Retour de la douche froide à l’école : vos enfants en danger ?

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Retour de la douche froide à l’école : vos enfants en danger ?
Ce point juridique est utile ?

Lors d’une répétition pour le spectacle de fin d’année de l’école, une professeure des écoles a donné une douche froide tout habillé à un élève de quatre ans, afin de le calmer car il perturbait particulièrement le cours et, après avoir changé l’enfant, a informé sa hiérarchie des faits après leur survenue. Saisie de l’affaire, les juges administratifs ont considéré que la sanction de suspension de la professeure des écoles pendant trois mois était disproportionnée.

Une faute de l’enseignante 

La douche froide révèle bien un comportement inadapté de la part d’une enseignante et constituent un manquement à ses obligations professionnelles de nature à justifier une sanction disciplinaire dès lors qu’elle porte atteinte à l’intégrité physique et morale d’un élève âgé de quatre ans et scolarisé en classe de maternelle, même en l’absence de traumatisme persistant diagnostiqué et ce, alors même que l’enfant était non respectueux du « vivre ensemble » avec ses camarades et qu’il se montrait violent à leur égard.

Sanction disproportionnée

Toutefois, ce comportement n’a pas révélé, dans les circonstances très particulières de l’espèce, une volonté d’attenter à la dignité ou à la sécurité de l’enfant.

Par ailleurs, il ne ressort des pièces du dossier ni que ces faits soient représentatifs d’un comportement habituel, ni qu’ils n’aient pas été isolés, ni que la professeurs ait fait l’objet d’autres sanctions disciplinaires au cours de sa carrière. Il ressort, en revanche, du dossier qu’elle a fait preuve de loyauté immédiatement après les faits en prévenant sa hiérarchie et il n’est pas contesté qu’elle a demandé avant la survenue des faits pour lesquels elle a été sanctionnée, à plusieurs reprises et en vain auprès de son administration, une expertise psychologique de cet enfant eu égard à son comportement notoirement perturbateur et difficile et qu’elle n’a pas été préparée à faire face à des comportements d’élèves nécessitant une prise en charge particulière.

Dans ces circonstances, le recteur de l’académie d’Aix-Marseille a entaché sa décision d’erreur d’appréciation en prononçant à l’encontre de cette enseignante la sanction d’exclusion temporaire de fonctions d’une durée de trois mois assortie du sursis total qui apparaît, dans les circonstances particulières de l’espèce, disproportionnée au regard des faits sur lesquels elle se fonde.

Règlement type départemental des écoles maternelles

Pour mémoire, aux termes de l’article 29 de la loi du 13 juillet 1983 : « Toute faute commise par un fonctionnaire dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions l’expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale. ».

Aux termes de l’article 2.5 de la circulaire du 9 juillet 2014 relative au règlement type départemental des écoles maternelles et élémentaires publiques : « (…) les comportements qui troublent l’activité scolaire, les manquements au règlement intérieur de l’école, et en particulier toute atteinte à l’intégrité physique ou morale des autres élèves ou des enseignants, donnent lieu à des réprimandes, qui sont portées immédiatement à la connaissance des représentants légaux de l’enfant.

Ces réprimandes ne peuvent elles-mêmes en aucun cas porter atteinte à l’intégrité morale ou physique d’un enfant. (…). ».

Selon l’article 3.1 de cette circulaire : « (…) Chacun est également tenu au devoir d’assiduité et de ponctualité, de tolérance et de respect d’autrui dans sa personne et sa sensibilité, au respect de l’égalité des droits entre filles et garçons, à la protection contre toute forme de violence psychologique, physique ou morale. En aucune circonstance, l’usage de la violence physique comme verbale ne saurait être toléré. Le respect mutuel entre adultes et entre élèves constitue également un des fondements de la vie collective. ».

Aux termes de l’article 3.2 de cette même circulaire : « Le règlement intérieur de l’école (…) détermine, notamment, les modalités selon lesquelles sont mises en application : (…) / – les garanties de protection contre toute agression physique ou morale et le devoir qui en découle pour chacun de n’user d’aucune violence. (…). Le règlement intérieur comporte un chapitre consacré à la discipline des élèves qui indique des réprimandes et des punitions de nature différente en fonction de l’âge de l’élève, ainsi que des mesures positives d’encouragement. Le recours à ces mesures doit toujours avoir une visée éducative, ce qui suppose une adaptation à chaque situation. ».

