Action en Contrefaçon d’un Brevet

Action en Contrefaçon d’un Brevet

C’est en vain que la société Sigos invoque la procédure de demande de brevet européen étant observé que si l’OEB, dans le cadre de l’examen préliminaire de cette demande a émis des opinions concluant à l’absence de nouveauté ou au défaut d’activité inventive, le brevet européen EP 2 087 720 a été, en définitive, délivré le 26 juin 2013 et la décision d’annulation du 23 novembre 2016 sur opposition de la société Meucci Solutions, intervenue pour tout autre cause, sur le fondement de l’article 123-2 de la CBE, ne remet nullement en question la nouveauté ou l’activité inventive du brevet. En outre, le fait d’amender des revendications dans le cadre de la procédure de demande de brevet européen ne saurait valoir ‘acquiecement’ aux objections soulevées par l’examinateur ni ‘aveu’ de la nullité de son titre et témoigne, à l’inverse, d’une défense de l’invention par le déposant . Enfin, le principe de l’estoppel, opposé par la société Sigos à raison des positions de la société Araxxe devant l’OEB dans le cadre de l’examen de sa demande de brevet européen, est inopérant dans le présent débat judiciaire en contrefaçon du brevet français FR 2 908 572.

Le moyen de nullité tiré d’une insuffisance de description est mal fondé étant établi qu’un homme du métier disposant de la description du brevet et des connaissances communes en matière de techniques de télécommunications, serait en mesure de reproduire sans difficulté la revendication 8 du brevet.

En matière de saisie contrefaçon, le respect de la contradiction requiert que la copie de la requête et de l’ordonnance soit remise à la personne à laquelle elle est opposée préalablement à l’exécution des mesures d’instruction qu’elle ordonne (respecté en l’espèce)

_____________________________________________

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 2

ARRÊT DU 28 MAI 2021

(n°81, 18 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : n° RG 19/06212 – n° Portalis 35L7-V-B7D-B7SF4

Décision déférée à la Cour : jugement du 1er février 2019 – Tribunal de grande instance de PARIS – 3e chambre 3e section – RG n°15/15784

APPELANTE AU PRINCIPAL et INTIMEE INCIDENTE

Société SIGOS, société de droit belge, venant aux droits de la société MEUCCI SOLUTIONS agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social situé

Bellevue 5

9050 GAND-LEDEBERG

BELGIQUE

Représentée par Me François TEYTAUD de l’AARPI TEYTAUD – SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque J 125

Assistée de Me Marina COUSTE plaidant pour SIMMONS & SIMMONS LLP, avocate au barreau de PARIS, toque J 031, Me François JONQUERES plaidant pour SIMMONS & SIMMONS LLP, avocat au barreau de PARIS, toque J 031

INTIMEE AU PRINCIPAL et APPELANTE INCIDENTE

S.A.S. ARAXXE, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social situé

227, cours Lafayette

[…]

Immatriculée au rcs de Lyon sous le numéro 481 163 657

Représentée par Me Patricia HARDOUIN de la SELARL 2H AVOCATS, avocate au barreau de PARIS, toque L 0056

Assistée de Me Yoram LEKER, avocat au barreau de PARIS, toque R 31, Me Arlette ADONER, avocate au barreau de PARIS, toque D 1071

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 11 mars 2021, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Y Z, Présidente, chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport

Mme Y Z a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Y Z, Présidente

Mme Laurence LEHMANN, Conseillère

Mme Agnès MARCADE, Conseillère

Greffière lors des débats : Mme Carole TREJAUT

ARRET :

Contradictoire

Par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile

Signé par Mme Y Z, Présidente, et par Mme Carole TREJAUT, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

Vu le jugement contradictoire rendu le 1er février 2019 par le tribunal de grande instance de Paris qui a :

— dit que la revendication 8 du brevet FR 2 908 572 appartenant à la société Araxxe, est indépendante,

— rejeté la demande formée par la société Meucci Solutions aux droits de laquelle vient la société Sigos, en nullité du brevet FR 2 908 572,

— rejeté la demande en nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 24 novembre 2009,

— dit n’y avoir lieu à écarter des débats le procès-verbal de constat du 17 décembre 2009 et les captures d’écran du site internet de la société Meucci Solutions,

— dit que la société Meucci Solutions aux droits de laquelle vient la société Sigos a commis sur le territoire français des actes de contrefaçon du brevet FR 2 908 572, appartenant à la société Araxxe, en reproduisant et en exploitant le procédé décrit au brevet,

— fait interdiction à la société Sigos de poursuivre sur le territoire français l’exploitation de robots ou de sondes pour la détection d’opérations de dérivations de trafic, sous astreinte de 5.000 euros par infraction constatée, passé le délai d’un mois suivant la signification de la présente décision,

— fait interdiction à la société Sigos de faire sur le territoire français toute publicité pour promouvoir son service d’exploitation de robots ou de sondes pour la détection d’opérations de dérivation du trafic, sous astreinte de 5.000 euros par infraction constatée, passé le délai d’un mois suivant la signification de la présente décision,

— dit que le tribunal se réserve la liquidation des astreintes,

— condamné la société Sigos à payer à la société Araxxe la somme de 378.000 euros en réparation des actes de contrefaçon commis en France,

— dit n’y avoir lieu à la demande de la société Araxxe au titre du droit d’information,

— rejeté la demande reconventionnelle de la société Sigos pour procédure abusive, tant au titre du préjudice moral que du préjudice économique,

— rejeté la demandereconventionnelle de la société Sigos en restitution des clichés photographiques réalisés par l’huissier, à l’occasion du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 24 novembre 2009,

— dit n’y avoir lieu à publication du jugement,

— condamné la société Sigos aux dépens,

— condamné la société Sigos à payer à la société Araxxe la somme de 50.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

— ordonné l’exécution provisoire,

— autorisé le recouvrement des dépens conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Vu l’appel de ce jugement interjeté par la société Sigos (de droit belge) venant aux droits de la société Meucci Solutions (de droit belge) suivant déclaration d’appel remise au greffe de la cour le 21 mars 2019.

