Contrefaçon de logiciel : recevabilité de l’action
Contrefaçon de logiciel : recevabilité de l’action
Ce point juridique est utile ?

Une société est irrecevable à agir en contrefaçon si elle n’identifie, ni dans sa requête initiale ni au stade de l’instance en rétractation, le ou les produits qu’elle développe et commercialise (logiciel) et qui serai(en)t copié(s), grâce à l’aide de ses anciens salariés. Sa demande a été considérée par le juge des référés comme dépourvue de tout motif légitime, au sens de l’article 145 du code de procédure civile, faute d’identification du produit (à défaut d’un brevet ou d’un logiciel précis) qui serait copié par son concurrent et des faits dont la mesure viserait à établir la preuve.

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 1

ARRÊT DU 22 JUIN 2021

Numéro d’inscription au répertoire général : 20/15062 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCQUB

Décision déférée à la Cour : Ordonnance de référé-rétractation du 15 Octobre 2020 -Tribunal judiciaire de PARIS – 3e chambre – 1re section – RG n°19/14591

APPELANTE

S.A. A

Société au capital de 2 875 909,92 euros

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de NANTERRE sous le numéro 419 850 417

Agissant en la personne de son président du directoire domicilié en cette qualité au siège social

[…]

92300 LAVALLOIS-PERRET

Représentée par Me Florence GUERRE de la SELARL PELLERIN – DE MARIA – GUERRE, avocate au barreau de PARIS, toque L 0018

Assistée de Me François-Xavier TESTU plaidant pour l’AARPI SALES – TESTU – HILL & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque G 355

INTIMÉE

S.A.S. F G H EUROPE,

Société au capital de 44 384 892 euros

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 808 381 156

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social

[…]

[…]

Représentée par Me Bruno REGNIER de la SCP REGNIER – BEQUET – MOISAN, avocat au barreau de PARIS, toque L 0050

Assistée de Me Valérie LEDOUX plaidant pour la SELARL RACINE, avocate au barreau de PARIS, toque L 0301

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 et 905 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 12 mai 2021, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Isabelle DOUILLET, présidente, chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Isabelle DOUILLET, présidente

Mme Françoise BARUTEL, conseillère

Mme Déborah BOHEE, conseillère,

Greffier, lors des débats : Mme Carole TREJAUT

ARRÊT :

• Contradictoire

• par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

• signé par Mme Isabelle DOUILLET, présidente, et par Mme Karine ABELKALON, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

La société F G H EUROPE (ci-après, la société F), anciennement dénommée C F AUTOMOTIVE (PFA), fondée en 1997, est une entreprise technologique spécialisée dans la conception de solutions audio pour l’industrie automobile, filiale à 100 % de l’équipementier F depuis 2018.

La société A, fondée en 1998, se présente comme une société ‘mono-produit’ vendant une suite logicielle pour auto-radios qui améliore la qualité de la musique dans les voitures, ce produit se composant i) d’un logiciel qui s’intègre dans l’auto-radio du véhicule et dont la fonction est de créer des effets acoustiques améliorant à la fois la qualité de la spatialisation et celle de l’égalisation du son et la qualité du rendu des basses fréquences et ii) d’un logiciel de paramétrage, appelé Sound Adjustment Tool ou « SAT ».

Soupçonnant la société C F AUTOMOTIVE d’exploitation déloyale ou parasitaire de sa technologie, voire de contrefaçon, agissements rendus possibles grâce au recrutement de trois de ses salariés, la société A a été autorisée par le délégataire du président du tribunal de grande instance de Paris, par une ordonnance sur requête du 12 novembre 2019, rendue au visa de l’article 145 du code de procédure civile, à faire pratiquer dans les locaux de cette société des opérations visant à établir la preuve de ces faits.

Les opérations se sont déroulées le 26 novembre 2019.

Par acte d’huissier du 20 décembre 2019, la société C F AUTOMOTIVE a fait assigner en référé la société A devant le juge ayant autorisé la saisie afin d’obtenir la rétractation et, subsidiairement, la modification de l’ordonnance.

