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Contrat de coproduction : option d’achat dérisoire validée

Contrat de coproduction : option d’achat dérisoire validée

Attention à la rédaction de vos clauses de levée d’option d’achat en cas de succès commerciale d’une coproduction, l’aléa de rémunération (à la baisse comme à la hausse) joue en faveur du coproducteur qui investit.

La société CINEFRANCE 1888 s’est prévalue en vain d’une lésion qu’elle aurait subie du fait d’une inadéquation entre le succès du film “Babysitting” qui a réalisé 2 350 000 entrées en France – et le montant de l’option d’achat à prix dérisoire dont s’est prévalu avec succès la société SOFINERGIE CAPAC. 

L’équilibre du contrat résidait dans le fait que, quel que soit le montant des recettes effectivement perçues par la société CINEFRANCE 1888 (même si les recettes perçues par elle sont égales à zéro), cette dernière devait récupérer, en recettes et prix de l’option d’achat confondus, au moins 115 % de son investissement initial de 550 000 €, soit 632 500 €. En l’occurrence, pour un investissement initial de 550 000 €, la société CINEFRANCE 1888 a perçu 1 363 331,07 € (recettes du film) et 11 663,93 € (prix de l’option), soit globalement 1 374 995 €.

S’il est vrai qu’au-delà de 1 375 000 € de recettes perçues par la société CINEFRANCE 1888, le prix de l’option devient négatif, ce prix doit s’apprécier au regard de l’équilibre contractuel voulu par les parties et du caractère aléatoire de la clause litigieuse. En effet, le prix de l’option d’achat dépendant du montant des recettes perçues, lequel dépend du succès du film qui n’était pas connu au moment de la conclusion du contrat, la clause présente un caractère aléatoire au sens de l’ancien article 1104 alinéa 2 du code civil, dans sa version applicable à l’espèce, qui prévoyait que le contrat est aléatoire ‘lorsque l’équivalent consiste dans la chance de gain ou de perte pour chacune des parties, d’après un événement incertain’.

L’aléa était connu et accepté par les parties qui ont arrêté le principe d’un prix variable en fonction des recettes avant que le film soit sorti et connaisse le succès, il était impossible au moment de la signature du contrat de coproduction d’augurer du succès du film, qui constituait le premier film de l’un des co-réalisateurs, et dont les principaux comédiens ne disposaient d’aucune notoriété.

Les modalités de détermination du prix de l’option d’achat, en fonction du montant des recettes générées par le film, ont été fixées avant que soit connu le succès de ce film et reflétaient en conséquence le niveau de risque accepté par chacune des parties.

Selon le contrat conclu : 

“CineFrance 1888 s’oblige à l’égard du Producteur Délégué, dans les conditions ci-après, à lui céder sa quote-part de droits et de Produits au titre du Contrat et le Producteur Délégué disposera d’une faculté de rachat de ces droits dans les conditions suivantes (‘l’option d’achat’).

L’Option d’Achat de droits en faveur du Producteur Délégué s’exercera exclusivement du 1er novembre 2017 au 31 mars 2018 dans les conditions suivantes :

‘ si Cinéfrance 1888 a perçu un montant inférieur ou égal à 115% de son investissement initial de 550.000 euros soit 632.500 euros, le prix est égal à la différence entre les montants effectivement perçus par Cinéfrance 1888 et 1,15 X l’investissement initial de 550.000 euros soit 632.500 euros.

‘ si Cinéfrance 1888 a perçu un montant compris entre 115% de son investissement initial de 550.000 euros soit 632.500 euros et 200% de son investissement initial de 550.000 euros soit 1.650.000 [lire : 1.100.000] euros, le prix est égal à la différence entre les montants effectivement perçus par Cinéfrance 1888 et 2 X l’investissement initial de 550.000 euros soit 1.100.000 euros.

‘ si Cinéfrance 1888 a perçu un montant au moins égal à 200% de l’investissement initial de 550.000 euros soit 1.100.000 euros, le prix est égal à la différence entre les montants effectivement perçus par Cinéfrance 1888 et 2,5 X l’investissement initial de 550.000 euros soit 1.375.000 euros.

Dans l’hypothèse où le Producteur Délégué exercerait l’option d’achat aux conditions prévues ci-avant, les parties concluront dans les 8 jours suivant l’exercice de cette option, un contrat d’achat en bonne et due forme (…)’.

