Critiquer son employeur sur Twitter
Critiquer son employeur sur Twitter

Sauf abus, le salarié jouit dans l’entreprise et en-dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées. Un abus est caractérisé lorsque les propos reprochés sont excessifs, diffamatoires ou injurieux.

En l’espèce, des messages critiques de son employeur publiés par une journaliste sur son compte Twitter ont conduit à son licenciement. Or, contrairement à ce qu’ont pu retenir les premiers juges, les messages publiés par la journaliste sur son compte Twitter n’apparaissent ni excessifs ni diffamatoires ou injurieux. Ils ne dénigrent pas le journal qui l’emploie et ne caractérisent pas un abus de la liberté d’expression dont bénéficie la salariée, de nature à justifier la rupture anticipée du contrat de travail pour faute grave.

En l’absence de faute grave, la rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur, avant l’échéance du terme prévu , doit être considérée comme abusive.

L’article L. 1243-1 du code du travail dispose que sauf accord des parties, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l’échéance du terme qu’en cas de faute grave, de force majeure ou d’inaptitude constatée par le médecin du travail.

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et justifie son départ immédiat.

Il incombe à l’employeur de rapporter la preuve de la faute grave qu’il invoque à l’appui de la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée.

Selon l’article L. 1243-4 du code du travail, la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée qui intervient à l’initiative de l’employeur, en dehors des cas de faute grave, de force majeure ou d’inaptitude constatée par le médecin du travail, ouvre droit pour le salarié à des dommages et intérêts d’un montant au moins égal aux rémunérations qu’il aurait perçues jusqu’au terme du contrat, sans préjudice de l’indemnité de fin de contrat prévue à l’article L. 1243-8 du même code .

Toutefois, aucun texte ne prévoit le versement d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse dans l’hypothèse d’une rupture anticipée de contrat de travail à durée déterminée

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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE VERSAILLES
6e chambre
ARRET DU 10 JUIN 2021

N° RG 18/02407

N° Portalis DBV3-V-B7C-SM47

AFFAIRE :

X-O Y

C/

SAS LA GAZETTE DU MANTOIS

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 14 Mai 2018 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MANTES LA JOLIE

N° Chambre :

N° Section : AD

N° RG : 17/00038

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Florence POIRE

Me Sonia EL MIDOULI

le : 11 Juin 2021

LE DIX JUIN DEUX MILLE VINGT ET UN,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant,fixé au 03 Juin 2021, puis prorogé au 10 Juin 2021, les parties ayant été avisées, dans l’affaire entre :

Madame X-Q Y

née le […] à […]

de nationalité Française

[…]

[…]

[…]

Représentée par Me Florence POIRE de la SELARL FEUGAS AVOCATS, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 286

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2018/010462 du 01/10/2018 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de VERSAILLES)

APPELANTE


SAS LA GAZETTE DU MANTOIS

N° SIRET : 788 690 618

[…]

[…]

Représentée par Me Sonia EL MIDOULI, avocat au barreau de VAL D’OISE, vestiaire : 71

INTIMEE


Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 09 avril 2021 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Isabelle VENDRYES, Président,

Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,

Greffier lors des débats : Mme Dévi POUNIANDY,

Greffier lors du prononcé: Madame Elodie BOUCHET-BERT

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

La société La Gazette du Mantois a pour activité la régie publicitaire de médias. Elle gère l’hebdomadaire gratuit La Gazette en Yvelines publié tous les mercredis. Elle emploie moins de onze salariés.

Par contrat de travail à durée déterminée du 24 août 2016, Mme X-Q Y, née le […], a été engagée par la société La Gazette du Mantois, pour une durée de six mois courant à compter du 25 août 2016, en qualité de journaliste reporter, statut non-cadre, pour l’hebdomadaire La Gazette en Yvelines, moyennant une rémunération brute mensuelle de 1 540 euros.

Par lettre remise en main propre le 3 octobre 2016, Mme Y a été mise à pied à titre conservatoire. Par un second courrier daté du même jour, elle a été convoquée à un entretien préalable fixé au 14 octobre 2016. Elle s’est vu notifier la rupture anticipée de son contrat de travail pour faute grave par lettre du 19 octobre 2016 ainsi rédigée :

« Nous avons eu un entretien le vendredi 14 octobre 2016 dans les locaux du journal situés au […] à Mantes-la-Jolie, au sujet du licenciement envisagé à votre encontre. Lors de celui-ci, qui s’est déroulé en présence de votre représentant en sa qualité de conseiller du salarié, nous vous avons exposé les faits qui vous sont reprochés, à savoir la publication de messages sur votre compte Twitter ayant pour nature à dénigrer le travail et l’image du journal la Gazette en Yvelines.

