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Selon l’article L.712-6 du code de la propriété intellectuelle ‘si un enregistrement a été demandé soit en fraude des droits d’un tiers, soit en violation d’une obligation légale ou conventionnelle, la personne qui estime avoir un droit sur la marque peut revendiquer sa propriété en justice. A moins que le déposant ne soit de mauvaise foi, l’action en revendication se prescrit par cinq ans à compter de la publication de la demande d’enregistrement.’
La fraude est caractérisée dès lors que le dépôt a été opéré pour détourner le droit des marques de sa finalité, c’est à dire non pas pour distinguer des produits et services en identifiant leur origine, mais pour priver des concurrents du déposant ou tous les opérateurs d’un même secteur, d’un signe nécessaire à leur activité. Le caractère frauduleux du dépôt s’apprécie au jour du dépôt et ne se présume pas, la charge de la preuve de la fraude pesant sur celui qui l’allègue. Pour apprécier la fraude, tous les facteurs pertinents du cas d’espèce doivent être considérés.
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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 1
ARRÊT DU 29 JUIN 2021
Numéro d’inscription au répertoire général:18/06113 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B5KWV
Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 Novembre 2016 -Tribunal de Grande Instance de PARIS – 3e chambre – 4e section – RG n° 15/09753
APPELANTE
Fondation FONDS DE DOTATION PASSEURS D’ARTS
Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[…]
[…]
Représentée par Me Morgane GRÉVELLEC, avocat au barreau de PARIS, toque : E2122
Assistée de Me Nour Edine E ATMANI, avocat au barreau de l’EURE, toque : 16
INTIMÉS
Monsieur X-D Z
De nationalité française
Président de l’Association E F / ENTRE LES NOTES
[…]
[…]
R e p r é s e n t é p a r M e M a t t h i e u B O C C O N G I B O D d e l a S E L A R L L E X A V O U E PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Assisté de Me Romane BOUTOUYRIE de EKV AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque B777 substituant Me Sabine KUSTER, avocat au barreau de PARIS
Madame B A
De nationalité française
Directrice générale de l’Association E F / ENTRE LES NOTES
[…]
[…]
R e p r é s e n t é e p a r M e M a t t h i e u B O C C O N G I B O D d e l a S E L A R L L E X A V O U E PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Assistée de Me Romane BOUTOUYRIE d’EKV AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque B777 substituant Me Sabine KUSTER, avocat au barreau de PARIS
Association E F / ENTRE LES NOTES
Association régie par la loi du 1er juillet 1901 et le décret du 16 août 1901
Identifiée sous le numéro de […]
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[…]
[…]
R e p r é s e n t é e p a r M e M a t t h i e u B O C C O N G I B O D d e l a S E L A R L L E X A V O U E PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Assistée de Me Romane BOUTOUYRIE d’EKV AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque B777 substituant Me Sabine KUSTER, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 19 mai 2021, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre et Mme Françoise BARUTEL, conseillère chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre
Mme Françoise BARUTEL, Conseillère,
Mme Déborah BOHÉE, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme Karine ABELKALON
ARRÊT :
• Contradictoire
• par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
• signé par Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre et par Carole TREJAUT, Greffière, à
laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
Vu le jugement rendu le 3 novembre 2016 par le tribunal de grande instance de Paris,
Vu l’appel interjeté le 22 mars 2018 par le Fonds de Dotation Passeurs d’Arts,
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 20 juin 2018 par le Fonds de Dotation Passeurs d’Arts, appelant,
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 14 septembre 2018 par M. X-D Z, Mme B A et l’Association E F/Entre les Notes, intimés,
Vu l’ordonnance de clôture rendue le 29 octobre 2019,
SUR CE, LA COUR :
Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.
Il est exposé qu’après avoir vu un film documentaire diffusé sur Arte en août 2009 consacré à une méthode d’enseignement musical développée depuis 1975 au Venezuela par le chef d’orchestre G H I, Mme B A et M. X-D Z, ont souhaité développer un programme d’aide sociale par l’apprentissage de la musique destiné aux jeunes en difficultés, et en particulier le modèle vénézuélien d’éducation par la musique appelé ‘E F’, et ont créé pour ce faire l’association Entre Les Notes le 28 octobre 2010, dont l’objet est de créer, développer et promouvoir des orchestres d’enfants et de jeunes.
