Your cart is currently empty!
Une proposition de loi visant à encadrer l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne a été adoptée par l’Assemblée nationale. Cette proposition de loi a toutes les chances d’aboutir à une nouvelle réglementation opposable aux réseaux sociaux.
Depuis plusieurs années, les « chaînes » mettant en scène des enfants se développent sur les plateformes de partage de vidéos. Certaines disposent en France d’une audience importante, pouvant atteindre plusieurs millions d’abonnés et totaliser des milliards de vues. Ces vidéos montrent généralement de jeunes enfants au travers de plusieurs types d’activités, qu’il s’agisse de déballer une multitude de jouets, de déguster des aliments – le plus souvent sucrés –, de dévoiler des scènes de la vie quotidienne – petit-déjeuner, routine matinale, sortie dans un parc d’attraction ou dans un lieu de restauration rapide, etc. –, de réaliser divers « défis » – le plus tristement célèbre étant le cheese challenge, qui consiste à envoyer des tranches de fromage au visage d’un enfant, généralement en bas âge – ou tutoriels, etc. Ces vidéos, qui rencontrent, en France comme à l’étranger, un succès croissant, soulèvent d’importantes questions quant aux intérêts des enfants qu’elles mettent en scène.
Aux États-Unis, plusieurs articles font d’ailleurs état d’abus inquiétants. Une mère de famille a, par exemple, été arrêtée pour atteinte à la pudeur, négligence et maltraitance après avoir affamé ses enfants et utilisé des bombes au poivre lorsqu’ils refusaient de participer à la réalisation de vidéos.
Au-delà même des activités réalisées par les enfants, qui peuvent soulever des questionnements au regard des droits de l’enfant, ces chaînes publient généralement plusieurs vidéos par semaine, ce qui suppose pour les enfants d’y consacrer, au total, un temps important, notamment en raison des prises de vues susceptibles d’être refaites. Or, contrairement aux enfants du spectacle, leurs heures de tournage et la durée de ceux-ci ne sont pas encadrées par le droit du travail.
Par ailleurs, l’exposition médiatique dont bénéficient ces enfants pourrait ne pas être sans conséquence sur leur santé psychique. Au-delà de l’impact que peut avoir la célébrité sur le développement psychologique de ces enfants, les risques de cyber-harcèlement voire de pédopornographie se trouvent accrus.
En outre, sur le plan financier, ces programmes peuvent représenter une source de revenus importante pour les vidéastes – le plus souvent un membre de la famille –, grâce notamment à la publicité, qu’il s’agisse de coupures publicitaires ou d’encarts superposés à l’image, de contrats passés à des fins de placement de produits et, éventuellement, à la vente de produits dérivés.
Ces différents revenus ne font l’objet d’aucun encadrement autre que le droit social et fiscal général. Ainsi, ce sont les titulaires des chaînes – les parents le plus souvent – qui perçoivent directement ces revenus, les enfants ne bénéficiant pas des dispositions protectrices du code du travail applicables aux enfants du spectacle, dont les rémunérations sont versées, jusqu’à leur majorité, sur un compte de la Caisse des dépôts et consignations.
Les difficultés soulevées par la propagation sur internet de chaînes d’enfants parfois très jeunes, qu’elles soient pédagogiques, éthiques ou financières, infusent dans le débat public et particulièrement aux États-Unis où le phénomène prend une ampleur accrue. Certains y plaident pour une application du California Child Actor’s Bill, qui protège les enfants acteurs, à ce phénomène nouveau, d’autant que la majorité des plateformes sont implantées en Californie. En 2018, le démocrate Kansen Chu, membre de l’assemblée de l’État de Calfornie, a présenté un amendement au California Child Actor’s Bill pour couvrir « l’emploi d’un mineur dans la publicité sur les réseaux sociaux », qui n’a pas été suivi d’effets.
L’objet de la proposition de loi est de mettre en place un cadre légal, pionnier au plan international, pour la réalisation de ces vidéos qui fasse prévaloir l’intérêt de l’enfant. L’article 1er étend le régime d’autorisation individuelle préalable applicable aux enfants employés dans le secteur du spectacle, de la publicité et de la mode aux enfants dont l’image est diffusée à titre lucratif par des plateformes de partage de vidéos et dont l’activité entre dans le cadre juridique d’une relation de travail.
Le régime d’autorisation individuelle ne s’applique pas, à l’heure actuelle, aux contenus produits pour les services de médias audiovisuels à la demande (SMAD), que l’article 2 de la loi du 30 septembre 1986 relatif à la liberté de la communication audiovisuelle définit comme « tout service de communication au public par voie électronique permettant le visionnage de programmes au moment choisi par l’utilisateur et sur sa demande, à partir d’un catalogue de programmes dont la sélection et l’organisation sont contrôlées par l’éditeur de ce service ». Or, les SMAD occupent une place croissante dans la production audiovisuelle nationale et internationale.
