Your cart is currently empty!
La CJUE vient de confirmer que le droit de l’Union s’oppose à une réglementation nationale imposant à un fournisseur de services de communications électroniques, à des fins de lutte contre les infractions en général ou de sauvegarde de la sécurité nationale, la transmission ou la conservation généralisée et indifférenciée de données relatives au trafic et à la localisation. Toutefois, la CJUE a reconnu plusieurs exceptions majeures à ce principe et notamment en matière d’algorithme de défense.
En revanche, la CJUE a précisé que dans des situations dans lesquelles un État membre fait face à une menace grave pour la sécurité nationale qui s’avère réelle et actuelle ou prévisible, celui-ci peut déroger à l’obligation d’assurer la confidentialité des données afférentes aux communications électroniques en imposant, par des mesures législatives, une conservation généralisée et indifférenciée de ces données pour une durée temporellement limitée au strict nécessaire, mais renouvelable en cas de persistance de la menace.
S’agissant de la lutte contre la criminalité grave et la prévention des menaces graves contre la sécurité publique, un État membre peut également prévoir la conservation ciblée desdites données ainsi que leur conservation rapide. Une telle ingérence dans les droits fondamentaux doit être assortie de garanties effectives et contrôlée par un juge ou une autorité administrative indépendante.
De même, il est loisible à un État membre de procéder à une conservation généralisée et indifférenciée des adresses IP attribuées à la source d’une communication dès lors que la durée de conservation est limitée au strict nécessaire ou encore de procéder à une conservation généralisée et indifférenciée des données relatives à l’identité civile des utilisateurs des moyens de communications électroniques, sans que cela soit dans ce dernier cas limité à un délai particulier.
Ces dernières années, la Cour de justice s’est prononcée, dans plusieurs arrêts, sur la conservation et l’accès aux données à caractère personnel dans le domaine des communications électroniques. La jurisprudence qui en découle, en particulier l’arrêt Tele2 Sverige et Watson e.a., dans lequel elle a notamment considéré que les États membres ne pouvaient pas imposer aux fournisseurs de services de communications électroniques une obligation de conservation généralisée et indifférenciée des données relatives au trafic et à la localisation, a suscité les préoccupations de certains États, craignant d’avoir été privés d’un instrument qu’ils estiment nécessaire à la sauvegarde de la sécurité nationale et à la lutte contre la criminalité.
C’est sur cette toile de fond que l’Investigatory Powers Tribunal (tribunal chargé des pouvoirs d’enquête, Royaume-Uni) (Privacy International, C-623/17), le Conseil d’État (France) (La Quadrature du Net e.a., affaires jointes C-511/18 et C-512/18) ainsi que la Cour constitutionnelle (Belgique) (Ordre des barreaux francophones et germanophone e.a., C-520/18) ont été saisis de litiges concernant la légalité des réglementations adoptées par certains États membres dans ces domaines, prévoyant en particulier une obligation pour les fournisseurs de services de communications électroniques de transmettre à une autorité publique ou de conserver de manière généralisée ou indifférenciée les données des utilisateurs relatives au trafic et à la localisation.
Par deux arrêts prononcés en grande chambre, le 6 octobre 2020, tout en confirmant sa jurisprudence issue de l’arrêt Tele2 Sverige et Watson e.a., sur le caractère disproportionné d’une conservation généralisée et indifférenciée des données relatives au trafic et à la localisation, la Cour apporte des précisions, notamment, quant à l’étendue des pouvoirs que reconnaît cette directive aux États membres en matière de conservation de telles données aux fins précitées.
Tout d’abord, la Cour prend soin de dissiper les doutes sur l’applicabilité de la directive « vie privée et communications électroniques ». En effet, plusieurs États membres ayant soumis des observations écrites à la Cour ont exprimé un avis divergent à cet égard. Ils faisaient notamment valoir que cette directive ne trouverait pas à s’appliquer aux réglementations nationales en cause, dans la mesure où celles-ci ont pour finalité la sauvegarde de la sécurité nationale, qui relèverait de leur seule compétence, comme en témoignerait notamment l’article 4, paragraphe 2, troisième phrase, TUE.
La Cour considère cependant que des réglementations nationales imposant aux fournisseurs de services de communications électroniques de conserver des données relatives au trafic et à la localisation ou encore de transmettre ces données aux autorités nationales de sécurité et de renseignement à cette fin relèvent du champ d’application de la directive.
Ensuite, la Cour rappelle que la « directive vie privée et communications électroniques » ne permet pas que la dérogation à l’obligation de principe de garantir la confidentialité des communications électroniques et des données y afférentes et à l’interdiction de stocker ces données devienne la règle.
Ceci implique que cette directive n’autorise les États membres à adopter, entre autres à des fins de sécurité nationale, des mesures législatives visant à limiter la portée des droits et des obligations prévus par cette directive, notamment l’obligation de garantir la confidentialité des communications et des données relatives au trafic, que dans le respect des principes généraux du droit de l’Union, parmi lesquels figure le principe de proportionnalité, et des droits fondamentaux garantis par la Charte.