Par ordonnance rendue le 15 octobre 2020, le juge des référés a :

— ordonné la rétractation de l’ordonnance du 12 novembre 2019 et l’annulation de ses actes subséquents, ainsi que la restitution à la société F G H EUROPE (anciennement C F AUTOMOTIVE) de l’intégralité des éléments appréhendés en exécution de cette ordonnance ;

— dit toutefois que les éléments actuellement tenus sous séquestre y seront maintenus jusqu’à l’expiration du délai d’appel ou jusqu’à l’arrêt de la cour d’appel à intervenir si un appel est interjeté ;

— condamné la société A aux dépens et au paiement à la société F G H EUROPE de la somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

— rappelé que la décision était de droit exécutoire par provision.

Le 22 octobre 2020, la société A a interjeté appel de cette ordonnance.

Dans ses dernières conclusions numérotées 3 transmises le 4 mai 2021, la société A, appelante, demande à la cour :

— de réformer l’ordonnance du 15 octobre 2020 en ce qu’elle a ordonné la rétractation de l’ordonnance sur requête du 12 novembre 2019 et l’annulation de ses actes subséquents ;

— statuant de nouveau :

— de constater que les mesures d’investigation prescrites par l’ordonnance initiale du 12 novembre 2019 dans les locaux de la société F G H Europe (anciennement C F Automotive) à la demande de la société A étaient fondées sur un motif légitime ;

— de maintenir en son entier ladite ordonnance du 12 novembre 2019 prise sur requête ;

— d’ordonner en conséquence la levée du séquestre et la remise immédiate à la société A des éléments saisis par l’huissier qui a instrumenté ;

— subsidiairement, la société A déclare s’en remettre à justice quant à la mise en place d’une procédure contradictoire de levée de séquestre sous le contrôle d’un expert indépendant, étant toutefois précisé que ce contrôle ne pourra pas empêcher que l’intégralité des développements techniques relatifs à la spatialisation ou au traitement des basses figurant dans les documents saisis soient transmis à A, avec l’intégralité des propos contextualisant ces éléments ;

— pour le reste :

— d’infirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a condamné la société A à payer à la société F G la somme de ’16 000 euros’ sur le fondement de l’article 700 ;

— de rejeter les demandes de la société F G H Europe ;

— de condamner la société F G H Europe à verser à la société A la somme de 10 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions numérotées 2 transmises le 14 avril 2021, la société F, intimée, demande à la cour :

— de confirmer l’ordonnance de référé du 15 octobre 2020 en ce qu’elle a ordonné la rétractation de l’ordonnance sur requête du 12 novembre 2019 et l’annulation des actes y afférents, ainsi que la restitution à la société F G H Europe de l’intégralité des éléments appréhendés en exécution de cette ordonnance,

— de dire en conséquence que ladite restitution devra intervenir dans un délai de 8 jours à compter de la signification de l’arrêt à intervenir,

— de condamner la société A à payer à la société F G H Europe la somme de 30.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens,

— à titre subsidiaire, pour le cas où par extraordinaire l’ordonnance sur requête ne serait pas rétractée par la cour, dire que les pièces saisies ne pourront le cas échéant être remises à la société A que dans le cadre d’une procédure contradictoire de levée de séquestre prévoyant l’intervention d’un expert indépendant.

L’ordonnance de clôture est du 11 mai 2021.

MOTIFS

En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu’elles ont transmises, telles que susvisées.