Il ressort des stipulations du contrat que le prix de l’option d’achat dont bénéficie le producteur délégué dépend du montant des recettes perçues par la société CINEFRANCE 1888. Les modalités de calcul des recettes devant revenir à la société CINEFRANCE 1888 sont définies précisément à l’article 9 du contrat de coproduction et le montant de ces recettes, qui est fonction des recettes du film effectivement encaissées par le distributeur du film (UNIVERSAL), relève de données comptables objectives issues des comptes d’exploitation du film, et non d’un accord final entre les parties.

Le contrat ne prévoit pas que le prix de l’option d’achat repose sur un élément nécessitant un accord ultérieur des parties,  indiquant seulement que ‘La tenue de la comptabilité d’exploitation du film (vérification des comptes adressés par les tiers chargés de l’exploitation, encaissements des recettes et répartition entre les différents coproducteurs et ayants droit, auteurs, acteurs, C.N.C.) sera assurée par le Producteur Délégué qui s’engage à agir toujours au mieux de l’intérêt commun des Parties.

_________________________________________________________________________________________

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 1

ARRET DU 1ER JUIN 2021

(n° 095/2021, 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 19/09537 – N° Portalis 35L7-V-B7D-B74RZ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Mars 2019 -Tribunal de Commerce de PARIS – 8e chambre – RG n° 2018000120

APPELANTE

SAS CINEFRANCE 1888

Société au capital de 15 500 000 euros

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 753 698 653

Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

18, Rue Jean-Baptiste Pigalle

[…]

Représentée et assistée de Me Ivan TAFFONNEAU, avocat au barreau de PARIS, toque : E0016

INTIMÉE

SA SOFINERGIE CAPAC

Société anonyme au capital de 519 317,91 euros

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 392 652 806

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[…]

[…]

Représentée et assistée de Me Akli NOUARI, avocat au barreau de PARIS, toque : C1036

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 06 avril 2021, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Isabelle DOUILLET, présidente de chambre, laquelle a préalablement été entendue en son rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre,

Mme Françoise BARUTEL, conseillère

Mme Déborah BOHÉE, conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Karine ABELKALON

ARRÊT :

• Contradictoire

• par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

• signé par Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre et par Karine ABELKALON, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.


EXPOSÉ DU LITIGE

La société SOFINERGIE CAPAC indique venir aux droits de deux sociétés de production de X cinématographiques, les sociétés AXEL X et MADAME X, par la voie d’une transmission universelle de patrimoine, à la suite de la dissolution de ces deux sociétés dont elle était l’unique associée.

Elle indique que la société de droit français CINEFRANCE 1888, filiale d’une société de capital-risque luxembourgeoise, réalise des investissements dans des X de long-métrage.

Le litige concerne la production du film Babysitting, réalisé par A Y et B C, sorti sur les écrans en avril 2014.

Le 24 juillet 2013, les sociétés CINEFRANCE 1888, AXEL X et MADAME X ont conclu un mémorandum concernant les conditions de leur collaboration et l’apport que la société CINEFRANCE 1888 pourrait effectuer en coproduction du film Babysitting.

Le 14 novembre 2013, un contrat de coproduction a été formalisé, venant remplacer le mémorandum, entre les sociétés AXELS X et MADAME X, ensemble désignées comme producteur délégué, d’une part, et la société CINEFRANCE 1888, d’autre part, pour le film Babysitting.

L’article 1 stipulait que l’objet de ce contrat était pour les parties notamment de ‘se répartir les recettes nettes (…) issues de l’exploitation et de la distribution du film et de ses droits dérivés’.

L’article 3.2 précisait que les sociétés AXELS X et MADAME X faisaient apport à la coproduction de leurs droits sur le film et qu’en conséquence, les parties étaient copropriétaires indivis de l’ensemble des droits sur le film dans les conditions définies par le contrat.

L’article 9 stipulait qu’en contrepartie de son apport de 605 000 € HT (550 000 € HT après facturation de divers coûts d’intervention, d’analyse et de suivi), la société CINEFRANCE 1888 devait percevoir une quote-part des produits de l’exploitation du film à raison, entre autres, d’un pourcentage variant de 20 % pour les recettes d’exploitation cinématographique en salles en France à

40% pour l’exploitation télévisuelle en France jusqu’à récupération de 632 500 €, puis de 20 % ensuite.

L’article 17 stipulait une option d’achat en faveur des sociétés AXEL X et MADAME X concernant la quote-part de droits et produits détenus par la société CINEFRANCE 1888 sur le film Babysitting et l’article 17.2 en précisait les modalités.

Le contrat de coproduction donnait lieu à un avenant en date du 19 mars 2014, modifiant la quote-part que la société CINEFRANCE 1888 devait percevoir, relative aux produits de l’exploitation du film.

Par courrier en date du 7 novembre 2017, les sociétés AXEL X et MADAME X levaient l’option d’achat stipulée à l’article 17 du contrat de coproduction. Elles estimaient que le prix s’élevait à 11 668,93 euros HT, conformément à la méthode de calcul prévue au contrat.

La société CINEFRANCE 1888 répondait par courrier en date du 22 novembre 2017 ne pouvoir accepter ces conditions de levée de l’option contraires, selon elle, aux stipulations du contrat.

C’est dans ces conditions que par acte du 27 décembre 2017, la société AXEL X et la société MADAME X ont assigné la société CINEFRANCE 1888 devant le tribunal de commerce de Paris aux fins notamment de voir le tribunal dire qu’en levant l’option d’achat prévue au contrat, elles étaient devenues titulaires des droits de coproduction de CINEFRANCE 1888, sous la seule réserve du paiement de la somme prévue audit contrat.

Par jugement rendu le 6 mars 2019, le tribunal de commerce de Paris a notamment :

— dit que la société SOFINERGIE CAPAC, venant aux droits des sociétés AXEL X et MADAME X, ‘sont devenues titulaires’ des droits de coproduction de CINEFRANCE 1888, à la date du 7 novembre 2017, sous la seule réserve du paiement de la somme de 12 835,82 euros TTC (11 668,93 euros HT) et l’autorise à procéder à l’inscription au registre public du cinéma et de l’audiovisuel de cette décision conformément aux dispositions de l’article L.123-1-7 du code du cinéma et de l’image’;

— débouté la société SOFINERGIE CAPAC, venant aux droits des sociétés AXEL X et MADAME X, de sa demande de publication’;

— débouté la société CINEFRANCE 1888 de ses demandes autres, plus amples ou contraires’;

— débouté la société SOFINERGIE CAPAC, venant aux droits des sociétés AXEL X et MADAME X, de ses demandes autres, plus amples ou contraires’;

— condamné la société CINEFRANCE 1888 aux dépens et au paiement à la société SOFINERGIE CAPAC, venant aux droits des sociétés AXEL X et MADAME X, de la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Le 30 avril 2019, la société CINEFRANCE 1888 a interjeté appel de ce jugement.

Par ordonnance du 4 février 2020, le conseiller de la mise en état a rejeté les demandes formées

par voie d’incident par la société CINEFRANCE 1888, tendant notamment à la désignation d’un expert aux fins de déterminer la valeur de droits litigieux détenus par elle sur le film Babysitting, et réservé les dépens.

Dans ses dernières conclusions numérotées 2 transmises le 8 janvier 2021, la société CINEFRANCE 1888 demande à la cour :

— d’infirmer le jugement en toutes ses dispositions

— et, statuant à nouveau :

— à titre principal :

— de juger que l’article 17 du contrat de coproduction, conclu entre la société AXEL X et la société MADAME X, aux droits desquelles vient la société SOFINERGIE CAPAC, d’une part, et la société CINEFRANCE 1888, d’autre part, est réputé non écrit en ce qu’il organise une option d’achat sans que la méthode de calcul stipulée ne permette d’établir un prix de vente déterminé ou déterminable,

— en conséquence,

— de juger qu’aucune vente n’est intervenue en l’espèce, la lettre en date du 7 novembre 2017 étant nulle et de nul effet, et que la société CINEFRANCE 1888 reste titulaire de l’ensemble des droits de coproduction sur le film « Babysitting »,

— à titre subsidiaire :

— de prononcer la nullité de la vente dont la société SOFINERGIE CAPAC, succédant aux droits de AXEL X et MADAME X, se prévaut, à savoir la vente des droits détenus par la société CINEFRANCE 1888 sur le film « Babysitting » au profit de la société SOFINERGIE CAPAC, à la suite de la levée d’option opérée par LRAR du 7 novembre 2017, pour un prix de 12 835,82 euros TTC (11 668,93 euros HT), au regard du caractère vil du prix de cette vente,

— en conséquence, de juger qu’aucune vente n’est intervenue en l’espèce, la lettre en date du 7 novembre 2017 étant nulle et de nul effet, et que la société CINEFRANCE 1888 reste titulaire de l’ensemble des droits de coproduction sur le film « Babysitting »,

— en tout état de cause :

— de condamner la société SOFINERGIE CAPAC à verser à la société CINEFRANCE 1888 la somme de 149 697,90 € au titre de la facture émise le 23 novembre 2015,

— de débouter la société SOFINERGIE CAPAC de toutes ses demandes à l’encontre de la société CINEFRANCE 1888 ;

— de condamner la société SOFINERGIE CAPAC au paiement d’une somme de 15 000 euros au profit de la société CINEFRANCE 1888 au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

— de condamner la société SOFINERGIE CAPAC au paiement des entiers dépens, dont distraction au profit de Me TAFFONNEAU.

Dans ses dernières conclusions numérotées 2 transmises le 9 février 2021, la société SOFINERGIE CAPAC demande à la cour :

— de confirmer que le montant de l’option d’achat par AXEL X et MADAME X s’arrête à la somme de 1 375 000 € HT,

— de confirmer que la vente est devenue parfaite, les sociétés AXEL X et MADAME X en levant l’option par leur lettre recommandée AR du 7 novembre 2017 sont devenues titulaires des droits de coproduction de la société CINEFRANCE 1888, en versant la somme de 12 835,82 € TTC (11 668,93 € HT) au titre de l’option prévue par l’article 17.2 du contrat de coproduction,

— de confirmer la condamnation de la société CINEFRANCE 1888 à payer la société SOFINERGIE CAPAC venant aux droits des sociétés AXEL X et MADAME X au paiement de la somme de 5 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— statuant à nouveau,

— de condamner la société CINEFRANCE 1888 à payer la société SOFINERGIE CAPAC venant aux droits des sociétés AXEL X et MADAME X au paiement de la somme de 10 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la présente procédure d’appel,

— d’infirmer le jugement du chef suivant et, statuant à nouveau :

— de condamner la société CINEFRANCE 1888 à verser à la société SOFINERGIE CAPAC la somme de 10 000 euros au titre de sa résistance abusive,

— à titre subsidiaire, si la cour devait retenir la nullité du contrat de coproduction :

— de juger que la société CINEFRANCE 1888 devra restituer la totalité des recettes versées par la demanderesse au titre de l’exploitation du film « Babysitting »,

— de juger que l’intimée devra restituer le montant de l’apport en coproduction de la société CINEFRANCE, que cette restitution pourra intervenir au gré de l’intimée, par compensation, que les opérations de compensations auront lieu au plus tard dans les 15 jours de la signification de la décision à intervenir, sous réserve d’une astreinte de 1 000 euros par jour de retard,

— de condamner la société CINEFRANCE 1888 à verser à la société SOFINERGIE CAPAC la somme de 10 000 euros au titre de sa résistance abusive,

— de débouter la société CINEFRANCE 1888 de toutes ses demandes,

— de condamner la société CINEFRANCE 1888 au paiement d’une somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 9 février 2021.

MOTIFS DE L’ARRET

En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu’elles ont transmises, telles que susvisées.

Sur les demandes de la société SOFINERGIE CAPAC relatives au contrat de coproduction

La société CINEFRANCE 1888 soutient que l’article 17 du contrat, qui est clair et ne nécessite aucune interprétation, et qui ne prévoit aucun plafond pour les recettes qu’elle est susceptible de percevoir, doit être réputé non écrit en ce qu’il permet de conclure une vente pour un prix indéterminable, en violation de l’article 1591 du code civil, et qu’il organise une option d’achat avec une méthode de calcul permettant de conclure une vente pour un prix vil.

Elle fait valoir sur le premier point que l’article 10.4 du contrat, tel que modifié par l’avenant du 19 mars 2014, prévoit que le prix de l’option d’achat repose sur un élément nécessitant un accord ultérieur des parties, à savoir les recettes perçues par la société CINEFRANCE 1888, dont le montant doit être établi par la société SOFINERGIE CAPAC et qu’elle conteste. Elle argue sur le second point que plus les recettes perçues par CINEFRANCE 1888 s’approchent du montant du palier,

moins le prix de l’option d’achat est élevé, le prix devenant même négatif au-delà de 1 375 000 € de recettes perçues. Selon l’appelante, l’option d’achat stipulée à l’article 17 du contrat litigieux est séparable du reste du contrat, constituant même un contrat distinct et indépendant portant sur la promesse unilatérale de vente des droits de la société CINEFRANCE 1888 sur le film aux sociétés AXEL X et MADAME X, et la clause ne saurait être considérée comme essentielle pour les parties puisque l’objet principal du contrat consiste en la levée de financements pour produire le film, de sorte que doit être rejetée la demande subsidiaire de l’intimée tendant à la nullité de l’intégralité du contrat pour le cas où la clause serait déclarée nulle. A titre subsidiaire, la société appelante poursuit l’annulation de la vente, le prix invoqué de 11 668, 93 € HT, alors que le film a rencontré un grand succès (classé film le plus rentable de l’année 2014), étant dérisoire, vil et par conséquent inexistant.