Dans ce cadre, la Cour considère, d’une part, dans l’affaire Privacy International, que la directive « vie privée et communications électroniques », lue à la lumière de la Charte, s’oppose à une réglementation nationale, imposant aux fournisseurs de services de communications électroniques, en vue de la sauvegarde de la sécurité nationale, la transmission généralisée et indifférenciée aux services de sécurité et de renseignement des données relatives au trafic et à la localisation.
La Cour estime que cette même directive s’oppose à des mesures législatives imposant aux fournisseurs de services de communications électroniques, à titre préventif, une conservation généralisée et indifférenciée des données relatives au trafic et à la localisation. En effet, ces obligations de transmission et de conservation généralisée et indifférenciée de telles données constituent des ingérences particulièrement graves dans les droits fondamentaux garantis par la Charte, sans que le comportement des personnes dont les données sont concernées présente de lien avec l’objectif poursuivi par la réglementation en cause.
De manière analogue, la Cour interprète l’article 23 du RGDP, lu à la lumière de la Charte, en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale imposant aux fournisseurs d’accès à des services de communication au public en ligne et aux fournisseurs de services d’hébergement la conservation généralisée et indifférenciée, notamment, des données à caractère personnel afférentes à ces services.
En revanche, la Cour estime que, dans des situations où l’État membre concerné fait face à une menace grave pour la sécurité nationale qui s’avère réelle et actuelle ou prévisible, la directive « vie privée et communications électroniques », lue à la lumière de la Charte, ne s’oppose pas au fait d’enjoindre aux fournisseurs de services de communications électroniques de conserver de manière généralisée et indifférenciée des données relatives au trafic et à la localisation. Dans ce contexte, la Cour précise que la décision prévoyant cette injonction, pour une période temporellement limitée au strict nécessaire, doit faire l’objet d’un contrôle effectif, soit par une juridiction, soit par une entité administrative indépendante, dont la décision est dotée d’un effet contraignant, afin de vérifier l’existence d’une de ces situations ainsi que le respect des conditions et des garanties prévues.
Dans ces mêmes conditions, ladite directive ne s’oppose pas non plus à l’analyse automatisée des données, notamment celles relatives au trafic et à la localisation, de l’ensemble des utilisateurs de moyens de communications électroniques.
La Cour ajoute que la directive « vie privée et communications électroniques » ne s’oppose pas à des mesures législatives permettant le recours à une conservation ciblée, temporellement limitée au strict nécessaire, des données relatives au trafic et à la localisation, qui soit délimitée, sur la base d’éléments objectifs et non discriminatoires, en fonction de catégories de personnes concernées ou au moyen d’un critère géographique.
De même, cette directive ne s’oppose pas à de telles mesures prévoyant une conservation généralisée et indifférenciée des adresses IP attribuées à la source d’une communication, pour autant que la durée de conservation est limitée au strict nécessaire, ni à celles prévoyant une telle conservation des données relatives à l’identité civile des utilisateurs des moyens de communications électroniques, les États membres n’étant dans ce dernier cas pas tenus de limiter temporellement la conservation. Au surplus, ladite directive ne s’oppose pas à une mesure législative permettant le recours à une conservation rapide des données dont disposent les fournisseurs de services dès lors que se présentent des situations dans lesquelles survient la nécessité de conserver lesdites données au-delà des délais légaux de conservation des données aux fins de l’élucidation d’infractions pénales graves ou d’atteintes à la sécurité nationale, lorsque ces infractions ou atteintes ont déjà été constatées ou lorsque leur existence peut être raisonnablement soupçonnée.
En outre, la Cour juge que la directive « vie privée et communications électroniques » ne s’oppose pas à une réglementation nationale imposant aux fournisseurs de services de communications électroniques de recourir au recueil en temps réel, notamment, des données relatives au trafic et à la localisation, lorsque ce recueil est limité aux personnes à l’égard desquelles il existe une raison valable de soupçonner qu’elles sont impliquées, d’une manière ou d’une autre, dans des activités de terrorisme et est soumis à un contrôle préalable, effectué soit par une juridiction, soit par une entité administrative indépendante, dont la décision est dotée d’un effet contraignant, s’assurant qu’un tel recueil en temps réel n’est autorisé que dans la limite de ce qui est strictement nécessaire. En cas d’urgence, le contrôle doit intervenir dans de brefs délais.
Afin de « donner une réponse utile » à la juridiction nationale, la CJUE a précisé que l’admissibilité et l’appréciation d’éléments de preuve qui ont été obtenus par une conservation de données contraire au droit de l’Union, dans le cadre d’une procédure pénale ouverte à l’encontre de personnes soupçonnées d’actes de criminalité grave, relève, en l’état actuel du droit de l’Union, du seul droit national.
La directive « vie privée et communications électroniques », interprétée à la lumière du principe d’effectivité, exige que le juge pénal national écarte des éléments de preuve qui ont été obtenus par une conservation généralisée et indifférenciée des données relatives au trafic et à la localisation incompatible avec le droit de l’Union, dans le cadre d’une telle procédure pénale, si les personnes soupçonnées d’actes de criminalité ne sont pas en mesure de prendre efficacement position sur ces éléments de preuve. Télécharger la décision