Sur l’existence d’un motif légitime de conserver ou d’établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige

La société A indique que son produit ‘n’a pas de matérialité’ en ce sens qu’il repose sur une suite logicielle pour auto-radios qui améliore la qualité de la musique dans les voitures, se composant i) d’un logiciel qui s’intègre dans l’auto-radio du véhicule et dont la fonction est de créer des effets acoustiques améliorant à la fois la qualité de la spatialisation, de l’égalisation du son et du rendu des basses fréquences et ii) d’un logiciel de réglage ou de paramétrage, appelé ‘Sound Adjustment Tool’ ou ‘SAT’, qui n’a pas vocation à être intégré au véhicule mais qui est implémenté dans un ordinateur connecté au véhicule lors de la configuration. Elle indique que les algorithmes du logiciel intégré au véhicule améliorant la qualité de spatialisation et d’égalisation du son et de rendu des basses sont protégés par des brevets et que ceux concernant le dispositif de réglage dit ‘SAT’ sont couverts par des codes source protégés appartenant à son savoir-faire secret. Elle soutient que tous ces éléments ont bien été présentés dans sa requête et permettaient d’identifier le produit qu’elle développe et commercialise.

Elle met en avant plusieurs indices du pillage par la société C de sa technologie, à savoir : le recrutement en 2017 de deux salariés, MM. X et Y, et d’un prestataire, M. Z, tous tenus par une clause de confidentialité, qui ont eu accès à sa technologie ; le fait que jusqu’en 2017, la société C était incapable de développer un produit identique à celui d’A ; le fait qu’après cette date, ses anciens salariés ont travaillé chez C à la mise au point d’un produit identique, de sorte la société F a pu annoncer en 2019 le lancement d’un nouveau produit ayant les mêmes fonctions que le sien, à savoir la spatialisation, l’égalisation et les basses virtuelles. Elle indique que son produit, connu sous l’appellation «’A SOUND STAGE’», est considéré comme une référence dans le domaine du traitement du son pour obtenir les effets de spatialisation avec égalisation du son et traitement des basses dans l’habitacle automobile,

de sorte que des constructeurs d’automobiles l’imposent parmi les spécifications de leurs appels d’offres aux équipementiers de l’audio, et elle relève que l’intimée utilise le même vocabulaire que le sien, notamment le terme «’Sound Stage’» pour désigner son produit correspondant à la technologie A. Elle fait encore valoir que quatre demandes de brevet ont été déposées devant l’INPI par la société F, toutes relatives au traitement du son à un haut niveau dans les habitacles automobiles, que les anciens d’ARKAMY y figurent comme inventeurs, que l’un de ces brevets, à savoir le brevet n° FR 3091636, recouvre précisément le domaine de la technologie d’A et que son ancien ingénieur, M. D Y est désigné comme inventeur de deux brevets déposés par l’intimée portant sur un système audio dans les appui-têtes de véhicules automobiles alors qu’il avait travaillé sur un projet similaire, tenu confidentiel, lorsqu’il était chez A. Elle souligne que les courriels échangés par ses anciens ingénieurs, actuellement sous séquestre, permettraient d’apporter la preuve du pillage de sa technologie par l’intimée.

En réponse, la société F soutient que la société A ne produit pas d’éléments sérieux permettant d’identifier précisément les caractéristiques de son propre produit, qui ne seraient pas communes aux produits des autres acteurs du secteur, et sur lesquelles elle pourrait donc revendiquer des droits, ni a fortiori ce qu’elle lui reproche d’en avoir repris. Elle fait valoir que l’appelante a modifié au fil de ses conclusions la description du produit invoqué et argue que les caractéristiques revendiquées par A à savoir la spatialisation, l’égalisation du son et le rendu des basses fréquences sont des effets acoustiques que cherchent à développer tous les acteurs du secteur et qui ne peuvent donc pas être monopolisés par l’appelante. Elle indique avoir elle-même développé depuis plusieurs années des technologies permettant d’obtenir ces effets acoustiques de spatialisation, d’égalisation et de basses virtuelles. Elle ajoute que les mots-clefs «’Sound Stage’» et «’Bass Exciter’» qui, selon la société A appartiendraient à son vocabulaire interne, ne sont que des termes usuels dans le domaine de l’acoustique. Elle ajoute que les éléments nouvellement mis en avant par la société appelante ne sont pas plus pertinents. Elle plaide ainsi que le recrutement, à partir de mi-2017, des trois anciens salariés d’A, qui n’étaient pas des «’hommes clés’» de cette dernière dans le développement de sa technologie des effets sonores spéciaux dans l’habitacle du véhicule automobile, s’est déroulé de manière parfaitement loyale et qu’il est habituel pour des ingénieurs de travailler successivement et de déposer pour des entreprises concurrentes et qu’en l’occurrence, les demandes de brevets qu’elle a déposées sont sans lien avec la technologie de la société A. Elle avance que l’objectif de la société A est de récupérer, par le biais de cette procédure, sa technologie et son savoir-faire, sans avoir à engager une procédure d’opposition et/ou de contrefaçon contre ses brevets.