La société SOFINERGIE CAPAC répond que l’équilibre contractuel exclut en l’espèce que le prix puisse être qualifié de vil ou de dérisoire dès lors que le montant de la vente, tel que prévu à l’article 17 du contrat de coproduction, est lié aux recettes préalablement encaissées par la société CINEFRANCE 1888, que le montant de l’option a été fixé au minimum à 115 % de récupération de son investissement par l’appelante qui a rédigé elle-même la clause qu’elle incrimine, que plus le succès du film est grand, plus le montant de l’option à atteindre in fine est élevé et que même en cas d’insuccès du film, le rachat ne peut intervenir que si la société CINEFRANCE 1888 a au moins récupéré 115 % de son investissement. Elle argue en outre que l’aléa instauré par les parties pour critère de détermination du prix, interdit que celui-ci puisse être qualifié de vil, les parties étant convenues d’une option d’acquisition, par les producteurs délégués, de la part de la société CINEFRANCE 1888, avant la sortie du film, au stade de sa production, avant même de connaître le succès ou l’insuccès du film. Elle avance que la cohérence du contrat est entière puisqu’en arrêtant le montant de l’achat à un montant de 1 375 000 euros, CINEFRANCE 1888 fixait un plafond au-delà duquel elle n’entendait plus prétendre à un droit sur les recettes du film, pour autant que l’option d’achat soit exercée dans le délai imparti, d’autant que son objectif de rentabilité de 20 % ou de 15 % à l’issue de 7 années a été largement dépassé, puisqu’il est de 150 %. Elle ajoute que dans le doute, la convention doit s’interpréter contre celui qui a stipulé et en faveur de celui qui a contracté l’obligation, le contrat de coproduction étant un contrat d’adhésion dans lequel il existait un déséquilibre certain qui a été imposé à AXEL X et MADAME X qui s’étaient engagées à verser à la société CINEFRANCE 1888, une quote-part de 20 % recettes, de sorte qu’elles lui devaient 170 000 euros avant qu’elles aient perçu la moindre recette, ce qui justifie qu’elles bénéficiaient en contrepartie de recouvrer la totalité des droits et recettes du film en exerçant l’option qui leur a été consentie par l’appelante. Elle ajoute que le prix de l’option d’achat est déterminable puisque contrairement à ce qui est soutenu par l’appelante, les comptes d’exploitation du film ne sont pas soumis à un accord final entre les parties, mais constituent des données objectives liées aux recettes encaissées. Subsidiairement, si la cour devait annuler la clause 17 pour vil prix, elle sollicite l’annulation de l’intégralité du contrat de coproduction, ladite clause ayant déterminé le consentement des sociétés AXEL X et MADAME X.

Sur la demande principale relative à l’option d’achat

Il doit être rappelé qu’aux termes de l’article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable aux faits de l’espèce, ‘Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi’.

En l’espèce, l’article 17 du contrat de coproduction indique :

‘17.1. CineFrance 1888 s’oblige à l’égard du Producteur Délégué, dans les conditions ci-après, à lui céder sa quote-part de droits et de Produits au titre du Contrat et le Producteur Délégué disposera d’une faculté de rachat de ces droits dans les conditions suivantes (‘l’option d’achat’).

17.2. L’Option d’Achat de droits en faveur du Producteur Délégué s’exercera exclusivement du 1er novembre 2017 au 31 mars 2018 dans les conditions suivantes :

‘ si Cinéfrance 1888 a perçu un montant inférieur ou égal à 115% de son investissement initial de 550.000 euros soit 632.500 euros, le prix est égal à la différence entre les montants effectivement perçus par Cinéfrance 1888 et 1,15 X l’investissement initial de 550.000 euros soit 632.500 euros.

