014, n’a jamais exprimé ce sentiment qu’à propos de son manager. Le manager de M. Y, qui conteste avoir été froid avec lui, affirme que c’est lui qui ne lui parlait plus.
L’employeur est également fondé à contester le caractère ‘mensonger’ que M. Y prête aux accusations de M. Z.. En effet, l’absence de harcèlement moral imputable à M. Y n’était pas de nature à anéantir l’existence des courriels qu’il a adressés à des collègues dans une forme inadaptée au cadre professionnel, outre l’existence de maladresses relationnelles établies tant par divers interviews lors de l’enquête que soulignées dans sa dernière évaluation comme un point d’attention.
Cependant, les conditions critiquables de l’enquête conduite par l’employeur, son refus d’échanger avec le salarié, tant sur le harcèlement moral dont il s’estimait en retour victime que sur une issue équitable après le trouble engendré par l’enquête et son choix de régler la difficulté par le licenciement disciplinaire du salarié ne sont justifiés par aucun élément objectif étranger à tout harcèlement.
Le harcèlement moral est donc établi.
La réparation du préjudice spécifique en découlant justifie de condamner la société Omnikles à verser à M. Y une somme de 5.000€.
Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.
Sur le manquement à l’obligation de sécurité
M. Y justifie s’être plaint de façon circonstanciée de harcèlement moral et de discrimination le 10 mars 2014, mettant en lien cette situation avec son arrêt de travail.
L’employeur ne justifie d’aucune suite donnée à sa plainte, hormis le fait de lui avoir fait grief, dans la lettre de licenciement elle-même, d’avoir menacé la directrice des ressources humaines d’un procès pour discrimination.
Le manquement à l’obligation de sécurité est dès lors établi et justifie de condamner la société
Omnikles à verser à M. Y une somme de 5.000€ en réparation de son préjudice.
Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.
Sur le cours des intérêts
En application de l’article 1231-7 du code civil, les créances indemnitaires produisent intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt.
Sur les frais irrépétibles
La société Omnikles sera condamnée aux dépens de l’instance d’appel et conservera la charge de ses frais irrépétibles.
L’équité et les circonstances de la cause commandent de faire application de l’article 700 du code de procédure civile au bénéfice de M. Y et de condamner la société Omnikles à lui verser une somme de 1.500€ à ce titre.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
INFIRME le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a débouté la société Omnikles de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Et statuant à nouveau,
DIT que le licenciement de M. Y est sans cause réelle et sérieuse ;
CONDAMNE la société Omnikles à payer à M. Y les sommes suivantes :
— 25.000€ à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif ;
— 5.000€ à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;
— 5.000€ de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité ;
DIT que les créances indemnitaires produiront intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt,
CONDAMNE la société Omnikles aux dépens ;
CONDAMNE la société Omnikles à payer à M. Y la somme de 1.500€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
DÉBOUTE la société Omnikles de sa demande présentée au titre des frais irrépétibles.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE