Cession d’actions en matière de production cinématographique

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Cession d’actions en matière de production cinématographique

L’associé d’une société de production cinématographique qui avait cédé pour l’euro symbolique ses actions, a obtenu la nullité de cette cession pour dissimulation d’information déterminante.

Fixation du prix de cession

Pour fixer le prix de cession, il était prévu que la valorisation de la société était déterminée à partir d’une double composante, la première en fonction de la valeur du catalogue des films produits par la société et la seconde en fonction de l’actif net de la société hors catalogue sur la base des comptes de l’exercice. Des experts différents étaient chargés de déterminer ces deux composantes ; tenus par une obligation de confidentialité, les expertises portant sur le catalogue et celle sur l’actif net ne devaient pas influer les unes sur les autres et ont donc été menées de façon cloisonnées.

La somme de ces deux composantes telles qu’elles ont été déterminées par les experts désignés aboutissant à un résultat nul, arrondi à un euro.

Nullité de la cession d’actions

Suite à la cession judiciaire forcée de ses actions, le cédant a obtenu la nullité de l’opération pour dissimulation de deux accords-cadres conclus par la société. Ces accords avaient un impact décisif tant sur le budget de fonctionnement de la société alimenté par la participation du nouveau contractant aux frais généraux, sur son positionnement artistique du fait de la consultation obligatoire de ce dernier sur toutes décisions artistiques, de l’obtention de son accord préalable pour tout appel à un autre producteur, sur la valeur patrimoniale immédiate de la société, de la copropriété indivise de tous les éléments corporels et incorporels des films malgré la qualité affichée de la société de producteur délégué mais aussi sur sa valeur patrimoniale future, le produit des films étant d’abord affecté au remboursement intégral des investissements de la société lesquels étaient capitalisés.

Le nouveau contractant étant, de surcroît, le distributeur et s’étant vue confier des mandats d’exploitation pour une durée de vingt ans, elle avait donc la main mise sur les produits futurs tandis que la société cédante était tenue d’affecter immédiatement à titre de gage et de nantissement tous les éléments corporels et incorporels entrant dans la composition des films ainsi que la totalité de leurs produits.

Accords-cadres déterminants

Ces accords cadre qui modifiaient la charpente économique de la société ne figuraient pas, pour autant, dans les engagements hors bilan et n’étaient pas mentionnés dans les annexes des comptes sociaux et qui en font intégralement partie.

Ainsi, les comptes sociaux contrairement aux principes comptables ne donnaient pas une image sincère et fidèle du patrimoine de la société, privant ainsi l’actionnaire cédant d’une information capitale lors de la conclusion des actes dont il a obtenu la nullité.

Obligation d’information de l’acheteur

Le principe dégagé par la jurisprudence selon lequel il ne pèse pas sur l’acheteur professionnel une obligation d’information ne saurait être transposé à une demande de nullité fondée sur une réticence dolosive d’une cession de titres d’une société au profit de l’actionnaire majoritaire qui en est le dirigeant légal et qui par ses fonctions et sa qualité est le plus à même d’avoir une exacte connaissance des engagements susceptibles d’affecter la valeur de la société et dans laquelle il cherche à augmenter sa participation.

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 11

ARRET DU 05 MARS 2021

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 16/16784 – N° Portalis 35L7-V-B7A-BZMNM

Décision déférée à la Cour : Jugement du 21 Juin 2016 -Tribunal de Commerce de PARIS 04 – RG n° 2015053972

APPELANT

M. H X

[…]

[…]

représenté par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477,

assistée de Me Lorenzo VALENTIN, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : D1498

INTIMES

M. J Y

SA R PRODUCTIONS

prise en la personne de ses représentants légaux

[…]

[…]

immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Paris sous le n° 448 176 768

SAS N INV

prise en la personne de ses représentants légaux

[…]

[…]

immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Paris sous le n°537 927 816

représentés par Me S T, avocat au barreau de PARIS, toque : J125,

assistés de Me Philippe ZAMBROWSKI, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : K0081

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 10 Décembre 2020, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Isabelle PAULMIER-CAYOL, Conseillère, chargée du rapport.

Un rapport a été présenté à l’audience dans les conditions prévues à l’article 804 du code de procédure civile.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Denis ARDISSON, Président de la chambre

Mme Marie-Ange, Président de chambre

Mme Isabelle PAULMIER-CAYOL, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Saoussen HAKIRI.

ARRÊT :

— contradictoire,

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

— signé par M. Denis ARDISSON, Président de la chambre et par Mme Saoussen HAKIRI, Greffière présent lors de la mise à disposition.

La société R Production (ci-après R) société de production d’oeuvres cinématographiques a été créée en mars 2003 par M. H X réalisateur d’oeuvres cinématographiques et audiovisuelles et M. J Y juriste ; ils se connaissaient de longue date pour avoir été au lycée ensemble ; ils détenaient à eux deux 78,90% du capital social de la société R, à proportion de la moitié chacun (39,95%), le restant du capital étant détenu par six autres actionnaires minoritaires. La société R depuis sa création a été dirigée par M. J Y tandis que M. H X en était administrateur.

Après une augmentation du capital social survenue au cours de l’année 2008 au profit d’une SOFICA (société de financement de l’industrie cinématographique et de l’audiovisuel) et une cession par cette dernière au profit de M. J Y et de la société N créée et contrôlée par ce dernier, ces derniers sont devenus dans des conditions que M. H X conteste mais qui ne font pas l’objet du présent litige, actionnaires majoritaires de la société R à concurrence de 63,03% du capital social, M. H X détenant pour sa part 34,03%.

Des divergences étant alors apparues entre M. J Y et M. H X, ce dernier a été révoqué de ses fonctions d’administrateur lors de l’assemblée générale ordinaire de la société qui s’est tenue le 28 octobre 2013 ; il a alors souhaité se désengager de la société R. Par acte sous seing privé du 3 juillet 2014 conclu entre M. J Y, la société R et la la société N d’une part et M. H X d’autre part, désigné « Term Sheet », les parties convenaient d’une promesse synallagmatique de vente des titres détenus par M. H X à M. J Y et/ou la société N. Pour fixer le prix de cession, il était prévu que la valorisation de la société R sera déterminée à partir d’une double composante, la première en fonction de la valeur du catalogue des films produits par la société R et la seconde en fonction de l’actif net de la société hors catalogue sur la base des comptes de l’exercice 2013 ; des experts différents étaient chargés de déterminer ces deux composantes ; tenus par une obligation de confidentialité, les expertises portant sur le catalogue et celle sur l’actif net ne devaient pas influer les unes sur les autres et ont donc été menées de façon cloisonnées.