‘ si Cinéfrance 1888 a perçu un montant compris entre 115% de son investissement initial de 550.000 euros soit 632.500 euros et 200% de son investissement initial de 550.000 euros soit 1.650.000 [lire : 1.100.000] euros, le prix est égal à la différence entre les montants effectivement perçus par Cinéfrance 1888 et 2 X l’investissement initial de 550.000 euros soit 1.100.000 euros.

‘ si Cinéfrance 1888 a perçu un montant au moins égal à 200% de l’investissement initial de 550.000 euros soit 1.100.000 euros, le prix est égal à la différence entre les montants effectivement perçus par Cinéfrance 1888 et 2,5 X l’investissement initial de 550.000 euros soit 1.375.000 euros.

17.3. Dans l’hypothèse où le Producteur Délégué exercerait l’option d’achat aux conditions prévues ci-avant, les parties concluront dans les 8 jours suivant l’exercice de cette option, un contrat d’achat en bonne et due forme (…)’.

Sur la demande tendant à ce que l’article 17 du contrat de coproduction soit déclaré réputé non écrit en raison du caractère indéterminé et indéterminable du prix

Il ressort des stipulations de l’article 17 du contrat que le prix de l’option d’achat dont bénéficie le producteur délégué dépend du montant des recettes perçues par la société CINEFRANCE 1888. Les modalités de calcul des recettes devant revenir à la société CINEFRANCE 1888 sont définies précisément à l’article 9 du contrat de coproduction et le montant de ces recettes, qui est fonction des recettes du film effectivement encaissées par le distributeur du film (UNIVERSAL), relève de données comptables objectives issues des comptes d’exploitation du film, et non d’un accord final entre les parties comme le soutient la société appelante. Ainsi, l’article 10.4 du contrat, tel que modifié par l’avenant du 19 mars 2014, ne prévoit pas que le prix de l’option d’achat repose sur un élément nécessitant un accord ultérieur des parties, comme il est soutenu, indiquant seulement que ‘La tenue de la comptabilité d’exploitation du film (vérification des comptes adressés par les tiers chargés de l’exploitation, encaissements des recettes et répartition entre les différents coproducteurs et ayants droit, auteurs, acteurs, C.N.C.) sera assurée par le Producteur Délégué qui s’engage à agir toujours au mieux de l’intérêt commun des Parties.

Le Producteur Délégué adressera à Cinéfrance 1888 les comptes d’exploitations (…) et s’engage à adresser ces comptes d’exploitation en parallèle et au même rythme qu’UNIVERSAL. Le Producteur Délégué s’engage aussi à ce qu’une copie des comptes d’exploitation lui étant destinés soit envoyée par UNIVERSAL à Cinéfrance 1888 ou par le Producteur délégué en cas de refus d’UNIVERSAL. Il est précisé que les règlements de la part de recettes revenant à Cinéfrance 1888 (telle que précisée à l’article 9 ci-avant) seront effectués directement par le Producteur Délégué’. Il ne peut être tiré utilement argument de la contestation de l’exactitude des redditions de comptes formulée par le conseil de la société CINEFRANCE 1888 dans son courrier du 22 novembre 2017 en réponse à la lettre par laquelle les sociétés AXEL X et MADAME X annonçaient leur intention de lever l’option d’achat, et donc dans un contexte pré-contentieux, pour soutenir que les comptes relevaient d’un accord entre les parties.

Il est constant que la société CINEFRANCE 1888 a perçu au titre de sa part dans les recettes du film un montant de 1 363 331,07 € qui lui a été versé par le distributeur. Selon ce que prévoit l’article 17 du contrat, qui est suffisamment clair comme le souligne l’appelante elle-même, le prix de l’option d’achat s’établit, en application de l’article 17 du contrat, à 11 663,93 € HT. Ce prix est donc déterminable et déterminé, ainsi que l’a retenu le tribunal de commerce.