Lors de cet entretien, vous n’avez pas reconnu avoir commis d’erreur et de ce fait, rien ne nous assure que vous ne réitérerez pas les faits qui vous sont reprochés. C’est pourquoi, compte tenu de la gravité de vos agissements, nous sommes au regret de devoir procéder à votre licenciement pour faute grave.

Pour ces mêmes raisons, votre maintien dans l’entreprise s’avère impossible, y compris durant la période de préavis. Votre licenciement prend donc effet à compter de la première présentation de cette lettre, sans indemnité de licenciement ni de préavis.

Nous vous rappelons que vous faites également l’objet d’une mise à pied à titre conservatoire, document qui a été remis en main propre le lundi 3 octobre à 18h. Par conséquent la période non travaillée, du 4 octobre à la date de première présentation de cette lettre, ne sera pas rémunérée. (‘) »

Par requête reçue au greffe le 15 mars 2017, Mme Y a saisi le conseil de prud’hommes de Mantes-la-Jolie aux fins de contester la rupture de son contrat de travail et voir condamner la société La Gazette du Mantois au versement de diverses sommes indemnitaires et salariales.

Par jugement rendu le 14 mai 2018, le conseil de prud’hommes a :

— dit que c’est à bon droit que l’employeur a rompu le contrat à durée déterminée pour faute grave,

— débouté Mme Y de l’ensemble de ses demandes,

— débouté la SAS La Gazette du Mantois de ses demandes reconventionnelles,

— fixé les entiers dépens, qui comprendront les éventuels frais d’exécution, à la charge de Mme Y.

Mme Y a interjeté appel de la décision par déclaration du 28 mai 2018.

Par conclusions adressées par voie électronique le 11 juillet 2018, elle demande à la cour de :

— infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a déboutée de ses demandes et en ce qu’il a :

  • dit que c’est à bon droit que l’employeur a rompu le contrat à durée déterminée pour faute grave,
  • débouté Mme Y de l’ensemble de ses demandes reconventionnelles,
  • fixé les entiers dépens, qui comprendront les éventuels frais d’exécution, à la charge de Mme Y,

et en conséquence jugeant à nouveau,

— dire et juger la demande de Mme Y recevable et bien fondée,

— dire et juger que Mme Y n’a pas commis les faits graves mentionnés dans sa lettre de licenciement,

et en conséquence,

— requalifier le licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

— condamner la société La Gazette du Mantois à verser à Mme Y les sommes suivantes :

  • indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 9 240 euros,
  • indemnité compensatrice pour rupture anticipée du CDD : 5 025 euros,
  • indemnité de fin de contrat de CDD (10%) : 924 euros,
  • indemnité pour rupture vexatoire et humiliante,
  • indemnité à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l’envoi tardif des documents de fin de contrat : 9 240 euros,
  • remboursement des frais professionnels : 1 001,30 euros,
  • rappel de salaire relatif à la mise à pied du 4 au 19 octobre 2016 : 953,32 euros,
  • rappel de salaire au titre des heures supplémentaires : 670,68 euros,
  • congés payés sur rappel de salaire : 162,40 euros,
  • dommages et intérêts : 5 000 euros,
  • article 700 du code de procédure civile : 3 000 euros,

— ordonner sous astreinte journalière de 100 euros de remettre à Mme Y les documents suivants conformes au jugement à intervenir :

  • l’attestation Assedic,
  • le certificat de travail,
  • le certificat pour la caisse des congés payés.