Les termes de l’acte du 3 juillet 2014 ont été réitérés le 18 septembre 2014.

La somme de ces deux composantes telles qu’elles ont déterminées par les experts désignés aboutissant à un résultat nul, arrondi à un euro, M. H X a refusé de signer les ordres de mouvements de ses titres pour cette somme ; M. J Y versait le montant du prix de la cession (1 €) entre les mains du séquestre désigné par les parties qui enregistrait l’opération dans les registres sociaux comme le prévoyait l’acte du 3 juillet 2014.

La société Gabriel, société contrôlée et dirigée par M. H X ayant fait l’acquisition de l’unique action qui appartenait à la succession de L M, associé défunt de la société R, M. H X participait à l’assemblée générale de la société R qui s’est tenue le 20 juillet 2015 en présence d’un huissier que celui-ci avait fait désigner.

C’est dans ce contexte que M. J Y, la société N et la société R ont assigné à bref délai par acte du 4 septembre 2015 M. H X devant le tribunal de commerce de Paris aux fins de voir ordonner judiciairement la cession de ses actions pour le prix de 1 €, outre une demande de dommages et intérêts pour résistance abusive et au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Devant les juges consulaires, M. H X a demandé qu’il soit sursis à statuer dans l’attente du résultat de la plainte qu’il avait déposée entre les mains du Procureur de la République ; il a excipé de la nullité des actes des 3 juillet et 18 septembre 2014, faisant notamment valoir que son consentement avait été vicié par la dissimulation d’accords cadre conclus avec la société AA AB grevant les recettes des films du catalogue.

Par jugement du 21 juin 2016 assorti de l’exécution provisoire, le tribunal a débouté M. H X de ses demandes, a ordonné la cession judiciaire de ses actions à la date du jugement, le condamnant en outre au paiement d’une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Le 29 juillet 2016, M. H X a relevé appel de ce jugement.

Devant le conseiller de la mise en état, M. H X formait une demande de sursis à statuer dans l’attente de l’issue de l’affaire qu’il avait introduite devant le tribunal de commerce de Paris en annulation des résolutions de l’assemblée générale qui a abouti au changement dans la prise de contrôle de la société R, et dont il a été débouté par une ordonnance du 6 février 2020.

Par le dispositif de ses dernières écritures remises le 9 novembre 2020, M. H X demande à la cour de :

— Ecarter des débats les conclusions et les pièces numérotées de 60 à 71 notifiées dans l’intérêt de J Y, N O et R Productions le 4 novembre 2020 après 22 heures,

— Infirmer le jugement du 21 juin 2016 en toutes ses dispositions

et, statuant à nouveau :

A titre liminaire :

— Ordonner le sursis à statuer dans l’attente de l’issue de la procédure pénale en cours consécutive à sa plainte déposée le 19 novembre 2015 jusqu’au prononcé d’une décision définitive ;

Sur le fond :

— Dire et juger que le consentement de H X à la signature du contrat du 3 juillet 2014 réitéré par le protocole d’accord du 29 septembre 2014 a été donné sous l’empire de manoeuvres dolosives de la part de ses cocontractants J Y, N O et R Productions,

En tout état de cause,

— Dire et juger que le prix de cession convenu aux termes de ces deux conventions n’était ni déterminé ni déterminable ;

— Dire et juger que ce contrat est dépourvu de cause ;

En conséquence, prononcer la nullité de la vente des actions de H X à J Y.

— Débouter les sociétés R Productions, N E.V. et J Y de l’intégralité de leurs demandes, fins et conclusions ;

— Condamner in solidum les sociétés R Productions, N E.V. et J Y à lui verser la somme de 60.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

M. J Y, la société R et la société N par le dispositif de leurs dernières écritures remises le 4 novembre 2020 demandent à la cour :

A titre principal,

— Confirmer le jugement en ce qu’il a débouté M. X de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions et condamné à payer la somme de 5.000 euros à M. Y, N Inv. et R Productions, ainsi qu’aux dépens ;

Mais,

— Infirmer le jugement en ce qu’il a ordonné la cession judiciaire des actions de M. X à M. Y à la date du jugement ;

— Dire et juger que la cession des actions de Monsieur H X est fixée à la date de remise de la somme d’un euro au séquestre désigné par les parties, soit au 28 septembre 2014 ;

Subsidiairement,

— Confirmer le jugement en ce qu’il a ordonné la cession judiciaire des actions de Monsieur X à la date de son prononcé ;

Dans tous les cas,

— Dire qu’aucun dol n’est démontré, et encore moins déterminant ;

— Dire n’y avoir lieu à nullité des accords intervenus ;

— Condamner Monsieur H X à payer aux intimés la somme de 50.000 euros pour résistance abusive, sauf à parfaire ;

— Condamner Monsieur H X, à payer aux intimés un euro chacun sur le fondement de la responsabilité délictuelle prévue à l’article 1240 du Code civil, pour procédure abusive du fait du maintien de son appel nonobstant les conclusions du CNC dans son courrier du 28 juin 2019, et telle amende civile qu’il plaira à la Cour ;

— Ordonner la publication de l’arrêt à intervenir dans quatre quotidiens professionnels au choix des intimés, aux frais de Monsieur X ;

— Condamner Monsieur H X à payer aux intimés la somme de 50.000 euros au titre de l’article 700 du CPC, ainsi qu’aux dépens, dont distraction au profit de Maître S T dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.

MOTIFS :

L’ordonnance de clôture initialement prononcée le 5 novembre 2020 ayant été rabattue et la clôture de l’instruction prononcée le 10 décembre 2020 préalablement à l’ouverture des débats, M. H X a disposé d’un temps suffisant pour prendre connaissance des pièces 60 à 71 produites par les intimés, ainsi que des conclusions qu’ils avaient notifiées le 4 novembre 2020, y ayant répondu de façon circonstanciée par des conclusions notifiées le 9 novembre suivant.

La demande de M. H X tendant à voir écarter des débats ces pièces et les dernières conclusions notifiées par les intimés est par conséquent rejetée.

***

M. H X fonde sa demande de sursis à statuer sur la plainte qu’il a déposée le 7 décembre 2015 tant en son nom personnel qu’au nom de la société Gabriel dans le cadre d’une procédure ut singuli pour escroquerie, publication de comptes infidèles, faux et usage de faux et abus de biens et de pouvoirs sociaux, notamment au regard des opérations irrégulières menées par le président de R à son insu. Il indique dans ses écritures qu’une nouvelle plainte avec constitution de partie civile a été déposée le 16 avril 2019.