La société CINEFRANCE 1888 sera donc déboutée de sa demande tendant à ce que la clause 17 du contrat de coproduction soit déclarée non écrite. Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

Sur la demande subsidiaire tendant à ce que la vente soit déclarée nulle en raison de la vileté du prix

Pour soutenir que le prix de l’option tel que fixé à l’article 17 du contrat est vil, la société CINEFRANCE 1888 se prévaut du rapport qu’elle a fait établir par M. D Z, expert près cette cour dans les domaines du cinéma et de la télévision, selon lequel sa quote-part sur les droits du film peut être évaluée à une somme de 190 000 € HT ou 162 000 € HT après actualisation, et considère que la vileté du prix de l’option d’achat doit être appréciée au regard de ces chiffres. Elle fait valoir que selon la méthode de calcul prévue à l’article 17.2 du contrat de coproduction, dans chaque palier, plus elle perçoit de recettes moins le prix est élevé (alors que la valeur de ses droits augmente), que le prix est cyclique et devient cycliquement vil lorsque les recettes perçues par elle s’approchent des paliers définis, jusqu’à devenir négatif au-delà de 1 375 000 euros de recettes perçues. Elle souligne qu’eu égard au succès du film, classé le plus rentable de l’année 2014, le prix de l’option d’achat est dérisoire et que les droits possédés par une société GOOD LAP représentant 10 % des droits du film ont été cédés pour la somme de 450 000 €. Elle affirme que la société SOFINERGIE CAPAC procède à une confusion entre les revenus du film et le prix de l’option, l’article 17 définissant le prix de l’option ne renvoyant nullement à l’article 9 qui fixe les conditions de calcul de sa quote-part, et fait valoir que le contrat conclu avec les sociétés AXEL X et MADAME X n’est pas un contrat aléatoire, les parties ayant entendu prendre en compte les revenus réels générés par le film.

La société CINEFRANCE 1888 se prévaut implicitement d’une lésion qu’elle aurait subie du fait d’une inadéquation entre le succès du film – l’intimée indique, sans être contredite, qu’il a réalisé 2 350 000 entrées en France – et le montant de l’option d’achat dont se prévaut la société SOFINERGIE CAPAC.

La société SOFINERGIE CAPAC objecte cependant à juste raison que l’équilibre du contrat réside dans le fait que, quel que soit le montant des recettes effectivement perçues par la société CINEFRANCE 1888 (même si les recettes perçues par elle sont égales à zéro), cette dernière doit récupérer, en recettes et prix de l’option d’achat confondus, au moins 115 % de son investissement initial de 550 000 €, soit 632 500 €. En l’occurrence, pour un investissement initial de 550 000 €, la société CINEFRANCE 1888 a perçu 1 363 331,07 € (recettes du film) et 11 663,93 € (prix de l’option), soit globalement 1 374 995 €.

S’il est vrai qu’au-delà de 1 375 000 € de recettes perçues par la société CINEFRANCE 1888, le prix de l’option devient négatif, ce prix doit s’apprécier au regard de l’équilibre contractuel voulu par les parties et du caractère aléatoire de la clause litigieuse. En effet, le prix de l’option d’achat dépendant du montant des recettes perçues, lequel dépend du succès du film qui n’était pas connu au moment de la conclusion du contrat, la clause présente un caractère aléatoire au sens de l’ancien article 1104 alinéa 2 du code civil, dans sa version applicable à l’espèce, qui prévoyait que le contrat est aléatoire ‘lorsque l’équivalent consiste dans la chance de gain ou de perte pour chacune des parties, d’après un événement incertain’. L’aléa était connu et accepté par les parties qui ont arrêté le principe d’un prix variable en fonction des recettes avant que le film soit sorti et connaisse le succès, l’intimée soulignant, sans être contredite, qu’il était impossible au moment de la signature du contrat de coproduction d’augurer du succès du film, qui constituait le premier film de M. Y, l’un des co-réalisateurs, et dont les principaux comédiens ne disposaient d’aucune notoriété. Le tribunal a pertinemment retenu à cet égard que les modalités de détermination du prix de l’option d’achat, en fonction du montant des recettes générées par le film, ont été fixées avant que soit connu le succès de ce film et qu’elles reflétaient en conséquence le niveau de risque accepté par chacune des parties. Le rapport de M. Z, qui a été établi une fois le succès du film avéré, sur la base de données connues, est par conséquent inopérant.

L’invocation par la société CINEFRANCE 1888 du rachat des droits de la société GOOD LAP PRODUCTION, autre co-producteur du film selon contrat conclu le 17 juin 2013 avec les sociétés AXEL X et MADAME X, et détenteur de 10 % des parts, pour la somme de 450 000 € est également vaine dans la mesure où le contrat de rachat précise que cette société ‘renonce expressément à percevoir quelque recette que ce soit au titre de sa quote-part provenant du contrat de coproduction, et ce depuis l’origine…’ et que le contrat de coproduction la concernant ne contient pas de clause d’option d’achat de ses droits par le producteur délégué, au contraire de celui auquel la société CINEFRANCE 1888 est partie, de sorte que les situations de ces sociétés sont très différentes.