Ceci étant exposé, aux termes de l’article 145 du code de procédure civile « S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ».

Il sera rappelé que le juge des référés a estimé que la société A n’identifiait, ni dans sa requête initiale ni au stade de l’instance en rétractation, le ou les produits qu’elle développe et commercialise et qui serai(en)t copié(s), grâce à l’aide de ses anciens salariés, par le «’Cockpit audio manager’» ou le «’Carspat’» de la société F. Ainsi, la demande d’A a été considérée par le juge des référés comme dépourvue de tout motif légitime, au sens de l’article 145 du code de procédure civile, faute d’identification du produit (à défaut d’un brevet ou d’un logiciel précis) qui serait copié par son concurrent et des faits dont la mesure viserait à établir la preuve.

L’ordonnance déférée rappelle à juste raison que la demande de rétractation d’une ordonnance sur requête rendue sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile ne tendant qu’au rétablissement du principe de la contradiction, le juge de la rétractation qui connaît une telle demande doit apprécier l’existence du motif légitime au jour du dépôt de la requête initiale, à la lumière des éléments de preuve produits à l’appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui.

Dans sa requête afin de saisie-contrefaçon du 12 novembre 2019, la société A exposait, en citant un extrait du site internet de la société C (F), que celle-ci avait développé depuis peu un système électronique d’ensemble dit ‘Cockpit Audio Manager’, dont l’élément central et le plus important remplissait exactement les fonctions techniques servies par sa propre technologie, en ce que :

— les effets acoustiques de ‘spacialization’ et d”equalization’ dans la technologie F correspondaient ‘à ce qui s’appelle SoudStage dans la technologie A’, la série d’algorithmes assurant cet effet étant désignée dans un brevet A n° FR 2918532, intitulé ‘Procédé de traitement sonore d’un signal stéréophonique à l’intérieur d’un véhicule automobile mettant en oeuvre ce procédé’,

– que les effets ‘virtuel bass’ dans la technologie F correspondaient ‘à ce qui s’appelle BassExciter dans la technologie A’, la série d’algorithmes assurant cet effet étant désignée dans un brevet A n° FR 2982404 intitulé ‘Procédé de réduction de vibrations parasites d’un environnement d’un haut-parleur permettant de conserver la perception des basses fréquences du signal à diffuser et dispositif de traitement associé’”.

Elle indiquait par ailleurs que la série d’algorithmes assurant les autres effets acoustiques chez F était couverte par trois autres de ses propres brevets, l’un relatif au ‘Surround Management’ (‘Procédé de génération de signaux de son surround gauche et droit à partir d’un signal de son stéréo’ n° FR 2954654), un autre relatif à l”Automatic Gain Control’ (‘Procédé de normalisation de la puissance d’un signal sonore et dispositif de traitement associé’ n° FR 2976748) et un troisième relatif au ‘Center Extract’ (‘Procédé pour produire plus de deux signaux électriques temporels distincts à partir d’un premier et d’un deuxième signal électrique temporel’ n° FR 2886503), qu’elle avait composé deux codes source ‘DSP Algorithms’ et ‘Interface de contrôle’, une architecture audio dite ‘Audio Paths’ et des ‘Méthodologies de réglage audio en véhicules et workflow des logiciels d’interface de contrôle (‘Software adjustement tools’)’ et que ‘l’ensemble de ces éléments constituent une technologie propriétaire élaborée par A qui a permis le développement d’un produit qu’elle fournit en particulier à un grand nombre de constructeurs automobiles’. Elle arguait ensuite que la société C (F), avec laquelle elle avait été en relation dans le cadre de la discussion d’un contrat de licence portant sur un logiciel ‘qui se trouve au coeur de la technologie A’ (A étant le concédant et C le licencié) et qui avait alors signé un accord de confidentialité en septembre 2006, s’était fait remettre ledit logiciel en novembre 2006 aux fins d’évaluation, lui avait demandé de nouvelles explications sur sa technologie, ce qui avait donné lieu à un nouvel accord de confidentialité en juillet 2015, avait recruté à partir de la mi-2017 trois de ses hommes-clefs en matière de développement technologique, avant d’annoncer quelques mois plus tard la mise au point d’un produit qu’elle n’avait pas su développer durant les dix années précédentes.