M. H X a produit plusieurs pièces, notamment les procès-verbaux des auditions effectuées la brigade financière de la préfecture de police dans le cadre de l’enquête préliminaire de différentes personnes susceptibles d’être intervenues ou avoir été informées des contrats cadre AA AB qu’il dénonce. Pour autant, il n’apparaît nullement alors que cette enquête a été ouverte il y a cinq ans qu’elle soit toujours en cours. Par ailleurs, s’il indique avoir déposé une plainte avec constitution de partie civile, allant jusqu’à en préciser la date, il ne fournit pas la copie de cette plainte et surtout ne justifie pas du versement de la consignation indispensable à sa recevabilité.

L’incertitude quant à l’existence d’une procédure pénale en cours conduit à rejeter sa demande de sursis à statuer.

Sur la demande en nullité de la vente des actions de M. H X à M. J Y et à la société N.

M. H X ne conteste pas la rigueur du processus de détermination du prix par les différents experts à partir des deux composantes de la valorisation de la société R par les experts désignés par les parties et qui a abouti à un montant nul. Sa demande de nullité s’articule autour de la prétendue dissimulation des accords cadre conclus entre la société R et la société AA AB.

Ces accords n’avaient pas été communiqués à M. H X devant le tribunal, celui-ci ayant été débouté de sa demande tendant à les obtenir par un jugement avant-dire droit du 29 décembre 2015. L’appel qu’il a formé à l’encontre de ce jugement a été déclaré irrecevable par une ordonnance du conseiller de la mise en état du 10 mars 2016 sur le fondement de l’article 544 du code de procédure civile au motif qu’il s’agit d’un jugement qui n’a pas l’autorité de la chose jugée.

Finalement, M. H X a pu par la suite obtenir dans le cadre de l’enquête pénale diligentée sur sa plainte, une copie des accords cadre, ceux-ci ayant été remis aux enquêteurs par M. U D président de la société AA AB, au terme de son audition qui a eu lieu le 14 octobre 2016.

Il convient avant de rechercher l’existence d’une éventuelle dissimulation à M. H X lors de la conclusion de la promesse de vente du 3 juillet 2014 d’en examiner la teneur afin de comprendre leur économie générale et d’apprécier leur caractère déterminant ou non dans l’appréciation de la valorisation de la société R, et par conséquent du prix des actions de cette société que celui-ci s’est engagé à céder.

Le premier de ces accords cadre qui sont au nombre de trois, a été conclu le 2 mai 2010.

Il prend la forme d’une lettre de douze pages adressée par la société AA AB à M. J Y en sa qualité de représentant de la société R. Cette lettre est signée pour la société AA AB par son président M. U D et M. V W et porte pour la société R la signature de M. J Y.

Il y est précisé d’entrée que cet accord a pour objet « la participation de la société AA AB à la production et à l’exploitation de l’ensemble des films produits par la société R à compter de ce jour jusqu’au 30 avril 2012, validés par AA AB ». Il est ainsi conféré à la société AA AB « une priorité assortie d’une exclusivité de présentation de l’ensemble des projets de films que RP [R Production] et/ou ses dirigeants envisagent de produire pendant toute la durée des présentes ». De façon concrète, il est prévu que les parties se réuniront au moins une fois par trimestre « afin de permettre à RP de présenter à AA AB les projets que RP envisage de développer, les projets en cours de développement, et projets que RP envisage de produire ». La société R s’interdit de conférer « aucune option ou droit de préemption à quelque tiers que ce soit, en vue de leur participation à la production et/ou à l’exploitation desdits films, sans s’assurer au préalable de l’accord de AA AB sur l’opération envisagée ».

Il y est indiqué que « les films seront produits par RP qui aura seule la qualité de producteur délégué au regard de la réglementation française en vigueur, et assumera les fonctions de producteur exécutif », tout en précisant que « RP consultera AA AB sur toutes les décisions artistiques, techniques et financières relatives à la production des films ».

Cet accord prévoit que « nos deux sociétés seront copropriétaires indivis de tous les éléments corporels et incorporels des films au fur et à mesure de leur réalisation dans les mêmes proportions que les ”Produits”. »

S’agissant des modalités de la contribution de AA AB au financement de chacun des films, il est stipulé que «AA AB supportera 100% de la différence entre, d’une part, le devis de production d’un film, tel que défini ci-dessous, et, d’autre part, l’ensemble des apports de tous tiers participant à sa production ou à son financement, des sommes versées par les sociétés ayant préacheté des droits d’exploitation télévisuelle, des aides et subventions allouées au film et/ou à ses producteurs et/ou à ses producteurs (et notamment le crédit d’impôt cinématographiques pris pour son équivalent comptable ».

Cette différence entre le coût prévisible de la production et les différents des apports des tiers est habituellement désignée dans le milieu cinématographique par le terme ”gap” de financement.

De plus en complément de la contribution au financement de la production des films, « AA AB financera les frais généraux effectifs de la société RP pendant une période de deux années à compter de la date de signature des présentes, dans la limite d’une somme de 450.000 € H.T. par année »… Il est précisé que pour chaque film, le montant des frais généraux ne pourra pas dépasser 7%.

Ce financement par la société AA AB du ”gap” et sa participation aux frais généraux de la société R sont désignés comme les ”investissements” que réalise celle-ci.

«RP s’interdit de solliciter tout financement de tout tiers et de conclure tout accord correspondant sans avoir préalablement obtenu l’accord de AA AB »…

« Les devis des films, pour le calcul de la contribution de AA AB, seront constitués de leur coût direct de fabrication, hors frais généraux, salaire producteur (à l’exception d’un salaire producteur exécutif de 100.000 € nets par film) et imprévus, majoré des frais financiers effectivement supportés par RP et de 5% d’imprévus ».

En contrepartie des investissements de la société AA AB, il est prévu que « jusqu’à complète récupération par AA AB de l’ensemble de ses frais d’exploitation [tels que définis au paragraphe 5 ci-après] et de ses investissement au titre de l’ensemble des films capitalisés au taux de Euribor 3 mois majoré de 2 points, AA AB percevra 100% H.T. des ”Produits” ; puis les produits ultérieurs seront répartis entre nous dans la proportion de 50/50 et ce, sans limitation de somme ni de durée ».

« De convention expresse entre nous, les ”Produits” des films feront l’objet d’une procédure dite de ”cross-collatérisation » en vue de la récupération par AA AB de ses investissements au titre des films et des frais d’exploitation, de sorte que AA AB pourra affecter les ”Produits” d’un film bénéficiaire à la récupération d’une perte au titre d’un autre film. Pour l’application de ce qui précède, AA AB conservera la totalité des ”Produits” générés au titre des films jusqu’à ce que AA AB ait, en premier lieu, effectivement récupéré une somme globalement égale à l’ensemble des frais d’exploitation réglés comme il est dit à l’alinéa ci-dessous, puis en second lieu, et récupéré l’ensemble de ses investissements capitalisés au titre du financement de l’ensemble des films ».

Les films qui font l’objet entre eux d’une cross-collatéralisation forment ce que les parties désignent par le mot anglais ”slate”.

La notion de ”Produit” est définie comme « la somme de l’ensemble des produits générés directement ou indirectement du fait de l’exploitation des films en tout ou partie, y compris leurs éléments constitutifs, dérivés et secondaires, dans le monde entier, en toutes versions, en tous formats, sur tous supports et par tous modes et procédés connus ou inconnus à ce jour. »

Suit une liste non exhaustive de ces produits, « les recettes nettes producteurs », composées des sommes hors taxes encaissées par les sociétés chargées de l’exploitation des films, « les redevances à revenir aux producteurs » perçues par toutes sociétés de gestion et de répartition des droits au titre de l’exploitation des films et de leur bande sonore, « le soutien financier de l’Etat à l’industrie cinématographique, à savoir le « soutien producteur » et le « soutien distributeur », « le crédit d’impôt cinéma », « toutes primes, aides et subventions allouées aux films ».

En sus de la rémunération de la société AA AB à la production, il est prévu au paragraphe 5, qu’elle percevra au titre de l’exploitation des films, une commission de 12,50% des encaissements bruts, cette dernière faisant l’avance des frais afférents à la distribution et la commercialisation des films, étant précisé que cette commission ne sera pas due pour les films financés par AA AB comme il a été dit ci-avant.

Ainsi, la société R donne mandat à la société AA AB d’assurer en France la distribution des films en salles, leur l’exploitation par supports vidéographiques, et pour le monde entier, la commercialisation des droits d’exploitation par tous modes, ce mandat était conclu pour une durée de 20 ans, étant précisé que la commercialisation des films aux organismes de télévision français sera assurée par AA AB.

Les frais d’exploitation avancés par société AA AB, « feront l’objet d’une procédure de cross-collatéralisation entre les films et les mandats », étant entendu que « AA AB rendra à RP afin de lui permettre de rendre des comptes d’exploitation aux ayant droits concernés, pour chaque exploitation, des décomptes établis sur la base des taux de commission effectivement opposables à ces ayants droits, ne faisant pas apparaître la procédure de ”cross-collatéralisation” ».

Une garantie est accordée à la société AA AB au paragraphe 7 en ces termes : « A la sûreté et garantie du remboursement de toutes les sommes à revenir à AA AB, et notamment pour le paiement de sa commission et pour la récupération des investissements majorés des frais financiers et des frais d’exploitation, RP affecte dès maintenant à titre de gage et de nantissement au profit de AA AB, conformément aux dispositions des articles 31 et suivants du Code de l’Industrie Cinématographique, tous les éléments corporels et incorporels entrant dans la composition des films, ainsi que la totalité des ”Produits” dont la cession est prévue par le présent contrat »… « AA AB aura et exercera sur les films et sur les ”Produits” ci-dessus décrits, les actions et privilèges que reconnaît la loi au créancier nanti. » tandis que « RP s’interdit d’accorder à tout tiers tout droit de gage ou de nantissement sur les Films et leurs éléments constitutifs, ou toute délégation et, plus généralement, tout privilège sur les éléments corporels ou incorporels des films et sur les parts des Produits revenant à AA AB en vertu des stipulations ci-dessus sans s’assurer de l’accord préalable écrit de AA AB ».

Enfin cet accord, se terminait par une clause de confidentialité libellée en ces termes « la présente convention a un caractère confidentiel. En conséquence, chaque partie s’interdit formellement de communiquer la teneur de la présente convention à des tiers, à l’exception de ses conseils, comptables, commissaires aux comptes, organismes financiers avec lesquels, elle traite habituellement, et s’engage à traiter comme confidentielles toutes les informations notamment commerciales, techniques et financières reçues de l’autre partie dans le cadre de la présente convention ».

Les accords cadre des 2 mai 2012 et 2 mai 2014 sont présentés sous la même forme et libellés en des termes identiques sauf que le montant de la participation de la société AA AB aux frais généraux de la société R est porté à 600.000 € pour le premier de ces accords et à 700.000 € pour le second.

Ces accords cadre ont un impact décisif tant sur le budget de fonctionnement de la société R alimenté par la participation de la société AA AB aux frais généraux, sur son positionnement artistique du fait de la consultation obligatoire de cette dernière sur toutes décisions artistiques, de l’obtention de son accord préalable pour tout appel à un autre producteur qu’elle, sur sa valeur patrimoniale immédiate, celle-ci devenant copropriétaire indivise de tous les éléments corporels et incorporels des films malgré la qualité affichée de la société R de producteur délégué mais aussi sur sa valeur patrimoniale future, le produit des films étant d’abord affecté au remboursement intégral des investissements de la société AA AB lesquels sont capitalisés ; cette société étant, de surcroît, le distributeur et s’étant vue confier des mandats d’exploitation pour une durée de vingt ans, elle a la main mise sur leurs produits futurs tandis que la société R est tenue d’affecter immédiatement à titre de gage et de nantissement tous les éléments corporels et incorporels entrant dans la composition des films ainsi que la totalité de leurs produits.

***

Les intimés réfutent toutes manoeuvres dolosives de leur part, affirmant que M. H X et ses conseils connaissaient avant la signature de l’acte du 3 juillet 2014 l’existence des accords cadres conclus avec la société AA AB et dont il est de surcroît fait expressément mention dans cet acte, celui-ci indiquant que M. H X a disposé du temps et des conseils nécessaires pour mesurer pleinement les engagements irrévocables qu’il souscrivait. Ils soutiennent que l’expert comptable désigné par M. H X a eu accès au texte intégral des accords AA AB le 3 septembre 2014, ayant pu consulter à sa demande la version signée du contrat cadre du 2 mai 2010.

Ils contestent le montant de l’impact négatif des accords cadres AA AB apprécié à hauteur de 821.664 € par Mme AC Z expert sollicité par les parties sur le montant de la valeur du catalogue, faisant valoir que la signature des accords des 2 mai 2010 et 2012 a permis le versement à la société R des somme de 900.000 € au titre du premier de ces accords et de 1.200.000 € au titre du second. Soutenant que même à retenir l’existence de cet impact négatif, la valeur du catalogue reste positive selon l’estimation de Mme Z, ils font valoir que l’existence d’un préjudice, ou d’un appauvrissement n’est pas rapportée par l’appelant.

Pour le cas où la formule de calcul négociée et acceptée par M. H X au protocole serait nulle, ils réfutent que cela entraînerait pour autant la nullité des accords, au regard de la volonté clairement exprimée et irrévocable de M. H X de quitter la société R et des stipulations de l’article 10 du protocole d’accord qui prévoient qu’en application de celui-ci, il appartenait à M. H X de proposer le remplacement de la formule de fixation du prix prétendue nulle par une autre.

Ils soutiennent que la vente est parfaite en raison de l’accord des parties sur la chose et le prix, celui-ci étant déterminable, faisant observer que la formule de calcul fixée par les parties aboutit à un prix égal à un euro symbolique, montant qui n’entache pas d’irrégularité une cession d’actions dès lors que ce prix reflète la valeur de la société. Ils relèvent qu’à ce prix s’ajoutaient deux autres contreparties liées d’une part à un éventuel complément de prix d’un montant de 64.389 € dans l’hypothèse où le film « Les naufragés » ferait l’objet d’une cession amiable ou d’un tournage et d’une sortie en salle avec un financement complet, et d’autre part à la cession à la société Fidélité Film, nouveau producteur de M. H X, des droits d’auteur détenus par R sur le nouveau film (alors appelé « Pour vous faire plaisir » et qui sera par la suite dénommé « Margueritte ») en cours de réalisation par ce dernier.

A cet égard, ils rappellent que la cession par acte du 8 octobre 2014 à la société Fidélité Films des droits d’auteur détenus par R sur le film « Pour vous faire plaisir » était indispensable pour que la chaîne des droits d’auteur nécessaire à leur garantie ne soit pas rompue et que son exploitation ne soit perturbée. Ils soulignent l’avantage qu’a représenté pour M. H X l’avenant conclu avec Mme A co-autrice avec ce dernier du scénario au terme duquel elle acceptait que ses droits d’auteur fasse l’objet d’une rétribution forfaitaire, celui-ci n’ayant plus alors à partager avec Mme A les droits d’auteur sur le scénario de ce film qui s’est avéré être un succès ; ils précisent que cet avenant est expressément cité dans l’acte de cession des droits d’auteur à la Fidélité Films.

Ils font valoir par ailleurs qu’aucune obligation d’information ne pèse sur l’acheteur, fût-il un professionnel.

Ils soulignent une contradiction de la part de M. H X qui soutient que le protocole d’accord est nul, tout en se prévalant de la cession des droits d’auteur au profit de la société Fidélité Films intervenue en exécution de ce protocole.

Ils réfutent toute irrégularité des accords cadre AA AB, relevant d’une part qu’ils ont été soumis au mois d’avril 2019 au contrôle du Centre National du cinéma (CNC) sur l’utilisation du fonds de soutien mutualisé entre la société R et la société AA AB, contrôle qui n’a pas mis en évidence de manquement au code du cinéma et d’autre part que M. H X n’a jamais exercé d’action « ut singuli » en faute de gestion au titre de la conclusion de ces accords même après avoir obtenu la communication de ces accords, conscient que ceux-ci n’ont nullement été néfastes à la société R.

Les intimés contestent la valeur probante des attestations produites par Mme Z et M. B, ces derniers ayant utilisé des informations confidentielles qu’ils s’étaient engagés à ne pas révéler, et ayant exprimé leur opinion dans un processus non contradictoire. Ils relèvent que les autres professionnels consultés par M. H X s’appuient sur l’essentiel sur un mémo réédité par M. B et n’ont pas eu en main les accords cadre AA AB sur lesquels ils émettent pourtant des avis, d’où des erreurs factuelles, des lacunes, des interprétations inexactes et péremptoires.

Ils dénient force probante à l’attestation du président de la société Fidélité Films au motif qu’elle est le principal concurrent de la société R. S’appuyant sur le rapport de M. C, expert auprès de la cour d’appel de Paris qui a relevé des erreurs commises par les autres professionnels, ils plaident le caractère courant des accords cadre et l’utilité qu’ils ont représenté pour la société R.

***

Les intimés s’appuient sur un échange de mails intervenu au cours du mois de juin 2010 pour prétendre que M. H X connaissait les accords AA AB.

Ainsi, le 4 juin à 17 heures, M. J Y s’adressait à M. H X en ces termes : ”Et voilà !! On y est ‘ Tu peux lundi « dej [déjeuner] avec AA AB ». M. H X répondait le lendemain à 13h32 « OK lundi pour WB mais Esterez sera au bureau… Pas grave si je dej pas avec lui ‘ ».

Il s’avère par ailleurs que la société R sous la signature de M. J Y a conclu le 23 juillet 2010 avec la société AA AB un contrat de coproduction portant sur le film « un été brulant ». Il est indiqué à ce contrat que la société R, producteur délégué a entrepris la production de ce film long métrage qui a déjà fait l’objet d’une immatriculation au registre du cinéma et de l’audiovisuel ; y figurent les noms du réalisateur, des auteurs du scénario, des interprètes principaux ; il y est mentionné que le film sera tourné pendant une durée de huit semaines, à compter du 24 juillet 2010 à Paris et à Rome. Il y est précisé que AA AB a approuvé le scénario. Ces indications montrent que ce film était déjà un projet bien avancé à la date de signature du contrat de coproduction. Ce film figure sur le « slate 1 » annexé au contrat cadre du 2 mai 2010 des films faisant l’objet d’une cross collatéralisation, participant directement à l’économie de l’accord cadre.

Ainsi l’indication « ACCORD WB »sur le message envoyé le 4 juin par M. J Y au titre de son objet pouvait pour un destinataire non averti se rapporter à ce contrat de co-production dont les lignes principales avaient déjà fait l’objet d’un accord sans aucunement établir la connaissance par M. H X de l’existence de l’accord cadre signé le 2 mai 2010 et encore moins de son contenu, celui-ci ne lui ayant pas été adressé en pièce jointe.

Par ailleurs les mails échangés par M. J Y et d’autres employés de la société R avec M. U D, président de la société AA AB qui n’ont pas été adressés ou transférés à M. H X sont impuissants à établir une quelconque connaissance par M. H X de cet accord.

Il ne peut d’ailleurs s’inférer de la présence de M. H X au déjeuner du mois de juin 2010

auquel participait M. U D sa connaissance du contrat cadre du 2 mai 2010 qui suppose une connaissance de son objet et de son économie et non pas de la seule l’existence d’un accord non dénommé. En effet, M. D en réponse à une sommation interpellative est venu préciser l’attestation qu’il a produite en déclarant « je n’ai donc jamais affirmé, ni laissé entendre que M. H X était au courant des conditions, des termes ou du contenu de ces accords ».

Comme le relève à juste titre l’appelant, il savait que « R avait conclu un grand nombre d’accords de coproduction et mandats de distribution, film par film, tous publiés au registres du cinéma et de l’audiovisuel ». Mais la lecture de ces accords ne permettait pas de déceler leur encadrement par un accord occulte mutualisant les recettes des films concernés.

Les intimés se fondent sur la mention figurant à la promesse de vente du 3 juillet 2014 selon laquelle pour la valorisation du catalogue « sera pris en compte le fonds de soutien mobilisable (hors majoration) par la seule société (c’est à dire hors tout fonds de soutien dont la société n’a pas la libre disposition du fait d’accords cadres ou particuliers conclus avec un ou des tiers) à la date de sortie de l’actionnaire minoritaire » pour affirmer que M. H X avait connaissance des accords cadres conclus avec la société AA AB.

Outre que cette mention ne porte que sur le fonds de soutien, elle ne vise aucunement de façon explicite les accords cadre conclus avec la société AA AB comme il résulte de l’emploi de l’article indéfini « d’ » associé aux « accords cadres » et de l’absence de toute précision sur le nom du cocontractant, sur la date de ces accords cadres et naturellement sur leurs contenus tandis que son libellé évasif relève d’une parade pour se prémunir d’une future contestation. D’ailleurs, était annexé à l’acte du 3 juillet 2014, le catalogue des films de la société R, qui ne contenait aucune référence aux accords faisant l’objet des accords cadres AA AB.

Du fait de son libellé évasif, cette clause pouvait ainsi parfaitement être entendue par M. H X comme une simple clause de style dénuée de réelle portée, aucun autre passage de l’acte ne faisant référence de façon explicite aux accords cadre AA AB, ni même une simple allusion.

La mention figurant à la fin de l’acte du 3 juillet 2014 selon laquelle « chaque partie reconnaît qu’elle a disposé du temps et des conseils nécessaires pour mesurer pleinement les engagements irrévocables souscrits aux présentes » s’inscrit également dans cette parade.

Sur ce point, M. E, expert comptable de la société R dans l’attestation produite par les intimés, indique qu’une réunion qui s’est tenue au mois d’avril 2014 dans les locaux de la société R avec M. B, de la société Expert Wilson d’expertise comptable qui sera chargée par l’acte du 3 juillet 2014 d’évaluer l’actif net de cette société. M. E poursuit en déclarant « nous avons présenté rapidement les contrats cadres conclus avec AA AB » sans que ne soit aucunement détaillé le contenu de cette information qu’il aurait ainsi délivrée et qui est formellement démentie par M. B.

Il ne peut donc être retenu qu’a été délivrée préalablement à la promesse synallagmatique de cession des titres de M. H X une information fiable à M. B, expert comptable désigné par M. H X sur l’existence et le contenu de ces accords dont M. E lors de son audition dans le cadre de l’enquête préliminaire a indiqué n’avoir plus « le souvenir de la portée des contrats AA AB et des engagements pris ». Ce propos tout en marquant l’embarras de ce professionnel du chiffre par rapport à ces contrats qui affectaient l’architecture économique de la société dont il présentait les comptes, est contrarié par ses autres déclarations, celui-ci affirmant avoir eu connaissance de ces contrats dès qu’ils ont été signés et reconnaissant qu’il « pense » avoir pu les consulter dès sa mission pour l’arrêt des comptes au 31 décembre 2010 .

Il ne peut être inféré de l’indication de la qualité de coproducteur de la société AA AB de plusieurs des films figurant au catalogue de la société R dont la liste est annexée à l’acte du 3 juillet 2014, que les accords cadres querellés avaient été conclus avec la société AA AB, étant pareillement fait mention des autres coproducteurs de chacun des différents films figurant à ce catalogue.

C’est ainsi par une appréciation hâtive et abstraite sans considération des données précises des faits de l’espèce que les premiers juges ont retenu que les conseils de M. H X connaissaient l’existence d’accords cadre.

Sans qu’il n’y ait lieu de se prononcer sur le caractère obligatoire ou non de faire publier les accords cadre AA AB au registre du cinéma et de l’audiovisuel, étant patent qu’ils n’ont pas été publiés, M. H X ne pouvait en avoir connaissance par ce truchement.

H X était administrateur de la société R (elle avait à l’époque trois administrateurs : M. H X, M. F et M. G) lorsque le premier contrat cadre AA AB a été conclu ; le procès-verbal du conseil d’administration qui s’est tenu le 15 mai 2010 et auquel participait M. H X ne fait nulle mention de l’accord cadre du 2 mai 2010 signé avec la société AA AB, ni des relations liant ces deux sociétés, alors que cet accord est amené à bouleverser profondément l’architecture de la société sur le plan artistique, économique et à affecter durablement le contenu de son patrimoine.

La lecture de ce procès-verbal montre l’ignorance totale dans laquelle avait été laissée le conseil d’administration de l’accord cadre signé quelques jours plus tôt avec la société AA AB et à laquelle les intimés ne justifient pas avoir remédié, les procès-verbaux ultérieurs ne fournissant pas davantage de renseignements sur cet accord cadre et sur ceux conclus les 2 mai 2012 et 2014.

M. J Y a d’ailleurs répondu à M. H X qui participait à l’assemblée générale de R du 20 juillet 2015 que les contrats cadre n’avaient pas à être communiqués aux administrateurs.

Le refus du commissaire aux comptes de la société R qui participait à cette assemblée générale de répondre à la question de M. H X de savoir si lui-même avait eu ces contrats cadre, est aussi révélatrice de l’embarras de ce professionnel sur la question de l’information qui lui en a été donnée.

Le caractère prétendument hautement confidentiel de ces accords cadre ne saurait justifier leur dissimulation par le président de la société R à son conseil d’administration, étant relevé d’ailleurs que la clause de confidentialité qui y figure concerne les tiers à cette société auxquels ne peut évidement pas être assimilé, a priori, son propre conseil d’administration.

Certes, il n’appartient pas à la cour saisie d’une demande de nullité pour réticence dolosive de se prononcer sur les éventuelles entorses faites par M. J Y aux règles qui gouvernent la direction d’une société anonyme fixées notamment par l’article L225-35 du code de commerce dans sa version en vigueur, selon lequel le conseil d’administration « détermine les orientations de l’activité de la société et veille à leur mise en oeuvre » et « se saisit de toute question intéressant la bonne marche de la société et règle par ses délibérations les affaires qui la concernent», le président étant « tenu de communiquer à chaque administrateur tous les documents et informations nécessaires à l’accomplissement de sa mission » ; en revanche, les premiers juges ne pouvaient sans méconnaître les faits de l’espèce induire que du fait de sa qualité d’administrateur, M. H X avait toute latitude pour analyser ces accords cadre.

Il s’avère au contraire que fort de sa qualité d’administrateur qu’il a conservée jusqu’au 28 octobre 2013, M. H X pouvait légitimement croire qu’un accord susceptible de modifier profondément la charpente économique de la société à la direction de laquelle il participait, n’aurait pas pu lui échapper.

Si du fait de leurs talents, compétences et parcours respectifs, il peut être entendu qu’existait au sein de la société R une répartition, le côté artistique étant plus particulièrement dévolu à M. H X tandis que M. J Y était en charge de l’aspect administratif, financier et juridique, cette répartition qui pour être opportune au cours de la vie sociale ne peut en aucun justifier que lors de la conclusion de la promesse synallagmatique de la cession des actions et de l’acte réitératif, ce dernier ait dissimulé l’existence et le contenu de ces accords cadre qui modifiaient la vie économique, artistique et le patrimoine de la société dont les actions étaient cédées.

Surtout M. J Y connaissait lors de la conclusion de la promesse synallagmatique de l’impact financier des accords AA AB puisque la société R avait reçu un document intitulé « R WB Slate 1 » qui synthétise les produits d’exploitation générés par les films du Slate 1 comme en atteste Mme AC AD, document qui a d’ailleurs été remis aux enquêteurs dans le cadre de la plainte simple et qui est produit aux débats par l’appelant.

Alors que les accords cadre affectent comme il sera vu ci-après la valeur des films inscrits au catalogue de la société, aucune provision n’a été inscrite à compter des comptes de l’exercice 2011 pour compenser la perte de leur valeur vénale par rapport à leur valeur comptable, masquant ainsi leur dépréciation liée aux effets des accords cadres.

Ces accords cadre qui modifiaient la charpente économique de la société R ne figurent pas, pour autant, dans les engagements hors bilan et ne sont pas mentionnés dans les annexes des comptes sociaux et qui en font intégralement partie.

Ainsi, les comptes sociaux contrairement aux principes comptables ne donnaient pas une image sincère et fidèle du patrimoine de la société R, privant ainsi M. H X d’une information capitale lors de la conclusion des actes dont il demande la nullité.

Le principe dégagé par la jurisprudence selon lequel il ne pèse pas sur l’acheteur professionnel une obligation d’information ne saurait être transposé à une demande de nullité fondée sur une réticence dolosive d’une cession de titres d’une société au profit de l’actionnaire majoritaire qui en est le dirigeant légal et qui par ses fonctions et sa qualité est le plus à même d’avoir une exacte connaissance des engagements susceptibles d’affecter la valeur de la société et dans laquelle il cherche à augmenter sa participation.

Les différents éléments ci-avant rapportés convainquent que M. H X lors de la conclusion de la promesse de vente synallagmatique de ces titres n’avait pas connaissance des accords cadre conclus avec la société AA AB et que les différents obstacles mis à sa connaissance sont le fruit d’une dissimulation délibérée de la part de M. J Y qui revêt un caractère dolosif.

L’acte du 3 juillet 2014, promesse synallagmatique de vente engageait comme le rappelait à plusieurs reprises ce même acte de façon irrévocable M. H X de sorte que le protocole en date du 18 septembre 2014 qui ne faisait que réitérer et compléter certains points, ne le libérait aucunement des engagements souscrits dès l’acte du 3 juillet 2014. Ainsi la circonstance qu’à la date de signature du protocole du 18 septembre 2014, M. B, expert comptable désigné par M. H X pour valoriser la société selon la méthode de l’actif net s’était vu remettre les contrats cadre est sans incidence, M. H X étant irrévocablement engagé dès le 3 juillet 2014.

Les intimés s’abritent derrière la clause du protocole d’accord du 18 septembre 2014 selon laquelle « les parties conviennent de remplacer dans la mesure du possible, toute stipulation privée d’effet par une stipulation valide » pour prétendre que pour le cas où la formule de calcul négociée et acceptée par M. H X au protocole serait nulle, il lui appartenait de proposer le remplacement de la formule de fixation du prix prétendue nulle par une autre.

M. H X ne remettant pas en cause la méthode de détermination du prix en fonction de la valorisation de la société R, par l’addition du montant de son actif net et de la valeur de son catalogue mais reprochant la dissimulation d’accords ayant affecté la valeur du catalogue, les développements des intimés selon lesquels il appartenait à celui-ci de proposer une autre formule sont inopérants.

D’ailleurs, M. H X ne critique pas les travaux de M. B expert comptable qui ont abouti à une estimation de la valeur de l’actif net de la société de ‘ 1.648.652 €, et pas davantage le sérieux des travaux des deux cabinets d’expertise chargés d’estimer la valeur du catalogue de la société R, leur estimation étant d’ailleurs voisine (1.617.951 € pour le rapport Roscoff et 1.667.399,70 € pour le rapport Araucania). Sa contestation est ainsi dirigée sur la dissimulation de l’existence et du contenu des accords cadres AA AB en ce que la cross-collatéralisation entre films d’un même groupe (slate) que ces accords prévoient diminue la valeur du catalogue de la société R, celle-ci ayant pour effet de globaliser les produits générés par l’exploitation de ces films et qui se trouvent d’abord affectés au remboursement des investissements de la société AA AB capitalisés et pareillement globalisés sur ces mêmes films, et par conséquent de retarder, de diminuer, voire de supprimer les perspectives pour la société R de percevoir les produits d’exploitation sur ces films.