Mme B A et M. X-D Z en leurs qualités respectives d’administratrice et de président de l’association Entre Les Notes ont rencontré à la fin de l’année 2011 M. X-L Y, qui dirige une société de vente d’instruments à vents ayant un magasin à Paris, et lui ont présenté une plaquette de leur projet qui a suscité son enthousiasme.
En mai 2012, M. X-L Y, Mme B A, M. X-D Z, l’association Entre Les Notes et d’autres associations telles que Les Petites Mains Symphoniques, Carpe Diem et Drapos ont créé le Fonds de Dotation Passeurs d’Arts, dont M. Y est le président, Mme B A, l’une des administratrices, et M. Z le trésorier, et qui a pour objet de ‘soutenir des initiatives vouées à transmettre et à promouvoir les meilleures formes d’art auprès des enfants et des jeunes, notamment dans les zones sensibles, afin de développer l’égalité des chances et le progrès social’. Son siège est situé au […] à Paris 8e, cette adresse étant également celle du siège social de la société de distribution d’instruments à vents et du magasin dirigés par M. Y.
Le 12 décembre 2012, Mme B A a procédé au dépôt auprès de l’INPI, au nom du Fonds de Dotation Passeurs d’Arts et de l’association Entre les Notes, de la marque «’E F J’» sous le numéro 3967952 désignant les services suivants en classe 41 : ‘système d’éducation reposant sur l’art surtout pratiqué de manière collective (musique, danse, théâtre, etc.) associé à d’autres éléments constitutifs du savoir (apprentissage des langues vivantes et mortes, géométrie)’.
Faute des régularisations demandées par l’INPI, cette demande d’enregistrement de marque a été rejetée par décision du 7 octobre 2013.
Mme B A et M. X-D Z ont procédé au dépôt en leurs noms des marques verbales françaises suivantes :
— ’E F’ sous le n°4001493, déposée le 28 avril 2013 et publiée le 17 mai 2013, pour désigner divers services de la classe 41 et notamment : «’Éducation’; formation’; divertissement activités sportives et culturelles’; organisation de concours (éducation et divertissement)’; organisation et conduite de colloques, conférences ou congrès’; organisation d’expositions à buts culturels ou éducatifs’» ;
— ’E F J”sous le n° 4007623, déposée le 27 mai 2013 et publiée le 21 juin 2013, pour désigner en classe 41 : « Éducation’; formation’; activités sportives et culturelles’; organisation de concours (éducation et divertissement)’; organisation et conduite de colloques, conférences ou congrès’; organisation d’expositions à buts culturels ou éducatifs’».
Le 30 avril 2013, l’association Entre les Notes a déclaré en Préfecture un changement de dénomination au profit de ‘E F J/ Entre les Notes’.
De graves dissensions ayant opposé Mme A et M. Z à M. Y à compter du début de l’année 2013, Mme A et M. Z ont démissionné respectivement les 27 et 28 mai 2013 de leurs fonctions de secrétaire générale et de trésorier du Fonds de Dotation Passeurs d’Arts.
Par ordonnance en date du 13 novembre 2014, le juge des référés du tribunal de grande instance de Créteil, saisi par le Fonds de Dotation Passeurs d’Arts d’une demande d’interdiction d’usage des signes E F à l’encontre de B A et X-D Z, s’est déclaré incompétent au profit du juge des référés du tribunal de grande instance de Paris.
Par ordonnance du 16 février 2015, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a déclaré le Fonds de Dotation Passeurs d’Arts irrecevable en ses demandes.
Par exploits du 3 juin 2015, le Fonds de Dotation Passeurs d’Arts a fait assigner Mme B A et M. X-D Z en revendication des marques E F et E F J.
L’association E F J/Entre les Notes est intervenue volontairement à l’instance par conclusions du 23 février 2016.