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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

CAA de MARSEILLE

6ème chambre

28 juin 2021

N° 20MA00561, Inédit au recueil Lebon

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B… E… a demandé au tribunal administratif de Marseille d’annuler pour excès de pouvoir la décision du 24 avril 2017 par laquelle le recteur de l’académie d’Aix-Marseille lui a infligé une sanction disciplinaire d’exclusion temporaire de fonctions d’une durée de trois mois avec sursis, ensemble la décision implicite par laquelle il a refusé de retirer cette sanction disciplinaire.

Par un jugement n° 1708530 du 16 décembre 2019, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 10 février 2020 et le 23 mars 2021, Mme E…, représentée par Me F…, demande à la Cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille ;

2°) d’annuler la décision du 24 avril 2017 par laquelle le recteur de l’académie d’Aix-Marseille lui a infligé une sanction disciplinaire d’exclusion temporaire de fonctions de trois mois avec sursis ;

3°) d’annuler la décision implicite par laquelle le recteur de l’académie d’Aix-Marseille a refusé de retirer cette sanction ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

 – le tribunal administratif de Marseille a insuffisamment motivé son jugement, et n’a pas suffisamment pris en compte les circonstances particulières de l’espèce ;

 – la procédure de sanction disciplinaire est irrégulière dès lors qu’elle n’a pas été entendue avant l’engagement des poursuites, qu’elle n’a pas été examinée par le médecin de prévention avant la séance du conseil de discipline alors même que cet examen était prévu dans le rapport disciplinaire, que la décision du 24 avril 2017 ne vise ni le mémoire ni les observations de son conseil qui n’ont pas été prises en compte, que le conseil de discipline, qui n’a pas été valablement réuni, n’a pas émis, de manière impartiale, un avis motivé, et qu’aucune proposition de plusieurs sanctions n’a été mise en délibéré ;

 – le tribunal administratif de Marseille a entaché son jugement d’une erreur d’appréciation en ne retenant pas le caractère disproportionné de la sanction disciplinaire prononcée à son encontre.

Par un mémoire en défense enregistré le 4 mars 2021, le recteur de l’académie d’Aix-Marseille conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme E… ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 2 février 2021, la clôture de l’instruction a été fixée au 26 mars 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

 – la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

 – la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

 – le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 ;

 – le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

 – le rapport de Mme D… Massé-Degois, rapporteure,

 – les conclusions de M. A… Thielé, rapporteur public,

 – et les observations de Me C… substituant Me F…, représentant Mme E….

Considérant ce qui suit :

1. Le recteur de l’académie d’Aix-Marseille a, par une décision du 24 avril 2017 notifiée le 26 avril suivant, infligé à Mme E…, professeure des écoles depuis 1994, une sanction disciplinaire d’exclusion temporaire de fonctions d’une durée de trois mois, assortie d’un sursis total sur un délai de cinq ans. Cette dernière a adressé, par une lettre recommandée du 22 juin 2017 réceptionnée le 23 juin suivant, un recours gracieux au recteur de l’académie d’Aix-Marseille qui a fait l’objet d’une décision implicite de refus. Mme E… relève appel du jugement n° 1708530 du 16 décembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision du 24 avril 2017, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux.

Sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête :

2. Il appartient au juge de l’excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l’objet d’une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