Afin de clarifier la loi et par mesure de coordination avec le droit existant, le texte précise que le régime d’autorisation préalable est applicable aux enfants produits ou engagés dans une entreprise réalisant des enregistrements audiovisuels, quel que soit leur mode de diffusion. Le régime d’autorisation administrative individuelle est étendu aux enfants de moins de seize ans engagés ou produits en vue d’une diffusion sur un SMAD.
Le régime d’autorisation individuelle ne s’applique pas non plus aux enfants de moins de seize ans apparaissant dans des contenus diffusés par des plateformes de partage de vidéos à l’initiative de leurs utilisateurs.
Pourtant, certains enfants peuvent tout à fait remplir, dans le cadre de la réalisation de ces vidéos, les conditions juridiques définissant une relation de travail : ils peuvent fournir une prestation de travail, percevoir une rémunération en contrepartie et se trouver dans un lien de subordination naturel avec les producteurs ou réalisateurs du contenu.
En échappant au régime d’autorisation préalable, ces enfants ne bénéficient d’aucune garantie sur leur durée de travail ou la protection de leurs revenus. En outre, une décision judiciaire peut à tout moment requalifier la prestation fournie en relation de travail, ce qui expose les producteurs et réalisateurs – en général les parents ou leur famille proche – à une peine de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende).
Afin de mieux protéger les enfants et de sécuriser la situation juridique de leurs parents responsables de la réalisation et de la diffusion de ces contenus audiovisuels, les dispositions du texte étendent aux enfants de moins de 16 ans apparaissant dans des vidéos diffusées par des plateformes le régime d’autorisation individuelle applicable aux enfants du spectacle.
Grâce à ces nouvelles dispositions, lorsqu’un réalisateur ou producteur voudra engager un enfant de moins de seize ans pour produire un contenu ayant vocation à être diffusé à titre lucratif sur une plateforme de partage de vidéos, il devra préalablement solliciter une autorisation individuelle auprès de l’autorité administrative.
Seront regardées comme lucratives, les activités remplissant au moins l’un des critères suivants :
– recours à la publicité sous une forme quelconque en vue de la recherche de la clientèle ;
– fréquence ou importance établie ;
– facturation absente ou frauduleuse ;
– pour des activités artisanales, utilisation d’un matériel ou d’un outillage présentant par sa nature ou son importance un caractère professionnel.
Ainsi, toutes les mesures protectrices relatives à l’encadrement du temps de travail de l’enfant et à la constitution d’un pécule auprès de la Caisse des dépôts et consignations, légales et règlementaires, seront applicables à ces enfants.
Toutefois, afin d’éviter que les producteurs et réalisateurs de contenus n’aient à solliciter une autorisation pour chaque vidéo, les dispositions du texte permettent aux employeurs de solliciter le même agrément que les agences de mannequins.
Pour rappel, en l’état du droit, l’article L. 7124-1 du code du travail met en place, par exception au principe général interdisant le travail des enfants, un cadre juridique protecteur pour les enfants de moins de seize ans employés dans les secteurs du spectacle et du mannequinat ou participant à des compétitions de jeux vidéo. Ce cadre s’applique aux enfants engagés ou produits :
– par une entreprise de spectacle, qu’elle soit sédentaire ou itinérante ;
– par une entreprise de cinéma, de radiophonie, de télévision ou d’enregistrements sonores ;
– en vue d’exercer une activité de mannequin ;
– par une entreprise ou association ayant pour objet la participation à des compétitions de jeux vidéo, depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique.
Pour pouvoir travailler, ces enfants doivent disposer, au préalable, d’une autorisation individuelle délivrée par la direction départementale de la cohésion sociale. Elle peut être retirée à tout moment. Lorsque l’enfant est âgé de plus de treize ans, son avis favorable écrit est également recueilli.
L’autorisation individuelle n’est délivrée par l’autorité administrative que si l’activité envisagée dans le cadre du contrat de travail soumis à l’administration respecte les intérêts de l’enfant.
Le cadre juridique garantit que la majeure partie des revenus bénéficie in fine à l’enfant, et non à ses représentants légaux. Ces derniers peuvent disposer d’une partie de la rémunération perçue par l’enfant ; toutefois, le surplus, appelé « pécule », est versé à la Caisse des dépôts et des consignations, qui en assure la gestion jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant. Si des prélèvements sur le pécule peuvent être autorisés par le président de la commission délivrant l’autorisation individuelle préalable, ils doivent être impérativement effectués dans l’intérêt exclusif de l’enfant.