Par jugement rendu le 3 novembre 2016, le tribunal de grande instance de Paris a pris la décision suivante’:
Déboute le Fonds de Dotation Passeurs d’Arts de ses demandes fondées sur la revendication des marques françaises verbales E F et E F J n°4001493 et 4007623 dont B A et X-D Z sont titulaires,
Condamne le Fonds de Dotation Passeurs d’Arts à payer à B A et X-D Z la somme globale de 2 500 euros, soit 1 250 euros à chacun, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Ordonne l’exécution provisoire,
Condamne le Fonds de Dotation Passeurs d’Arts aux entiers dépens.
Sur le caractère frauduleux des dépôts de marques
Le Fonds de Dotation Passeurs d’Arts reproche au jugement déféré d’avoir pris en considération des préparatifs d’exploitation faits par Mme A et M. Z alors que cela est inopérant. Il prétend que ces derniers avaient connaissance de l’utilisation antérieure par le Fonds de Dotation
Passeurs d’Arts du terme E F sur son site internet depuis sa création, qu’ils ont fait obstacle à la régularisation par le Fonds de Dotation Passeurs d’Arts du premier dépôt n°3967952 et ont ensuite procédé au dépôt des marques n°4001493 et 4007623 avant même leur démission du Fonds de Dotation Passeurs d’Arts et ce, dans l’intention de lui nuire et en contravention de leurs obligations contractuelles alors qu’ils étaient respectivement administrateur et trésorier du Fonds de Dotation Passeurs d’Arts.
Les intimés font valoir qu’ils bénéficient d’une antériorité sur le signe E F en ce que Mme A et M. Z avaient développé un programme d’aide sociale par l’apprentissage de la musique classique orchestrale et chorale baptisé E F avant la création du Fonds de Dotation Passeurs d’Arts.
Ils soutiennent que Mme A a déposé la marque n°3967952 en mentionnant deux déposants, à savoir le Fonds de Dotation Passeurs d’Arts et l’association Entre les Notes, que l’appelant en était au courant puisqu’une copie de cet acte d’enregistrement a été communiquée à M. Y, que le Fonds de Dotation Passeurs d’Arts n’a pas retiré le courrier de notification d’irrégularités que lui a adressé l’INPI, de sorte que cette demande a été rejetée, et que compte tenu des dissensions intervenues et de leur antériorité dans l’exploitation de la méthode F avec l’association Entre Les Notes, ils ont souhaité poursuivre le développement de leur projet sans priver le Fonds de Dotation Passeurs d’Arts d’un signe nécessaire à son activité. Ils demandent donc la confirmation du jugement déféré, ou à titre subsidiaire, le transfert des marques à l’association E F J/ Entre Les Notes.
La cour rappelle que selon l’article L.712-6 du code de la propriété intellectuelle ‘si un enregistrement a été demandé soit en fraude des droits d’un tiers, soit en violation d’une obligation légale ou conventionnelle, la personne qui estime avoir un droit sur la marque peut revendiquer sa propriété en justice.
A moins que le déposant ne soit de mauvaise foi, l’action en revendication se prescrit par cinq ans à compter de la publication de la demande d’enregistrement.’
La fraude est caractérisée dès lors que le dépôt a été opéré pour détourner le droit des marques de sa finalité, c’est à dire non pas pour distinguer des produits et services en identifiant leur origine, mais pour priver des concurrents du déposant ou tous les opérateurs d’un même secteur, d’un signe nécessaire à leur activité. Le caractère frauduleux du dépôt s’apprécie au jour du dépôt et ne se présume pas, la charge de la preuve de la fraude pesant sur celui qui l’allègue. Pour apprécier la fraude, tous les facteurs pertinents du cas d’espèce doivent être considérés.
En l’espèce, il n’est pas contesté que Mme B A a effectué le 12 décembre 2012 le dépôt de la marque litigieuse ‘E F J’ au nom du Fonds de Dotation Passeurs d’Arts et de l’Association Entre Les Notes.