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 9 octobre 2020 par la société Sigos, appelante et intimée incidente, qui demande à la cour, au fondement des articles L.611-10 à L.611-14, L.613-25, L.614-5, L.615-1 et suivants, R.615-2-1 du code de la propriété intellectuelle, 1240 du code civil, 31,495,689 et suivants, 700 du code de procédure civile, de :

Infirmer le jugement rendu le 1er février 2019 en ce qu’il a :

— dit que la revendication n°8 du brevet français n°2 908 572 était indépendante de la revendication 1 à laquelle elle renvoie,

— débouté la société Sigos de sa demande en nullité de la revendication n°8 du brevet français n°2 908 572,

— débouté la société Sigos de sa demande en nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 24 novembre 2009,

— débouté la société Sigos de sa demande visant à voir écarter le procès-verbal de constat du 17 décembre 2009 et les captures d’écran du site internet de Meucci Solutions,

— dit que la société Meucci Solutions aux droits de laquelle vient la société Sigos a commis sur le territoire français des actes de contrefaçon du brevet français n°2 908 572, appartenant à la société Araxxe, en reproduisant et en exploitant le procédé décrit au brevet,

— fait interdiction à la société Sigos de poursuivre sur le territoire français l’exploitation de robots ou de sondes pour la détection d’opération de dérivation de trafic, sous astreinte de 5.000 euros par infraction constatée, passé le délai d’un mois suivant la signification du jugement,

— fait interdiction à la société Sigos de faire sur le territoire français toute publicité pour promouvoir son service d’exploitation de robots ou de sondes pour la détection d’opérations de dérivation de trafic, sous astreinte de 5.000 euros par infraction constatée, passé le délai d’un mois suivant la signification du jugement,

— dit que le tribunal se réserve la liquidation des astreintes,

— condamné la société Sigos à payer à la société Araxxe la somme de 378.000 euros en réparation des actes de contrefaçon commis en France,

— débouté la société Sigos de sa demande reconventionnelle pour procédure abusive, tant au titre du préjudice moral que du préjudice économique,

— condamné la société Sigos aux dépens,

— condamné la société Sigos à payer à la société Araxxe la somme de 50.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Statuant à nouveau :

— rejeter l’ensemble des conclusions, fins et prétentions de la société Araxxe,

— prononcer la nullité de la revendication n°8 du brevet français n°2 908 572 dont la société Araxxe est titulaire,

— dire que l’arrêt à intervenir sera transmis, une fois celui-ci devenu définitif, à l’initiative de la partie la plus diligente, à l’Institut national de la propriété industrielle aux fins d’inscription au registre national des brevets,

— prononcer la nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon en date du 24 novembre 2009,

— prononcer en conséquence l’annulation des opérations,

— interdire en conséquence à la société Araxxe, dès le jour de la signification de l’arrêt à intervenir, d’utiliser dans toute procédure française ou étrangère les éléments obtenus lors des opérations de saisie-contrefaçon, de même que le procès-verbal ou toute copie qui a pu en être faite, et ce sous astreinte de 5.000 euros par infraction constatée,

— dire et juger que le procès-verbal de constat en date du 17 décembre 2009 et les captures d’écran produites en pièce adverse n°8 par la société Araxxe ont un défaut manifeste de force probante,

— dire et juger que la société Araxxe ne rapporte pas la preuve de la contrefaçon en France par la société Sigos du brevet FR 2 908 572,

— dire et juger que la société Sigos, venant aux droits de la société Meucci Solutions, met en ‘uvre un procédé distinct de celui couvert par les revendications n°1 et n°8 du brevet FR 2 908 572,

— dire et juger que la société Araxxe a fait preuve d’une attitude blâmable, en introduisant une action dénuée de tout sérieux et de tout fondement envers Sigos, venant aux droits de la société Meucci Solutions, caractérisant de ce fait une faute réelle dans l’exercice du droit d’agir, et non une simple légèreté,

— condamner en conséquence la société Araxxe à verser à la société Sigos la somme de 1.000.000 euros en réparation du préjudice moral subi,

— condamner en conséquence la société Araxxe à verser à la société Sigos la somme de 3.240.000 euros en réparation du préjudice économique subi,

En tout état de cause :

— rejeter la demande de condamnation pour appel abusif formée par la société Araxxe à titre d’appel incident,

— condamner la société Araxxe au remboursement de la somme de 428.000 euros (correspondant aux 378.000 euros versés au titre des dommages et intérêts et aux 50.000 versés en application de l’article 700 du code de procédure civile), augmentée des intérêts au taux légal calculés à partir du 15 mai 2019,

— condamner la société Araxxe à verser à la société Sigos la somme de 500.000 euros, sauf à parfaire, au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamner la société Araxxe aux entiers dépens dont recouvrement conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 10 décembre 2020 par la société Araxxe (SAS), intimée et appelante incidente, qui demande à la cour de :

Confirmer pour l’essentiel le jugement du 1er février 2019 et y ajoutant :

— la déclarer recevable et bien fondée en ses demandes,

— dire et juger que les revendications du brevet français publié sous le n° 2 908 572 de la société Araxxe, notamment la revendication 8, satisfont aux conditions édictées par les articles L. 611-10 et suivants du code de la propriété intellectuelle,

— dire et juger que les actes de reproduction et d’exploitation des procédés décrits au procès-verbal de saisie et sur le site de la société Meucci Solutions commis par la société Meucci Solutions aux droits de laquelle se trouve la société Sigos constituent une contrefaçon du brevet de la société Araxxe au sens de l’article L. 615-1 du code de la propriété intellectuelle,

En conséquence :

— ordonner l’arrêt immédiat du service d’exploitation de robots ou sondes par la société Sigos venant aux droits de la société Meucci Solutions pour la détection d’opérations de dérivation de trafic, et ce, sous astreinte définitive et non comminatoire de 15. 00 euros par infraction constatée à compter de la signification de la décision,

— ordonner l’arrêt immédiat de toute publicité visant à promouvoir le service d’exploitation de robots par la société Sigos pour la détection d’opérations de dérivation du trafic, et ce, sous astreinte définitive et non comminatoire de 15.000 euros par infraction constatée à compter de la signification de la décision,

— condamner la société Sigos à payer à la société Araxxe la somme de 745. 500 euros à titre de dommages-intérêts,

— dire et juger que le président de la cour restera compétent pour la liquidation éventuelle des astreintes qu’il aura ordonnées,

— ordonner aux frais de la société Sigos à titre de complément de dommages-intérêts, l’insertion par

extraits ou en entier de l’arrêt à intervenir dans trois journaux ou revues au choix de la concluante, sans que le coût de chaque insertion n’excède la somme de 3.000 euros,

À titre subsidiaire :

Si la cour ne s’estimait pas suffisamment éclairée sur la réalité de la contrefaçon,

— enjoindre à la société Sigos d’apporter elle-même a preuve qu’elle ne reproduisait pas à la date de l’assignation le procédé couvert par la revendication du Brevet français en application de l’article L.615-5-1,

Sur les demandes de la société Sigos,

Vu les articles 564 et 565 du code de procédure civile,

— dire et juger la demande de la société Sigos de se voir reconnaître un droit d’usage antérieur sur le brevet de la concluante irrecevable comme nouvelle, subsidiairement en vertu du principe de concentration des moyens. À titre infiniment subsidiaire, la dire infondée,

— débouter la société Sigos de l’ensemble de ses demandes reconventionnelles, fins et conclusions,

En tout état de cause :

— condamner la société Sigos à payer à la société Araxxe la somme de 100.000 euros à titre de dommages-intérêts en raison du caractère manifestement abusif de l’appel interjeté, en ce qu’il porte sur une demande reconventionnelle manifestement infondée,

— condamner la société Sigos à payer à la société Araxxe la somme de 100. 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens à être recouvrés selon les modalités fixées par l’article 699 du code de procédure civile.