Par conclusions adressées par voie électronique le 16 octobre 2018, la société La Gazette du Mantois demande à la cour de :

— confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Mme Y de l’ensemble de ses demandes fins et conclusions,

statuant à nouveau,

— débouter Mme Y de l’ensemble de ses demandes et la condamner à verser à la SAS La Gazette du Mantois la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour dénigrement public,

— condamner Mme Y à verser à la SAS La Gazette du Mantois la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par ordonnance rendue le 10 mars 2021, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 9 avril 2021.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

MOTIFS

Sur le rappel de salaire au titre des heures supplémentaires

Mme Y prétend qu’au fur et à mesure de ses missions et tandis que son contrat de travail prévoyait une durée hebdomadaire de travail de 35 heures, elle a travaillé chaque semaine entre 43 heures 30 et 54 heures 30, dont plus de la moitié du temps pour des semaines de six jours de travail, et ce à la demande de son employeur et plus précisément de son supérieur hiérarchique, M. B C, rédacteur en chef de la Gazette en Yvelines.

Elle énonce qu’elle a effectué au total 44 heures 30 supplémentaires au taux majoré de 25 % dont 11 heures seulement lui ont été réglées et 20 heures 30 au taux majoré de 50 % dont 4 heures lui ont été réglées. Elle sollicite en conséquence le paiement de la somme de 670,68 euros correspondant aux 50 heures supplémentaires réalisées et non rémunérées (33 heures 30 au taux majoré de 25 % et 16 heures 30 au taux majoré de 50 %).

La société La Gazette du Mantois conclut au rejet de sa demande, faisant valoir que lorsque des heures supplémentaires devaient être effectuées de manière ponctuelle et avec l’accord de l’employeur, les salariés étaient systématiquement autorisés à les compenser en arrivant plus tard au travail le lendemain ou en prenant des jours de récupération mentionnés dans le planning.

Il sera rappelé que la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et doit se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles.

Il résulte des dispositions des articles L. 3171-2 et suivants qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et

réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

Au soutien de sa demande de rappel de salaire, Mme Y produit :

— des captures d’écran des plannings de Gazette en Yvelines entre le 25 août et le 3 octobre 2016,

— un décompte des heures travaillées sur cette période, mentionnant pour chaque jour les heures d’arrivée et de départ, la pause déjeuner, le nombre d’heures de travail sur la journée et sur la semaine,

— ses bulletins de salaire.

La salariée étaye ainsi suffisamment sa demande.

L’employeur critique le tableau établi ‘après coup’par Mme Y, faisant observer que la salariée ne fait pas état de sa charge de travail, qu’elle ne produit pas la teneur des travaux qu’elle aurait réalisés sur ce temps complémentaire, que l’agenda commun qu’elle produit démontre à tout le moins qu’elle n’avait pas l’amplitude de travail annoncée dans son décompte, précisant que ce planning mentionne les heures indicatives des événements auxquels le journaliste doit assister mais qu’il arrive bien souvent qu’il ne se déplace que pour des photographies ou reste moins longtemps que la durée de l’événement.

Cependant, l’employeur, auquel incombe la charge de contrôler les heures de travail accomplies par sa salariée, ne rapporte pas la preuve des journées de récupération dont cette dernière aurait bénéficié en compensation des heures supplémentaires qu’il reconnaît lui avoir demandé d’effectuer, étant observé que le planning ne fait état pour la salariée que de 11 heures de récupération sur toute la relation de travail.

En considération de l’ensemble de ces éléments, Mme Y est fondée à revendiquer le paiement des heures supplémentaires qu’elle a accomplies et que la cour évalue à la somme réclamée de 670,68 euros, outre 67,07 euros au titre des congés payés afférents.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur la rupture du contrat

L’article L. 1243-1 du code du travail dispose que sauf accord des parties, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l’échéance du terme qu’en cas de faute grave, de force majeure ou d’inaptitude constatée par le médecin du travail.

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et justifie son départ immédiat.

Il incombe à l’employeur de rapporter la preuve de la faute grave qu’il invoque à l’appui de la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée.

En l’espèce, la société La Gazette du Mantois a rompu le contrat de travail pour faute grave, reprochant à Mme Y aux termes de la lettre de rupture « la publication de messages sur [son] compte Twitter ayant pour nature à dénigrer le travail et l’image du journal la Gazette en Yvelines », ajoutant à l’adresse de la salariée que « vous n’avez pas reconnu avoir commis d’erreur et de ce fait, rien ne nous assure que vous ne réitérerez pas les faits qui vous sont reprochés ».

La salariée expose que le 21 septembre 2016, elle s’est rendue à une réunion publique organisée par la municipalité de Poissy sur la désertification médicale ; que le lendemain de cette réunion, elle s’est entretenue avec l’un des médecins généralistes présents, le docteur D A, et a proposé à son rédacteur en chef d’écrire un article sur les solutions alternatives mises en avant par ce médecin, ce que son responsable a refusé, préférant orienter l’article sur les solutions apportées par la municipalité ; qu’elle a donc préparé un article à paraître dans la Gazette en Yvelines du 5 octobre 2016 suivant l’orientation donnée par son rédacteur en chef ; que dans l’après-midi du dimanche 2 octobre 2016, elle a partagé sur son compte Twitter personnel un article issu du Courrier des Yvelines du 28 septembre 2016 et rédigé sous l’angle journalistique qu’elle entendait donner au sujet de la désertification médicale sur la ville de Poissy, en l’accompagnant du commentaire suivant : « L’article que j’aurais aimé faire … mais on m’a dit oui mais non … » ; que ces propos, qui ne présentaient selon elle aucun caractère péjoratif, ont été à tort interprétés comme dénigrants par M. E Z, président de la société La Gazette du Mantois ; que dès le lendemain elle a été mise à pied devant l’ensemble du personnel.

Mme Y considère que l’interprétation de ses propos par M. Z ne peut constituer une faute grave, faisant observer que lors de l’entretien préalable, ce dernier n’a pas été en mesure d’expliquer le caractère dénigrant du tweet incriminé et qu’ayant été interviewé par un journaliste au sujet du licenciement, il a déclaré qu’il s’agissait ‘plus ou moins’ de dénigrement, qu’en outre à aucun moment n’a été explicité en quoi ses propos relèveraient d’un abus dans la liberté d’expression.

La société La Gazette du Mantois énonce que Mme Y n’a pas hésité à critiquer publiquement un prétendu recadrage de la rédaction du journal qui l’emploie, qu’elle a repris un article d’un journal concurrent en le valorisant, qu’elle a fait preuve de déloyauté puisqu’elle a menti, sachant très bien lorsqu’elle a rédigé ses tweets litigieux le 2 octobre 2016, que son article avait été envoyé à la rédaction le 30 septembre et qu’il devait être présenté au bouclage le 3 octobre, qu’elle ne pouvait donc dire que son article ne serait pas publié ou qu’il serait modifié.

La société prétend en effet que Mme Y ne s’est pas du tout ouverte à son employeur d’une quelconque divergence de point de vue sur le sujet de la réunion publique du 21 septembre 2016, que l’article qu’elle a rédigé a été publié le 5 octobre 2016 dans son intégralité, sans aucune modification, faisant observer que la salariée n’apporte d’ailleurs la preuve d’aucun recadrage de la rédaction sur l’axe à donner à cet article.

Elle ajoute que le fait que la salarié indique dans ses tweets qu’elle ‘garde sous le coude’ les propos du docteur A ‘pour les ressortir au bon moment’ laisse entendre qu’elle compte utiliser les éléments recueillis pendant son temps de travail payé par La Gazette du Mantois pour s’en servir pour un autre employeur auquel elle ‘fait du pied’ ouvertement sur Twitter. Elle estime qu’un tel message ne peut que rompre toute confiance de l’employeur à l’égard de la loyauté de sa salariée, ce que confirme au demeurant la publication ultérieure dans le Courrier de l’Atlas, qui n’avait pas vocation à le faire, d’un article évoquant la rupture de son contrat, lequel n’avait d’autre intérêt que de nuire à la Gazette en Yvelines.

Elle explique enfin que la Gazette en Yvelines tire ses ressources essentiellement de la publicité insérée dans ses pages, que les annonceurs payent en fonction de renommée du journal, de sa diffusion et du nombre de lecteurs, que le dénigrement public du journal et la valorisation d’un hebdomadaire concurrent constituent à l’évidence une faute grave, laquelle justifiait la mise à pied immédiate de la salariée.

Il est ici rappelé que sauf abus, le salarié jouit dans l’entreprise et en-dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et

proportionnées au but recherché peuvent être apportées. Un abus est caractérisé lorsque les propos reprochés sont excessifs, diffamatoires ou injurieux.