Un employeur ne respectant pas le régime d’autorisation individuelle s’expose à des sanctions pénales dont la sévérité varie selon la nature de l’infraction : le fait d’engager ou de produire un enfant de moins de seize ans soumis à l’obligation scolaire sans autorisation préalable, le fait d’engager ou de produire un enfant de plus de treize ans sans avoir préalablement recueilli son avis favorable écrit et le fait de méconnaître les dispositions relatives à la durée du travail et au repos sont punis de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende, tandis que le fait de remettre, directement ou indirectement, aux enfants ou à leurs représentants légaux des fonds appartenant au pécule est passible de 3 750 euros d’amende – montant quintuplé s’agissant de personnes morales.
Le code du travail prévoit cependant un dispositif dérogatoire à l’obligation d’autorisation individuelle préalable pour les agences de mannequins dont une partie de l’activité consiste à placer des enfants de moins de seize ans.
Ces agences peuvent demander à bénéficier d’un agrément permettant de s’exonérer de l’obligation de détenir une autorisation individuelle pour chaque prestation. Cet agrément est accordé par l’autorité administrative pour une durée déterminée à l’issue d’une instruction réalisée par les services de l’État. Il peut être retiré à tout moment.
La décision d’agrément fixe les règles de répartition des revenus entre l’enfant et ses représentants légaux. Comme dans le régime d’autorisation individuelle, les représentants légaux peuvent bénéficier d’une part de la rémunération perçue par l’enfant, mais le pécule est versé à la Caisse des dépôts et des consignations.
L’article 2 de la proposition de loi crée, pour les services de plateforme de partage de vidéos, une obligation de coopération avec les autorités publiques. Lorsqu’ils sont informés par l’autorité administrative qu’un contenu met en scène un mineur de moins de seize ans en méconnaissance des régimes d’autorisation prévus par le code du travail, ils sont tenus d’agir pour le retirer ou en rendre l’accès impossible dans les meilleurs délais. Le non-respect de cette obligation de coopération est sanctionné d’une peine d’amende pouvant atteindre 75 000 euros.
L’article 3 crée un cadre juridique protecteur pour les enfants de moins de seize ans qui participent à des vidéos diffusées par des plateformes de partage de contenus audiovisuels mais dont l’activité n’entre pas, stricto sensu, dans le cadre d’une relation de travail. Ce cadre juridique ad hoc introduit un régime de déclaration qui doit conduire à l’application de mesures protectrices, tant en termes d’horaires que de rémunération.
Lorsqu’une relation de travail ne peut être caractérisée, c’est-à-dire lorsqu’au moins l’une des trois conditions – prestation de travail, rémunération et lien de subordination – n’est pas remplie, les régimes d’autorisation individuelle préalable ou d’agrément prévus par le code du travail ne s’appliquent pas.
De fait, de nombreuses situations ne répondent pas au cumul de ces trois conditions. Par exemple, l’enfant filmé dans le cadre de sa vie quotidienne ne fournit aucune prestation ; certaines vidéos ne font l’objet d’aucune monétisation ; l’enfant ne reçoit pas nécessairement de consignes ou d’ordres de la part du réalisateur-producteur de la vidéo. Pour les enfants concernés, le temps de travail, les revenus engendrés, la moralité des contenus ou encore, le respect des obligations scolaires, échappent ainsi à tout encadrement.
Le texte institue ainsi un cadre juridique ad hoc protégeant les intérêts des enfants dont l’activité ne relève pas des dispositions introduites au sein du code du travail.
La proposition de loi soumet à une obligation de déclaration la diffusion, par un service de plateforme, de contenus vidéo dont un enfant de moins de seize ans est l’objet principal lorsque l’un des deux critères suivants est rempli :
– la durée cumulée des contenus ou leur nombre dépassent, sur une période de temps donnée, un seuil déterminé par un décret en Conseil d’État ;
– le fait que la diffusion des contenus engendre, pour la personne responsable de la réalisation, de la production ou de la mise en ligne, des revenus directs et indirects supérieurs à un seuil fixé par un décret en Conseil d’État.
La proposition de loi encadre les durées de travail hebdomadaires et quotidiennes des enfants concernés par l’obligation de déclaration en prévoyant qu’elles ne peuvent excéder un seuil déterminé par décret en Conseil d’État.
Comme dans le cadre des régimes d’autorisation et d’agrément du code du travail, le texte garantit qu’une partie des revenus tirés de la diffusion des contenus revient à l’enfant à sa majorité ou à la date de son émancipation. Ainsi, la part des revenus directs ou indirects tirés de la diffusion de ces contenus est supérieure au seuil fixé par décret en Conseil d’État est versée à la Caisse des dépôts et des consignations, qui en assure la gestion jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant.