Vu l’ordonnance de clôture du 14 janvier 2021.

SUR CE, LA COUR :

Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.

Il suffit de rappeler que la société Araxxe (SAS), ayant son siège à Neuilly sur Seine, propose aux opérateurs de télécommunication des solutions d’assurance de revenus, de vérification des facturations et de détection des fraudes à l’interconnexion.

Elle est titulaire d’un brevet français déposé le 9 novembre 2006 et délivré le 13 mars 2009 sous le n°2 908 572 ( le brevet FR 2 908 572) ayant pour titre: Procédé et système pour générer des opérations de communication planifiées sur des réseaux et systèmes d’information, et mise en oeuvre de ce procédé dans un processus de vérification de facturation. Les annuités du brevet sont régulièrement acquittées.

Ayant découvert l’exploitation en France par la société Meucci Solutions d’un procédé reproduisant, selon elle, la revendication 8 de son brevet, la société Araxxe l’a mise en demeure, vainement, par lettre recommandée avec accusé de réception du 29 juin 2009, de cesser cette exploitation.

Dûment autorisée par ordonnance présidentielle du 5 novembre 2009, la société Araxxe a fait diligenter des opérations de saisie-contrefaçon dans les locaux Data Center à Vénissieux, où a été

constatée la présence d’un robot générateur d’appels portant la marque Meucci Solutions et servant à exploiter un service de détection d’opérations de dérivation de trafic de télécommunications.

C’est dans ces circonstances que, suivant acte d’huissier de justice du 22 décembre 2009, la société Araxxe a fait assigner la société Meucci Solutions devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de la revendication 8 du brevet et indemnisation de son préjudice.

Un sursis à statuer a été ordonné le 13 mai 2011, dans l’attente de la procédure devant l’Office européen des brevets (l’OEB) en vue de la délivrance sollicitée par la société Araxxe d’un brevet européen sous priorité de son brevet français. Le brevet européen EP 2 087 720 a été délivré le 26 juin 2013 et l’affaire rétablie au rôle du tribunal courant 2015.

Depuis, par une décision du 23 novembre 2016 l’OEB, sur opposition de la société Meucci Solutions, a annulé le brevet européen EP 2 087 720 pour non-conformité à l’article 123-2 de la CBE (extension au-delà de la demande).

En cours de procédure de première instance la société Sigos est intervenue aux droits de la société Meucci Solutions dont elle a fait l’acquisition en 2014.

Le tribunal, par le jugement dont appel, a fait droit, pour l’essentiel, aux demandes de la société Araxxe en contrefaçon de son brevet français.

Sur les limites de l’appel,

Il est à cet égard rappelé que, selon les dispositions de l’article 954 du code de procédure civile, les parties sont tenues de récapituler leurs prétentions dans le dispositif de leurs conclusions et la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des dernières conclusions déposées. En la cause, la cour observe que la société Sigos, appelante à titre principal, ne demande plus à voir écarter des débats le procès-verbal de constat en date du 17 décembre 2009 et les captures d’écran du site de la société Meucci Solutions, mais qu’il soit retenu, concernant ces pièces versées à la procédure par la partie adverse,

un défaut manifeste de force probante. Pour le surplus, étant rappelé que seule la revendication 8 du brevet est opposée par la société Araxxe au soutien de son action en contrefaçon, la cour relève que la société Sigos qui concluait en première instance ( pages 4 et 7 du jugement) à la nullité des revendications 1 et 8 du brevet en faisant valoir que cette dernière était dépendante de la première, ne demande plus devant la cour que la nullité de la revendication 8 du brevet. Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu pour la cour d’apprécier la validité de la revendication 1, dont la nullité ne lui est pas demandée, ni de trancher la question de savoir si la revendication 8 est dépendante ou indépendante de la revendication 1 force étant de constater que si la société Sigos poursuit ‘ l’infirmation du jugement en ce qu’il a dit que la revendication 8 du brevet français n°2 908 572 était indépendante de la revendication 1 à laquelle elle renvoie’, elle n’en tire aucune conséquence en se bornant à demander à la cour, statuant à nouveau, de ‘prononcer la nullité de la revendication 8 du brevet français n°2 908 572 dont la société Araxxe est titulaire’. La cour ne statuera donc, dans les limites de sa saisine, que sur la nullité, demandée par la société Sigos, de la revendication 8 du brevet, qui est la seule qui soit opposée par la société Araxxe.

Il importe toutefois, préalablement à l’examen de la demande de nullité de la revendication 8, de présenter l’objet du brevet.

Sur l’objet du brevet,

Le brevet FR 2 908 572 porte sur un procédé permettant de générer des opérations de communication planifiées sur des réseaux et sur un système de mise en oeuvre de ce procédé dans un

processus de vérification de facturations d’opérations téléphoniques.

Le breveté rappelle dans la partie descriptive du brevet que, dans le contexte actuel des réseaux de communication mondialisés fixes et mobiles interconnectés sur la surface du globe, les opérateurs de télécommunication sont confrontés à la nécessité de vérifier leur processus de mesure de consommation et de facturation. En effet, des tierces parties peuvent utiliser des failles dans leurs réseaux afin de générer du trafic frauduleux ou d’exploiter des distorsions tarifaires en créant des dérivations de trafic (appelées by pass en anglais). Pour détecter les fraudes et les risques de manque à gagner les opérateurs sont conduits à réaliser des opérations de communication planifiées sur leurs réseaux et à générer du trafic de test. Dans le dernier état de la technique, représenté par le document WO 2004/070555,la planification et la mise en oeuvre de campagnes de vérification s’avèrent complexes et particulièrement coûteuses avec des résultats peu fiables.

Le but de l’invention est de remédier à ces inconvénients grâce à un procédé permettant de générer des opérations de communication planifiées ( appels vocaux, messages SMS ou MMS, services de contenus) plus simple et moins coûteux à mettre en oeuvre que les procédés existants et de vérifier leur bonne facturation.

Cet objectif est atteint, expose le breveté, avec un procédé pour générer des opérations de communication planifiées sur un ou plusieurs réseaux de communication à partir d’un système d’information et vérifier leur bonne facturation, comprenant :

  • une allocation de ressources au sein dudit système d’information pour une campagne d’appels sur une durée prédéterminée,

*

une gestion en temps partagé d’équipements de communication,

  • une exécution d’opérations de communication ou transactions, en réponse à des ordres d’exécution reçus d’un site de planification des appels,
  • une collecte des données de facturation produite par l’opérateur, et

*

une corrélation automatique des données permettant une identification d’anomalie.

Le procédé selon l’invention peut être mis en oeuvre simultanément au profit d’une pluralité d’opérateurs de communication, chacun se voyant allouer un terminal de connexion à partir duquel il va pouvoir d’une part, émettre des ordres d’exécution de campagnes d’appels et, d’autre part, accéder aux rapports de test ou de vérification de facturation, le partage des infrastructures matérielles et logicielles contribuant à une réduction significative des coûts (pages 2 ligne 13 à 3 ligne 5).

L’utilisation pour l’ensemble du système d’information d’un serveur de cartes SIM, qui fournit les données d’identité associées à un appel, est simple et peu coûteuse pour l’opérateur de communication, outre qu’elle présente l’avantage d’améliorer la sécurité puisque les cartes SIM sont stockées dans un site central sécurisé au lieu d’être disséminées partout dans le monde (page 2 lignes 18 à 28 et page 7 lignes 28 à 30).

Ce procédé est appliqué dans le cadre de vérification de facturation (pages 2 lignes 3 et 32, 5 lignes 13 à 14, 6 lignes 21 à 34) par la comparaison des données de facturation et la corrélation entre les transactions exécutées et les lignes de facturation (page 9 lignes 1 à 3).

Le brevet compte 8 revendications dont 7, de procédé et la dernière, de mise en oeuvre du procédé.

La revendication 1 est libellée comme suit :

1- Procédé pour générer des opérations de communication planifiées sur un ou plusieurs réseaux de communication à partir d’un système d’information et vérifier leur bonne facturation, comprenant :

  • une allocation de ressources au sein dudit système d’information pour une campagne d’appels sur une durée prédéterminée,
  • une gestion en temps partagé d’équipements de communication,
  • une exécution d’opérations de communication ou transactions, en réponse à des ordres d’exécution reçus d’un site de planification des appels,
  • une collecte des données de facturation produite par l’opérateur, et
  • une corrélation automatique des données permettant une identification d’anomalie,

caractérisé en ce qu’il est mis en ‘uvre simultanément pour une pluralité d’opérateurs de communication, avec un partage des ressources allouées, chaque opérateur de communication pouvant émettre des ordres d’exécutions d’opérations de communication ou de transaction.

La revendication 8, litigieuse, s’énonce dans les termes ci-après :

  1. Application du procédé selon l’une quelconque des revendications 1 à 5, dans un but de détection d’opérations de dérivation de trafic par des tierces parties, mettant en oeuvre une comparaison des identifiants d’appelant attendus théoriquement à ceux réellement constatés par le robot de réception d’appel.

Sur la demande de nullité de la revendication 8 du brevet,

La société Sigos conteste la validité de la revendication 8 du brevet dont elle demande la nullité, en premier lieu, pour défaut d’activité inventive, en second lieu, pour insuffisance de description.

— le défaut d’activité inventive,

Selon les dispositions de l’article L. 611-14 du code de la propriété intellectuelle, Une invention est considérée comme impliquant une activité inventive si, pour un homme du métier, elle ne découle pas d’une manière évidente de l’état de la technique (…).

Pour conclure au défaut d’activité inventive de la revendication 8, la société Sigos se prévaut de l’aveu par la société Araxxe, dans le cadre de la procédure d’examen du brevet EP 2 087 720, du défaut de nouveauté, en présence du document WO 99/01974A, de la revendication 1 du brevet, en particulier de sa partie caractérisante, dont elle a amendé le libellé pour tenter de restaurer sa brevetabilité. Elle ajoute qu’en toute hypothèse, le procédé décrit dans la revendication 1 du brevet est divulgué par le document Accenture Communication Solutions for Revenue Assurance (pièce 9 de la société Sigos), accessible au public antérieurement au dépôt de la demande de brevet ainsi qu’en atteste la mention Copyright 2005 dont il est porteur. La société Sigos soutient encore que la revendication 8, en ce qu’elle couvre l’application du procédé selon la revendication 1 ‘dans le but de détection d’opérations de dérivation du trafic par des tierces parties’, n’est pas protégeable car il ne saurait être accordé une protection à un résultat, ce d’autant qu’un tel résultat, à savoir la détection d’opérations de dérivation de trafic par des tierces parties était connu de l’art antérieur. Elle prétend enfin que la mise en oeuvre d’une ‘comparaison des identifiants d’appelant attendus théoriquement à ceux réellement constatés par le robot de réception d’appel’, visée par la revendication 8 du brevet, n’est pas nouvelle car antériorisée par la demande de brevet US 2006/45248 ( pièce 22 de la société Sigos) ainsi que par la brochure Arabypass (pièce 11 de la société Sigos) divulguée par la société Araxxe lors d’un congrès à Prague les 25 et 26 octobre 2006.

Or, c’est en vain que la société Sigos invoque la procédure de demande de brevet européen étant observé que si l’OEB, dans le cadre de l’examen préliminaire de cette demande a émis des opinions concluant à l’absence de nouveauté ou au défaut d’activité inventive, le brevet européen EP 2 087 720 a été, en définitive, délivré le 26 juin 2013 et la décision d’annulation du 23 novembre 2016 sur opposition de la société Meucci Solutions, intervenue pour tout autre cause, sur le fondement de l’article 123-2 de la CBE, ne remet nullement en question la nouveauté ou l’activité inventive du brevet. En outre, le fait d’amender des revendications dans le cadre de la procédure de demande de brevet européen ne saurait valoir ‘acquiecement’ aux objections soulevées par l’examinateur ni ‘aveu’ de la nullité de son titre et témoigne, à l’inverse, d’une défense de l’invention par le déposant . Enfin, le principe de l’estoppel, opposé par la société Sigos à raison des positions de la société Araxxe devant l’OEB dans le cadre de l’examen de sa demande de brevet européen, est inopérant dans le présent débat judiciaire en contrefaçon du brevet français FR 2 908 572.

C’est encore en vain que la société Sigos fait valoir que la revendication 1 de ce brevet, à laquelle renvoie la revendication 8, serait nulle pour défaut de nouveauté en présence du document Accenture Communication Solutions for Revenue Assurance . Quand même cette revendication serait nulle, la revendication 8 qui concerne la mise en oeuvre, selon des modalités particulières qu’elle définit, du procédé décrit aux revendications 1 à 5, ne le serait pas nécessairement. Il importe en effet d’examiner la validité de la combinaison de l’ensemble des caractéristiques de la revendication 8 et cette combinaison peut être valable alors même que la revendication 1 ne le serait pas. Il est à cet égard indifférent que la revendication 8 soit dépendante ou indépendante de la revendication 1, l’annulation d’une revendication principale n’entraînant pas davantage, automatiquement, l’annulation des revendications qui en dépendent.