3. Aux termes de l’article 29 de la loi du 13 juillet 1983 : « Toute faute commise par un fonctionnaire dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions l’expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale. ». Aux termes de l’article 2.5 de la circulaire du 9 juillet 2014 relative au règlement type départemental des écoles maternelles et élémentaires publiques : « (…) les comportements qui troublent l’activité scolaire, les manquements au règlement intérieur de l’école, et en particulier toute atteinte à l’intégrité physique ou morale des autres élèves ou des enseignants, donnent lieu à des réprimandes, qui sont portées immédiatement à la connaissance des représentants légaux de l’enfant. Ces réprimandes ne peuvent elles-mêmes en aucun cas porter atteinte à l’intégrité morale ou physique d’un enfant. (…). ». Selon l’article 3.1 de cette circulaire : « (…) Chacun est également tenu au devoir d’assiduité et de ponctualité, de tolérance et de respect d’autrui dans sa personne et sa sensibilité, au respect de l’égalité des droits entre filles et garçons, à la protection contre toute forme de violence psychologique, physique ou morale. En aucune circonstance, l’usage de la violence physique comme verbale ne saurait être toléré. Le respect mutuel entre adultes et entre élèves constitue également un des fondements de la vie collective. ». Aux termes de l’article 3.2 de cette même circulaire : « Le règlement intérieur de l’école (…) détermine, notamment, les modalités selon lesquelles sont mises en application : (…) / – les garanties de protection contre toute agression physique ou morale et le devoir qui en découle pour chacun de n’user d’aucune violence. (…) / Le règlement intérieur comporte un chapitre consacré à la discipline des élèves qui indique des réprimandes et des punitions de nature différente en fonction de l’âge de l’élève, ainsi que des mesures positives d’encouragement. Le recours à ces mesures doit toujours avoir une visée éducative, ce qui suppose une adaptation à chaque situation. ».

4. Il ressort des pièces du dossier que lors d’une répétition pour le spectacle de fin d’année de l’école, le 23 juin 2016, Mme E… a donné une douche froide tout habillé à un élève de quatre ans, afin de le calmer car il perturbait particulièrement le cours et, après avoir changé l’enfant, a informé sa hiérarchie des faits après leur survenue.

5. Ces faits révèlent un comportement inadapté de la part d’une enseignante et constituent un manquement à ses obligations professionnelles de nature à justifier une sanction disciplinaire dès lors qu’ils portent atteinte à l’intégrité physique et morale d’un élève âgé de quatre ans et scolarisé en classe de maternelle, même en l’absence de traumatisme persistant diagnostiqué et ce, alors même que l’enfant était non respectueux du « vivre ensemble » avec ses camarades et qu’il se montrait violent à leur égard. Toutefois, ce comportement de Mme E… n’a pas révélé, dans les circonstances très particulières de l’espèce, une volonté d’attenter à la dignité ou à la sécurité de l’enfant. Par ailleurs, il ne ressort des pièces du dossier ni que ces faits soient représentatifs d’un comportement habituel, ni qu’ils n’aient pas été isolés, ni que Mme E… ait fait l’objet d’autres sanctions disciplinaires au cours de sa carrière. Il ressort, en revanche, du dossier qu’elle a fait preuve de loyauté immédiatement après les faits en prévenant sa hiérarchie et il n’est pas contesté qu’elle a demandé avant la survenue des faits pour lesquels elle a été sanctionnée, à plusieurs reprises et en vain auprès de son administration, une expertise psychologique de cet enfant eu égard à son comportement notoirement perturbateur et difficile et qu’elle n’a pas été préparée à faire face à des comportements d’élèves nécessitant une prise en charge particulière. Dans ces circonstances, le recteur de l’académie d’Aix-Marseille a entaché sa décision d’erreur d’appréciation en prononçant à l’encontre de cette enseignante la sanction d’exclusion temporaire de fonctions d’une durée de trois mois assortie du sursis total qui apparaît, dans les circonstances particulières de l’espèce, disproportionnée au regard des faits sur lesquels elle se fonde.

6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que Mme E… est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté ses conclusions tendant à l’annulation de la sanction disciplinaire que le recteur de l’académie d’Aix-Marseille lui a infligée par une décision du 24 avril 2017, ensemble la décision implicite par laquelle il a refusé de retirer cette sanction disciplinaire.

Sur les frais liés au litige :

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 2 000 euros à Mme E….

D É C I D E :

Article 1er:Le jugement n° 1708530 du 16 décembre 2019 du tribunal administratif de Marseille et la décision du 24 avril 2017 du recteur de l’académie d’Aix-Marseille, ensemble la décision implicite de rejet du recours gracieux formé par Mme E…, sont annulés.

Article 2 : L’Etat versera la somme de 2 000 euros à Mme E… au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3: Le présent arrêt sera notifié à Mme B… E… et au recteur de l’académie d’Aix-Marseille.

Copie en sera adressée au ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports.

Délibéré après l’audience du 14 juin 2021, où siégeaient :

— M. Guy Fédou président,

 – Mme D… Massé-Degois, présidente assesseure,

 – M. Philippe Grimaud, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 juin 2021.


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