Il sera ajouté que la société CINEFRANCE 1888, qui est une société de production de X cinématographiques, liée à la banque NEUFLIZE OBC, laquelle revendique participer ‘au financement de près de 70 % de la production française audiovisuelle et cinématographique’ (pièce 1 de la société intimée), ne conteste pas avoir participé activement à la rédaction du contrat de coproduction, après avoir de surcroît personnellement rédigé la lettre d’engagement (mémorandum) du 24 juillet 2013 dont l’article 5 se retrouve exactement repris dans la clause 17 du contrat de coproduction.

Pour l’ensemble de ces raisons, le prix de l’option d’achat ne peut être considéré comme vil.

Dans ces conditions, la société CINEFRANCE 1888 doit être déboutée de sa demande subsidiaire tendant à ce que la vente de ses droits soit déclarée nulle. Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a rejeté cette demande et dit que les sociétés AXEL X et MADAME X, aux droits desquelles vient aujourd’hui la société SOFINERGIE CAPAC, sont devenues titulaires des droits de coproduction de la société CINEFRANCE 1888, à la date du 7 novembre 2017, sous la seule réserve du paiement de la somme de 12 835,82 euros TTC (11 668,93 euros HT), et autorisé la société SOFINERGIE CAPAC à procéder à l’inscription au registre public du cinéma et de l’audiovisuel de cette décision conformément aux dispositions de l’article L.123-1-7 du code du cinéma et de l’image.

Sur la demande en paiement de la société CINEFRANCE 1888 de la facture du 23 novembre 2015

La société CINEFRANCE 1888 réclame le paiement d’une facture de 149 697, 90 € TTC (136 089 € HT). Elle fournit une facture en date du 23 novembre 2015 adressée aux sociétés AXEL X et MADAME X, portant la mention ‘Recettes non facturées relative aux décomptes du 31/08/14, 31/12/14, 30/06/15 et 23/09/15″, et un décompte n° 4 à la date du 23 novembre 2015 faisant apparaître la somme réclamée.

La société SOFINERGIE CAPAC oppose que la société AXEL X a réglé les factures correspondant aux comptes arrêtés aux dates précitées et fait part à la société CINEFRANCE 1888, par un mail du 26 novembre 2015 (sa pièce 27), de ce que la facture de 149 697, 90 € TTC contrevenait à l’accord de coproduction. Elle affirme, sans être contredite, que la société CINEFRANCE 1888 n’a jamais répondu à ce courriel et n’a pas jugé utile d’élever la moindre protestation pendant quatre années.

Au vu des éléments fournis, la société CINEFRANCE 1888 ne démontre pas le bien fondé de sa demande en paiement.

La société CINEFRANCE 1888 sera en conséquence déboutée de sa demande, sur laquelle le tribunal de commerce ne s’est pas prononcé.

Sur la demande indemnitaire de la société SOFINERGIE CAPAC pour résistance abusive

L’accès au juge étant un droit fondamental et un principe général garantissant le respect du droit, ce

n’est que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles que le fait d’exercer une action en justice est susceptible de constituer un abus.

En l’espèce, s’il est vrai que la société CINEFRANCE 1888 invoque la nullité d’une clause qu’elle a rédigée, la société SOFINERGIE CAPAC n’établit pas l’existence d’un préjudice autre que celui causé par la nécessité de se défendre en justice, qui sera réparé par l’allocation d’une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, son affirmation selon laquelle l’action exercée par la société CINEFRANCE 1888 aurait empêché les animateurs des sociétés AXEL X et MADAME X de se consacrer pleinement à la production de X n’emportant pas la conviction.

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande pour procédure abusive.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

La société CINEFRANCE 1888, partie perdante, sera condamnée aux dépens d’appel, y compris ceux de l’incident, et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu’elle a exposés à l’occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance étant confirmées.

La somme qui doit être mise à la charge de la société CINEFRANCE 1888 au titre des frais non compris dans les dépens exposés par la société SOFINERGIE CAPAC peut être équitablement fixée à 7 000 €, cette somme complétant celle allouée en première instance.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Déboute la société CINEFRANCE 1888 de sa demande en paiement au titre de la facture du 23 novembre 2015,

Condamne la société CINEFRANCE 1888 aux dépens d’appel, en ce compris ceux de l’incident, et au paiement à la société SOFINERGIE CAPAC de la somme de 7 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


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