La cour constate que le produit revendiqué par la société ARKMYS était essentiellement défini, en première instance, par rapport à la technologie prétendument nouvelle mise au point par la société F, la requérante tirant argument d’un extrait du site de cette dernière qui annonçait, selon la traduction proposée, non contestée : ‘Imaginez un système de gestion intégrale du son pour le cockpit de votre voiture capable de vous offrir un nouveau degré d’immersion dans l’expérience acoustique. Du fait de notre expertise étendue dans le domaine audio, nous avons développé une série d’effets acoustiques spéciaux, tels que la spatialisation, l’égalisation et les basses virtuelles’, pour soutenir que ces trois effets acoustiques constituaient la reprise de technologies qu’elle avait elle-même mises au point.

Désormais, la société A expose que les algorithmes du logiciel intégré au véhicule améliorant la qualité de spatialisation et d’égalisation du son et de rendu des basses sont protégés par des brevets, renvoyant, sans plus de précision, à sa pièce 2 qui consiste en une liste, extraite de la base brevets de l’INPI, de10 brevets déposés par A, publiés entre 2013 et février 2019, qui ne comprend qu’un seul des 5 brevets cités dans la requête (le brevet FR 2982404 ‘Procédé de réduction de vibrations parasites d’un environnement d’un haut-parleur permettant de conserver la perception des basses fréquences du signal à diffuser et dispositif de traitement associé’) . Par ailleurs, le logiciel de réglage ou de paramétrage, ‘Sound Adjustment Tool’ (SAT), au demeurant non désigné explicitement dans la requête, désigne dans les conclusions de l’appelante, comme le relève pertinemment la société F, tantôt un logiciel (relevant du software), tantôt un ‘appareil’ (page 21 de ses conclusions) (relevant du hardware).

Par ailleurs, la société F (précédemment C AUTOMOTIVE, puis C F AUTOMOTIVE – PFA) justifie qu’à la suite de la restructuration de la société C (SA), elle a acquis la technologie de celle-ci (brevets et savoir-faire), notamment dans le secteur audio (pièces 3 et 12), et qu’après son intégration, en 2018, au sein de l’équipementier F, celui-ci a acquis, début 2019, la société CREO DYNAMICS et la société G, toutes deux spécialisées dans le domaine de l’acoustique appliquée notamment aux véhicules, de sorte qu’aujourd’hui, la nouvelle entité F G H se présente comme aspirant à devenir leader mondial de l’électronique pour le ‘Cockpit’ et les systèmes d’aide à la conduite (pièces 14 et 15). Elle fournit une ‘Analyse de la requête ARKMYS’ établie par M. B, conseil en propriété industrielle, de laquelle il ressort que C (PFA) détient un portefeuille de 33 familles de brevets dans le domaine des systèmes de gestion audio pour les automobiles, soit plus d’une centaine, certains publiés dès 1998. Selon la même analyse, les effets acoustiques revendiqués sont ‘d’une grande banalité’, M. B E, sans être démenti par l’appelante, au cours des 20 dernières années, près de 693 familles de brevets concernant l’effet de spacialisation de sons pour automobile et plus de 9000 familles de brevets en ce qui concerne l’égalisation des sons pour automobile.