Concernant précisément la revendication 8, la société Sigos soutient, d’abord, qu’elle ne serait pas protégeable en ce qu’elle prône un résultat, à savoir la détection d’opérations de dérivation de trafic par des tierces parties, et non pas les moyens pour y parvenir ; elle ajoute que ce résultat est d’autant moins protégeable qu’il est connu ainsi qu’en atteste le document ART daté d’avril 2004 ( pièce 59 de la société Sigos).

Force est toutefois de rappeler que la revendication 8 du brevet concerne une Application du procédé selon l’une quelconque des revendications 1 à 5, dans un but de détection d’opérations de dérivation de trafic par des tierces parties, mettant en oeuvre une comparaison des identifiants d’appelant attendus théoriquement à ceux réellement constatés par le robot de réception d’appel et de constater que la société Sigos procède à une lecture tronquée de la revendication telle que rédigée en soutenant qu’elle se limite à protéger un résultat . Il ressort des termes de la revendication, au complet, que l’application de procédé, en ce qu’elle ‘met en oeuvre une comparaison des identifiants d’appelant attendus théoriquement à ceux réellement constatés par le robot de réception d’appel’, décrit les moyens pour parvenir à l’effet technique proposé de ‘détection d’opérations de dérivation de trafic par des tierces parties’, ce qui prive la critique soulevée de ce chef de toute pertinence.

En outre, contrairement à ce qu’avance la société Sigos, le document ART (devenue ARCEP), qui illustre un système de fraude mettant en oeuvre des ‘SIM Boxes’ ou ‘Hérissons’ permettant de contourner la terminaison d’appel, est un simple document d’information qui ne propose aucun moyen de détection des ‘SIM Boxes’ ni ne dévoile le moindre procédé destiné à remédier à la fraude par SIM Boxes .

A la revendication 8 du brevet la société Sigos oppose, ensuite, le brevet US 2006/45248 et la brochure Arabypass qui seraient antérieurs au dépôt de la demande de brevet.

Concernant ce dernier document, il aurait été divulgué selon la société Sigos les 25 et 26 octobre 2006 tandis que la demande de brevet français a été déposée par la société Araxxe le 9 novembre 2006. Pour seule preuve de son affirmation la société Sigos produit une attestation de M. A B qui rapporte que la brochure Arabypass a été distribuée par la société Araxxe aux participants d’un congrès tenu à Prague les 25 et 26 mai 2006. Outre que M. A B est un ancien salarié de la société Meucci Solutions aux droits de laquelle se trouve la société Sigos, la cour, à l’instar des premiers juges, relève que cette attestation, datée du 3 mars 2014 a été communiquée tardivement, en septembre 2017, alors que la procédure avait été ré-enrôlée depuis le 4 novembre 2015 et qu’elle n’est corroborée par aucun autre élément versé aux débats. La valeur probante d’une telle attestation, fût -elle réitérée dans les mêmes termes en 2019 par M. A B, est insuffisante à justifier d’une date certaine de divulgation de la brochure Arabypass antérieurement au dépôt de la demande de brevet. Ce document ne saurait en conséquence être regardé comme compris dans l’état de la technique, constitué, selon les dispositions de l’article L. 611-11 du code de la propriété intellectuelle, par tout ce qui a été rendu accessible au public avant la date du dépôt de la demande de brevet par une description écrite ou orale, un usage ou tout autre moyen.

Quant au brevet US 2006/45248, la société Sigos soutient ( page 52 de ses conclusions) qu’il porte, de même que le brevet querellé, sur un procédé pour générer des opérations de communication planifiées sur un ou plusieurs réseaux de communication à partir d’un système d’information et vérifier leur bonne facturation et enseigne la comparaison de l’enregistrement détaillé de l’appel d’origine avec l’enregistrement détaillé de l’appel de terminaison ce qui correspond, selon elle, à la ‘comparaison des identifiants d’appelant attendus théoriquement à ceux réellement constatés par le robot de réception d’appel’ visée dans la revendication 8 opposée.

Il ressort des extraits produits aux débats en traduction française, que le document invoqué divulgue un procédé pour générer des opérations de communication programmées trouvant application en matière de détection d’erreurs d’acheminement du trafic et de facturation d’appels afin d’améliorer la précision de la facturation ainsi que la détection du mauvais acheminement d’appels ; s’il prévoit une comparaison de l’enregistrement détaillé des appels d’origine et de l’enregistrement détaillé des appels de terminaison, basée sur l’analyse des données CDR (call detail record), il n’évoque aucunement la mise en oeuvre d’un robot récepteur d’appels ni la comparaison d’identifiants d’appelant attendus théoriquement à ceux réellement constatés par le robot de réception d’appels, toutes caractéristiques qui constituent, selon la description du brevet, un apport de l’invention qui réside dans la mise en oeuvre d’un système indépendant et non intrusif vis-à-vis des opérateurs de télécommunication ne nécessitant pas la transmission par ces derniers de données CDR.

Il s’ensuit que contrairement à ce que prétend la société Sigos, la revendication 8 du brevet n’est pas antériorisée par le brevet US 2006/45248 . En outre, étant rappelé que la société Sigos demande la nullité de cette revendication pour défaut d’activité inventive et non pas pour défaut de nouveauté, force est de constater qu’elle ne propose la moindre analyse de nature à montrer que l’homme du métier, à savoir l’ingénieur spécialisé dans les télécommunications, désireux de remédier aux inconvénients des techniques existantes en matière de vérification de facturation, était amené à s’intéresser au brevet US 2006/45248 et muni des enseignements de ce brevet et de ses seules connaissances professionnelles, se trouvait inéluctablement conduit, dans le cadre d’une simple tâche d’exécution et sans faire preuve d’activité inventive, sur la voie de l’invention.

La demande de nullité de la revendication 8 du brevet ne saurait en conséquence prospérer du chef du défaut d’activité inventive.

— l’insuffisance de description,

Selon les dispositions de l’article L. 612-5 du code de la propriété intellectuelle, l’invention doit être exposée dans la demande de façon suffisamment claire et complète pour qu’un homme du métier puisse l’exécuter .

En l’espèce la revendication 8 du brevet souffre, selon la société Sigos, d’une insuffisance de description en ce qu’elle ne permet pas à l’homme du métier, incapable d’en décider lui-même, de

deviner qui est l’opérateur, quelles données considérer comme données de facturation, à quoi correspond l’identifiant théoriquement attendu et comment la comparaison pourrait être mise en oeuvre et permettre d’arriver au résultat revendiqué (page 61 de ses conclusions).

Or, il résulte clairement du libellé de la revendication 8 et de la présentation qui est faite du brevet dans sa partie descriptive, que :

— ’l’opérateur’est l’opérateur de télécommunications confronté à la nécessité de vérifier son processus de mesure de consommation et de facturation et pour lequel les opérations de détection de détection de dérivation sont mises en oeuvre,

— les ‘données de facturation’ proviennent du donneur d’ordre auprès duquel ces données sont collectées, à savoir l’opérateur de télécommnications qui a passé la commande à l’origine de la mise en oeuvre du procédé ; ces données de facturation sont décrites en page 8 lignes 24 à 34 du brevet qui précise, notamment, qu’il s’agit, de préférence, des données déjà disponibles pour les clients finaux, par exemple sous la forme de factures électroniques accessibles sur un site web, – la notion d”identifiant d’appelant’ est connue de l’homme du métier et la description du brevet évoque les ‘données d’identité SIM’ qui sont des identifiants d’appelant. Il ressort en outre clairement de la description du brevet que ‘l’identifiant d’appelant attendu théoriquement’ est un identifiant d’appelant planifié dans une campagne d’appels et qu’il est connu de l’homme du métier d’attendre un identifiant d’appelant qui fait partie d’un ensemble d’appels planifiés. – le brevet décrit en détail un exemple de mise en oeuvre d’un module de vérification de facturation qui inclut un moteur de mise en correspondance d’appels et une comparaison des identifiants d’appelant qui mettrait en évidence une différence entre celui attendu et celui réellement constaté par le robot de réception d’appel permettrait de détecter l’existence d’une dérivation de trafic.

Le moyen de nullité tiré d’une insuffisance de description est en conséquence mal fondé étant établi qu’un homme du métier disposant de la description du brevet et des connaissances communes en matière de techniques de télécommunications, serait en mesure de reproduire sans difficulté la revendication 8 du brevet.

Le jugement déféré est ainsi confirmé en ce qu’il a débouté la société Sigos de sa demande en nullité de la revendication 8 du brevet.

Sur la saisie-contrefaçon,

La société appelante maintient sa demande de nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 24 novembre 2009 motifs pris de ce que les opérations se sont déroulées dans un lieu non autorisé par l’ordonnance et à l’encontre d’une personne non visée dans l’ordonnance, la requête aux fins de saisie-contrefaçon n’a pas été signifiée, la remise de l’ordonnance au détenteur des objets prétendument contrefaisant n’a pas été faite, le procès-verbal de saisie-contrefaçon n’a pas été signifié au siège social de la société C D.

L’ordonnance présidentielle du 5 novembre 2009 autorisant sur requête de la société Araxxe les opérations de saisie-contrefaçon, énonce expressément (article 1) que la requérante est autorisée ‘à faire procéder par tout huissier de justice de son choix à l’adresse suivante :

‘Data Center 9 Telecom, […] ainsi que dans tous autres locaux dans lesquels la contrefaçon invoquée pourra être constatée, à la description du matériel détenu dans ces locaux.’

L’huissier de justice instrumentaire indique en-tête du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 24 novembre 2009 que les opérations de saisie-contrefaçon se sont déroulées dans les locaux ci-après :

Etablissements C D

c/o DataCenter 9 Telecom, salle 2A40,

[…]

[…] .

C’est en vain que la société Sigos observe que selon les mentions manuscrites qui suivent et qui doivent, selon elle, prévaloir, l’huissier de justice instrumentaire indique s’être présenté dans un ‘bâtiment Netcenter’. La mention ‘Netcenter’ en lieu et place de ‘DataCenter’ résulte manifestement d’une erreur matérielle. Il est en effet établi, à la lecture du déroulement de ses opérations, que l’huissier de justice, ‘arrivé sur place à 9 heures’ , s’est bien présenté à l’adresse indiquée en tête de son procès-verbal et non pas à une autre adresse. En outre, l’huissier de justice précise qu’il s’est ensuite rendu dans la salle 2A40 au 2e étage du bâtiment (conformément aux mentions portées en tête du procès-verbal), où est installée la baie informatique P14 au seuil de laquelle un panneau porte mention de ‘C D’. Par ailleurs, dans son procès-verbal de signification du procès-verbal de saisie-contrefaçon, l’huissier de justice explique que ‘ selon confirmation téléphonique de son gérant M. X’, la société C D dispose de locaux au 2e étage du bâtiment Data Center, en salle 2A40, pour installation de baies informatiques.

Il résulte de ces observations que l’huissier de justice instrumentaire a opéré à l’adresse ‘Data Center 9 Telecom, […]’, conformément aux termes de l’ordonnance présidentielle du 5 novembre 2009 autorisant la société Araxxe à faire procéder à la saisie-contrefaçon.

La société Sigos fait valoir ensuite que ni la requête ni l’ordonnance présidentielle ne faisaient référence à la société C D, ajoutant, mais sans en rapporter la moindre preuve, que cette société étaient connue de la requérante, ce qui est, selon elle, ‘d’autant plus grave’. Or, c’est dans le respect des termes de l’ordonnance, qui ne désignait pas nommément le tiers saisi, mais autorisait à opérer ‘dans tous autres locaux dans lesquels la contrefaçon invoquée pourra être constatée’, que l’huissier de justice s’est rendu dans les locaux de la société C D pour procéder à la description du matériel argué de contrefaçon détenu dans ces locaux.

La société Sigos soutient encore que les dispositions de l’article 495 du code de procédure civile n’ont pas été respectées en l’espèce, la requête, ni l’ordonnance, n’ayant été signifiées au tiers-saisi.

L’article 495 du code de procédure civile dispose que l’ordonnance sur requête est exécutoire au seul vu de la minute et qu’il est laissé copie de la requête et de l’ordonnance à la personne à laquelle elle est opposée.

Le respect de la contradiction qui fonde l’exigence posée à l’article précité, requiert que la copie de la requête et de l’ordonnance soit remise à la personne à laquelle elle est opposée préalablement à l’exécution des mesures d’instruction qu’elle ordonne.

Tel a été le cas en l’espèce. Il ressort en effet des énonciations du procès-verbal de saisie-contrefaçon, qui font foi jusqu’à preuve contraire, que l’huissier de justice instrumentaire agissant en exécution de l’ordonnance présidentielle du 5 novembre 2009 rendue sur requête du 4 novembre 2009, s’est transporté sur le lieu de ses opérations, l’ordonnance ‘ ayant été préalablement signifiée avec sa requête à l’appui par acte séparé de mon ministère’. Au surplus, il est rapporté par l’huissier de justice que celui-ci, arrivé au lieu de ses opérations, est entré en contact téléphoniquement avec M. X, gérant de la société C D, auquel il a décliné son identité et ses qualités ainsi que celles du conseil en propriété industrielle qui l’assistait et adressé par télécopie (avec le télécopieur du PC de sécurité du bâtiment) l’ordonnance du 5 novembre 2009 et

que, ces diligences ayant été effectuées, M. X, quelques minutes plus tard, avisait par téléphone le PC de sécurité de ce qu’il confirmait son accord pour que l’huissier de justice accède au locaux de la société, salle 2A40 au 2e étage et à la baie P14 où a été constatée la présence des matériels argués de contrefaçon.