Le Fonds de Dotations Passeurs d’Arts prétend qu’il n’avait pas donné son accord pour que l’association Entre Les Notes soit co-déposante de ladite marque sans cependant verser aucune pièce pour étayer ce moyen, et ce alors qu’au vu de la chronologie des faits et de l’antériorité de l’association Entre Les Notes pour promouvoir la méthode E F en J, la mention de l’association Entre Les Notes en qualité de co-déposant des marques E F et E F J n’avait rien de frauduleux.
Le Fonds de Dotation Passeurs d’Arts ne peut davantage reprocher aux intimés d’avoir empêché une régularisation de la demande d’enregistrement de la marque alors que la notification d’irrégularités matérielles relatives à ladite demande, faisant courir un délai pour régulariser, lui a été adressée par l’INPI par lettre recommandée le 8 avril 2013, à l’adresse de son siège qui est la même que celle du magasin de musique qu’exploite M. Y, que ce courrier n’a pas été retiré et qu’il a donc été retourné à l’INPI ainsi qu’il résulte de l’accusé de réception versé au dossier, cette négligence, qui est imputable au Fonds de Dotations Passeurs d’Arts et à son Président, ayant seule empêché la régularisation de la demande d’enregistrement de la marque, de sorte que la circonstance que la décision de rejet de l’INPI a été adressée à Mme A en octobre 2013, est inopérante pour justifier d’une intention de nuire.
Il ne peut davantage être soutenu qu’alors que des dissensions sont intervenues entre les parties, Mme A et M. Z ont déposé les marques litigieuses E F et E F J, non pour distinguer des produits et des services, mais pour priver le Fonds de Dotation Passeurs d’Arts d’un signe nécessaire à son activité, alors qu’il est démontré et non contesté que Mme A avait dès le mois d’août 2009, soit plus de deux ans avant la création du Fonds de Dotation Passeurs d’Arts, ainsi qu’il résulte des courriels versés au dossier, contacté les responsables vénézuéliens d’E F afin d’adapter cette méthode en J, et que l’association Entre les Notes, créée notamment à cette fin en octobre 2010 par Mme A et M. Z, avait conçu une plaquette intitulée ‘Projet E F J’ exposant les valeurs du projet vénézuélien d’éducation par la musique et la méthode proposée pour son adaptation en J. Il n’est pas davantage démontré que Mme A et M. Z ont procédé au dépôt de la marque E F pour priver le Fonds de Dotation Passeurs d’Arts d’un signe nécessaire à son activité, alors qu’il a pour objet, aux termes de ses statuts, de soutenir des initiatives vouées à transmettre et à promouvoir les meilleures formes d’art auprès des enfants et des jeunes, qu’il a donc vocation à soutenir divers projets portés par diverses structures, et que la marque E F n’est dès lors pas nécessaire à son activité.
Le Fonds de Dotation Passeurs d’Arts invoque enfin à tort la violation d’une obligation conventionnelle alors qu’aucune disposition des statuts de l’association Le Fonds de Dotation Passeurs d’Arts n’interdisait à son secrétaire général et à son trésorier de déposer une marque, la déloyauté n’étant pas davantage caractérisée compte tenu de l’engagement de Mme A et de M. Z, aux côtés de l’association Entre Les Notes qu’ils ont créée dès 2010 au profit du développement en J de la méthode E F, ainsi qu’il a été précédemment développé.
Il résulte de ces éléments que le Fonds de Dotation Passeurs d’Arts échoue à démontrer la mauvaise foi de Mme A et de M. Z lors du dépôt des marques litigieuses. Le Fonds de Dotations Passeurs d’arts sera dès lors débouté de ses demandes de transfert de marques, d’annulation des marques, de condamnation à des dommages-intérêts et de mesure de publication. Le jugement entrepris sera dès lors confirmé dans l’ensemble de ses dispositions.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions,
Rejette toutes autres demandes des parties contraires à la motivation,
Condamne Le Fonds de Dotation Passeurs d’Arts aux dépens d’appel, et vu l’article 700 du code de procédure civile le condamne à verser à ce titre pour les frais irrépétibles d’appel une somme complémentaire globale de 2 500 euros à M. X-D Z, Mme B A et l’Association E F / Entre Les Notes.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE