La relaxe d’un ingénieur des sécurités de paiement à la direction du Crédit agricole a été annulée par la Cour de cassation. Ce dernier a été poursuivi par le tribunal correctionnel du chef d’abus de confiance.
Publications sur Twitter
Il lui était reproché d’avoir détourné au préjudice de son employeur, en les publiant sur son compte Twitter, des numéros de comptes de clients (IBAN), qui lui avaient été remis à charge d’en faire un usage déterminé, « en l’espèce ne pas les divulguer au public ».
Abus de confiance par le salarié
Cette divulgation était bien susceptible de constituer un abus de confiance au sens des articles 314-1 du code pénal et 388 du code de procédure pénale. Selon le premier de ces textes, l’abus de confiance est le fait par une personne de détourner, au préjudice d’autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu’elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d’en faire un usage déterminé.
Il résulte du second texte que, s’il est interdit aux juges de statuer sur des faits autres que ceux qui leur sont déférés, il leur appartient de retenir tous ceux qui, bien que non expressément visés dans le titre de la poursuite, ne constituent que des circonstances du fait principal, se rattachant à lui et propres à le caractériser.
Détournement d’informations
Pour relaxer le prévenu, l’arrêt a retenu à tort, que l’ingénieur a utilisé des données auxquelles il a eu accès dans le cadre de son activité professionnelle à des fins étrangères à l’exercice de celle-ci, après le prononcé de son licenciement, rien ne permettant d’exclure que cette démarche avait un caractère réactionnel à la rupture de son contrat de travail qui lui avait été notifiée trois mois auparavant.
Le prévenu avait, en connaissance de cause, détourné pour son usage personnel, au préjudice de son employeur, des numéros de compte mis à sa disposition pour un usage professionnel.
_______________________________________________________________________________
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
Cour de cassation
Chambre criminelle
5 mai 2021
Pourvoi 20-82.700, Inédit
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :
N° E 20-82.700 F-D
N° 00533
SM12
5 MAI 2021
CASSATION PARTIELLE
M. SOULARD président,
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 5 MAI 2021
La société Crédit agricole payment services, partie civile, a formé un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Caen, chambre correctionnelle, en date du 24 février 2020, qui l’a déboutée de ses demandes, après relaxe de M. [Q] [Q] du chef d’abus de confiance.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Ascensi, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Crédit agricole payment services, et les conclusions de M. Bougy, avocat général, après débats en l’audience publique du 24 mars 2021 où étaient présents M. Soulard, président, M. Ascensi, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [Q] [Q], qui était ingénieur d’études au sein du service sécurité des moyens de paiement à la direction sécurité moyens de paiement, émissions et passerelle de la société Crédit agricole payment services, a été poursuivi devant le tribunal correctionnel du chef d’abus de confiance.
3. Il lui est reproché d’avoir détourné au préjudice de son employeur, en les publiant sur son compte Twitter, des numéros de comptes de clients (IBAN), qui lui avaient été remis à charge d’en faire un usage déterminé, « en l’espèce ne pas les divulguer au public ».
4. Par jugement du 9 janvier 2018, le prévenu a été déclaré coupable des faits poursuivis.
5. Le prévenu, puis le ministère public, ont interjeté appel de la décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a renvoyé M. [Q] des fins de la poursuite, alors « que constitue un abus de confiance le fait, pour une personne qui a été destinataire, en tant que salarié d’une société, d’informations relatives à la clientèle de celle-ci, de les utiliser à des fins étrangères à celles convenues ; qu’en relaxant M. [Q], poursuivi du chef d’abus de confiance pour avoir « détourné, au préjudice du Crédit Agricole, des informations, en l’espèce des numéros IBAN de clients, qui lui avaient été remis à charge d’en faire un usage déterminé, en l’espèce de ne pas les divulguer en public », tout en constatant qu’il était établi qu’il avait, postérieurement à son licenciement par la société Crédit agricole payment services, publié sur son compte Twitter des numéros IBAN de clients auxquels il avait eu accès dans le cadre de son activité professionnelle et ainsi utilisé ces données à des fins étrangères à celles qui avaient été convenues, la cour d’appel a méconnu les articles 314-1 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 314-1 du code pénal et 388 du code de procédure pénale :
7. Selon le premier de ces textes, l’abus de confiance est le fait par une personne de détourner, au préjudice d’autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu’elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d’en faire un usage déterminé.
8. Il résulte du second que, s’il est interdit aux juges de statuer sur des faits autres que ceux qui leur sont déférés, il leur appartient de retenir tous ceux qui, bien que non expressément visés dans le titre de la poursuite, ne constituent que des circonstances du fait principal, se rattachant à lui et propres à le caractériser.
9. Pour relaxer le prévenu, l’arrêt retient que ce dernier a utilisé des données auxquelles il a eu accès dans le cadre de son activité professionnelle à des fins étrangères à l’exercice de celle-ci, après le prononcé de son licenciement, rien ne permettant d’exclure que cette démarche avait un caractère réactionnel à la rupture de son contrat de travail qui lui avait été notifiée trois mois auparavant.
10. Les juges ajoutent cependant qu’au-delà de ces constatations caractérisant le caractère déloyal des agissements du prévenu à l’égard de son ancien employeur, et du fait que l’information confidentielle à laquelle le prévenu avait eu accès était non pas les IBAN eux-mêmes, mais le « blacklistage » dont ils avaient fait l’objet, force est de constater qu’il ne peut être déclaré coupable du délit d’abus de confiance visé à la prévention, dès lors qu’il ne peut être retenu que le non respect de l’interdiction de ne pas divulguer les numéros d’IBAN de clients, est constitutif de l’usage déterminé visé à l’article 314-1 du code pénal.
11. En se déterminant ainsi, alors qu’elle avait constaté que le prévenu avait, en connaissance de cause, détourné pour son usage personnel, au préjudice de son employeur, des numéros de compte mis à sa disposition pour un usage professionnel, la cour d’appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
12. La cassation est par conséquent encourue.
PAR CES MOTIFS, Cour :
CASSE et ANNULE l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Caen en date du 24 février 2020, mais en ses seules dispositions civiles, toutes autres dispositions étant expressément maintenues, et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Rouen, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Caen, et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le cinq mai deux mille vingt et un.