Le rapport Roscoff indique ainsi que les trois accords cadre AA AB ont nécessité un traitement particulier pour la valorisation des titres concernés . En effet, dans le cadre des slates, deux niveaux de valorisation doivent être effectués, précisant qu’ « après une valorisation individuelle des titres, il faut en effet ajouter une approche cross-collatéralisée des titres composant le slate ». Mme AC Z du cabinet Roscoff s’explique plus avant dans un courrier du 29 février 2016 sur l’impact de la cross-collatéralisation des titres faisant l’objet des slates ; il en ressort que sans appliquer la cross-collatéralisation, la valorisation des quatre titres composant le slate 1 se serait élevée à 1.457.818 € tandis que du fait de cette cross-collatéralisation, leur valorisation est de 654.593 € ; celui du slate 2 passe de 18.372 € à 0 € ; elle conclut que la valorisation du catalogue ressortirait à 2.439.615 € sans la cross-collatéralisation. Il en ressort un écart de 821.664 €. Dans un courrier du 30 septembre 2020, Mme AC Z explique que son estimation s’appuie sur le document émis par la société AA AB à destination de la société R et qui synthétise les produits d’exploitation des films de ce slate, ce que ne contredit pas la société R.

M. C expert près de la cour d’appel de Paris dans un rapport produit par les intimés fait part qu’en l’absence des accords AA AB, la société R aurait été privée des moyens financiers qu’apportent ces accords par la couverture des frais généraux et du ”gap” de financement ; pour autant, ses critiques sur l’estimation par Mme AC AD de l’impact de la cross-collatéralisation sur les films du Slate 1 restent au stade des conjonctures sur les autres moyens de financement qu’aurait alors dû trouver la société R pour produire le film « la Guerre est déclarée », locomotive du slate 1 et dont les produits ont été affectés au remboursement des investissements de société AA AB des trois autres films composant ce slate ; ces critiques ne viennent pas entamer la crédibilité de l’étude de Mme AC Z qui s’appuie sur des données chiffrées dont la source n’est pas contestée par la société R.

Il ressort ainsi que la cross-collatéralisation prévue aux accords cadre dissimulés à M. H X a eu un impact négatif sur la valeur du catalogue de la société R, composante essentielle du prix de cession de ses actions.

Cette dévalorisation va à l’inverse de la démarche patrimoniale de M. H X dont atteste Mme AE AF, agent artistique près de la société Artmédia et qui le représente ; cette dernière après avoir rappelé que celui-ci avait voulu être son propre producteur au travers de la société R et privilégier la détention des droits sur les films qu’il écrivait et réalisait en vue de la constitution d’un patrimoine, précise ainsi « tout en pensant que M. H X aurait pu avoir des rémunérations bien supérieures auprès d’autres producteurs, je me rassurais car je savais qu’il

était copropriétaire de son catalogue de films en sa qualité d’actionnaire de la société ».

Cette attestation achève de convaincre que la valeur du catalogue, l’une des deux composantes du prix de cession, était un élément déterminant pour M. H X, l’ayant amené à consentir à la vente de ses actions.

De plus fort, l’habileté avec laquelle société R a dissimulé à M. H X les accords cadre AA AB et son obstination à refuser de les communiquer dans le cadre d’un débat judiciaire contradictoire constituent une preuve supplémentaire de leur intérêt crucial sur l’intégrité de son consentement à la cession de ses actions.

Les manquements au devoir de confidentialité souscrits par Mme AC Z et M. B dont les travaux ont été utilisés pour aboutir à un prix de cession égale à l’euro symbolique que leur imputent les intimés s’ils pourraient être susceptibles d’engager leur responsabilité professionnelle, n’invalident pas pour autant la force probante de leurs déclarations ou écrits versés aux débats par M. H X dans le cadre du litige l’opposant aux intimés. Par ailleurs, si d’autres professionnels ont attesté en faveur de M. H X sans que leur fussent remis les accords cadre querellés, les intimés ne prouvent pas que la connaissance qu’ils en ont par la relation qui leur a été faite, est inexacte.

Le consentement de M. H X ayant été surpris par la réticence dolosive de M. J Y sur l’existence et le contenu des accords cadre AA AB et qui étaient déterminants de son consentement, partant réformant le jugement entrepris en l’ensemble de ses chefs, il y a lieu de prononcer la nullité de la cession des actions par M. H X à M. J Y qui fait l’objet de la promesse synallagmatique de vente du 3 juillet 2014 et du protocole réitératif du 18 septembre 2014.

Cette nullité ne saurait entraîner celle de la cession par la société R à la société Fidélité des droits de propriété intellectuelle sur le projet de film appelé à être réalisé par M. H X sous le titre alors retenu « Pour vous faire plaisir », intervenue le 8 octobre 2014 puisque d’une part cette société n’ayant pas été appelée à la présente procédure, la nullité d’une convention à laquelle elle est partie ne saurait être prononcée en son absence et d’autre part que le prix de cette cession reçu par la société R ne constitue pas une contrepartie au profit de M. H X dans le cadre de la cession de ses propres titres.

Les développements sur la chaîne des droits transmis indispensables à l’exploitation sans trouble du film et l’avantage qu’a pu tirer M. H X d’un avenant prévoyant la rémunération au forfait de la co-autrice du scénario sont inopérants.

La solution apportée au litige conduit à rejeter les demandes de dommages et intérêts formées par les intimés en réparation de la résistance et de la procédure abusives qu’ils imputent à M. H X.

Les intimés qui échouent en leurs prétentions supportent les dépens de première instance ; les considération d’équité conduisent à faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’il suit.

PAR CES MOTIFS :

Déboute M. H X de sa demande de sursis à statuer dans l’attente d’une procédure pénale en cours ;

Infirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 21 juin 2016 en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau :

Prononce la nullité pour réticence dolosive de la cession des actions détenues par M. H X dans le capital de la société R Production à M. J Y et à la société N, aux termes de la promesse synallagmatique de vente du 3 juillet 2014 réitérée par l’acte du 18 septembre 2014 ;

Déboute M. J Y, la société R Production et la société N de leurs demandes de dommages et intérêts en réparation d’une d’une résistance et d’une procédure abusives ;

Condamne in solidum M. J Y, la société R et la société N à payer à M. H X la somme de 30.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne les mêmes in solidum aux dépens de première instance et d’appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


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