En l’espèce, les messages litigieux publiés par Mme Y le 2 octobre 2016 sur son compte Twitter sont les suivants :

MC Y : « L’article que j’aurais aimé faire … Mais on m’a dit oui mais non … », message suivi d’un article publié sous le profil Joker Poissy avec le commentaire suivant : « Une ville asphyxiée dans tous les domaines transports, médecins, embouteillage, stationnement … alors super F ‘ » [M. F G étant le maire de Poissy]

Réponse de D A : « Pourquoi non ‘ ;-) »

MC Y : « Trop ciblé Dr A … »

Réponse de D H : « ah ah ah ;-) Dommage pour vous qui avez bossé. Moi je vais essayer de survivre à cette oukase ;-) »

MC Y : « Je garde vos 40 minutes de propos sous le coude, je les ressortirai au bon moment ;-) »

L’article de presse partagé par Mme Y fait état du nombre insuffisant de médecins généralistes à Poissy et rapporte les propos tenus par le Docteur A lors de la réunion publique du 21 septembre 2016.

Or, contrairement à ce qu’ont pu retenir les premiers juges, les messages publiés par Mme Y sur son compte Twitter n’apparaissent ni excessifs ni diffamatoires ou injurieux. Ils ne dénigrent pas le journal qui l’emploie et ne caractérisent pas un abus de la liberté d’expression dont bénéficie la salariée, de nature à justifier la rupture anticipée du contrat de travail pour faute grave.

En l’absence de faute grave, la rupture du contrat de travail de Mme Y à l’initiative de l’employeur le 19 octobre 2016, avant l’échéance du terme prévu le 24 février 2017, doit être considérée comme abusive.

Le jugement entrepris doit en conséquence être infirmé.

Sur les conséquences de la rupture abusive

Selon l’article L. 1243-4 du code du travail, la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée qui intervient à l’initiative de l’employeur, en dehors des cas de faute grave, de force majeure ou d’inaptitude constatée par le médecin du travail, ouvre droit pour le salarié à des dommages et intérêts d’un montant au moins égal aux rémunérations qu’il aurait perçues jusqu’au terme du contrat, sans préjudice de l’indemnité de fin de contrat prévue à l’article L. 1243-8 du même code .

Mme Y est en conséquence bien fondée à se voir allouer, eu égard au montant de sa rémunération, la somme réclamée de 5 025 euros à titre d’indemnité compensatrice pour rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée, outre la somme de 924 euros à titre d’indemnité de fin de contrat.

En conséquence de la rupture abusive, la société La Gazette du Mantois doit également être condamnée à lui verser un rappel de salaire de 953,32 euros au titre de la mise à pied injustifiée du 4 au 20 octobre 2016, outre 95,33 euros de congés payés afférents.

Sur les autres demandes indemnitaires

—  sur l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Aucun texte ne prévoit le versement d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse dans l’hypothèse d’une rupture anticipée de contrat de travail à durée déterminée. La salariée sera donc déboutée de sa demande à ce titre, par confirmation du jugement entrepris.

—  sur l’indemnité pour rupture vexatoire et humiliante

Etant rappelé qu’en vertu de l’article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions, la demande de dommages-intérêts à hauteur de 1 000 euros pour rupture vexatoire et humiliante, qui n’est pas reprise dans le dispositif des conclusions de l’appelante, ne sera pas examinée.

  • sur les dommages intérêts pour envoi tardif des documents de fin de contrat

La salariée fait grief à son employeur de lui avoir adressé ses documents de fin de contrat le 10 novembre 2016, soit 20 jours après la notification du licenciement. Elle lui reproche également d’avoir commis des erreurs dans l’attestation Pôle emploi, en particulier d’avoir mentionné comme motif de la rupture une rupture anticipée du CDD à l’initiative de l’employeur alors qu’il s’agissait d’un licenciement pour faute grave, de sorte qu’elle est restée sans revenus jusqu’au 8 mars 2017, soit pendant cinq mois.

Comme l’ont justement retenu les premiers juges, le délai de deux semaines qui s’est écoulé entre la notification de la rupture et l’envoi des documents de fin de contrat ne peut être qualifié d’excessif.

Quant au motif de la rupture, il s’agit bien d’une rupture anticipée du contrat à durée déterminée et non d’un licenciement.

L’appelante ne peut donc qu’être déboutée de sa demande de dommages-intérêts, par confirmation du jugement entrepris.

—  sur les dommages-intérêts d’un montant de 5 000 euros

L’appelante n’explicite pas cette demande, qui sera dès lors rejetée, par confirmation du jugement entrepris.

Sur les documents de fin de contrat

Mme Y apparaît bien fondée à solliciter la remise par la société La Gazette du Mantois d’une attestation Pôle emploi, d’un certificat de travail conformes au présent arrêt, les circonstances de l’espèce ne nécessitant pas d’assortir cette obligation d’une astreinte.

Sur les frais professionnels

Mme Y sollicite le remboursement des frais de repas pris en dehors des locaux de l’entreprise (97,90 euros) et des frais kilométriques effectués avec son véhicule personnel (903,40 euros).

La société La Gazette du Mantois s’y oppose.

Aux termes de l’article 10 du contrat de travail : « Le salarié sera remboursé, chaque mois, des frais professionnels courants et nécessaires, qu’il aura engagés dans l’exercice de son activité, sur présentation des pièces justificatives, dans les conditions et limites qui seront fixées par la société dans une note de service. »

L’employeur justifie qu’un véhicule de fonction était à la disposition de la salariée pendant la quasi-totalité de la relation de travail et que celle-ci travaillait essentiellement depuis son bureau, prenant des contacts et recevant des informations par téléphone. Il produit ainsi une copie du certificat d’immatriculation du véhicule ainsi qu’une attestation de M. B C, rédacteur en chef de la Gazette en Yvelines, qui indique qu’à l’exception de la première semaine de travail, Mme Y a disposé d’un véhicule de fonction et que la couverture des faits divers étant effectuée par téléphone, n’impliquait pas de déplacements à l’exception de la prise éventuelle de photographies, ce que confirment M. I J, M. K L, salariés de la société, ainsi que Mme M N, engagée comme journaliste pour remplacer Mme Y.

Concernant les frais de repas pris en dehors des locaux du journal, l’appelante ne produit aucun justificatif, de sorte que sa demande de remboursement doit être rejetée tout comme celle relative aux frais kilométriques, et ce par confirmation du jugement entrepris.

Sur la demande de dommages-intérêts de l’employeur

La société La Gazette du Mantois sollicite la condamnation de Mme Y à lui verser la somme de 3 000 euros de dommages-intérêts pour dénigrement public.

La cour n’a pas retenu l’existence d’un abus dans la liberté d’expression de la salariée et le dénigrement allégué par l’employeur n’a pas été caractérisé.

La société La Gazette du Mantois doit en conséquence être déboutée de sa demande de dommages-intérêts, par confirmation du jugement entrepris.

Sur les dépens de l’instance et les frais irrépétibles

La société La Gazette du Mantois supportera les dépens en application des dispositions de l’article’696 du code de procédure civile.

Elle sera en outre condamnée à payer à Mme Y une indemnité sur le fondement de l’article’700 du code de procédure civile, que l’équité et la situation économique respective des parties conduisent à arbitrer à la somme de 3 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

INFIRME le jugement rendu le 14 mai 2018 par le conseil de prud’hommes de Mantes-la-Jolie en ce qu’il a dit que c’est à bon droit que l’employeur a rompu le contrat à durée déterminée pour faute grave et en ce qu’il a débouté Mme X-Q Y de ses demandes d’indemnité compensatrice pour rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée, d’indemnité de fin de contrat de travail à durée déterminée, de rappels de salaire sur mise à pied et heures supplémentaires ainsi que de congés payés afférents ;

LE CONFIRME pour le surplus ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

DIT que la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée de Mme X-Q Y est abusive ;

CONDAMNE la société La Gazette du Mantois à verser à Mme X-Q Y les sommes suivantes :

—  5 025 euros à titre d’indemnité compensatrice pour rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée,

—  924 euros à titre d’indemnité de fin de contrat de travail à durée déterminée,

—  953,32 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied,

—  95,33 euros au titre des congés payés afférents,

—  670,68 euros à titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires,

—  67,07 euros au titre des congés payés afférents ;

ORDONNE à la société La Gazette du Mantois de remettre à Mme X-Q Y une attestation Pôle emploi, un certificat de travail conformes au présent arrêt ;

DIT n’y avoir lieu de prononcer une astreinte de ce chef ;

CONDAMNE la société La Gazette du Mantois à verser à Mme X-Q Y la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE la société La Gazette du Mantois de sa demande de ce chef ;

CONDAMNE la société La Gazette du Mantois aux dépens.

Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Isabelle Vendryes, présidente, et par Mme Élodie Bouchet-Bert, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


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