La société A, de son coté, revendique être aujourd’hui une société ‘mono-produit’ qui réalise la quasi-totalité de son chiffre d’affaires avec le produit technologique en cause dans cette instance, mais elle a démarré son activité en 1998 dans le domaine du son pour le cinéma, sa conversion dans le secteur automobiles datant, selon son propre site internet, de 2006. Elle dispose d’une vingtaine de familles de brevets selon M. B (pièce 10).

La société F justifie encore (sa pièce 17) que plusieurs autres opérateurs du marché proposent des technologies permettant l’optimisation du son à l’intérieur d’un habitacle automobile présentant les effets techniques revendiqués par la société A, ce qui corrobore l’affirmation de M. B quant à la banalité des effets acoustiques invoqués. Ainsi, les sociétés CONTINENTAL et SENNHEISER ‘révolutionnent l’expérience audio embarquée’ en proposant une technologie offrant un effet de spacialisation (‘l’algorithme de spatialisation AMBEO Mobility transforme toute piste stéréo en une expérience immersive’) ; la société DEVIALET propose également une technologie SYMBIOZ de spacialisation qui ‘transmet le son jusqu’au haut-parleur adapté, en fonction du type de son ou de la fréquence. Les sons directs, comme les voix, sont envoyés vers les haut-parleurs bande avant tandis que les sons d’arrière-plan ou d’ambiance sont envoyés vers les Diffuseurs pour une spacialisation sans pareil’ ; la société HARMAN KARDON offre un système AURAVOX ‘d’égalisation par logiciel pour l’environnement sonore le plus exigeant : l’habitacle d’une voiture’ ; la société DIRAC ‘donne le La aux fabricants automobiles’ en leur proposant, quant à elle, une technologie d’optimisation sonore UNISON permettant notamment un nouveau mode de gestion des basses afin d’obtenir ‘la meilleure intégration’ de celles-ci. Au regard de ces éléments, la spécificité de la technologie de la société A ne peut ressortir du rapport d’audit juridique (sa pièce 37) dont l’extrait produit concerne des ‘spécificités contractuelles’ et qui contient une liste de constructeurs automobiles ou d’équipementiers qu’elle approvisionne, pas plus que de la demande de devis émanant d’un équipementier (pièce 38) ou du fait qu’A a emporté un appel d’offres lancé par PSA en 2020 relatif au développement de ‘Audio 2023 NRE A pour le Media Enhancement’ dans le cadre duquel il lui a été demandé de collaborer avec FCE (F G H) (pièce 39).

Par ailleurs, le produit de la société F qui reproduirait indûment la technologie de la société A n’est pas clairement identifié. L’appelante se prévaut du constat d’huissier établi le 16 décembre 2019 à la demande de la société F (pièce 36 d’A) pour relater ce qui avait été prélevé par l’huissier judiciaire dans l’ordinateur de M. X dans le cadre des mesures d’investigation litigieuses opérées le 26 novembre 2019. Ce constat démontrerait, selon la société A, que la société F n’a pas travaillé à la mise au point d’un produit Carspat permettant la spacialisation du son, correspondant à l’élément central du produit A dit Sound Stage, entre 2014 et 2017, date à laquelle elle a débauché ses salariés. Mais la société F fournit une copie d’écran, dont l’authenticité n’est pas contestée, montrant qu’elle procédait à des travaux concernant le Carspat en 2016 (page 47 de ses conclusions), outre que M. X a indiqué à l’huissier que le fichier Carspat V3 a été créé ‘dans le prolongement de la V2 codée par PFA, et que cette V3 contient le savoir-faire de C, sur le traitement de la scène sonore (sound stage)’, et que la V2 est antérieure à son arrivée chez PFA, ainsi qu’il ressort d’un document ‘CarSpatialization 2 – C’ en date du 20 mars 2012.