Des prélèvements peuvent être autorisés en cas d’urgence et à titre exceptionnel. Comme c’est actuellement le cas pour les enfants du spectacle, il est souhaitable que les actes règlementaires pris en application de la loi précisent que ces prélèvements ne pourront être réalisées qu’après autorisation administrative et dans l’intérêt de l’enfant.
Toutefois, une part minoritaire de ces revenus, déterminée par l’autorité administrative, peut être laissée à la disposition des représentants légaux de l’enfant dont l’implication dans la réalisation des vidéos dépasse souvent largement celles d’un parent d’un enfant du spectacle ou d’un enfant mannequin.
Le fait de remettre des fonds, de manière directe ou indirecte, à un enfant ou à ses représentants légaux, au-delà de la part pouvant légalement bénéficier aux représentants légaux de l’enfant, est puni de 75 000 euros d’amende. Cette disposition a pour objectif de responsabiliser les services de plateforme et les entreprises concluant des contrats de placement de produits : ils sont ainsi incités à s’informer du statut des contenus – soumis ou non au régime de déclaration administrative –, dès lors que ce statut détermine le bénéficiaire des versements qu’ils doivent effectuer.
La proposition de loi a également pour vocation de placer les plateformes, qui tirent des revenus de ces vidéos, devant leurs responsabilités en leur permettant de contribuer, à leur niveau, à une meilleure détection des cas problématiques par les administrations compétentes. Elle soumet ainsi ces services à plusieurs obligations :
– mettre en place des procédures de signalement permettant l’identification des contenus faisant figurer des mineurs de moins de seize ans ;
– coopérer avec les services de l’État afin que tous les contenus dans lesquels apparaissent des mineurs de moins de seize ans, téléversés depuis le territoire français et qui sont source de revenus pour les services de plateforme, soient signalés à l’autorité administrative compétente;
– informer les utilisateurs de la réglementation en vigueur et des risques associés à la diffusion de l’image d’un enfant de moins de seize ans.
Le texte a pour objet de responsabiliser les services de plateforme de partage de vidéos en les faisant participer plus activement à la détection des contenus audiovisuels problématiques qu’ils peuvent véhiculer.
Les plateformes auraient l’obligation de mettre en place les outils nécessaires à l’identification, par les personnes responsables de la diffusion, et au signalement, par leurs utilisateurs, des contenus faisant figurer des enfants de moins de seize ans.
Par ailleurs, dès lors que les services tirent des revenus directs d’un contenu audiovisuel téléversé depuis le territoire français qui leur est signalé, ils doivent en informer l’autorité administrative compétente. Une obligation de coopération entre les services de plateforme et les autorités publiques est ainsi instituée, qui représente, pour les services de plateforme, une charge mesurée et largement automatisable.
Ces dispositions permettent aux services de l’État de n’avoir à surveiller, non pas l’ensemble des contenus audiovisuels téléversés depuis la France – ce qui serait impossible à moyens constants – mais les seuls contenus dont un faisceau d’indices suggère qu’ils seraient susceptibles de relever du régime de déclaration, voire des dispositions du droit du travail.
Enfin, afin de faciliter l’application de la législation relative à la diffusion sur internet de l’image de mineurs de moins de seize ans, le texte impose aux services de plateforme d’informer leurs utilisateurs de la réglementation en vigueur et des sanctions applicables si celle-ci n’est pas respectée. Est également créée une obligation de sensibilisation aux risques associés à la diffusion de contenus mettant en scène des enfants (harcèlement, santé, scolarité, etc.)
La proposition de loi ouvre l’exercice du « droit à l’effacement » aux mineurs dont l’image est diffusée par une plateforme de partage de vidéos. Elle oblige ainsi les services de plateformes de partage de vidéos à retirer rapidement, à la demande de mineurs, les contenus audiovisuels dans lesquelles ils figurent.
En raison de l’incapacité juridique dans laquelle sont placés les mineurs, le droit d’effacement qui leur est reconnu ne peut être exercé que par le titulaire de l’autorité parentale. Or, il existe de nombreuses situations dans lesquelles les parents sont responsables de la diffusion de contenus faisant apparaître leurs enfants et trouvent un intérêt, notamment financier, à ce que ces contenus restent en ligne.
Aussi, le texte autorise les mineurs à exercer eux-mêmes leur droit à l’effacement lorsque leur image est diffusée par un service de plateforme de partage de vidéos, y compris dans les cas où leurs représentants légaux s’y opposeraient.
La proposition de loi institue une peine de 75 000 euros d’amende pour les services de plateforme de partage de vidéos qui ne respecteraient pas leurs obligations légales.