Il s’ensuit que les opérations de saisie-contrefaçon n’encourent aucune critique du chef des dispositions de l’article 495 du code de procédure civile.

Enfin, la société Sigos fait valoir que le procès-verbal de saisie-contrefaçon n’a pas été signifié au siège social de la société C D. Or, le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 24 novembre 2009 a été signifié, selon le procès-verbal de significationdu même jour, à l’adresse de la société C D c/o Data Center 9 Telecom à Vénissieux, l’huissier de justice ayant précisé avoir préalablement vérifié la réalité de l’établissement de cette société à cette adresse. Il s’ensuit que les dispositions de l’article 690 du code civil qui prévoient que ‘la notification destinée à une personne morale de droit privé (…) est faite au lieu de son établissement’ ont été , contrairement à ce que prétend la société Sigos, respectées, de même qu’ont été respectées celles de l’article R.615-2-1 du code de la propriété intellectuelle, selon lesquelles une copie du procès-verbal de saisie-contrefaçon doit être laissée aux détenteurs des objets saisis ou décrits à l’occasion des opérations de saisie-contrefaçon.

La société Sigos est en conséquence déboutée de sa demande, mal fondée, de nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 24 novembre 2009.

Sur les autres moyens de preuve,

Il a été précédemment observé que la société Sigos ne demande plus à voir écarter des débats le procès-verbal de constat en date du 17 décembre 2009 et les captures d’écran du site de la société Meucci Solutions . Ces pièces, produites par la société Araxxe, sont donc dans le débat et il revient à la cour d’en apprécier la valeur probatoire qui est déniée par la société Sigos.

S’agissant du procès-verbal de constat sur internet du 17 décembre 2009, les premiers juges ont exactement observé que l’ensemble des précautions et des diligences d’ordre technique propres à garantir la fiabilité des éléments collectés avaient été respectées et accomplies par l’huissier de justice. Les premiers juges ont encore pertinemment retenu, après avoir rappelé la chronologie de la procédure et l’évolution de la défense de la société Sigos, que la société Araxxe n’encourt aucun grief de déloyauté pour n’avoir produit ce procès-verbal de constat qu’en 2017, en réponse à la contestation de la validité du procès-verbal de saisie-contrefaçon qui lui était opposée. C’est encore avec raison que les premiers juges ont estimé que la force probante des captures d’écran du site internet de la société Meucci Solutions n’est pas, en la cause, mise en doute, dès lors que ces pièces sont corroborées par d’autres éléments de la procédure et en particulier le procès-verbal de constat précité .

Il est à cet égard renvoyé au jugement déféré et aux justes motifs qui y sont développés, la cour faisant sienne et adoptant en tous points l’appréciation qui a été faite par le tribunal de la valeur probatoire de ces pièces du débat.

Sur la contrefaçon,

La société Sigos conteste avoir contrefait la revendication 8 du brevet dont les caractéristiques (qui comprennent celles de la revendication 1 de procédé) ne sont pas, selon elle, reproduites dans la détection de SIM Boxes au moyen de tests CLI qu’elle met en oeuvre , pour partie, à partir de la France, avec les robots de génération d’appels de Lille et de Vénissieux. Elle précise que ces robots sont utilisés pour la génération et la réception d’appels dans le cadre de la détection de SIM Boxes (connue de l’art antérieur) et aucunement pour la vérification de la bonne facturation lors de la

détection des opérations de dérivation par un tiers non autorisé (page 86 de ses conclusions). Enfin, elle fait valoir, nouvellement devant la cour, que dès avant le dépôt, en 2006, du brevet français opposé, elle exploitait à Lille, depuis 2004, un robot de mêmes caractéristiques que celui constaté à Vénissieux lors des opérations de saisie-contrefaçon. Elle se prévaut en conséquence d’un ‘droit antérieur d’utilisation’ de ces robots sur le territoire français.

Sur ce dernier point, contrairement à ce que soutient la société Araxxe, la société Sigos n’élève pas une prétention nouvelle en cause d’appel qui serait comme telle irrecevable par application des dispositions de l’article 564 du code de procédure civile. Il s’agit en effet d’un moyen de défense par lequel la société Sigos tend à faire écarter les prétentions adverses formées au fondement de contrefaçon et que la société Sigos est recevable à soulever en cause d’appel .

Cependant, force est d’observer que ce moyen de défense est dénué de pertinence.

Selon les dispositions de l’article L. 613-7 du code de la propriété intellectuelle ‘Toute personne qui, de bonne foi, à la date du dépôt ou de priorité d’un brevet, était, sur le territoire où le présent livre est applicable, en possession de l’invention objet du brevet, a le droit, à titre personnel, d’exploiter l’invention malgré l’existence du brevet. Le droit reconnu par le présent article ne peut être transmis qu’avec le fonds de commerce, l’entreprise ou la partie de l’entreprise auquel il est attaché’.

Or, l’application de ces dispositions suppose que celui qui en demande le bénéfice reconnait exploiter l’invention protégée. Tel n’est pas le cas de la société Sigos qui, dans les mêmes termes qu’en première instance, persiste à contester la contrefaçon en faisant essentiellement valoir que son matériel, tant à Lille qu’à Vénissieux, a pour fonction la détection des SIM boxes au moyen de tests CLI et non pas la détection d’opération de dérivation de trafic par des tierces parties couverte par le brevet. Ainsi, la société Sigos ne saurait sans se contredire contester exploiter l’invention objet du brevet et se prévaloir d’un droit antérieur d’utilisation de l’invention objet du brevet .

En toute hypothèse, la société Sigos ne réunit pas les conditions ouvrant droit au bénéfice des dispositions précitées, dès lors, à tout le moins, que la preuve n’est aucunement rapportée de ce que la société Meucci Solutions, aux droits de laquelle elle est venue en cours de procédure de première instance, lui aurait transmis le droit d’exploitation de l’invention brevetée qui, selon les dites dispositions, ne peut être transmis qu’avec le fonds de commerce, l’entreprise ou la partie de l’entreprise auquel il est attaché.

Le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 24 novembre 2009, le procès-verbal de constat d’huissier de justice du site internet de la société Meucci Solutions du 17 décembre 2009, les captures d’écran du site internet de la société Meucci Solutions, établissent que cette société propose de tester et surveiller tout scénario de roaming ou d’interconnexions au moyen de sondes (réparties dans 60 pays, dans chaque continent du monde) équipées d’abonnements téléphoniques en connectivité directe avec les opérateurs télécommunications locaux, afin de faire cesser rapidement les pertes liées à une dérivation du trafic d’interconnexion, qu’elle offre, outre l’exécution de tests, la planification et la programmation de tests ainsi que la collecte et l’analyse des résultats, qu’elle se charge du processus de test dans son intégralité en configurant l’infrastructure, planifiant les scénarios, effectuant l’ensemble des tests de roaming et en fournissant des rapports complets sur les résultats des tests, et de vérifier enfin que les informations de facturation générées et transmises sont correctes.

Sur son site internet la société Meucci Solutions expose que , ‘pour surveiller le CLI (calling line identifier – traduit en français par : identifiant d’appelant) nous avons équipé notre réseau mondial de sondes avec des cartes SIM de chaque opérateur mobile local’. Elle indique ‘générer du trafic de façon continue à partir d’un grand nombre de sources et analyser ces appels pour détecter les SIM Boxes’ et précise ‘La plate forme Meucci lancera des appels tests vers votre réseau. Ces appels tests seront effectués à partir d’un grand nombre d’opérateurs différents (…) Pour ce faire nous utilisons une sonde installée sur votre réseau et un multiplexeur de cartes SIM, puis effectuons d’ensemble des

tests à distance’. Elle ajoute que sa technologie de détection des SIM Boxes permet de faire cesser rapidement les pertes liées à cette dérivation du trafic d’interconnexion, garantissant ainsi aux opérateurs de télécommunications auxquels elle offre son service ‘le revenu auquel vous avez droit’.

Il découle de ce qui précède que la technologie proposée par la société Sigos venant aux droits de la société Meucci Solutions permet de générer des campagnes d’appels sur un ou plusieurs réseaux de communication et de vérifier leur bonne facturation, qu’à cet effet, elle comprend une allocation de ressources au sein du système d’information pour une campagne d’appels sur une durée prédéterminée, un partage d’équipements entre plusieurs opérateurs, une exécution planifiée d’opérations de communication ou de transactions en réponse à des ordres d’exécution, une collecte des données de facturation, une corrélation automatique des données pour identifier une anomalie avec une mise en oeuvre simultanée de ces éléments pour une pluralité d’opérateurs de communication et un partage des ressources allouées.

Elle reproduit ainsi le procédé défini dans la revendication 1 du brevet et mis en oeuvre dans la revendication 8 du brevet.

En outre, en ce qu’elle consiste à surveiller les CLI ( les identifiants d’appelant) et à détecter les SIM Boxes au moyen de tests CLI en vue de détecter des opérations de dérivation de trafic par des tierces parties et de faire cesser les pertes de revenus que ces dérivations de trafic occasionnent pour les opérateurs de télécommunications, ce qui suppose une comparaison des identifiants d’appelant attendus théoriquement à ceux réellement constatés par le robot de réception dappel, cette technologie reproduit la revendication 8 , opposée, du brevet français FR 2 908 572 dont est titulaire la société Araxxe.

Le jugement entrepris est en conséquence confirmé en ce qu’il a retenu que la matérialité de la contrefaçon était établie.

Sur la réparation,

La cour observe que la société Sigos ne développe, sur ce point du débat, aucune discussion, ni ne formule aucune observation ni critique sur le montant des dommages-intérêts alloués pas plus que sur les mesures accessoires ordonnées par le tribunal.

La société Araxxe, par voie d’appel incident, demande à voir élever à la somme de 745.500 euros le montant des dommages-intérêts et fait grief aux premiers juges de n’avoir pas pris en considération, dans l’évaluation de son préjudice, le chiffre d’affaires, jugé purement spéculatif, que la société Meucci Solutions a réalisé à l’international sur la période de 2010 à 2017, de 7.000.000 euros par an. Or, ainsi que l’écrit (page 66 de ses conclusions), sans autre précision, la société Araxxe ce dernier chiffre résulte d’une estimation à laquelle elle procède à partir de déclarations officielles de la société Meucci en Belgique et quand bien même il ne serait pas purement spéculatif il ne saurait être regardé comme renseignant sérieusement sur le chiffre d’affaires réalisé à l’international par la société Meucci Solutions à partir des robots contrefaisants situés en France.

Il n’y a pas lieu en conséquence d’élever le montant des dommages-intérêts que le tribunal a fixé à la somme de 378.000 euros au terme d’une exacte application des dispositions de l’article L.615-7 du code de la propriété intellectuelle et d’une juste appréciation des justifications produites aux débats.

Sur les autres demandes,

Il résulte du sens de l’arrêt que l’action en contrefaçon diligentée à l’encontre de la société Sigos l’a été à bon droit et que c’est sans intention de nuire ni par légèreté blâmable, toutes circonstances dont la preuve n’est pas rapportée, que la société Araxxe a esté en justice pour la défense de son titre de propriété industrielle. Il s’ensuit que si la société Sigos a subi des suites de la procédure un préjudice

moral ainsi qu’un préjudice économique en réparation desquels elle réclame, mais sans justification aucune, des sommes considérables, ces préjudices ne sauraient être imputés à faute à la société Araxxa qui est exempte de tout abus dans l’exercice de ses droits.

La demande de dommages-intérêts formée de ce chef par la société Sigos est en conséquence, par confirmation du jugement déféré, rejetée.

La société Araxxe demande des dommages-intérêts pour appel abusif en ce qu’il porte sur une demande reconventionnelle manifestement infondée et vise à cet égard la demande de la société Sigos tendant à se voir reconnaître un droit antérieur d’exploitation de l’invention brevetée. Or, il ne saurait être reproché à la société appelante d’avoir présenté une telle demande qui ne constitue pas une prétention mais un moyen de défense qui pouvait être invoqué pour la première fois en cause d’appel. Au surplus, la société Araxxe ne rapporte la preuve d’un abus caractérisé de la société Sigos dans l’exercice de son droit d’interjeter appel, l’appelante ayant pu, sans mauvaise foi, se méprendre sur la justesse de sa cause et l’étendue de ses droits. La demande formée de ce chef est en conséquence rejetée.

Le sens de l’arrêt conduit à confirmer le jugement sur l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et le sort des dépens .

L’équité commande de condamner la société Sigos à payer à la société Araxxe une indemnité de 50.000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel et de la débouter de la demande à hauteur de 500.000 euros qu’elle forme à ce même titre.

La société Sigos, qui succombe à la procédure d’appel, en supportera les dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant dans les limites de l’appel,

Confirme le jugement déféré,

Déboute la société Araxxe de sa demande de dommages-intérêts pour appel abusif,

Déboute les parties de toutes demandes plus amples ou contraires aux motifs de l’arrêt,

Condamne la société Sigos à payer à la société Araxxe une indemnité de 50.000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel et la déboute de sa demande formée à ce même titre,

Condamne la société Sigos aux dépens de la procédure d’appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

La Greffière La Présidente


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