La société A argue également que les termes SoundStage, Bass Exciter lui sont propres. Mais la société F justifie que ‘sound stage’, qui se traduit sans conteste par ‘scène sonore’, est utilisé par les sociétés DIRAC et HARMAN dès 2017 (sa pièce 8) et apparaît à plusieurs reprises dans un brevet EP 2709380 qu’elle a déposé en 2012 (sa pièce 25), que le terme ‘Bass Exciter’ qui désigne un système de rehaussement de basses fréquences, apparaît sur le site des sociétés WINAMP (2011), PANASONIC (2007) (sa pièce 8), que des recherches sur GOOGLE-PATENT à partir de ces mots-clé permettent d’aboutir à 137 brevets de la société C depuis 1998 et 14 seulement de la société A.

Enfin, la société A invoque cinq demandes de brevet déposées par la société F au cours de l’année 2019, toutes relatives au traitement du son à un haut niveau dans les habitacles automobiles, sur lesquelles MM. Z, Y et X, anciens salariés A, figurent comme inventeurs. Cependant, de première part, il n’est nullement justifié que les recrutements de MM. Z (en juin 2017), X (en octobre 2017) et Y (en juin 2018), le premier n’étant au demeurant pas un salarié mais un prestataire dont la mission chez A a pris fin en décembre 2016, sont intervenus dans des conditions déloyales, le départ de ces personnes, qui n’étaient pas tenues par des clauses de non-concurrence, étant intervenu dans le contexte d’une série de démissions (7 ingénieurs sur 9) au sein de l’équipe recherche et développement de la société A (attestations concordantes de MM. X et Y). Et de seconde part, aucun élément ne permet de retenir que les demandes de brevet déposées par la société F en 2019 procéderaient du pillage de la technologie de la société A alors que MM. Z, Y et X, qui en sont les inventeurs ou co-inventeurs, sont des ingénieurs audio de haut niveau selon l’appelante elle-même, que la société F, spécialisée dans la conception de solutions audio pour l’industrie automobile, détient, comme il a été dit, un très important portefeuille de brevets dans le domaine des systèmes de gestion audio pour automobiles, certains publiés dès 1998, que la société F démontre qu’il n’est pas exceptionnel que des ingénieurs audio déposent des brevets pour leurs employeurs successifs et que la société intimée justifie de ce que les rapports de recherche établis pour ces demandes de brevet n’ont aucunement mentionné la technologie de la société A.

Pour l’ensemble de ces raisons, et sans qu’il y ait lieu d’examiner le surplus de l’argumentation des parties, il sera retenu que la mesure réclamée apparaît dépourvue d’intérêt légitime.

L’ordonnance déférée sera par conséquent confirmée en ce qu’elle a ordonné la rétractation de l’ordonnance du 12 novembre 2019 et l’annulation de ses actes subséquents, ainsi que la restitution à la société F de l’intégralité des éléments appréhendés en exécution de cette ordonnance.

Il y a lieu, en outre, de dire que cette restitution devra intervenir dans le délai de 15 jours à compter de la signification de cet arrêt à la société A.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

La société A, partie perdante, sera condamnée aux dépens d’appel et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu’elle a exposés à l’occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et frais irrépétibles de première instance étant confirmées.

La somme qui doit être mise à la charge de la société A au titre des frais non compris dans les dépens exposés par la société F peut être équitablement fixée à 10 000 €, cette somme complétant celle allouée en première instance.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Confirme l’ordonnance déférée,

Y ajoutant,

Dit que la société A devra restituer à la société F G H EUROPE l’intégralité des éléments appréhendés en exécution de l’ordonnance rétractée du 12 novembre 2019 rendue par le juge délégué par le président du tribunal de grande instance (devenu tribunal judiciaire) de Paris, et ce dans le délai de 15 jours à compter de la signification de cet arrêt,

Condamne la société A aux dépens d’appel et au paiement à la société F G H EUROPE de la somme de 10 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


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